La réforme de la communication de la preuve - Document de consultation

Le droit de consultation comme mode de communication de la preuve

Le ministère public, afin de s'acquitter de son obligation de communication de la preuve que garantit la Constitution à l'accusé, fournit normalement des copies des pièces pertinentes. Eu égard à la large portée de la notion de « renseignements pertinents », et à la grande masse de pièces, surtout dans les affaires de grande envergure et complexes, cette pratique a souvent imposé un lourd fardeau administratif à la police et au ministère public en ce qui a trait à la reproduction et à la transmission de documents et d'autres pièces.

Mesure législative proposée

Sans réduire l'obligation de communication de la preuve, des modifications législatives pourraient permettre au ministère public de respecter cette obligation, lorsque les circonstances le justifient, en donnant à la défense un droit de consultation raisonnable des pièces à communiquer, et en assurant la possibilité d'en obtenir copie.

Analyse

Dans les causes pénales, la pratique couramment suivie veut que le ministère public fournisse à la défense copie des pièces à communiquer. Cependant, le Comité consultatif du procureur général sur le contrôle des accusations, la communication de la preuve et les discussions en vue d'un règlement du Procureur général de l'Ontario, que présidait l'honorable G. Arthur Martin, a reconnu dans son rapport de 1993 (le « rapport Martin ») que cette pratique pourrait ne pas être indiquée dans tous les cas :

[TRADUCTION] Dans une enquête dont l'envergure et la complexité sont inhabituelles, où la quantité de pièces accumulées au cours de l'enquête rend la reproduction de l'ensemble de celles-ci, qui s'impose en principe, malaisée en pratique, le ministère public peut plutôt fournir à la défense une description ou un index des pièces, et prendre les dispositions raisonnables pour qu'elle puisse en prendre connaissance. Si une procédure de communication de la preuve de ce genre est suivie dans une enquête complexe, le procureur de la Couronne doit néanmoins informer la défense de renseignements dont il a connaissance qui sont disculpatoires, ou favorables, à l'accusé, de quelque manière que ce soit.

Par exemple, dans une affaire d'enlèvement d'enfant, il peut y avoir des dizaines de milliers de questions restées sans réponse que les enquêteurs se sont posées et dont ils ont pris note avant que l'enfant ne soit retrouvé. Il est impossible de dire que ces questions n'ont forcément aucune pertinence; le ministère public peut donc être tenu de les communiquer intégralement, même s'il n'y en a qu'une ou deux, voire aucune, qui puissent être utiles à la défense en dernière analyse. De même, dans une enquête sur une affaire de fraude extrêmement complexe, les pièces pertinentes peuvent remplir de nombreuses salles : et, même si le ministère public est tenu de communiquer l'ensemble de ces pièces au motif qu'elles ne sont pas manifestement sans pertinence, il est possible néanmoins que seule une toute petite partie d'entre elles soit directement utile à la défense. Dans les cas de ce genre, le Comité estime qu'il suffit de fournir à la défense une description ou un index des pièces en question, et d'autoriser la défense à les consulter en prenant des dispositions raisonnables en ce sens, eu égard l'ensemble des circonstances.

Sans que l'on puisse tenter de s'exprimer de manière exhaustive, le caractère raisonnable des modalités de la consultation des pièces à communiquer dans les cas d'enquêtes complexes dépendra de facteurs comme la quantité des pièces, leur caractère délicat, la nécessité d'assurer le respect de l'intégrité de ces pièces, et le caractère de la poursuite. Finalement, le droit de consultation des pièces doit être guidé par la raison d'être de la communication de la preuve, qui est de faciliter l'exercice par l'accusé de son droit à une défense pleine et entière. [Rapport Martin, pp. 237 à 238]

Comme ces observations l'indiquent, il est possible qu'il ne soit pas toujours indiqué de respecter l'obligation de communication de la preuve en faisant et en fournissant des copies des pièces. Lorsque les circonstances le justifient, la communication de la preuve pourrait prendre la forme de dispositions donnant à la défense le droit de consulter dans des conditions raisonnables les pièces pour lesquelles des copies n'ont pas été fournies. Ce droit pourrait être assorti de la possibilité donnée à la défense d'obtenir des copies des pièces qu'elle choisit parmi celles auxquelles elle a eu accès par cette méthode.

