La réforme de la communication de la preuve - Document de consultation
Contexte
Le droit de l'accusé de se faire communiquer tous les renseignements pertinents dont a possession ou a le contrôle le ministère public, à l'exception de ceux qui sont visés par le secret professionnel, constitue un élément fondamental du fonctionnement régulier et équitable du système de justice pénale canadien. À cet égard, la jurisprudence enseigne que sont pertinents les renseignements qui peuvent raisonnablement permettre à l'accusé de présenter une défense pleine et entière. Ce droit à la communication de la preuve découle de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, selon lequel « chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale »
. Plus précisément, il est reconnu que la communication en bonne et due forme de la preuve est imposée par les principes de justice fondamentale, étant nécessaire pour que l'accusé puisse se défendre quand des accusations sont portées contre lui.
La Cour suprême du Canada a formulé les grands principes juridiques applicables à la communication de renseignements dans les affaires pénales dans l'arrêt de principe R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326. Ces règles ont été étoffées et appliquées par la suite dans de nombreuses causes. Récemment, dans l'arrêt R. c. Taillefer; R. c. Duguay, [2003] 3 R.C.S. 307, le juge LeBel a rappelé les principes importants en ces termes :
Ces règles se résument en quelques propositions. Le ministère public doit divulguer à l'accusé tous les renseignements pertinents, qu'ils soient inculpatoires ou disculpatoires, sous réserve de l'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministère public de refuser de divulguer des renseignements privilégiés ou encore manifestement non pertinents. La pertinence s'apprécie tant à l'égard de l'accusation elle-même que des défenses raisonnablement possibles. Les renseignements pertinents doivent être divulgués, que le ministère public ait ou non l'intention de les produire en preuve et ce, avant que l'accusé n'ait été appelé à choisir son mode de procès ou à présenter son plaidoyer… En outre, toute déclaration obtenue de personnes qui ont fourni des renseignements pertinents aux autorités devrait être produite, même si le ministère public n'a pas l'intention de citer ces personnes comme témoins à charge… [p. 334]
Les tribunaux canadiens ont interprété de manière large l'obligation de communiquer les renseignements « pertinents », comme l'a reconnu le juge LeBel dans l'arrêt R. c. Taillefer; R. c. Duguay, qui a aussi fait les observations suivantes :
Tel que défini par la jurisprudence, ce concept de pertinence favorise la communication de la preuve. Peu de renseignements seront soustraits à l'obligation de communication de la preuve imposée à la poursuite. Comme l'affirmait notre Cour dans l'arrêt Dixon, précité,
« le critère préliminaire fixé pour la communication [de la preuve] est fort peu élevé [...] L'obligation de divulguer du ministère public est donc déclenchée chaque fois qu'il y a une possibilité raisonnable que le renseignement soit utile à l'accusé pour présenter une défense pleine et entière »(par. 21; voir également R. c. Chaplin, [1995] 1 R.C.S. 727, par. 26-27).« Si le ministère public pèche, ce doit être par inclusion. Il n'est toutefois pas tenu de produire ce qui n'a manifestement aucune pertinence »(Stinchcombe, précité, p. 339). [pp. 334 à 335]
L'obligation de communication de la preuve imposée au ministère public peut poser des difficultés de taille. Pour la respecter, il est nécessaire de gérer de grandes quantités de renseignements au sein du système judiciaire. La tâche est rendue encore plus complexe en raison du caractère très délicat de certains renseignements pertinents qui suscitent notamment des préoccupations en matière de protection de la vie privée, le besoin d'assurer la protection des victimes, des témoins et des informateurs, et le besoin de protéger les informations confidentielles émanant des gouvernements au Canada et à l'étranger.
