Les défis à relever en vue de dispenser des services de justice aux adolescents dans les régions rurales et isolées du Canada

4. Résultats ( suite )

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4.3 Répercussions des problèmes sur le système de justice pour les adolescents

La manière dont fonctionne le processus de justice pénale en milieu rural et dans les régions isolées est cruciale pour la prestation de services de justice équitables et efficaces pour les adolescents. Dans le cadre de la recherche, nous nous sommes penchés sur certaines questions telles l'enquête sur les cautionnements, la détention avant l'instruction, la disponibilité de l'avocat de la défense, la déjudiciarisation et les solutions de rechange en matière de détermination de la peine.

4.3.1 Enquête sur les cautionnements

4.3.2 Détention avant le procès

C'est pourquoi la majorité des répondants considèrent que la détention avant l'instruction est une mesure qu'on utilise le moins possible, particulièrement dans les régions isolées et éloignées. Dans nombre de régions de ce type, on remarque qu'il y a un effort concerté pour que les adolescents ne fassent pas l'objet d'une détention avant le procès à moins que la détention provisoire soit absolument essentielle; dans tout le Nunavut, on ne compte qu'un seul centre de détention pour adolescents, à Iqaluit, et on s'efforce donc de ne pas avoir recours à cette mesure.

Toutefois, lorsque les adolescents sont gardés en détention provisoire, on signale les problèmes suivants :

4.3.3 Disponibilité des avocats de la défense

4.3.4 Possibilité d'avoir recours à des programmes de déjudiciarisation

Dans les petites collectivités rurales et isolées, on n'a tout simplement pas les structures requises pour offrir des services de déjudiciarisation, même si l'on est en mesure de supporter des sanctions communautaires. D'ailleurs, il est souvent difficile de trouver des employés contractuels qui se chargeront de la supervision en raison du faible nombre de cas. Même lorsqu'il y a des structures, celles-ci peuvent être limitées et il se peut qu'on ne sache pas trop à qui incombent les responsabilités.

4.3.5 Solutions de rechange en matière de détermination de la peine

On s'entend généralement pour dire qu'on préfère dans les rapports prédécisionnels recommander des options communautaires plutôt que la détention. Il reste cependant que les solutions de rechange à l'amende, à la supervision des condamnations à des peines d'emprisonnement avec sursis et au contrôle des ordonnances de service communautaire sont un grand défi à relever parce qu'il est difficile de passer des marchés de supervision communautaire.

Dans certaines collectivités, mais pas partout, il existe des programmes qui présentent une option viable pour les tribunaux. Ainsi, en Colombie-Britannique, des collectivités comme Hazleton et Smithers ont un système de justice autochtone, Unlocking Aboriginal Justice, tandis que d'autres collectivités autochtones rurales et isolées de la Colombie-Britannique et d'autres régions n'en ont aucun. Lorsqu'on a demandé aux sujets interrogés dans quelle mesure les solutions de rechange en matière de détermination de la peine étaient disponibles, l'un d'eux a simplement déclaré : [ traduction ] « Nous sommes à la merci du magistrat », c'est-à-dire qu'il y a si peu d'options qu'il n'y a presque rien à présenter au juge.

En raison du manque de solutions de rechange viables en matière de détermination de la peine, les juges peuvent n'avoir qu'une seule option - celle, comme on l'a noté, d'envoyer le client [ traduction ] « là où on ne le refuse jamais » - en prison. Dans les Prairies, un sujet interrogé a dit : [ traduction ] « Il semble parfois qu'on garde un jeune en détention parce que c'est probablement la seule manière de le mettre en contact avec ceux qui offrent des services ». Une autre personne interviewée, en Colombie-Britannique, a affirmé que, parce qu'il n'existe souvent aucun Programme de surveillance et de soutien intensifs (PSSI), et moins de programmes qui ne sont pas liés à la justice, comme le traitement de l'alcoolisme et de la toxicomanie, on inflige davantage de peines de détention.

Voici d'autres commentaires sur les options en matière de détermination de la peine :

Lorsqu'il existe des solutions de rechange en matière de détermination de la peine, on s'entend pour dire que certaines fonctionnent, mais que d'autres échouent, et que les résultats que l'on obtient (réussite ou échec) dépendent en grande partie de la collectivité et du fait qu'on considère ou non que l'option en vaut la peine. Les collectivités voient de façon analogue la déjudiciarisation et d'autres solutions de rechange.

4.4 Répercussions des problèmes sur les contrevenants et les victimes

Les sujets interrogés ont fait un certain nombre d'autres observations au sujet des contrevenants et des victimes; ces observations se trouvent dans les deux sous-sections qui suivent.

