Cyberintimidation et distribution non consensuelle d'images intimes
II. Distribution non consensuelle d'images intimes
Introduction
La distribution non consensuelle d'images intimes (vidéos y comprises) peut survenir dans différentes situations mettant en cause des adultes et des jeunes, notamment lors d'une rupture et de cyberintimidation. Au cours de leur relation, les partenaires peuvent s'échanger ou prendre des photos intimes d'eux-mêmes pour leur usage personnel, mais après la rupture, l'un des anciens partenaires peut transmettre ou distribuer les images intimes aux parents, amis, employeurs, etc. de l'autre partenaire ou peut les afficher sur Internet dans un désir de vengeance. Les adolescents se livrent de plus en plus à la distribution consensuelle d'images intimes, lesquelles peuvent en venir à alimenter des attaques de cyberintimidation humiliantes, ces images se répandant rapidement et souvent de façon incontrôlée. À l'origine, ces images ne sont souvent destinées qu'à une seule personne ou un petit nombre de personnes, mais elles sont distribuées à un public plus large que leur auteur le prévoyait ou auquel il avait consenti. Il résulte de cette distribution une violation de la vie privée du sujet par rapport aux images, dont la distribution est susceptible d'être embarrassante, humiliante, harassante et dégradante ou de porter préjudice à cette personne.
Ampleur de la distribution non consensuelle d'images intimes
Les données sur l'ampleur et la nature de cette activité sont limitées. En grande partie, ce qu'on sait de ce comportement est anecdotique et vient des États-Unis. Un sondage récent mené auprès d'adultes âgés de 18 à 54 ansNote de bas de la page 27 a révélé qu'un ex-partenaire sur dix a menacé d'afficher en ligne les photos intimes de son ex-partenaire et que ces menaces ont été mises à exécution dans 60 % des cas. En ce qui concerne les jeunes, un sondage en ligne mené auprès de 1 280 participants (653 adolescents âgés de 13 à 19 ans et 627 jeunes adultes âgés de 20 à 26 ans) en 2008, commandé par la National Campaign to Prevent Teen and Unplanned Pregnancy, a révélé que 20 % des adolescents et 33 % des jeunes adultes avaient échangé des photographies d'eux-mêmes nues par texto ou courriel (une pratique appelée « sextos »)Note de bas de la page 28. Une étude de 2012 publiée dans la revue américaine Archives of Pediatric and Adolescent Medicine faisant état d'un sondage mené auprès de 948 élèves de niveau secondaire au Texas a aussi révélé que 28 % des répondants avaient déjà échangé des sextosNote de bas de la page 29. Une troisième étude récente menée auprès de 606 élèves d'une école secondaire privée (représentant pratiquement l'ensemble de l'effectif étudiant) a révélé que près de 20 % d'entre eux avaient envoyé une image sexuellement explicite d'eux-mêmes et que 25 % avaient transféré une telle image d'autres personnesNote de bas de la page 30.
Le Groupe de travail a aussi reçu des rapports isolés selon lesquels des organismes canadiens d'application de la loi reçoivent régulièrement des plaintes concernant la distribution non consensuelle d'images intimes, mais à moins que les images intimes constituent de la pornographie juvénile ou soient accompagnées de caractéristiques ou de conduites aggravantes, il est probable qu'aucune poursuite criminelle ne puisse être intentée.
Réponses législatives à la distribution non consensuelle d'images intimes
Perspectives comparatives internationales
Le New Jersey aux États-Unis est le seul État ayant fait de cette conduite une infraction criminelleNote de bas de la page 31. L'infraction interdit la distribution de photos ou de vidéos de personnes nues ou se livrant à une activité sexuelle à moins que celles-ci consentent à la distribution.
Plusieurs États australiens ont promulgué différentes lois visant des éléments de la distribution non consensuelle d'images intimes, mais bon nombre de ces infractions sont des extensions du champ d'application des dispositions relatives au harcèlement criminel ou d'infractions relatives au voyeurisme.
