Une Commission sur les erreurs judiciaires
Rapport complet et analyse
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- Introduction
- A. Notre approche
- B. Les caractéristiques de la nouvelle commission : une commission indépendante, proactive, systémique et adéquatement financée
- C. Le système actuel de révision par le ministre
- D. La structure de la nouvelle commission
- E. Le mandat de la nouvelle commission
- F. La commission et ses relations avec les demandeurs, les projets Innocence et les victimes d’actes criminels
- G. Décision préliminaire et remise en liberté sous caution en attendant la décision de la commission
- H. Pouvoirs de conservation et d’enquête
- I. Prise de décision, publication des décisions et révision judiciaire
- J. Motifs de renvoi et recours
- K. Motifs d’appel et règles de preuve
- L. Les relations de la commission avec les autres organismes
- M. Réintégration et indemnisation
- Conclusion
Introduction
Le gouvernement du Canada s’est engagé à créer une commission indépendante et sans lien de dépendance avec le gouvernement pour remplacer le rôle du ministre fédéral de la Justice dans les enquêtes et la prise de décisions relatives au renvoi des plaintes pour erreurs judiciaires devant les tribunaux.
Le 31 mars 2021, l’honorable David Lametti, ministre de la Justice et procureur général du Canada, a nommé l’honorable Harry LaForme, ancien juge de la Cour d’appel de l’Ontario, pour diriger des consultations publiques sur la création de la commission. Le ministre Lametti a également nommé l’honorable Juanita Westmoreland-Traoré, ancienne juge de la Cour du Québec, pour travailler en collaboration avec le juge LaForme dans le cadre de ces consultations.
Au Canada, comme dans d’autres pays, des gens ont été laissés pour compte par le système de justice pénale. Beaucoup connaissent le cas de Steven Truscott, un jeune adolescent qui a d’abord été condamné à la pendaison, puis qui a été emprisonné pendant des années pour un meurtre qu’il n’a pas commis. Donald Marshall Jr. était un homme de la nation Mi’kmaq qui a croupi en prison durant 11 ans pour un crime qu’il n’avait pas commis. Le meurtrier de Christine Jessop a récemment été identifié, mais pas avant que Guy Paul Morin n’ait été disculpé et libéré après avoir été emprisonné à tort. Les erreurs judiciaires touchent de vraies personnes, qui ont une vraie famille et de vrais amis, et concernent ceux qui ont été condamnés à tort tout comme ceux qui ont perdu des êtres chers à la suite d’un acte criminel.
Les erreurs judiciaires ne se produisent pas dans un contexte de vide social ou juridique. Dans son rapport annuel 2019-2020, le Bureau de l’enquêteur correctionnel affirmait que « la surreprésentation des autochtones dans le système correctionnel fédéral [avait] atteint un nouveau sommet », soit environ 30 % de la population carcérale du Canada, bien que les Autochtones ne représentent qu’environ 5 % de la population canadienne. Ce taux est considérablement plus élevé pour les femmes et les jeunes autochtones. Malgré la décroissance de la population carcérale globale, le rythme d’incarcération des Autochtones s’est accélérénote de fin d’ouvrage 1.
Entre 2002 et 2012, le nombre de personnes noires incarcérées au Canada a augmenté de 75 %note de fin d’ouvrage 2. Ces chiffres soulèvent d’importantes préoccupations quant à la surreprésentation des Autochtones, des Noirs et des autres communautés marginalisées parmi les personnes condamnées à tort. La Cour d’appel de l’Ontario a récemment reconnu que [traduction] « l’existence du racisme envers les Noirs dans la société canadienne est incontestable et fait effectivement l’objet de connaissance judiciaire. Il est bien connu que les institutions du système de justice pénale ne traitent pas les groupes racisés de façon égalitairenote de fin d’ouvrage 3. »
Les besoins spécifiques des femmes, des jeunes, des personnes handicapées, ainsi que des autres personnes qui subissent diverses formes de discrimination doivent être pris en compte dans tout processus d’enquête, de correction et de prévention des erreurs judiciaires. Un processus visant à améliorer l’équité et la justice pour tous les Canadiens doit s’appuyer sur un système de justice pénale qui est attentif à ces réalités.
Il est à souhaiter que ce rapport et le processus de consultation qui l’a précédé permettront la création d’une commission proactive et agissant au niveau systémique, sensible aux nombreux actes de discrimination et déterminée à corriger et à prévenir les erreurs judiciaires.
Ce rapport est le fruit de consultations approfondies qui ont débuté en juin 2021 et qui se sont appuyées sur un document de consultation que nous avons rédigé et qui présentait 23 propositions pour l’élaboration d’une nouvelle commission, chacune comportant deux à quatre choix stratégiques différents. Nous avons organisé 45 tables rondes et entendu les témoignages de plus de 200 personnes. Nous avons reçu les observations écrites de 45 personnes et organisations, le document le plus long étant de 247 pages et le plus court faisant une page. Tous ces renseignements nous ont été très utiles et ont influencé notre démarche. Nous sommes extrêmement reconnaissants envers toutes les personnes consultées pour leur temps, leur sagesse et leur passion.
Nous avons commencé nos consultations avec deux tables rondes, grâce à la collaboration d’Innocence Canada. Nous y avons entendu 17 personnes qui avaient subi des erreurs judiciaires. La sénatrice Kim Pate a également animé une table ronde avec un groupe de femmes autochtones qui nous ont fait part de leurs expériences d’injustice, vécues au sein du système correctionnel fédéral. Nous avons également entendu parler de nombreux projets Innocence, instaurés tant au pays qu’à l’étranger, et nous avons aussi entendu d’éminents avocats ayant représenté des personnes condamnées à tort. Nous avons développé un profond respect pour leur travail et leur passion pour la justice. Nous espérons vivement que les personnes engagées dans les projets Innocence et celles qui ont donné tellement de leur temps pour aider les personnes condamnées à tort poursuivront leur travail inestimable et soutiendrons les efforts de la nouvelle commission, dont nous parlons plus en détail ci-dessous.
