La réforme de la communication de la preuve - Document de consultation

Instance judiciaire spécialisée en matière de communication de la preuve

Il se produit souvent des différends au sujet des questions de communication de la preuve au cours du processus pénal. S'il faut encourager les parties à régler à l'amiable les différends de ce genre, il faut reconnaître que les tribunaux seront souvent appelés à statuer sur ceux-ci. Il n'est pas rare que les délais soient entraînés par la nécessité d'obtenir une décision judiciaire à l'égard d'une question portant sur la communication de la preuve. Ces lenteurs peuvent être dues au fait que les parties n'arrivent pas à saisir rapidement un tribunal, ou au caractère de la procédure suivie dans l'instruction des requêtes elles-mêmes.

Mesure législative proposée

Avec des modifications prévoyant la création d'une instance judiciaire spécialisée, il serait possible de faire instruire les requêtes en communication de la preuve rapidement, car le tribunal pourrait être saisi rapidement, et il suivrait une procédure souple :

Analyse

Dans certaines instances pénales, surtout dans les affaires de grande envergure et complexes, les parties peuvent être très accaparées par les requêtes visant à régler les questions de communication de la preuve. Habituellement, ce n'est que le juge du procès qui entend ces requêtes, et il faut parfois attendre un certain temps pour que le juge soit désigné [3]. D'autres retards peuvent découler de la préparation et de l'audition des requêtes en communication de la preuve lorsque les parties suivent la procédure formelle des tribunaux.

Pour faire face à ces défis, des dispositions spéciales pourraient prévoir des règles claires ayant trait aux questions de compétence, et aux paramètres applicables à la procédure avant même que le juge du procès ne soit désigné, qui permettraient aux parties de régler toutes les questions ayant trait à la communication de la preuve, notamment celles de pertinence, du secret professionnel, et de suffisance des modalités de la communication de la preuve. S'il est prévu que les règles de procédure sont souples, les requêtes en communication de la preuve pourront être jugées rapidement, à condition que le mode d'instruction soit adapté à la requête en cause, et conforme à l'intérêt de la justice.

Si on veut que cette notion soit avantageuse, il faudra probablement que la décision sur la communication de la preuve jouisse, pour l'essentiel, de la même autorité que toute autre rendue par le juge du procès. Si ce n'est pas le cas, la procédure spéciale pourrait ne servir qu'à compliquer et à prolonger les différends, puisque les requêtes pourraient devoir être jugées à nouveau lors du procès. Les ordonnances de communication de la preuve prononcées de cette manière devront donc faire pleinement autorité, et le juge du procès ne devra avoir qu'un droit de révision limité.

Il pourrait aussi être indiqué de faire adopter des textes législatifs encourageant les parties à avoir recours sans retard à ce mécanisme de règlement des différends relatifs aux questions de communication de la preuve, plutôt que de simplement attendre la désignation du juge du procès. Par exemple, les modifications législatives pourraient exiger que le juge du procès appelé à statuer et à accorder des réparations sur une question de communication de la preuve tienne compte du fait que la partie intéressée avait eu auparavant la possibilité de faire valoir son recours dans le cadre d'une instance judiciaire spécialisée.

Si le règlement rapide des différends de cette manière peut comporter des avantages, il est possible de soutenir que le juge du procès est en meilleure position pour statuer sur les requêtes en communication de la preuve, car il peut tenir compte de l'ensemble du contexte de la cause. Il faut mettre en équilibre les avantages du règlement rapide de ces différends et les inconvénients éventuels de l'intervention d'un juge autre que celui du procès. Cependant, il faut garder à l'esprit que cette proposition pourrait accorder à ce dernier un droit de révision résiduel. En outre, il est peut-être facile de surestimer les avantages de la révision exercée par le juge du procès, en ce qui a trait aux requêtes en communication de la preuve : de par leur nature même, elles doivent être réglées préalablement au procès, et elles tendent à soulever des questions pour lesquelles il n'est pas forcément nécessaire d'avoir connaissance de l'ensemble du dossier. Mis à part l'aspect du règlement rapide du différend, on pourrait même soutenir qu'il serait justement avantageux de faire intervenir un autre juge que celui du procès : les parties pourraient, par exemple, être en mesure de présenter leurs arguments au sujet de la requête en communication de la preuve en faisant état du contexte intégral de la cause sans craindre de mettre en péril leurs thèses au procès. (Des considérations semblables sont applicables dans le contexte des conférences préalables au procès, lorsqu'un juge autre que celui qui est désigné pour présider le procès est en mesure de se livrer à un dialogue franc avec les avocats.)