La Commission de réforme du droit de la Nouvelle-Zélande a récemment recommandé des modifications aux dispositions du Crimes Act, 1961Note de bas de la page 32 relatives au tournage clandestin afin de criminaliser sa distribution par la personne qui a pris une image intime sans le consentement de la personne concernée. Le gouvernement a depuis rejeté cette recommandation, estimant que ce comportement sera couvert par d'autres infractions, que ce qui n'est pas couvert devrait être traité par des recours civils et que la proposition s'harmonisait mal avec les autres infractions relatives au tournage clandestin qui nécessitent une absence de connaissance du tournage lui-mêmeNote de bas de la page 33.
L'Allemagne a une infraction criminelle de « violation de la vie privée par la prise de photographies » qui interdit entre autres de communiquer illégalement et sciemment à des tiers une photo prise sans le consentement du sujet, un acte qui viole la vie privée de ce dernier (l'annexe 2 renferme plus de détails).
Infractions déjà prévues au Code criminel
Des infractions prévues au Code criminel peuvent être invoquées dans certaines situations, mais elles nécessitent habituellement l'existence d'un autre acte qui peut être absent de la plupart des cas de distribution non consensuelle d'images intimes. Dans certaines situations, les articles 162 (voyeurisme), 163 (publication obscène), 264 (harcèlement criminel), 346 (extorsion) et 298 à 300 (libelle diffamatoire) peuvent s'appliquer.
Dans les cas où l'image intime montre une personne âgée de moins de 18 ans qui se livre à une activité sexuelle explicite ou lorsque le but principal de l'enregistrement est l'illustration à des fins sexuelles des organes sexuels ou de la région anale de cette personne, l'image constitue de la pornographie juvénile et est visée par les dispositions pertinentes du Code criminel (article 163.1).
Bien que les dispositions relatives à la pornographie juvénile visent la distribution d'images intimes d'enfants mineurs, des membres du Groupe de travail estiment que l'article 163.1 est un instrument trop grossier pour saisir la conduite fondamentale en jeu, surtout dans les situations où l'auteur est lui aussi mineur.
En ce qui concerne les adultes, on s'interroge sur la capacité du droit pénal de régir cette conduite s'il n'y a pas d'autres caractéristiques aggravantes l'assujettissant à la portée des infractions existantesNote de bas de la page 34. Les infractions en vigueur ne prennent pas convenablement en compte les préjudices causés par la distribution non consensuelle d'images intimes. Par exemple, l'infraction de voyeurisme ne s'applique que si l'image est prise furtivement et, dans la situation qui nous occupe, les images sont le plus souvent prises avec le consentement du sujet. L'infraction de publication obscène ne s'appliquerait que si l'image est une représentation d'un acte violent et sexuel, peu typique dans cette situation. L'infraction de harcèlement sexuel nécessite que la victime craigne pour sa sécurité ou la sécurité d'une personne qu'elle connaît. Le résultat de ce type de conduite est habituellement l'humiliation ou l'embarras causé par la violation de la vie privée, mais pas forcément la crainte pour sa sécurité. Bien que les infractions criminelles en vigueur puissent s'appliquer dans certaines situations, elles ne couvrent pas le préjudice causé et elles ne sont donc pas adaptées à la distribution non consensuelle d'images intimes.
Le Groupe de travail convient qu'il y a un vide dans le droit pénal en ce qui concerne la distribution non consensuelle d'images intimes. Pour combler ce vide, le Groupe de travail recommande de promulguer une nouvelle infraction criminelle de distribution non consensuelle d'images intimes.
Fondement politique d'une nouvelle infraction
Le Groupe de travail a envisagé deux approches à ce problème : (1) si l'objet de l'infraction devait être d'assurer une protection contre une certaine conduite adoptée dans un but particulier (p. ex. intention coupable) ou (2) si l'objet de l'infraction devait être d'assurer une protection contre une violation de la vie privée. Un consensus s'est dégagé sur le fait que l'élément d'intention spécifique pourrait rendre l'infraction plus difficile à prouver, tandis qu'une infraction fondée sur la vie privée n'exigerait pas de faire la preuve d'une intention spécifique, c.-à-d. que la preuve de l'intention de distribuer des images sans le consentement de la personne représentée suffirait. Par ailleurs, une infraction fondée sur la vie privée s'harmonise mieux avec l'infraction actuelle de voyeurisme qui protège des intérêts similaires à l'égard de la vie privée.