Comme l’a fait remarquer Innocence Canada, qui est le principal organisme canadien pour la défense des personnes condamnées à tort, le fait qu’un si grand nombre de personnes disculpées [traduction] « aient été disposées à faire part de leurs expériences témoigne de la foi que ces personnes placent dans la création d’une nouvelle commission »note de fin d’ouvrage 4. Les expériences vécues et rapportées par les survivants d’erreurs judiciaires nous ont beaucoup touchés. Nous espérons que le gouvernement du Canada mettra en place une commission indépendante rigoureuse et adéquatement financée, qui ne trahira pas la foi et l’espoir que les personnes disculpées et de nombreuses autres personnes ont exprimés au sujet de la mise en œuvre d’une nouvelle institution.
Nous avons aussi rencontré des victimes d’actes criminels et des représentants des corps policiers, des procureurs, des avocats de la défense, des responsables de l’aide juridique, des juges et des experts légistes. Tout au long de nos délibérations, nous nous sommes souvenus des paroles de Bruce MacFarlane, c.r. selon lesquelles les erreurs judiciaires trahissent tant la société et les victimes d’actes criminels que les personnes condamnées à tort, en [traduction] « rouvrant une blessure qui, avec une piste probante toujours de plus en plus froide, pourrait ne jamais guérir »note de fin d’ouvrage 5. Les défenseurs des victimes d’actes criminels, dont l’ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels, ont soutenu la création d’une nouvelle commission parce qu’ils n’ont aucun intérêt à ce que la mauvaise personne soit condamnée. Ken Jessop a déclaré que la découverte du véritable meurtrier de sa sœur avait eu l’effet d’un [traduction] « coup de pied dans les dents », qui s’était accompagné « d’un million de questions »note de fin d’ouvrage 6.
Nous avons rencontré des représentants de cinq commissions indépendantes, soit celles de l’Angleterre, de l’Écosse, de la Norvège, de la Caroline du Nord et de la Nouvelle-Zélande, qui ont le pouvoir d’enquêter sur les erreurs judiciaires et de les renvoyer devant les tribunaux. Nous leur sommes reconnaissants de leur coopération et nous savons qu’ils sont prêts à aider la nouvelle commission canadienne. Nous espérons pouvoir apprendre de ces institutions, tout en proposant une approche adaptée pour le Canada.
Ce rapport développe les modèles et les options au sujet de la commission de manière plus détaillée que ce que nous avons présenté dans notre document de consultation de juin 2021, car nous avons beaucoup appris lors de nos consultations. La conception d’une nouvelle commission est encore plus complexe que nous l’avions imaginé au départ.
Les personnes consultées nous ont également appris que la nécessité de mettre en œuvre une commission indépendante est encore plus urgente que nous ne le pensions initialement. Ce rapport fait l’analyse de différentes options, mais il indique clairement que nous croyons que la meilleure voie à suivre est d’établir une commission indépendante, dotée du financement et du personnel adéquats pour enquêter, corriger, mais aussi prévenir les erreurs judiciaires.
A. Notre approche
Influencée par qui nous sommes
Ce rapport reflète évidemment ce que nous avons entendu, mais aussi nos propres expériences. Il ne saurait en être autrement.
L’honorable Harry LaForme est devenu le premier Autochtone à siéger à une cour d’appel au Canada lorsqu’il a été nommé juge de la Cour d’appel de l’Ontario en 2004. Monsieur LaForme a pris sa retraite de la magistrature en 2018 et il est actuellement avocat principal chez Olthuis Kleer Townshend LLP.
Monsieur LaForme est Anishinabe et de la Première Nation des Mississaugas de Credit.
Monsieur LaForme a obtenu son diplôme de la Faculté de droit Osgoode Hall en 1977 et a été admis au Barreau de l’Ontario en 1979. En 1989, il a été nommé commissaire de la Commission des Indiens de l’Ontario puis, en 1991, président de la Commission royale d’enquête sur les revendications territoriales des Autochtones. De 1992 à 1993, monsieur LaForme a donné le cours « Droits des peuples autochtones » à la Faculté de droit Osgoode Hall. En 1994, il a été nommé juge de la Cour de justice de l’Ontario (Division générale) et était alors l’un des trois seuls juges autochtones jamais nommés à un tribunal de ce niveau au Canada.
Le juge LaForme a rédigé un certain nombre de décisions judiciaires influentes qui démontrent son indépendance d’esprit ainsi que son fervent engagement à l’égard de la justice sociale et de la primauté du droit. Il donne fréquemment des conférences sur des thèmes tels que le droit et les questions autochtones, le droit pénal, le droit constitutionnel et les droits de la personne. Il a également publié de nombreux articles sur différents aspects du droit et de la justice autochtones.
Monsieur LaForme a reçu plusieurs plumes d’aigle, un honneur qui lui a notamment été décerné lors de son assermentation en tant que juge de la Cour d’appel de l’Ontario ainsi que par la National Indian Residential School Survivors Society. Il a également reçu le Prix national d’excellence décerné aux Autochtones dans le domaine du droit et de la justice. La Faculté de droit de l’Université de Windsor a créé en son nom une bourse d’études destinée à des étudiants autochtones inscrits en première année de droit. L’Université York, l’Université de Windsor, le Barreau du Haut-Canada, l’Université de Toronto et l’Université Nipissing lui ont décerné des doctorats honorifiques.
L’honorable Juanita Westmoreland-Traoré est devenue la première personne noire à accéder à la magistrature québécoise lorsqu’elle a été nommée à la Chambre criminelle et pénale ainsi qu’à la Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec en 1999. Bien qu’elle ait pris sa retraite en 2012, elle a continué à siéger à temps partiel jusqu’en 2017.