4.4.1 Réinsertion sociale et réadaptation des contrevenants

Le problème des ressources et d'autres problèmes propres aux régions rurales et aux régions isolées sont si profondément implantés qu'il est très difficile de garder les jeunes à l'extérieur du système tout en prévoyant un processus durable qui permette de satisfaire à leurs besoins. On est incapable de traiter les dossiers en temps opportun, ce qui signifie que les accusés en sont souvent réduits à attendre; puisqu'on a moins accès à la déjudiciarisation et à d'autres solutions de rechange, le contrevenant a peu d'occasions de se réinsérer dans la société. Bien que, dans plusieurs territoires ou provinces, on élabore des approches communautaires comme des conférences avec des groupes de familles, les adolescents des milieux ruraux et des régions isolées ne peuvent toujours pas se prévaloir des modes de réinsertion sociale qui sont offerts aux jeunes des milieux urbains. L'autre obstacle important à la réadaptation des contrevenants dans ces régions est le manque de programmes spécialisés qui répondent à leurs besoins.

4.4.2 Détermination et satisfaction des besoins des victimes

Les défis et les obstacles qui ont un effet sur les services de justice pour les adolescents en milieu rural et dans les régions isolées sont peut-être plus marqués encore pour les victimes. En raison de la distance à parcourir et de la rareté des services et des ressources, les besoins des victimes sont souvent les derniers à être satisfaits. Dans les collectivités isolées en particulier, on remarque qu'il n'existe aucun soutien opportun et approprié du point de vue culturel qui soit dispensé aux victimes. Il en résulte un certain cynicisme au sujet du système de justice.

Selon l'un des sujets interrogés, le système judiciaire traditionnel n'est pas ce que veulent les victimes; s'il n'y a aucune mesure de déjudiciarisation qui permette aux victimes de se faire mieux entendre, leurs besoins ne seront pas satisfaits. Le problème est décuplé lorsque le tribunal siège dans une collectivité isolée, que l'accusé veut plaider coupable dès la première comparution et que le juge entend prononcer la condamnation, parce que le tribunal itinérant ne reviendra dans la collectivité que dans quelque temps. La victime ne peut que perdre à moins qu'elle ait rédigé une déclaration, ce qui est peu probable sans le soutien des services dispensés aux victimes.

4.5 Similarité des problèmes dans toutes les collectivités rurales ou isolées

Toute une gamme de collectivités sont définies globalement comme « rurales », mais il y a beaucoup de différences entre elles pour ce qui est des niveaux de pauvreté et du bien-être de leurs habitants. Malgré cette diversité, il semble que toutes les collectivités rurales font face aux mêmes problèmes, tous liés au manque de ressources.

Un sujet interrogé a résumé la question en déclarant : [ traduction ] « Plus on est isolé, plus on est vulnérable et plus grand est le manque de services » . Selon une autre personne, il n'y a, dans sa province, aucun centre régional où les services sont concentrés - dans une petite ville, on trouvera l'hôpital, dans une autre, l'école; on tente cependant de concentrer peu à peu les services, parce qu'il est difficile de desservir toutes les petites localités. L'enquêtée est d'avis que, la population ayant l'habitude de parcourir de longues distances pour s'approvisionner, elle fera de même pour profiter des services.

Chez les collectivités autochtones, on a remarqué une variation qui n'était pas toujours reliée aux contraintes géographiques et à l'éloignement des centres urbains. L'administration locale, la structure du pouvoir, l'infrastructure et la cohésion qui existe au sein de la collectivité en général sont tous des facteurs qui ont une influence sur la capacité de fournir des services de justice aux adolescents et sur l'empressement à le faire. Les collectivités autochtones peuvent aussi être distinguées les unes des autres, et distinguées des collectivités rurales et isolées non autochtones, par le fait que des non-autochtones leur dispensent des services non appropriés du point de vue culturel. Enfin, sur une note plus positive, un répondant de l'Alberta a fait remarquer que les collectivités autochtones ont généralement accès à une personne ressource qui les met en communication avec un travailleur ou une représentant de la bande, mais que les non-autochtones n'ont pas cette possibilité, de sorte que, dans certains cas, les contrevenants et les victimes autochtones ont davantage de ressources.

Plusieurs interviewés ont signalé un point commun qui n'est pas sans intérêt : les services en matière de justice sont offerts à la collectivité par des gens qui habitent ailleurs et qui ne sont guère comptables envers la collectivité. La prestation de services judiciaires est considérée comme un métier, non comme un élément qui touche la structure et l'avenir de la collectivité.