Si l'objectif de l'infraction proposée concerne la protection de la vie privée, il ne faudrait pas croire que la recommandation ne tient pas compte des conséquences négatives connexes, notamment le harcèlement et l'humiliation qu'éprouvent souvent les victimes dans ces situations. Lorsqu'il est établi que l'accusé a agi dans une intention coupable, les tribunaux pourraient en tenir compte comme une circonstance aggravante aux fins de la détermination de la peine.
Les éléments essentiels de l'infraction
L'image est une image intime
Le Groupe de travail est conscient qu'il serait mal venu de criminaliser la distribution de photos qui sont simplement embarrassantes ou peu flatteuses. L'expression « images intimes » s'entend des images qui se rattachent au droit fondamental d'une personne au respect de sa vie privée. Ces images représentent généralement des activités sexuelles explicites ou de la nudité totale ou partielle qui sont saisies sur film ou vidéo de façon consensuelle. Le Groupe de travail convient qu'une nouvelle infraction devrait protéger les intérêts pour la protection de la vie privée similaires à ceux que protège l'actuelle infraction de voyeurisme (c.-à-d. la nudité ou l'activité sexuelle explicite dans des situations qui donnent lieu à une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée). Les membres du Groupe de travail se sont demandé si la définition de l'expression « image intime » devrait exiger que le sujet représenté ait une attente raisonnable en matière de respect de sa vie privée par rapport à l'image, eu égard aux circonstances dans lesquelles l'image a été prise.
Le Groupe de travail a convenu que l'attente en matière de respect de la vie privée devient inhérente à une image par le jeu de deux facteurs : le contenu (c.-à-d. la nudité ou l'activité sexuelle explicite) et les circonstances dans lesquelles l'image a été prise (c.-à-d., en privé). Là se situe le parallèle avec l'infraction de voyeurisme. Il a aussi été question de savoir si une attente en matière de respect de la vie privée pouvait être inhérente à une image d'une activité sexuelle « non privée » prise par un tiers. Par exemple, un couple se livre à une activité sexuelle explicite au cours d'une fête et un spectateur les filme sur vidéo. L'image n'a pas été prise avec leur consentement, mais elle n'a pas non plus été prise furtivement. Le couple a-t-il une attente en matière de respect de leur vie privée à l'égard de l'image, étant donné que leur comportement n'avait pas eu lieu en privé? Dans sa décision, un juge aurait à tenir compte de la nature des circonstances dans lesquelles la photographie a été prise. En outre, l'infraction de voyeurisme peut s'appliquer dans ce type de situation, si les circonstances indiquent que l'image a été prise furtivement.
Le Groupe de travail a convenu que ces images « non privées » devraient être protégées dans certains cas, eu égard aux circonstances dans lesquelles elles ont été prises. Une approche à envisager pourrait être de créer une disposition « Il est entendu que » qui précise que le fait de se livrer à une activité sexuelle dans des circonstances non privées ne constitue pas en soi une renonciation à l'intérêt pour la protection de la vie privée à l'égard de l'image.
Le Groupe de travail a aussi convenu que la ou les personnes représentées devaient être réelles et identifiables; les caricatures et autres œuvres de création n'ayant aucune incidence sur l'intérêt pour la protection de la vie privée de leur sujet seraient exclues. Toutefois, de vives préoccupations ont été exprimées en ce qui concerne la possibilité que des images altérées servent de défense facile à l'accusé si la définition donnée à « image intime » est trop restrictive (c.-à-d. l'infraction ne devrait pas exiger que l'image ne soit pas altérée). Le Groupe de travail a suggéré que l'identité de la personne représentée pourrait être établie de diverses façons, et non seulement par le visage de la victime (c.-à-d. en prenant en compte d'autres renseignements pouvant mener à une identification, par exemple dans un texte d'accompagnement).
La définition d'une image intime devrait être rédigée de façon à ne pas créer d'obstacle à une poursuite.