Madame Westmoreland-Traoré a été admise au Barreau du Québec en 1969, puis au Barreau de l’Ontario en 1997. Avant sa nomination à la magistrature du Québec, elle a laissé sa marque dans le milieu juridique grâce à son travail au sein de divers organismes, notamment l’Office de la protection du consommateur du Québec (1979-1983) et la Commission canadienne des droits de la personne (1983-1985), et à titre de première présidente du Conseil des communautés culturelles et de l’immigration du Québec (1985-1990), de première commissaire à l’équité en matière d’emploi de l’Ontario et de représentante régionale du Congrès des femmes noires du Canada. Elle a participé à plusieurs missions d’observation lors d’élections et de procès tenus en Haïti, de même qu’aux travaux du Fonds d’éducation pour l’Afrique du Sud.Elle a été la première personne noire nommée doyenne d’une faculté de droit canadienne (Faculté de droit de l’Université de Windsor, 1996-1999) ainsi que la première professeure de droit noire de l’Université de Montréal et de l’Université du Québec à Montréal. Parallèlement, madame Westmoreland-Traoré a continué à pratiquer le droit à temps partiel, dans les domaines du droit de l’immigration et des réfugiés, du droit de la famille et des droits de la personne. Elle est titulaire d’un doctorat en droit public et science administrative de l’Université de Paris II.
Madame Westmoreland-Traoré a reçu le prix Droits et Libertés de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, en 2008, pour sa participation à la lutte contre la discrimination, et le Prix de la présidente de l’Association du Barreau canadien, en 2020.
Pour mener les consultations et formuler nos recommandations pour une nouvelle Commission, nous nous appuyons sur nos 23 années d’expérience combinées en tant que juges de première instance, ainsi que sur les 14 années d’expérience de Harry LaForme à la Cour d’appel de l’Ontario, soit la cour qui entend le plus grand nombre d’appels de condamnation et de sentence au Canada. Nos recommandations reflètent aussi sans aucun doute nos expériences, dans le cas de madame Westmoreland-Traoré, en tant que première Canadienne noire nommée à la magistrature du Québec, et dans le cas de monsieur LaForme, en tant que premier juge autochtone nommé à une cour d’appel au Canada.
Influencée par nos recommandations stratégiques
Nous demandons respectueusement au ministre de la Justice de considérer sérieusement nos recommandations parmi les diverses options stratégiques que nous formulons dans ce rapport. De nombreux choix difficiles doivent être faits lors de la création d’une nouvelle commission. Dans certains cas, il existe des désaccords raisonnables sur la manière la plus appropriée d’avancer. Sur d’autres questions, cependant, il existe un consensus entre toutes les personnes que nous avons consultées, sinon la plupart d’entre elles, sur le fait que certaines options sont nettement préférables à d’autres. Il y a également un risque que l’établissement d’une commission faible et sous-financée soit encore pire que de conserver le système actuel de révision par le ministre.
La nouvelle commission ne sera un succès que si elle jouit d’une plus grande confiance de la part du public, en particulier des personnes les plus directement concernées, notamment les victimes d’erreurs judiciaires et les victimes d’actes criminels. La commission doit être véritablement indépendante, y compris en ce qui a trait à la nomination des commissaires. Elle doit être financée de manière adéquate. Elle doit faire l’objet d’examens périodiques. Elle doit pouvoir contrôler ses propres processus afin de garantir l’accès à la justice et l’équité pour tous. Elle doit améliorer la manière dont les erreurs judiciaires sont corrigées et prévenues.
Influencée par ce que nous avons entendu
Notre approche s’inspire de ce que nous avons entendu lors de nos nombreuses consultations. Nos premières tables rondes avec des personnes disculpées nous ont convaincus que la commission devait être proactive et bienveillante. Elle devrait être libre de tout lien de dépendance avec les gouvernements, mais pas des demandeurs qu’elle sert. Elle devrait porter un autre nom que celui de « Commission d’examen des affaires pénales ». Les participants disculpés nous ont rappelé, à juste titre, qu’ils n’étaient pas des « affaires pénales » dont les condamnations doivent être « examinées ». Les participants sont des personnes comme les autres, qui ont subi les préjudices les plus dévastateurs des mains de l’État. Comme l’a souligné David Milgaard, le système judiciaire a échoué auprès des victimes d’erreurs judiciaires; il ne doit pas perpétuer les mêmes erreurs.
Les personnes disculpées nous ont dit avoir reçu moins de soutien à leur libération que les délinquants bénéficiant d’une libération conditionnelle. Dès le départ, elles ont besoin d’un soutien financier pour se nourrir et se loger. Elles ont aussi besoin de conseils et de formation pour les aider à s’adapter à la liberté et à surmonter le traumatisme causé par des années d’incarcération injustifiée. En juin 2021, nous avons fait part de ces préoccupations au ministre de la Justice. Dans le présent rapport, nous proposons la création d’une commission proactive qui disposerait d’un personnel spécialisé pour aider à la fois les demandeurs et les victimes d’actes criminels.
Influencée par la reconnaissance de la discrimination systémique et du colonialisme, et par l’obligation de prendre des mesures d’adaptation et de fournir un accès équitable à la justice
Notre approche est fondée sur la reconnaissance du fait que les condamnations injustifiées doivent être comprises dans le contexte de la discrimination systémique et du colonialisme. Il s’agit notamment de la surreprésentation dans le milieu carcéral des Autochtones, des Noirs, d’autres personnes racisées et des individus qui vivent avec des problèmes de santé mentale ou des barrières linguistiques.
Nos consultations nous ont appris qu’il est nécessaire de comprendre que les condamnations injustifiées envers les femmes ne correspondent pas au modèle masculin dominant. Les femmes sont plus susceptibles de plaider coupable pour des infractions telles que l’homicide involontaire ou l’infanticide que de contester les procès et les appelsnote de fin d’ouvrage 7. Les femmes autochtones, les femmes noires et celles issues d’autres groupes racisés, ainsi que les femmes vivant avec des handicaps, sont confrontées à des difficultés qui leur sont propres.
La discrimination systémique qui affecte de nombreux demandeurs faisant appel à la commission doit être comprise de manière intersectionnelle, en raison des motifs cumulés du désavantage et de la discrimination qu’ils subissent. Les méfaits du colonialisme et les traumatismes intergénérationnels contribuent également à expliquer la surreprésentation flagrante et croissante des Autochtones en prison et les difficultés particulières qu’ils rencontrent pour obtenir des mesures de redressement en cas d’erreurs judiciaires.