Il est déjà possible, en vertu du droit en vigueur, de communiquer la preuve en donnant à la défense le droit de consulter les renseignements que possède le ministère public, plutôt que d'en donner copie. Cependant, en dépit des observations du rapport Martin, il ne semble pas que cette méthode soit suivie de manière régulière. L'adoption de modifications législatives lui donnant un solide fondement légal, et prévoyant les paramètres d'utilisation de celle-ci, pourrait contribuer à encourager la mise en valeur de cette méthode et le recours à celle-ci.

Il est important de signaler que cette proposition de donner à la défense un droit de consultation des pièces à communiquer, comme celle ayant trait à la communication électronique de la preuve, ne concerne que la forme du processus de communication de la preuve, et non la portée et la teneur des pièces à communiquer.

Les modifications législatives envisagées dans le cadre de cette proposition pourraient éventuellement être structurées de la manière suivante : le ministère public pourrait fournir à la défense des copies des pièces définies comme essentielles [2], et lui donner un droit de consultation des autres pièces pertinentes. L'ensemble des pièces essentielles dont il est question ici conserverait une large portée, et il comprendrait les principales pièces du dossier du ministère public. Diverses catégories de renseignements y figureraient, notamment : la copie des accusations; toutes les déclarations des personnes qui ont fourni des renseignements pertinents; toutes les déclarations de l'accusé, et des coaccusés le cas échéant; le casier judiciaire de l'accusé et de tout coaccusé; une copie des mandats et des autorisations judiciaires; les rapports ou constats de la police. Il comprendrait aussi les pièces en possession du ministère public qui sont disculpatrices, notamment celles qui pourraient limiter la culpabilité de l'accusé, voire le disculper, ou réduire sa peine.

Il existe une autre possibilité : le ministère public pourrait se voir conférer le pouvoir plus général d'accorder à la défense un droit de consultation des pièces, sous réserve du pouvoir du tribunal d'en ordonner autrement. Subsidiairement, ou en complément, les modifications législatives pourraient définir certaines catégories de pièces qui, sauf si le tribunal en ordonne autrement, ne seraient communiquées par le ministère public que par l'exercice du droit de consultation. Il pourrait s'agir de pièces qui n'ont souvent que peu de valeur, mais qui ne sont pas « manifestement sans pertinence ». Il pourrait aussi s'agir de pièces qui sont de caractère délicat et soulèvent des préoccupations, notamment en matière de protection de la vie privée – dans le cas, par exemple, de pièces pornographiques saisies au cours de poursuites en matière d'infractions se rapportant à la pornographie juvénile.

Il est probable qu'on aurait recours à un mécanisme de consultation des pièces à communiquer essentiellement dans les affaires de grande envergure et complexes, qui produisent souvent des quantités énormes de pièces visées par l'obligation de communication de la preuve. Dans ces cas, le droit de consultation des pièces pourrait constituer la manière la plus rapide, la plus pratique et la plus efficace de gérer la communication de catégories élargies de renseignements. Il pourrait aussi servir à diminuer le nombre des différends relatifs à la communication de la preuve, car ils se produisent souvent lorsqu'il est difficile d'établir si les renseignements figurant dans un document respectent le critère de pertinence. Si la communication de pièces de ce genre n'exigeait pas la préparation de copies et la remise de grandes quantités de documents supplémentaires, autrement dit, s'il s'agissait simplement d'une question de droit de consultation des pièces, le ministère public serait moins susceptible de contester certaines requêtes en communication de la preuve, ce qui se traduirait par une diminution du nombre de différends.

Cependant, un certain nombre de considérations pratiques font surface en ce qui a trait à la consultation des pièces à communiquer, notamment la question de savoir comment la défense peut utilement évaluer les renseignements qu'elle elle a droit de consulter. Il est probable qu'un minimum de classification ou d'organisation – comme un index général des catégories de pièces – serait exigé pour guider l'utilisateur. Donner à la défense le droit de consulter les pièces à communiquer supplémentaires et lui donner les moyens d'en obtenir copie pourraient donner lieu à d'autres problèmes – le ministère public devrait éventuellement aménager des salles de consultation spéciales et prendre des dispositions spéciales permettant aux utilisateurs d'y avoir matériellement accès. Une autre source éventuelle de préoccupation particulière est celle des dispositions à prendre pour les accusés qui ne sont pas représentés par un avocat, surtout ceux qui sont en détention. Des questions peuvent également se poser en ce qui concerne la mesure dans laquelle le ministère public ou les représentants de la police doivent contrôler l'accès des utilisateurs, particulièrement eu égard à la confidentialité dont a besoin la défense lorsqu'elle examine les pièces.