Cette approche de la définition d'une « image intime » a pour avantage le fait d'être compatible avec les définitions du contenu similaire qu'en donnent des infractions connexes. Toutefois, elle soulève aussi une question difficile concernant le risque de chevauchement entre l'infraction proposée et les infractions de pornographie juvénile.
Chevauchement avec les infractions déjà existantes
La pornographie juvénile s'entend notamment de représentations visuelles d'activités sexuelles explicites ou de représentations visuelles dont la caractéristique dominante est la représentation, dans un but sexuel, des organes sexuels d'une personne âgée de moins de dix-huit ans. La définition de la pornographie s'entend notamment aussi de matériels écrits et audio. L'article 163.1 interdit notamment de faire, distribuer, posséder et rendre accessible de la pornographie juvénile.
Dans l'arrêt R. c. SharpeNote de bas de la page 35, la Cour suprême du Canada a énoncé une exception dite de l'« usage personnel » dans les dispositions sur la pornographie juvénile. Cette exception permet à deux adolescents de se livrer à une activité sexuelle licite, d'enregistrer de manière consensuelle leur propre activité sexuelle, pourvu que l'enregistrement soit fait ou possédé à leur propre « usage personnel ». Le matériel demeure de la pornographie juvénile, mais les adolescents peuvent légalement le posséder pour leur usage personnel. Dès que ce matériel sert à une autre fin que leur usage personnel (par exemple, lorsque l'un des adolescents l'envoie à un ami), il tombe sous le coup des dispositions sur la pornographie juvénile.
Le groupe de travail reconnaît qu'une image intime, selon ce qui est proposé, constituerait aussi de la pornographie juvénile si la personne représentée est âgée de moins de dix-huit ans. Cela soulève la question des options dont on devrait disposer lorsqu'on a affaire à un adulte ou à un jeune délinquant pouvant avoir distribué une image intime d'une personne âgée de moins de dix-huit ans. Faut-il accuser le délinquant d'une infraction de pornographie juvénile? Ou la police et/ou le ministère public devraient-ils avoir la possibilité, en vertu de la nouvelle infraction proposée, de poursuivre une infraction moins sérieuse qui n'entraîne pas une stigmatisation aussi importante?
Les membres des provinces et des territoires (PT) et du Service des poursuites pénales du Canada ayant pris part au groupe de travail et à l'assemblée plénière ont indiqué que, actuellement, dans de telles situations, la police et les poursuivants hésitent parfois à déposer des accusations de pornographie juvénile dans les cas comportant des images représentant des personnes âgées de moins de 18 ans, principalement à cause de la stigmatisation que peut entraîner une accusation de pornographie juvénile (pour le délinquant de même que pour la victime). Selon eux, le préjudice résultant de la distribution d'images intimes (soit, l'atteinte à la vie privée) diffère qualitativement du préjudice résultant de la distribution de pornographie juvénile (soit, l'exploitation sexuelle des enfants).
Certains membres du groupe de travail sont d'avis que l'on n'a pas conçu les dispositions sur la pornographie juvénile (tout particulièrement lorsqu'elles sont appliquées dans des affaires visant des adolescents plus âgés) pour punir ce type de comportement. La prévalence de cette activité auprès des jeunes adultes et des jeunes a été alimentée par la croissance des médias sociaux, et il est de plus en plus évident que ces types de cas sont traités différemment, par la police, les procureurs et les tribunaux, des [traduction] « cas typiques de pornographie juvénile »Note de bas de la page 36. Si un juge estime qu'un cas constitue plus justement une distribution non consensuelle d'images intimes mais que des accusations de pornographie juvénile ont été portées, il y a un risque que le résultat soit une application judiciaire élargie de l'exception de l'usage personnel énoncée dans l'arrêt Sharpe à l'égard des dispositions relatives à la pornographie juvénile entraînant l'exclusion de l'infraction de pornographie juvénile dans d'autres cas de ce type de comportementNote de bas de la page 37.