Depuis les réformes de 2002, le ministre de la Justice a renvoyé devant les tribunaux des affaires mettant en cause 20 personnes. Ces 20 personnes étaient des hommes. Tous ont été représentés par un avocat. Sur ces 20 hommes, un était Autochtone et un autre était Noir. Cette proportion est loin de refléter la surreprésentation des Autochtones et des Noirs dans nos prisons.
On nous a dit que les femmes, en particulier les femmes autochtones et racisées, sont également victimes d’erreurs judiciaires, et nous reconnaissons ce fait. Depuis 2002, 12 femmes et 174 hommes ont demandé des mesures de redressement auprès du ministre. Seules deux des 45 demandes encore actives concernent des femmes.
Il est impossible de savoir combien d’erreurs judiciaires sont demeurées inconnues, et n’ont donc pas été redressées. Mais nous sommes convaincus qu’elles sont nombreuses et que les Autochtones, les Noirs et les autres groupes défavorisés sont surreprésentés parmi les personnes condamnées à tort et les autres victimes d’erreurs judiciaires. L’arrivée d’une nouvelle commission doit améliorer l’accès à la justice pour les personnes condamnées à tort. Assurer un accès équitable à la justice nécessitera une adaptation aux différences, afin de surmonter le manque de confiance justifié que ressentent de nombreuses personnes défavorisées envers le système judiciaire canadien.
La création d’une institution sans lien de dépendance avec le gouvernement est nécessaire pour remplacer le système actuel de révision des erreurs judiciaires par le ministre, afin d’améliorer l’accès à la justice. La commission doit être proactive et tendre la main à ceux qui ont de bonnes raisons de se méfier d’un système judiciaire qui les surreprésente en prison et les sous-représente dans les postes de pouvoir. Le succès de la commission devrait être évalué, en partie, en fonction du fait qu’elle reçoit des demandes provenant de personnes vulnérables et défavorisées, dans la mesure où ces dernières sont surreprésentées en prisonnote de fin d’ouvrage 8.
Influencée par les failles du système juridique dans sa globalité
C’est une erreur de croire que la commission pourra exister en étant complètement isolée du reste du système judiciaire. En Angleterre, la Commission Runciman, qui a formulé des recommandations ayant conduit à la création de la première commission de révision des affaires pénales dans ce pays, a adopté une approche vaste et globale face à la réforme de la justice pénale, en recommandant une meilleure divulgation et un meilleur financement de l’aide juridique pour la défense, ainsi qu’une amélioration de la réglementation concernant la prestation de services d’expertise judiciaire. Elle a également recommandé que la Cour d’appel anglaise soit mieux disposée à recevoir de nouvelles preuves et à annuler les condamnations sur la base d’un « doute persistant »note de fin d’ouvrage 9. Certaines des plaintes parmi les plus sérieuses adressées aujourd’hui à la commission anglaise sont liées à l’absence d’autres réformes qui avaient été recommandées par la Commission Runciman pour le système de justice pénale, comme des pouvoirs accrus pour l’annulation des condamnations ou l’admission de nouvelles preuves.
Durant nos consultations, nous avons plus d’une fois été avertis du fait que « surcharger une commission avec trop de mandats » serait une erreur. Ces mises en garde sont fondées, surtout si la commission est sous-financée. Par contre, nous sommes d’avis qu’il serait aussi une erreur que la commission en fasse trop peu. La plupart des personnes consultées s’attendent à ce que la commission ait et exerce un mandat de réforme systémique rigoureux pour aider à prévenir les erreurs judiciaires dans le futur. Parmi elles, on compte de nombreuses personnes disculpées qui veulent éviter que d’autres souffrent comme elles ont souffert.
Les corps policiers, les procureurs et les experts légistes ont joué un rôle dans les condamnations injustifiées au Canada, ce qui a été largement documenténote de fin d’ouvrage 10. Leur coopération sera précieuse pour la réussite de la nouvelle commission, notamment en ce qui concerne la conservation des documents et les enquêtes de la commission.
Les agents responsables de l’aide juridique auront également un rôle à jouer, par exemple lorsque la commission rejettera une demande au motif que le demandeur doit d’abord faire appel d’une condamnation ou d’une peine.
Les cours d’appel entendront la plupart des affaires renvoyées par la commission et nous recommandons qu’elles puissent demander à cette dernière de mener des enquêtes lorsque nécessaire, afin d’assurer qu’un appel n’entraîne pas d’erreur judiciaire.
Les agents correctionnels joueront aussi un rôle important en contribuant à informer les détenus au sujet de la commission. Ils pourraient également vouloir repenser leur approche, selon laquelle le refus d’un détenu de reconnaître sa responsabilité est interprété comme un signe de défiance, plutôt que comme l’indice d’une possible erreur judiciairenote de fin d’ouvrage 11.
La commission doit être indépendante, mais elle interagira inévitablement avec le système judiciaire global.
Influencée par notre respect envers les projets Innocence et les autres groupes communautaires
Nous avons un profond respect et une grande estime pour ceux qui font un travail essentiel et de proximité, et qui agissent au nom des personnes condamnées à tort. Ils doivent composer avec un financement souvent insuffisant et avec un manque de coopération occasionnel. Si l’arrivée d’une nouvelle commission mettait fin au rôle positif que les projets Innocence ou autres ont joué dans la vie des personnes condamnées à tort, il s’agirait assurément d’une erreur. Ces groupes ont le mérite de faire la preuve, face à un système judiciaire trop souvent réticent, que les condamnations injustifiées existent et qu’elles sont inévitablesnote de fin d’ouvrage 12. Ils sensibilisent de manière significative les étudiants et les acteurs du système de justice au sujet de la réalité et des conséquences des condamnations injustifiées.
