2. Discours d’ouverture

Sénat

Loi modifiant la Loi d’interprétation et apportant des modifications connexes à d’autres lois

Étude en comité

Octobre 2023

Bon après-midi à tous. J’ai le plaisir de m’adresser à vous aujourd’hui au sujet du projet de loi S-13, Loi modifiant la Loi d’interprétation et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

Le projet de loi dont je suis venu vous parler aujourd’hui se faisait attendre depuis longtemps. Les Premières Nations, les Inuits et les Métis étaient nombreux à réclamer qu’une disposition de non-dérogation liée à l’article 35 soit ajoutée à la Loi d’interprétation fédérale. Cette disposition s’appliquerait à toutes les lois fédérales et serait un rappel de l’importance des droits ancestraux et issus de traités confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Dans le cadre du Plan d’action de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, rendu public le vingt-et-un juin cette année, les peuples autochtones ont identifié que le projet d’adoption d’une disposition de non-dérogation continue d’être une priorité. L’adoption du projet de loi signifierait la réalisation d’une des mesures prioritaires communes énoncées dans le Plan d’action.

Je tiens à prendre un moment pour souligner le travail acharné et le grand dévouement des partenaires autochtones ayant participé aux consultations et collaboré avec nous pour faire avancer le projet de loi. Les peuples autochtones et les organisations qui les représentent ont pris part à plus de 70 rencontres et ils ont déposé plus de 45 mémoires concernant l’initiative législative sur la disposition de non-dérogation. Je suis extrêmement reconnaissant à tous ceux qui ont partagé leurs perspectives et leur expertise technique.

Cela nous amène à l’essence même du projet de loi, c’est-à-dire l’ajout d’une disposition de non-dérogation liée à l’article 35 dans la Loi d’interprétation fédérale et l’abrogation de la plupart des dispositions de non-dérogation présentes dans les autres lois.

L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît et confirme les droits ancestraux et issus de traités. Ces droits sont d’une importance fondamentale pour les peuples autochtones.

Ils comprennent des droits liés aux terres et aux ressources – notamment des droits de récolte, de chasse et de pêche – à la culture, aux langues et aux cérémonies, ainsi que d’autres droits collectifs qui sont à la base même de l’autodétermination et de l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones.

Ces droits sont protégés par la Constitution contre les atteintes qui pourraient découler de mesures gouvernementales, y compris législatives, excepté lorsqu’une atteinte aux droits est justifiable au regard des critères rigoureux établis par la Cour suprême du Canada.

Une disposition de non-dérogation liée à l’article 35 rappellerait l’existence de cette protection constitutionnelle en indiquant que les lois doivent être interprétées d’une façon qui maintient les droits constitutionnels reconnus par l’article 35 et n’y porte pas atteinte. Les dispositions de non-dérogation visent donc à souligner l’importance de respecter les droits reconnus par l’article 35 et d’appliquer les lois fédérales de façon à ne pas enfreindre ces droits.

L’inclusion d’une disposition de non-dérogation dans la Loi d’interprétation permettrait de garantir que toutes les lois fédérales et tous les règlements fédéraux sont interprétés comme maintenant et comme ne diminuant en rien les droits des peuples autochtones confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Il ne serait donc plus nécessaire, à l’avenir, d’inclure une disposition de non-dérogation dans chacune des lois fédérales.

Le projet de loi ferait en sorte que toutes les lois fédérales soient interprétées d’une manière compatible avec l’article trente-cinq de la constitution. Ainsi, les peuples autochtones n’auraient plus à insister pour l’inclusion de dispositions de non-dérogation chaque fois que le gouvernement présenterait un nouveau projet de loi susceptible d’avoir une incidence sur les droits reconnus par l’article trente-cinq.

De plus, le projet de loi favorise l’uniformité des lois fédérales au regard des dispositions de non-dérogation. L’approche ponctuelle, conjuguée à l’évolution du paysage juridique et des pratiques de rédaction des lois, a mené au cours des quarante dernières années à des dispositions de non-dérogation qui diffèrent entre elles. Ainsi, on se retrouve aujourd’hui avec plusieurs textes de loi dont les dispositions de non-dérogation sont formulées différemment.