De plus, les membres des PT et du SPPC ont mis en garde contre la création d'une nouvelle disposition qui serait trop étroitement définie ou [traduction] « étanches », en particulier en ce qui a trait à l'âge de la personne représentée dans l'image. Notamment, on s'est inquiété du fait que l'exclusion des images qui constituent de la pornographie juvénile de la portée de l'infraction proposée pourrait entraîner des situations dans lesquelles il ne serait pas possible de poursuivre l'une ou l'autre infraction, ou dans lesquelles une poursuite invoquerait un article mais se solderait par un échec, un doute étant soulevé quant à la question de savoir si la personne représentée avait plus de dix-huit ans au moment de la création de l'image. En fait, pour se prévaloir d'une nouvelle infraction étroitement définie, le ministère public serait tenu de prouver hors de tout doute raisonnable que la personne représentée était âgée de moins de dix-huit ans lors de la création de l'image (soit, que l'image ne constituait pas de la pornographie juvénile). Dans les situations où il ne serait pas possible d'établir l'âge de la personne, il ne serait possible de poursuivre avec succès ni l'une ni l'autre infraction. Cela pourrait se produire dans les cas où le plaignant ou la plaignante ne se souviendrait plus si l'image a été créée avant ou après qu'il ou elle eut atteint l'âge de dix-huit ans.
Certains représentants fédéraux du groupe de travail ont mis en évidence des risques susceptibles de découler d'un chevauchement entre les deux infractions.
Ne pas exclure la pornographie juvénile de la nouvelle infraction proposée pourrait nuire aux dispositions sur la pornographie juvénile de diverses manières. À court terme, une telle approche pourrait offrir la possibilité ou constituer une mesure d'incitation aux accusés d'inscrire un plaidoyer relativement à la nouvelle infraction moins sérieuse, notamment vu que l'infraction de pornographie juvénile est punissable d'une peine minimale obligatoire. Cela pourrait avoir pour effet d'augmenter la pression sur les procureurs de la Couronne, qui sont très occupés, pour qu'ils acceptent les plaidoyers de culpabilité relatifs à l'infraction moins sérieuse même dans des cas où des accusations plus sérieuses de pornographie juvéniles seraient justifiées. On a exprimé l'inquiétude qu'avec le temps, si les cas portant sur des adolescents plus âgés étaient plus souvent résolus en recourant à la nouvelle infraction proposée, la large portée des infractions sur la pornographie juvénile pourrait être remise en question.
Le groupe de travail a convenu que la nouvelle infraction ne devrait pas affaiblir les infractions déjà existantes, en particulier en ce qui a trait à la pornographie juvénile. Toutefois, tous les membres PT et du SPPC ont préféré une approche qui permettrait à la police et/ou aux procureurs de la Couronne d'exercer leur discrétion quant à l'accusation à déposer, en tenant compte des faits et des circonstances de l'affaire.
Dans cette veine, le groupe de travail recommande que la nouvelle infraction proposée tienne compte de la façon de donner aux procureurs une souplesse appropriée tout en maintenant l'intégrité des infractions connexes.
Éléments de la Loi
Le Groupe de travail convient que l'infraction devrait viser tous les modes possibles de distribution d'images intimes, soit par livraison matérielle, la mise à disposition, la transmission par des réseaux sociaux ou par courriel ou la publicité de bouche-à-oreille. L'infraction peut englober la publication, la publicité, la distribution, la transmission ou la mise à disposition d'une image intime d'une autre personne.
En outre, la distribution des images, peu importe sa forme, aurait lieu sans le consentement du sujet de l'image.
Éléments moraux
L'infraction proposée devrait comporter deux éléments moraux. Premièrement, l'accusé doit intentionnellement ou sciemment distribuer les images (c'est-à-dire, ne pas le faire par inadvertance).
Deuxièmement, l'accusé doit savoir que la personne représentée n'a pas consenti à la distribution de l'image, ou ne pas se soucier de savoir si la personne a donné son consentement. En recommandant l'élément moral d'insouciance, le Groupe de travail s'appuie sur la jurisprudence de la Cour suprême du Canada qui a conclu que l'insouciance se trouve dans l'attitude de celui qui, conscient que sa conduite risque d'engendrer le résultat prohibé par le droit criminel, persiste néanmoins malgré ce risqueNote de bas de la page 38.
