2. Discours d’ouverture
Projet de loi S-12, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels et la Loi sur le transfèrement international des délinquants
Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes
Discours d’ouverture
Septembre 2023
M. le président/Madame la présidente, je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître devant vous pour parler du projet de loi S-12, qui propose une série de réformes au régime national d’enregistrement des délinquants sexuels et aux dispositions du Code criminel relatives aux interdictions de publication. Les réformes concernant les délinquants sexuels renforceraient le Registre et répondraient à la décision R. c. Ndhlovu de 2022 de la Cour suprême du Canada.
Les réformes concernant les interdictions de publication donneraient aux victimes d’actes criminels plus d’autonomie quant aux interdictions de publication et amélioreraient leurs droits continuels à l’information.
Permettez-moi d’abord de parler des réformes proposées au registre des délinquants sexuels. Comme vous le savez, le registre des délinquants sexuels est une base de données nationale contenant des renseignements sur les délinquants sexuels condamnés (et ceux qui sont déclarés non criminellement responsables pour cause de troubles mentaux pour des infractions sexuelles). Son objectif est d’aider la police à prévenir les infractions sexuelles et à enquêter sur celles-ci.
Le Code criminel confère aux juges le pouvoir d’ordonner l’enregistrement des personnes, et la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels est la législation qui, entre autres, définit les règles et les obligations relatives aux délinquants sexuels enregistrés.
En octobre 2022, la Cour suprême du Canada a invalidé deux éléments du régime d’enregistrement des délinquants sexuels prévu par le Code criminel, au motif qu’ils étaient incompatibles avec la Charte des droits et libertés. La première disposition est celle qui exige l’enregistrement automatique de toute personne déclarée coupable ou non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux (NRC) d’une infraction sexuelle désignée.
La Cour a estimé que l’enregistrement automatique de tous les délinquants était contraire à la Charte, car il permettait de capturer des délinquants qui ne présentaient aucun risque de récidive. Cette décision a été jugée incompatible avec l’objectif du registre, car l’inclusion de ces délinquants à faible risque n’aide pas la police à enquêter sur les délits sexuels ou à les prévenir.
La Cour a donné au Parlement un an pour élaborer une réponse législative à la question de l’enregistrement automatique. Ce délai expirera le 28 octobre 2023, après quoi les tribunaux ne pourront plus ordonner aux délinquants de s’enregistrer.
Je suis sûr que vous reconnaissez tous l’urgence de cette échéance, et j’espère que vous conviendrez avec moi qu’il est important de travailler avec diligence pour s’assurer qu’il n’y ait pas un vide dans la loi, même pour une courte période, qui empêcherait l’enregistrement des délinquants sexuels qui sont potentiellement dangereux.
La deuxième disposition que la Cour a annulée est celle qui impose l’enregistrement à vie des personnes condamnées pour plus d’une infraction désignée dans le cadre d’une même procédure. La Cour a estimé que cette disposition avait une portée excessive, car les personnes qui commettent des infractions multiples ne présentent pas toutes un risque accru de récidive. La Cour a annulé cette disposition avec effet immédiat.
En réponse à la décision de la Cour, le projet de loi S-12 propose de remplacer l’enregistrement automatique par une présomption d’enregistrement, ce qui signifie qu’une ordonnance de se conformer au registre doit être imposée dans tous les cas impliquant une infraction sexuelle, à moins que le délinquant ne puisse prouver que l’enregistrement serait manifestement disproportionné ou aurait une portée excessive.
Toutefois, le projet de loi maintiendrait l’enregistrement automatique pour deux catégories de délinquants. D’une part, pour les récidivistes sexuels et, d’autre part, pour ceux qui commettent des infractions sexuelles à l’encontre des enfants et qui sont condamnés à une peine d’emprisonnement de deux ans ou plus, à la suite d’un acte d’accusation – même s’il s’agit d’une première infraction.
Le fait de limiter l’inscription automatique à ces situations reflète les données actuelles des sciences sociales selon lesquelles ces catégories d’individus présentent un risque plus élevé de récidive sexuelle. Je suis d’avis que l’inscription de ces personnes dans le registre sera toujours liée et proportionnée à ses objectifs.
En ce qui concerne l’enregistrement obligatoire à vie, le projet de loi propose de permettre à un tribunal d’ordonner l’enregistrement à vie des personnes condamnées pour plus d’une infraction désignée dans la même procédure lorsque la répétition de ces infractions démontrent un risque accru de récidive sexuelle. Cela répond aux préoccupations de la Cour suprême tout en permettant l’enregistrement à vie dans les cas appropriés.
Pour compléter les propositions qui donnent suite à la décision Ndhlovu, il y a aussi des modifications qui visent à renforcer le régime d’enregistrement des délinquants sexuels dans son ensemble et à le rendre plus efficace.