Il est juste aussi de se demander si le droit de consultation réglerait vraiment les difficultés intrinsèques au processus de communication de la preuve. Après tout, cette notion ne supprimerait pas l'obligation de rassembler la large gamme de renseignements pertinents, d'évaluer le caractère applicable du secret professionnel, et de faire en sorte que tous les renseignements soient concrètement rendus disponibles, d'une manière ou d'une autre. D'aucuns pourraient soutenir que les avantages réels qu'apporteraient les modifications législatives de ce genre pourraient, selon toute probabilité, être relativement faibles. Dans des affaires de grande envergure et complexes, la manière la plus efficace d'affronter les défis reliés à la communication de la preuve serait d'avoir recours à la voie électronique : le recours plus efficace à cette technique pourrait rendre l'approche du droit de consultation des pièces moins intéressante, voire inutile.

D'autres pourraient soutenir que, si la notion du droit de consultation des pièces n'offre qu'un avantage réduit pour une catégorie relativement restreinte d'affaires, il risque en fait de compliquer et de ralentir le processus de communication de la preuve. Par exemple, selon la méthode de la communication des pièces essentielles, la pratique consistant à séparer celles qui sont essentielles des autres pourrait devenir une seconde source de contentieux. Il pourrait aussi y avoir des différends sur la portée des demandes de la défense afin d'obtenir copie de pièces supplémentaires. Il est aussi possible que la création explicite, par le législateur, d'une procédure d'obtention de communication de la preuve en prévoyant un droit de consultation pourrait élargir l'éventail des pièces que la défense s'attendra à se faire communiquer.

Cependant, il ne faut pas exagérer les risques de complications supplémentaires. Comme pour la communication électronique de la preuve, le recours à ce processus ne serait pas obligatoire. Le ministère public pourrait donc évaluer au cas par cas les risques et les difficultés reliées au recours au droit de consultation des pièces, et restreindre son utilisation aux affaires pour lesquelles on estime qu'elle est avantageuse. Même s'il s'agit d'un pourcentage relativement faible de toutes les causes, il s'agirait en général d'affaires de grande envergure et complexes, et ce sont celles-ci qui donnent lieu aux plus grandes difficultés en ce qui a trait à la communication de la preuve et aux avantages les plus considérables. Pour la défense, on pourrait soutenir que les risques ou les inconvénients peuvent être minimes, car les pièces pertinentes seraient toujours divulguées – que ce soit par la remise de copies ou par l'exercice du droit de consultation – et l'ensemble du processus serait toujours soumis à la surveillance des tribunaux.

Questions

  1. Serait-il avantageux d'adopter des modifications législatives prévoyant le droit de consultation des pièces comme mode de communication de la preuve?

  2. Dans l'affirmative, la communication des pièces essentielles serait-il le meilleur modèle, ou un autre modèle serait-il préférable? Si ce modèle est adopté, comment faut-il définir la notion de « pièce essentielle »?

  3. De quelles dispositions pourrait être assorti le droit de consultation des pièces proposé afin de minimiser les difficultés pratiques de mise en œuvre, comme les questions d'accès matériel aux pièces et la fourniture de moyens de faire des copies?

  4. Quelle serait l'incidence du droit de consultation des pièces proposé au plan des coûts?


[2] C'était cette proposition de communication des pièces essentielles qui était énoncée dans l'annonce du 27 février 2004. Dans le présent document de consultation, cette proposition est formulée en termes plus ouverts : on parle de droit de consultation des pièces comme mode de communication de la preuve. Le processus de communication des pièces essentielles peut constituer une manière d'assurer une approche de ce genre, mais il est possible que ce ne soit pas la seule.