Le Groupe de travail convient qu'il devrait y avoir un moyen de défense similaire à la défense fondée sur le bien public de l'infraction de voyeurisme.
Peine
Le Groupe de travail recommande que l'infraction proposée soit punissable d'une peine maximale de cinq ans d'emprisonnement lorsqu'elle est poursuivie par mise en accusation et de six mois d'emprisonnement sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, laquelle correspond à celle applicable à l'infraction de voyeurisme, qui est aussi fondée sur la protection de la vie privée.
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Recommandation 5
- Le Groupe de travail recommande d'élaborer une nouvelle infraction criminelle de distribution non consensuelle d'images intimes.
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Recommandation 6
- Le Groupe de travail conclut également qu'il faudrait, dans le cadre de la création d'une nouvelle infraction, envisager de conférer aux poursuivants une souplesse appropriée tout en maintenant l'intégrité des infractions existantes.
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Recommandation 7
- Le Groupe de travail recommande que la nouvelle infraction proposée soit punissable d'une peine maximale de cinq ans d'emprisonnement lorsqu'elle est poursuivie par mise en accusation et de six mois d'emprisonnement sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
Modifications complémentaires
Le mandat de saisie
L'accès aux images intimes distribuées de manière non consensuelle continue de porter préjudice aux personnes qui y sont représentées en violation de leur vie privée. Même si, dans de nombreux cas, les fournisseurs d'accès à l'Internet et d'autres personnes qui reçoivent de telles images les retireront et les détruiront d'eux-mêmes, il peut y avoir des situations dans lesquelles une ordonnance de la cour est requise pour garantir le retrait de ces images. Il n'existe actuellement aucune disposition législative permettant à un tribunal d'ordonner le retrait d'images intimes non consensuelles se trouvant sur l'Internet.
Le groupe de travail recommande la création d'un mandat de saisie (de manière semblable à l'article 164.1 relatif à la pornographie juvénile et au matériel voyeuriste) qui donnerait au juge le pouvoir d'ordonner le retrait d'images intimes des services Internet hébergés au Canada. Il recommande en outre d'étudier la question de savoir si le mandat de saisie devrait s'appliquer à des situations dans lesquelles un consentement préalablement donné relativement à la distribution initiale de l'image intime a été ensuite retiré.
Le groupe de travail reconnaît les difficultés que pose le retrait de matériels faisant l'objet d'une infraction de l'Internet, en particulier du fait qu'une grande partie des matériels en cause aboutit dans des serveurs hébergés hors du Canada et donc hors du ressort de nos tribunaux. Cependant, malgré ces difficultés, le mandat de saisie serait un outil utile dans de nombreuses situations.
La confiscation
Le Code criminel permet au tribunal d'ordonner la confiscation (article 164.2) de choses utilisées pour commettre une infraction de pornographie juvénile (article 163.1), de leurre (article 172.1) ou d'arrangement - infraction d'ordre sexuel à l'égard d'un enfant (article 172.2). L'objet de ce pouvoir est de permettre le retrait des outils utilisés pour commettre l'une quelconque de ces infractions et ainsi d'empêcher et de dissuader un accusé de perpétrer d'autres actes criminels à l'égard d'un enfant. Quoiqu'il soit possible d'invoquer les dispositions du Code criminel relatives à la saisie et à la confiscation de biens liés à une infraction (article 490 à 490.3), la question a été posée de savoir s'il convenait de créer une disposition distincte ayant trait à la confiscation, qui s'appliquerait à la nouvelle infraction.
Le groupe de travail recommande que le Code criminel énonce clairement que la cour peut ordonner la confiscation de choses utilisées pour commettre la nouvelle infraction proposée. Cela pourrait donner lieu à la confiscation de téléphones cellulaires, d'ordinateurs et d'autres équipements connexes ayant été utilisés pour commettre l'infraction.