Nous sommes d’avis que la commission devrait travailler en collaboration avec les projets Innocence et avec d’autres groupes communautaires. La nouvelle commission devra être indépendante, mais cela ne signifie pas qu’elle doive fonctionner de manière isolée. En outre, elle devra respecter les expériences vécues et l’expertise des groupes communautaires et des victimes d’erreurs judiciaires.
Influencée par l’expérience comparative
Le Canada a la chance de pouvoir s’appuyer sur l’expérience d’autres pays en ce qui concerne les commissions indépendantes actuelles. Les commissions qui ont été créées en Angleterre et en Écosse dans les années 1990, et plus récemment en Nouvelle-Zélande en 2019, constituent une reconnaissance officielle et permanente du fait que tout système de justice pénale est susceptible de commettre des erreurs. Nous sommes convaincus que ces nouvelles commissions sont d’une grande importance et que leur présence est nécessaire. Leur travail s’améliorera au fur et à mesure qu’elles accumuleront de l’expérience et que la recherche se poursuivranote de fin d’ouvrage 13.
Nous avons beaucoup appris de nos consultations auprès des autres commissions et nous nous en inspirerons tout au long de notre rapport. Nous sommes très reconnaissants envers les représentants des cinq commissions étrangères pour le temps qu’ils ont passé avec nous. Nous nous efforcerons également de formuler des recommandations qui tiendront compte de la vaste étendue géographique et de la grande diversité du Canada, ainsi que de son histoire, notamment en ce qui concerne la dépossession coloniale et l’esclavage.
Nous sommes conscients que, depuis l’enquête publique de 1989 sur la condamnation injustifiée de Donald Marshall Jr, les commissions d’enquête canadiennes sur les condamnations injustifiées ont toutes réclamé la création d’une commission indépendante pour tenir le rôle joué actuellement par le ministre de la Justice, qui demeure un résidu de la prérogative royale de clémence. Comme beaucoup de nos interlocuteurs l’ont souligné, ils ont attendu trop longtemps. Nous espérons que cette attente prendra bientôt fin avec la création d’une commission indépendante, culturellement compétente, correctement financée et proactive, qui enquêtera sur les allégations d’erreurs judiciaires et prendra les mesures nécessaires pour les prévenir.
Influencée par la nécessité d’aller de l’avant, et non pas de retourner en arrière
Nous avons entrepris cette consultation en sachant que l’intention derrière cette entreprise était d’apporter des améliorations. Nous avons entendu des critiques à l’égard du système actuel de révision ministérielle, mais nous avons également constaté que le système actuel présente un certain nombre d’avantages souvent négligésnote de fin d’ouvrage 14. Selon nous, ces atouts doivent être conservés et mis à profit. Entre autres, un mandat axé sur toute erreur judiciaire et un vaste éventail de mesures de redressement doivent être disponibles, y compris les ordonnances pour de nouveaux procès et appels, ainsi que les renvois aux tribunaux pour des questions de droit. Cependant, il convient de remédier aux nombreuses failles du système actuel en matière d’accès à la justice, de pouvoirs d’enquête limités et d’approche réactive, lesquelles ne sont ni proactives ni systémiques.
Puisque nous nous attendions à ce qu’il y ait un engagement vis-à-vis des améliorations à faire, nous avons été surpris et sincèrement déçus par les observations soumises par le Comité fédéral-provincial-territorial des chefs des poursuites pénales (FPT CPP). Ses recommandations, si elles étaient mises en œuvre, restreindraient l’accès à la justice après condamnation, plutôt que de l’améliorer. Cela soulève également la préoccupation que la commission doive posséder des pouvoirs d’enquête plus importants que ceux dont dispose actuellement le Groupe de la révision des condamnations criminelles, en plus d’un mandat spécifique lui permettant de soutenir les demandeurs et les victimes d’actes criminels.
Le Comité FPT CPP demande la création d’une commission composée de [traduction] « juges d’appel expérimentés », dotés « d’une vaste expérience du droit pénal, tant sur le banc que dans les coulisses, afin de disposer d’une base solide pour évaluer le bien-fondé des demandes »note de fin d’ouvrage 15. Cela ne tient pas compte du fait que la plupart des personnes qui s’adressent à la commission ont déjà été déboutées en appel. Cela ne tient pas non plus compte du fait que la composition de nos cours d’appel ne reflète malheureusement pas la diversité canadienne, et encore moins la surreprésentation des Autochtones, des Noirs et des autres groupes défavorisés en prison. Selon nous, une commission à l’image de nos cours d’appel n’est pas ce qu’il convient de mettre en œuvre. Ce qu’il faut, c’est une commission indépendante qui reflète la diversité du Canada et la nature multidisciplinaire de notre système de justice pénale.
Le Comité FPT CPP a émis un avertissement au motif que [traduction] « des activités de sensibilisation trop intenses risquent de compromettre l’indépendance et l’objectivité de la Commission de révision des condamnations criminelles (CRCC)note de fin d’ouvrage 16. » Cela est sans égard au fait que le système ministériel actuel, considéré comme réactif, reçoit moins de 20 demandes par année, et parfois bien moinsnote de fin d’ouvrage 17. En revanche, les commissions étrangères, même si la population de leurs pays respectifs est nettement inférieure à celle du Canada, reçoivent des centaines de demandes chaque année. La commission anglaise reçoit elle-même bien au-delà d’un millier de demandes par an. Les commissions étrangères tiennent des activités de sensibilisation sans compromettre leur indépendance et leur objectivité.
Nous admettons que l’augmentation du nombre de demandes imposera un fardeau supplémentaire à la commission, aux corps policiers, aux procureurs et aux victimes d’actes criminels. Cependant, ce fardeau n’est rien en comparaison avec le fardeau d’une condamnation ou d’une peine injustifiée. Même si une nouvelle commission plus accessible estimait qu’une demande ne nécessiterait pas le renvoi de l’affaire devant un tribunal, elle pourrait contribuer à améliorer le système en exposant clairement et publiquement les raisons pour lesquelles elle considère qu’une telle mesure de redressement n’est pas nécessaire.