Les défis que pose la gestion d'une quantité aussi considérable de renseignements prennent toute leur ampleur dans les affaires de grande envergure et complexes. Par exemple, de telles situations se produisent souvent dans les affaires de crime organisé, en raison du caractère complexe des activités criminelles en cause et des techniques d'enquête perfectionnées. Dans des affaires de grande envergure et complexes et dans d'autres dossiers de ce genre, le ministère public se voit obligé de traiter une masse considérable de documents et d'autres éléments d'information, comme des enregistrements sonores et vidéo. Même dans les dossiers de petite et moyenne envergure, la communication de la preuve peut poser des défis au système judiciaire, surtout eu égard au nombre d'instances de ce genre, et certaines des propositions de réforme en matière de communication de la preuve peuvent aussi être utiles dans ces affaires. Par exemple, les questions qui se rapportent au caractère délicat des renseignements en cause, et au besoin d'en prévenir l'utilisation abusive, sont préoccupantes, peu importe l'ampleur de l'affaire.
Il est important de garder à l'esprit que les renseignements pertinents aux affaires pénales commencent à être engendrés dès le début de l'enquête. Dans les enquêtes de grande envergure et complexes, comme celles où l'on soupçonne des activités de crime organisé, la cueillette des renseignements peut commencer des années avant le procès. Il faut donc commencer à songer à préparer la communication de la preuve dès les premiers stades de l'enquête et de la poursuite. La communication de la preuve en soi devrait avoir lieu dès que possible après que des accusations sont portées, afin de permettre à l'accusé de prendre des décisions éclairées.
Bien entendu, il n'y a pas que le ministère public qui soit concerné par la communication de la preuve dans la perspective de la préparation d'un procès; il s'agit également d'une préoccupation principale de la police au cours de l'enquête : elle doit la gérer conjointement avec le ministère public. Les enquêteurs de police et les poursuivants sont tenus de s'organiser afin de communiquer la preuve comme il se doit et en temps utile comme l'exige la loi. Il n'a pas toujours été facile de la faire, mais le système judiciaire canadien a su prendre les mesures nécessaires, et il continuera à le faire. Parmi les mesures prises en vue d'améliorer la gestion de la communication de la preuve, dans les différents ressorts provinciaux ou territoriaux, l'on compte les suivantes :
- organiser des séances de formation en gestion des renseignements, notamment des séances et des séminaires de travail pour les enquêteurs de la police et les poursuivants;
- élaborer et échanger les meilleures pratiques;
- élaborer des protocoles de gestion de la communication de la preuve;
- et assurer une collaboration directe plus étroite entre enquêteurs et poursuivants, notamment en mandatant un procureur de la Couronne afin d'accorder des consultations sur les questions de communication de la preuve au cours des enquêtes.
Ces améliorations de la gestion pratique des renseignements à communiquer ne signifient pas que des problèmes ne font toutefois pas surface. Surtout dans les affaires de grande envergure et complexes, le respect de cette obligation peut se traduire par des fardeaux considérables au plan des ressources humaines et financières. Les difficultés de bonne communication de la preuve ont abouti à des procès retardés, et même parfois à un sursis d'instance. Les différends au sujet des renseignements devant être communiqués, et quant au moment et aux modalités de communication, surviennent plutôt fréquemment, et lorsque l'intervention judiciaire est nécessaire pour trancher les différends, elle impose des dépenses supplémentaires aux parties et à l'ensemble du système judiciaire; en fin de compte, l'audition en bonne et due forme des causes au fond peut s'en trouver retardée.
Il est essentiel de rechercher constamment d'autres améliorations des méthodes de gestion pratique de la communication de la preuve; cependant, les réformes législatives peuvent aussi être utiles. Les propositions de réforme législative dans le domaine de la communication de la preuve constituent le thème principal du présent document de consultation. Ceci dit, il faut garder à l'esprit que les réformes législatives ne pourront, à elles seules, « régler » de manière globale la question de la communication de la preuve. L'obligation de communication de la preuve est onéreuse, et les modifications législatives ne peuvent éliminer le fardeau concret qu'impose le respect de celle-ci. Avec les propositions qui sont analysées ici, on cherche des méthodes plus efficaces de mise en oeuvre de l' obligation de communication de la preuve imposée par la Charte.
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