Afin d’assurer la clarté et l’uniformité des lois, le projet de loi propose d’abroger la quasi-totalité des dispositions de non-dérogation présentes dans les lois actuelles, à quelques exceptions près. En effet, les dispositions de non-dérogation contenues dans certaines lois touchant directement certains peuples autochtones seront conservées, comme ceux-ci l’ont demandé. Ces cas exceptionnels, qui sont très limités, comprennent la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie et la Loi sur l’autonomie gouvernementale de la Nation shishalhe.

Le projet de loi prend également appui sur le travail important qui a été accompli par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles et sur son rapport de 2007 intitulé « Prendre au sérieux les droits confirmés à l’article 35 : Dispositions de non-dérogation visant les droits ancestraux et issus de traités ». Ce rapport recommandait au gouvernement du Canada de présenter un projet de loi visant à ajouter une disposition de non-dérogation à la Loi d’interprétation fédérale et à abroger les dispositions de non-dérogation présentes dans les lois existantes.

De nombreux dirigeants et experts autochtones ont participé aux audiences du Comité sénatorial qui ont mené au rapport de 2007 et plusieurs d’entre eux n’ont jamais cessé depuis de militer en faveur de sa mise en œuvre.

En décembre 2020, désireux de donner suite au leadership et aux efforts soutenus de ces dirigeants et experts autochtones, le ministère de la Justice a lancé un processus de consultation ciblé afin de faire progresser les discussions sur l’initiative de la disposition de non-dérogation. Ce processus avait pour but de déterminer si les points de vue avaient évolué depuis le rapport sénatorial de 2007 et d’évaluer le niveau d’appui dont bénéficiait l’initiative de la disposition de non-dérogation. Ce processus ciblé a révélé que la proposition de modification de la Loi d’interprétation bénéficiait toujours d’un appui considérable.

De décembre deux mille vingt-et-un à mai deux mille vingt-trois, un groupe considérablement élargi de partenaires autochtones a eu l’occasion de formuler des commentaires. Ce nouveau processus de consultation et de collaboration s’est déroulé en deux phases supplémentaires.

La première de ces deux phases supplémentaires a commencé en décembre deux-mille-vingt-et-un, quand le ministre de la Justice précédent a annoncé un processus de consultation et de collaboration élargi, conformément aux exigences posées par la Loi sur la Déclaration des Nations Unies. Des rencontres ont eu lieu avec les partenaires autochtones à partir de février deux mille vingt-deux dans le but d’examiner les options pour la modification de la Loi d’interprétation afin d’y inclure une disposition de non-dérogation.

Au cours de la dernière phase du processus de consultation et de collaboration, une ébauche de proposition législative a été affichée sur le site Web du ministère de la Justice du Canada, du 1er mars au 14 avril 2023. Cette démarche a conféré une transparence accrue au processus de consultation et de collaboration et a permis aux partenaires autochtones d’examiner l’ébauche de proposition législative et de formuler des commentaires.

Tout au long du processus, les partenaires autochtones se sont montrés largement en faveur de l’initiative de la disposition de non-dérogation, même s’ils n’étaient pas tous du même avis quant à son libellé exact. Certains étaient favorables à l’utilisation de l’expression récente « droits des peuples autochtones », alors que d’autres tenaient fermement à l’expression « droits ancestraux et issus de traités », plus proche du libellé de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Les deux expressions ont finalement été utilisées dans le libellé du projet de loi afin de refléter les différentes formulations proposées par les partenaires autochtones.

Le sort qui serait réservé aux dispositions de non-dérogation se trouvant dans les lois existantes a également fait l’objet de discussions soutenues avec les partenaires autochtones. L’abrogation de la totalité des dispositions de non-dérogation n’était pas l’avenue privilégiée par les partenaires autochtones.

De fait, de nombreux partenaires autochtones ont fait valoir que les dispositions de non-dérogation devaient rester dans les lois ayant une incidence directe sur des peuples autochtones, si tel était le souhait des peuples touchés.

En conclusion, les modifications proposées dans le projet de loi vont venir compléter et renforcer les protections constitutionnelles conférées par l’article 35. Elles vont contribuer à promouvoir, à protéger et à confirmer les droits des peuples autochtones à l’échelle fédérale, tout en favorisant une plus grande cohérence et une plus grande uniformité dans l’interprétation des lois fédérales.

En somme, cette initiative témoigne de notre engagement à travailler en partenariat avec les peuples autochtones alors que nous nous employons à renforcer les relations de nation à nation, de gouvernement à gouvernement, et entre les Inuits et la Couronne.

Merci.