Il semblenote de fin d’ouvrage 18 que les membres du Comité FPT CPP demandent également à ce que la commission se concentre sur l’innocence factuelle. Selon eux, un mandat élargi qui inclurait les [traduction] « erreurs judiciaires de nature procédurale » et les erreurs concernant les peines « augmenterait la capacité de la nouvelle CRCC à traiter les questions de surreprésentation systémique, mais aurait une incidence plus importante sur les victimes et limiterait sans doute leur rôle. Il y aurait là un autre risque de voir le soutien du public diminuer… Qui plus est, un processus trop étendu pour être mis en œuvre de façon efficace pourrait causer des retards démesurés, ce qui ne serait utile à personne, mais nuirait surtout à ceux qui sont factuellement innocents et qui se languissent dans la file d’attentenote de fin d’ouvrage 19. »
En toute objectivité, le Comité FPT CPP n’a pas été le seul groupe consulté à nous suggérer de limiter le mandat de la commission aux demandes liées à l’innocence factuelle. La Criminal Lawyers Association nous a indiqué que [traduction] « la commission ne devrait accepter que les demandes soumises par des personnes alléguant l’innocence factuelle et une erreur judiciaire »note de fin d’ouvrage 20. De telles recommandations réduiraient les mesures de redressement extraordinaires prévues actuellement en vertu des articles 696.1 à 696.6 du Code criminel. Il s’ensuivrait que la commission accomplirait un travail similaire à celui des projets Innocence, qui doivent rationner leurs ressources parce qu’ils sont sous-financés, et qu’ils dépendent souvent de dons et de subventions uniques.
Le Comité FPT CPP suggère également que la commission ne devrait pas, en principe, s’occuper d’affaires moins graves, notamment celles qui résultent d’un plaidoyer de culpabilité ou portent sur les peines. Selon eux, cela devrait aussi inclure la désignation de délinquant dangereux et de délinquant à contrôler, même si ces désignations peuvent actuellement être révisées par le ministre. Le Comité affirme que les appels et les demandes de libération conditionnelle suffisentnote de fin d’ouvrage 21, et il émet la mise en garde suivante : [traduction] « Viser trop et trop tôt nécessitera des dépenses massives et risque d’entraîner une grande méfiance entre les différentes parties intéresséesnote de fin d’ouvrage 22. » Comme il en sera question plus loin, nous croyons que la commission doit être accessible, notamment pour les demandeurs qui sont encore incarcérés et qui craignent d’être victimes d’une erreur judiciaire.
Le Comité FPT CPP a exprimé ses préoccupations en lien avec la disponibilité actuelle de la remise en liberté sous caution en attendant une décision finale du ministre quant à l’octroi de mesures de redressement, ainsi qu’avec la capacité actuelle du ministre d’accorder un nouveau procès. Cependant, comme nous le verrons plus loin, la majorité des autres participants consultés se sont prononcés disant que ces caractéristiques du système existant étaient utiles et devaient être conservées. La remise en liberté sous caution en attendant l’appel a été un outil important pour permettre à au moins huit hommes d’être libérés de prison en attendant la décision du ministrenote de fin d’ouvrage 23. Le ministre a en effet ordonné la tenue d’un nouveau procès pour huit des 20 cas ayant fait l’objet d’une mesure de redressement par le ministre depuis 2002.
Il a été mentionné à plusieurs reprises lors des consultations qu’une erreur judiciaire, même dans une affaire moins grave, peut entraîner des conséquences dévastatrices et une stigmatisation durable. Exclure de la responsabilité de la commission les cas moins graves pourrait exiger l’emploi d’un lourd système à deux niveaux, où les pouvoirs ministériels et de clémence seraient maintenus et utilisés pour les « affaires moins graves ».
Le Comité FPT CPP a mentionné le risque que l’utilisation plus fréquente des vastes pouvoirs d’enquête dont dispose le ministre en vertu de la Loi sur les enquêtes pour exiger la production de documents pertinents et contraindre les gens à répondre à des questions [traduction] « pourrait obliger la Couronne et les corps policiers à exiger des audiences en vertu de l’article 37 de la Loi sur la preuve au Canada »note de fin d’ouvrage 24. En clair, cela signifie que les corps policiers et les procureurs pourraient contester les pouvoirs d’enquête de la commission devant les tribunaux pour divers motifs, notamment en invoquant le privilège du secret professionnel de l’avocat et le privilège de ne pas identifier les informateurs de la police. Cette possibilité nous a conduits à recommander que la commission, à l’instar de la commission anglaise, ait le pouvoir d’obtenir les documents pertinents, indépendamment de toute revendication de privilège faite par toute personne, y compris les corps policiers et les procureursnote de fin d’ouvrage 25.
Enfin, le Comité FPT CPP semble suggérer que le fait d’avoir une commission plus rigoureuse entravera la prévention des condamnations injustifiées lorsqu’il affirme ceci :
« Un système de révision des condamnations criminelles qui détourne les ressources déjà limitées des services de police et des services de poursuite, ainsi que des budgets destinés à l’aide juridique, réduit notre capacité à prévenir les condamnations injustifiées à l’étape du procès. Le risque que cela se produise augmente si le champ d’application du système de révision des condamnations criminelles n’est pas soigneusement conçu pour traiter les cas qui requièrent une révision, ou qui imposent la prestation de services onéreux et imprévisibles aux services de police et de poursuitenote de fin d’ouvrage 26. »
Bien franchement, nous avons du mal à comprendre cet argument. En tout état de cause, il ne reflète pas ce que la grande majorité des personnes consultées nous ont dit, au fait que la prévention et la correction des erreurs judiciaires sont les deux faces d’une même médaille.
Nous n’acceptons pas le retour en arrière proposé par le Comité FPT CPP pour la correction des erreurs judiciaires ni ses préoccupations quant au fait que la sensibilisation et l’engagement au niveau systémique sacrifieraient l’indépendance et l’objectivité de la commission. Nous pensons également que la nouvelle commission devrait, comme le ministre peut le faire à l’heure actuelle, être en mesure d’ordonner la tenue d’un nouveau procès. Il devrait aussi être possible d’obtenir une remise en liberté sous caution en attendant la décision de la nouvelle commission, comme c’est le cas en ce moment en attendant la décision du ministre en application de l’article 696. À notre avis, il serait malhonnête et inquiétant qu’un gouvernement utilise un processus de réforme consistant à créer une nouvelle commission indépendante et autonome dans le but de restreindre les mesures de redressement qui s’offrent actuellement aux victimes d’erreurs judiciaires.