Ces modifications comprennent l’obligation pour les délinquants sexuels inscrits de donner un préavis d’au moins 14 jours de tout voyage ainsi que l’adresse précise de leur destination. Cela donnera à la police plus de temps et d’information pour évaluer les risques potentiels et, au besoin, alerter leurs partenaires internationaux d’application de la loi des plans de voyage prévus d’une personne.
Parmi les autres modifications importantes, le projet de loi propose l’ajout de nouvelles infractions pour lesquelles une personne pourrait être tenue de s’enregistrer, notamment la diffusion non consensuelle d’images intimes et l’extorsion, ainsi qu’un nouveau mandat d’arrestation en cas de non-respect des obligations d’enregistrement d’un délinquant.
Cela m’amène à la deuxième partie du projet de loi qui porte principalement sur les interdictions de publication. Les interdictions de publication protègent la vie privée de certaines personnes dans le système de justice pénale, y compris les victimes, entre autres, pour encourager le signalement des crimes. Elles interdisent la publication, la diffusion ou la transmission de tous renseignements susceptibles d’identifier la personne visée par l’ordonnance.
Elles sont souvent imposées tôt dans le processus judiciaire avant que la consultation ne soit possible. De nombreuses victimes comprennent qu’une interdiction de publication peut être imposée dans leur cas et que la certitude de son imposition peut être un facteur important dans le signalement d’un crime.
Cependant, comme vous le savez également, les victimes et leurs points de vue sont variés et beaucoup d’entre elles ont exprimé qu’elles se sentaient réduites au silence en raison de l’existence d’une interdiction de publication et que si on leur avait demandé, elles auraient rejeté son imposition dès le départ.
Pour répondre à ces préoccupations, le projet de loi S-12 propose une approche axée sur la victime qui vise à donner plus de pouvoir aux victimes en exigeant que les tribunaux et le poursuivant vérifient si les victimes souhaitent être protégées par une ordonnance de non-publication et, le cas échéant, qu’ils les informent des effets d’une ordonnance de non-publication et de leur droit de demander sa révocation ou sa modification.
Si une personne faisant l’objet d’une interdiction de publication demande qu’elle soit révoquée ou modifiée, le poursuivant devra présenter une demande en son nom. Le tribunal devra alors modifier ou révoquer l’ordonnance sans tenir d’audience, à moins que cela ne porterait atteinte au droit à la vie privée d’une autre personne, par exemple dans les affaires impliquant plusieurs victimes où la révocation de l’interdiction de publication d’une personne pourrait permettre d’identifier une autre personne protégée par une interdiction de publication.
Enfin, le projet de loi S-12 vise à éliminer la menace de poursuites pour les personnes qui partagent leurs propres informations d’identification en donnant des instructions claires au poursuivant sur les circonstances très limitées dans lesquelles une personne dont l’identité est protégée par une interdiction de publication peut être tenue pour responsable en vertu du droit pénal.
Après un examen plus approfondi du projet de loi S-12, le Sénat a apporté un certain nombre de modifications aux réformes relatives aux interdictions de publication afin de répondre aux préoccupations exprimées par les témoins au cours de l’étude du projet de loi. Bien que ces modifications aient généralement mené à un projet de loi plus solide, je suis préoccupé par certains d’entre elles et j’aimerais attirer votre attention sur deux d’entre elles.
Tout d’abord, une modification a été apportée qui obligerait le poursuivant à informer les victimes et les témoins qui font l’objet d’une interdiction de publication des circonstances dans lesquelles ils pourraient légitimement divulguer des informations sans encourir de conséquences juridiques. Bien que j’apprécie l’objectif de ce changement, il soulève de sérieuses questions quant à l’indépendance du poursuivant et aux conflits d’intérêts. En fait, j’ai reçu de la correspondance de certains procureurs généraux provinciaux soulevant cette même préoccupation, et je vous demande d’examiner cette question de près.
Je suis également préoccupé par la modification visant à clarifier ce qui est ou n’est pas couvert par une interdiction de publication. S’il est vrai que la clarté est presque toujours utile, je suis préoccupé par la modification proposée qui précise qu’une personne protégée par une interdiction de publication peut divulguer des informations la concernant, à condition qu’elle n’ait pas l’intention d’identifier une autre personne protégée par la même interdiction de publication. Cette proposition de modification de la législation pourrait avoir pour effet de compromettre involontairement les intérêts en matière de protection de la vie privée des personnes qui pourraient être protégées par d’autres interdictions de publication. Là encore, il s’agit d’une question que je vous invite à examiner plus en détail.
Je conclurai en disant que j’ai confiance que les réformes proposées dans ce projet de loi renforceront le Registre national des délinquants sexuels, respecteront la Charte des droits et libertés et rendront le système de justice pénale plus sensible aux besoins des victimes d’actes criminels.
J’ai hâte de suivre votre étude de ce projet de loi.
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