Le dédommagement
Le dédommagement ne peut être ordonné dans les affaires criminelles que lorsqu'il existe des pertes déjà vérifiable liées aux catégories mentionnées à l'article 738 du Code criminel. Par exemple, lorsqu'une victime, à la suite de l'infraction, a subi une perte ou une destruction de biens ou des blessures corporelles ou des dommages psychologiques, ou qu'elle a engagé des dépenses liées au rétablissement de son identité dans le cas d'une infraction prévue à l'article 402.2 (vol d'identité) ou à l'article 402.3 (fraude à l'identité), le tribunal peut ordonner un dédommagement.
Dans une situation impliquant une distribution non consensuelle d'images intimes, il se peut qu'une victime doive engager des dépenses pour obtenir le retrait de ces images de l'Internet, mais il n'existe actuellement aucune disposition permettant à un tribunal d'ordonner un dédommagement dans de telles situations. Pour régler ce problème, le groupe de travail recommande que l'article 738 du Code criminel soit modifié de manière à permettre le dédommagement pour les dépenses liées au retrait d'images intimes de l'Internet ou d'un autre endroit.
Les engagements de ne pas troubler l'ordre public
Selon un sondage effectué aux États-Unis, un ex-partenaire sur dix a menacé de diffuser sur l'Internet des photographies intimes de son ex-partenaire et cette menace a été mise à exécution dans 60 % des casNote de bas de la page 39. Cela montre que des individus peuvent avoir raison de croire, au moins dans certains cas, que leur ex-partenaire diffusera des images intimes sans avoir obtenu leur consentement préalable. Le groupe de travail reconnaît que la prévention de la distribution de l'image intime serait l'issue préférable pour la victime, et il recommande donc en outre que soit étudiée plus à fond la question de savoir s'il convient de modifier l'article 810 (ordonnance d'engagement) pour permettre clairement au juge d'ordonner un engagement de ne pas troubler l'ordre public s'il est convaincu qu'un individu a des motifs raisonnable de craindre que la nouvelle infraction de distribution non consensuelle d'images intimes sera commise.
Le témoignage du conjoint
À moins qu'une modification législative ne soit apportée à la Loi sur la preuve au Canada (LPC), le conjoint d'une personne accusée de distribution d'images intimes ne pourra pas témoigner pour le ministère public. Cela comprend les situations dans lesquelles un tiers est la victime de l'atteinte à la vie privée, ainsi que les situations dans lesquelles le conjoint de l'accusé est la victime.
Pour s'assurer qu'il soit possible de poursuivre avec succès l'infraction lorsque les actions de l'accusé ont trait à son propre conjoint et lorsque le témoignage du conjoint de l'accusé est crucial pour démontrer la commission d'une infraction relative à l'atteinte à la vie privée d'un tiers, le groupe de travail recommande que la nouvelle infraction soit ajoutée comme une exception aux règles énoncées dans la LPC, qui par ailleurs s'appliqueraient normalement.
Le CCHF étudie actuellement attentivement la question du témoignage du conjoint en général et en particulier en ce qui a trait aux infractions de pornographie juvénile et un rapport sur cette question a été présenté aux sous-ministres FPTNote de bas de la page 40.
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Recommandation 8
- Le groupe de travail recommande de procéder à des modifications complémentaires ayant trait à l'infraction proposée de distribution non consensuelle d'images intimes, visant à prévoir notamment un mandat de saisie, une confiscation, un dédommagement, un engagement de ne pas troubler l'ordre public et le témoignage du conjoint.
Autres consultations
Le groupe de travail a convenu que la question de la cyberintimidation et de la distribution non consensuelle d'images intimes comporte de multiples volets et qu'elle pose de nombreux défis, notamment aux policiers, aux poursuivants, aux juges et aux décideurs des politiques. Ainsi, bien des membres du groupe de travail ont manifesté un grand intérêt à être davantage consultés sur la question, dans l'éventualité où le gouvernement fédéral envisagerait de légiférer dans le domaine. Des consultations supplémentaires permettront de définir les questions cruciales et d'obtenir une rétroaction en vue de l'élaboration d'une réponse législative à ces questions.
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Recommandation 9
- Le groupe de travail recommande que le gouvernement fédéral, s'il devait légiférer dans ce domaine, mobilise et consulte, si possible, les provinces et les territoires relativement aux propositions législatives.
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