B. Les caractéristiques de la nouvelle Commission : Une commission indépendante, proactive, systémique et adéquatement financée
En définitive, le gouvernement doit concevoir et financer la commission. Dans le présent rapport, nous examinons 51 différentes options de conception possibles pour l’élaboration de la commission et de sa législation habilitante. Nous abordons ce niveau de détail parce que nous avons été convaincus par les consultations et par nos recherches approfondies que la création d’une nouvelle commission ne sera pas aussi simple qu’il n’y paraît. Le diable est dans les détails.
Néanmoins, les multiples options de réforme que nous examinons ici devraient se compléter et être unies par une vision cohérente de la commission. Comme nous l’a indiqué le professeur Davy Ireland de l’Université du Manitoba, qui y dirige le projet universitaire Innocence, une commission de révision des affaires criminelles soulève des « questions fondamentales » utiles à tout système de justice pénale. Quelques options stratégiques centrales guident les nombreuses recommandations que nous faisons sur des détails particuliers abordés plus loin dans ce rapport.
Les consultations nous ont convaincus que le gouvernement doit faire des choix fondamentaux, soit choisir entre :
- créer une commission qui agit uniquement en réponse aux demandes individuelles, ou une commission qui adopte une approche plus proactive et systémique;
- créer une commission qui est considérée comme un petit organisme administratif du gouvernement fédéral, ou une commission indépendante et adéquatement financée qui est soumise au même traitement indépendant du gouvernement que l’appareil judiciaire;
- créer une commission dont l’action se limite aux cas pour lesquels l’innocence factuelle peut être établie ou une commission qui se penche sur toutes les erreurs judiciaires.
Recommandation 1
Nous recommandons une commission proactive usant d’une approche systémique, par opposition à une commission réactive.
Nous considérons le système actuel de révision par le ministre, ainsi que les commissions d’Angleterre, d’Écosse et de Caroline du Nord comme des exemples d’une approche essentiellement réactive. Certes, certaines de ces commissions ont fait des tentatives de sensibilisation en simplifiant et en traduisant leurs formulaires de demande dans différentes langues. Néanmoins, toutes soulignent qu’elles ne sont pas des défenseurs des personnes condamnées à tort. Elles expriment toutes un intérêt limité ou sporadique envers les politiques de justice pénale susceptibles d’accroître ou de diminuer les risques de condamnations injustifiées. Compte tenu de leurs ressources limitées – et, pour les commissions de l’Angleterre et de la Caroline du Nord, de ressources manifestement inadéquates – ces commissions doivent en consacrer la quasi-totalité au traitement des demandes qu’elles reçoivent. C’est également le cas pour l’actuel Groupe de la révision des condamnations criminelles au ministèrenote de fin d’ouvrage 27.
En 2008, une commission d’enquête sur la condamnation injustifiée de David Milgaard a conclu que le processus de révision ministérielle [traduction] « est réactif et impose un fardeau trop lourd sur les personnes condamnées à tort »note de fin d’ouvrage 28. Les tribunaux canadiens ont également reconnu que le système actuel de révision ministérielle est réactif. Par exemple, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a récemment qualifié le système actuel comme étant réactif, et l’a expliqué ainsi :
[Traduction]
Premièrement, le ministre n’est pas tenu d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 696.2, aux paragraphes (2) et (3), pour ordonner une enquête. Le ministre n’est pas tenu de mener une enquête, et il doit seulement procéder à un « examen sérieux » de la demande : voir Hinse c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 35, au paragraphe 68.
Deuxièmement, il est peu probable que le ministre ordonne une enquête et rende une ordonnance de divulgation post-condamnation, à moins que la demande n’identifie de nouvelles questions importantes; par contre, le demandeur peut avoir besoin de mener une enquête pour déterminer s’il existe de telles nouvelles questions importantes.
Cette lacune du processus de la Partie XXI.1 a été identifiée par le juge MacCallum dans le Rapport de la Commission d’enquête sur la condamnation injustifiée de David Milgaard (septembre 2008, publié en anglais seulement) […] et est décrite comme suit à la page 364 :
[…] Le processus demeure réactif. Le ministre fédéral ne mène pas une enquête proactive à la réception d’une demande, mais il s’en remet plutôt au demandeur, dépourvu d’expertise en matière d’enquête, pour identifier les motifs d’une prétendue erreur judiciaire. Le critère d’exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire de renvoyer une affaire devant le système judiciaire n’a pas changé. Enfin, la décision de savoir si une personne condamnée peut avoir accès à la Cour pour contester sa condamnation appartient toujours au ministre fédéral, qui est un politicien élu.
Troisièmement, si le ministre décide d’enquêter, il n’a aucune obligation générale d’examiner les dossiers de la police et de la poursuite ni de divulguer ces dossiers simplement à la demande d’une personne condamnée : voir Thatcher, au paragraphe 15note de fin d’ouvrage 29.
La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a souscrit aux conclusions antérieures du juge Perell selon lesquelles [traduction] « le processus de révision ministérielle est réactif et non proactif. Le ministre n’exercera pas son pouvoir discrétionnaire en l’absence de preuves nouvelles et importantes »note de fin d’ouvrage 30.