On ne veut pas dire par là qu'il serait forcément indiqué de faire régler tous les différends relatifs à la communication de la preuve au moyen d'une instance judiciaire spécialisée et rapide. Il est possible de soutenir que le juge, dans une instance judiciaire spécialisée, doit conserver un pouvoir discrétionnaire lui permettant de décider que c'est au juge du procès qu'il revient de statuer sur une question particulière. (Ce pouvoir s'ajouterait au droit de révision limité du juge du procès des décisions émanant de l'instance judiciaire spécialisée.) De surcroît, l'existence de l'instance judiciaire spécialisée n'aurait aucune incidence sur les autres instances spéciales déjà possibles, en droit, et elle ne constituerait pas une solution de rechange à celles-ci, notamment : les instances qui ont trait aux dossiers contenant des renseignements personnels régies par les articles 278.1 à 278.91 du Code criminel, ou qui concernent des renseignements au sujet desquels des avis sont donnés ou des oppositions sont faites en vertu des articles 37 à 39 de la Loi sur la preuve au Canada.

La mise en oeuvre d'une instance judiciaire spécialisée en matière de communication de la preuve pourrait donner lieu à des difficultés techniques. Il peut être difficile et stérile d'isoler les modifications relatives à la procédure de règlement des différends en matière de communication de la preuve des autres phases de la procédure à suivre avant le procès. De nombreuses questions peuvent se poser à cet égard. Faut-il élargir le champ d'application des modifications procédurales proposées, et y inclure les phases de la procédure antérieure au procès autres que celle de la communication de la preuve? Comment rattacher cette procédure à la gestion de la cause et aux conférences préalables au procès? À quel palier de tribunal ces instances devraient-elles être entendues? Le même juge devrait-il en principe instruire les diverses requêtes qui peuvent être présentées dans le cadre d'une affaire pénale donnée? Les tiers pourraient-ils présenter des requêtes en communication de la preuve dans certains cas, eu égard au fait que les décisions judiciaires en la matière peuvent parfois toucher leurs intérêts? Les requêtes en communication de la preuve pourraient-elles faire l'objet d'appels interlocutoires?

Un autre défi que poserait la mise en œuvre de ces modifications procédurales pourrait être le suivant : comment tenir compte des différences régionales pour ce qui est des règles de cour? Les règles proposées en matière de communication de la preuve pourront poser des défis dans les petites communautés, les communautés rurales, ou du Nord, où les ressources judiciaires n'ont pas la souplesse nécessaire pour rendre facilement possible la désignation spéciale de juges pour ces questions. Il est donc possible que certains aspects de la proposition soient plus faciles à mettre en œuvre par le truchement des règles de cour locales qu'en apportant des modifications au Code criminel ; on pourra ainsi prendre en compte les variations régionales que connaît la pratique. Le thème général de l'adoption éventuelle de nouvelles règles de cour ayant trait à la communication de la preuve fait l'objet de la proposition suivante du présent document de consultation.

Questions

  1. Serait-il avantageux de suivre la voie de modifications prévoyant la mise sur pied d'une instance judiciaire spécialisée afin d'encourager le règlement rapide des questions de communication de la preuve?

  2. À quel palier de tribunal ces instances devraient-elles être entendues?

  3. Les multiples requêtes en communication de la preuve dans le cadre d'une affaire pénale donnée devraient-elles en principe être présentées au même juge?

  4. Les modifications de ce genre devraient-elles être se limiter aux affaires de grande envergure et complexes?

  5. Dans quels cas le juge du procès devrait-il avoir un pouvoir de révision concernant les décisions rendues dans le cadre d'instances judiciaires spécialisées antérieures au procès?

  6. Faut-il aussi envisager la mise sur pied d'une instance judiciaire spécialisée pour des phases de la procédure antérieure au procès autres que celle de la communication de la preuve?

  7. Certains aspects de cette proposition doivent-ils être réglés par le truchement des règles de cour locales afin de tenir compte des différences régionales en matière de pratique?


[3] Le juge d'une cour supérieure autre qu'un juge du procès, qui exerce la compétence conférée par le paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, peut statuer sur des questions de ce genre lorsque sont en jeu des droits garantis par la Constitution. Voir, par exemple, R. c. Girimonte (1997), 12 C.R. (5 th ) 332 (C.A. Ont.); R. c. Laporte (1993), 84 C.C.C. (3d) 343 (C.A. Sask.); R. c. Blencowe (1997), 118 C.C.C. (3d) 529 (C. Ont. (Div. gén.)). Cependant, ce type de procédure constitue l'exception, et l'on ne sait pas au juste dans quels cas elle convient.