4.6 Répercussions de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents sur les défis et les obstacles actuels

Le 4 février 2002, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA) a été adoptée; cette loi, entrée en vigueur le 1 er avril 2003, est conçue pour contrebalancer certains points faibles de la Loi sur les jeunes contrevenants . Elle contient divers énoncés au sujet des valeurs qui la sous-tendent. Citons entre autres les besoins des jeunes pour ce qui est de leur développement personnel, l'obligation de tenir compte des intérêts de la victime, le rôle des collectivités et des familles dans la prévention de la criminalité, la satisfaction des besoins des adolescents, leur soutien et leur orientation. Dans la loi, on accorde également une plus grande importance à la déjudiciarisation des cas les moins graves, à la réadaptation et à la réinsertion sociale.;

Il était important, dans le cadre de la recherche, de savoir dans quelle mesure les sujets interrogés estimaient que la LSJPA permettrait « de surmonter les obstacles et de relever les défis » constatés ci-dessus. Vu l'époque à laquelle la recherche a eu lieu (pendant la mise en application de la nouvelle législation), il était nécessaire de définir les questions sur lesquelles la LSJPA pouvait porter.

La plupart des sujets interrogés ont indiqué qu'ils soutiennent les principes qui sous-tendent la nouvelle loi, dont l'obligation pour les collectivités d'assumer plus de responsabilités dans le règlement du problème de la criminalité chez les adolescents. En fait, plusieurs répondants ont laissé entendre qu'ils avaient déjà recours à une démarche axée sur la collectivité et que la nouvelle loi changerait peu de choses à cet égard.

D'autres ont toutefois indiqué que le recours accru à des démarches axées sur la collectivité serait une source de défis. Selon certains, cela suppose implicitement que toutes les collectivités peuvent de façon égale arrêter pour elles-mêmes des solutions efficaces, ce qui, malheureusement, n'est peut-être pas le cas. En fait, la plupart des sujets interrogés ont été d'avis que, sans une injection considérable de ressources dans les régions rurales et les régions isolées, on ne verra aucun changement marqué. D'autres personnes interviewées ont laissé entendre qu'elles seraient peut-être obligées de se charger d'un plus grand nombre de cas d'adolescents qui avaient été traités différemment auparavant; ces jeunes ont des besoins plus sérieux et ils représentent un risque accru pour la collectivité.

On estimait aussi généralement que les obstacles à surmonter et les défis à relever au chapitre de la prestation de services de justice aux adolescents des collectivités rurales et des régions isolées sont à ce point complexes et enracinés qu'il est peu probable que la loi à elle seule puisse modifier quoi que ce soit. La préoccupation principale, c'est de garder les jeunes dans la collectivité et de les libérer plus tôt que précédemment, mais les collectivités manquent de moyens et de ressources. En outre, il se peut que les réformes s'essoufflent parce que les processus de développement communautaires dont ces collectivités auraient besoin sont difficiles à mettre en oeuvre et qu'il faut consacrer diverses ressources à leur élaboration.

Dans certaines collectivités, et principalement dans les collectivités septentrionales, on se préoccupe du fait que, semble-t-il, « rien n'est fait » pour lutter contre le crime chez les adolescents. Dans ces collectivités, les victimes et les contrevenants se voient quotidiennement et tout ce qui renforce la perception selon laquelle les adolescents n'ont à subir aucune conséquence de leurs actes ébranlerait le soutien envers le système et aviverait le ressentiment de la collectivité à l'égard des jeunes contrevenants.

À Terre-Neuve, un sujet interrogé a conclu que la « LSJPA accroît le nombre d'options mais donne aussi à la collectivité un rôle plus important et si elle ne peut « livrer la marchandise », il y aura des problèmes ». Une autre personne a déclaré : [ traduction ] « La LSJPA ne modifie pas la structure de la collectivité ».

Sur une note plus positive, un répondant d'un milieu rural a été d'avis que les critères relatifs à la détention applicables au moment de l'enquête sur le cautionnement et de la détermination de la peine favoriseront l'élaboration et l'utilisation de solutions de rechange à la détention, et qu'il est même possible qu'ils profitent davantage aux petites collectivités. Mais il n'estimait pas qu'on doive s'attendre à ce que la loi réduise la criminalité, puisque [ traduction ] « dire que la loi est responsable de la hausse de la criminalité, c'est soutenir que le parapluie est responsable des averses ». Selon plusieurs sujets interrogés, en conséquence de l'adoption de la nouvelle loi, on différera les ordonnances de détention et les condamnations à l'emprisonnement avec sursis et il y aura un recours accru   aux ordonnances de supervision.