Citant les conclusions du juge LeSage dans le cadre de l’enquête Driskell, le juge Perell a mis en évidence un « problème majeur et sans issue ». [traduction] « Ce problème vient du fait que le demandeur peut […] avoir besoin d’une enquête pour déterminer l’existence de nouvelles questions importantes qui n’auraient pas été prises en compte par les tribunaux ou par le ministre précédemment, mais aucune disposition dans le Code criminel ne prévoit de mécanisme pour permettre à une personne condamnée d’obliger les corps policiers ou la Couronne à divulguer de nouvelles questions importantes qui, justement, n’auraient pas précédemment été examinées par les tribunaux ou par le ministrenote de fin d’ouvrage 31. »
Pour ce qui est de l’actuel système de révision ministérielle et des commissions anglaise et écossaise, les motifs de leurs décisions et les résultats de leurs enquêtes ne sont pas rendus publics. Cela reflète bien l’idée répandue que les erreurs judiciaires sont des événements rares n’intéressant principalement que les parties en cause. L’absence de publication des motifs prive le système de la possibilité d’apprendre des erreurs commises par les différents acteurs ayant participé à l’erreur judiciaire.
Un système réactif ne considère que les demandes de ceux qui ont épuisé toutes les voies de recours. Le Comité FPT CPP a affirmé : [traduction] « En général, le processus devrait être réactif et être initié par les individus ayant épuisé leurs droits d’appel. Un travail de sensibilisation trop actif nuirait à l’indépendance et à l’objectivité de la CRCC »note de fin d’ouvrage 32. Le groupe a également suggéré que les appels soient épuisés avant que la commission n’examine une demande impliquant un plaidoyer de culpabiliténote de fin d’ouvrage 33. En revanche, Innocence Canada nous a exhortés à adopter une approche plus proactive et systémique, laquelle reconnaîtrait que « demander une prolongation de délai [pour un appel] n’est qu’un obstacle procédural […] Les faux plaidoyers de culpabilité sont une cause connue de condamnation injustifiée. Exiger des demandeurs qu’ils tentent de retirer leur plaidoyer de culpabilité avant l’examen de leur demande ne fait que retarder davantage le processus de révisionnote de fin d’ouvrage 34. »
Les commissions réactives se targuent de leur indépendance vis-à-vis du gouvernement, mais aussi des demandeurs et de leurs défenseurs, dont les projets Innocence. Selon le modèle réactif, il n’est guère nécessaire pour une commission d’avoir des comités consultatifs ou de mener d’autres formes de sensibilisation. Le Comité FPT CPP exprime le désir d’une commission réactive lorsqu’il déclare : [traduction] « Une sensibilisation trop active risque de compromettre l’indépendance et l’objectivité de la CRCCnote de fin d’ouvrage 35. »
Les commissions d’Angleterre, d’Écosse et de Caroline du Nord fondent en grande partie leurs décisions de renvoyer ou non les affaires devant les tribunaux sur la base de leurs prédictions quant à l’annulation par les tribunaux des décisions judiciaires précédentes. Cela signifie que les commissions réagiront en fonction des critères spécifiques et possiblement changeants qui seront appliqués par les cours d’appel. Cette orientation juridique interne explique également pourquoi le personnel des commissions d’Écosse et de Caroline du Nord, comme celui du GRCC du Canada, est composé presque exclusivement d’avocats. Les avocats sont les experts en matière de critères juridiques qui déterminent éventuellement si une affaire, une fois renvoyée, sera annulée par les tribunaux.
Ce modèle de commission réactive est cohérent. De nombreux avocats – tant des procureurs que des avocats de la défense – ayant une grande expérience de la justice pénale nous ont exhortés à utiliser ce modèle, y compris les membres du Comité FPT CPP, qui comprend des procureurs et des fonctionnaires de police très expérimentés. Le juge Bernard Grenier, qui a été pendant de nombreuses années conseiller spécial du ministre de la Justice du Canada, relativement à des demandes fondées sur l’article 696, s’est également prononcé en faveur d’une approche réactive.
Nous avons été prévenus que toute entité plus ambitieuse qu’une commission réactive pour la correction des erreurs judiciaires se verrait rapidement submergée par les demandes, que tout ce qui ne constituait pas une commission réactive pourrait susciter l’opposition des corps policiers, des procureurs et des victimes d’actes criminels, et qu’une commission qui essaierait d’en faire trop ne ferait rien de bien.
Nous prenons tous ces avertissements au sérieux. Nous recommanderons des moyens permettant à la commission de ne pas se mettre dans une situation d’échec en se surchargeant. Cela dit, nous sommes convaincus que le modèle réactif n’est pas assez ambitieux. L’approche réactive a déjà été essayée. Elle a maintes fois été critiquée comme étant inadéquate par les membres de projets Innocence, les commissions d’enquête et les tribunaux.
L’approche réactive présente toutefois certains avantages. Depuis 2002, elle a renvoyé 20 affaires devant les tribunaux, dont les condamnations ont été annulées ou abandonnées pour 19 de ces cas. Ces affaires étaient importantes – nous avons consulté de nombreuses personnes dont les condamnations ont été annulées à la suite de ces affaires – mais nos consultations nous ont convaincus qu’elles ne représentaient que la pointe de l’iceberg. À notre avis, il faut aller plus loin.
L’alternative à une commission réactive est une commission proactive qui s’intéresse autant à la correction des erreurs judiciaires qu’à la réforme systémique. Nous considérons la commission néo-zélandaise, et dans une certaine mesure la commission norvégienne, comme les meilleurs exemples de ce genre de commission. Nous notons également que la commission anglaise s’est récemment engagée à propos de quelques questions systémiques. Par exemple, elle a alerté, à juste titre, les procureurs et les avocats de la défense qu’elle renvoyait plusieurs cas pour lesquels les avocats de la défense n’avaient pas invoqué le statut de réfugié comme défense pour des infractions liées à une présence illégale au pays.
Un mandat proactif et systémique convient bien à une commission multidisciplinaire qui, même si elle compte des avocats parmi ses membres, n’est pas dominée par eux. L’une des raisons pour lesquelles il est nécessaire de faire appel à des membres non-juristes et à des experts judiciaires, ainsi qu’à des groupes vulnérables subissant de la discrimination, est que leur expertise peut contribuer à l’établissement d’une réforme systémique. Une autre raison est que ce type d’expertise, en permettant de gagner la confiance des demandeurs, peut jouer un rôle dans l’enquête de cas individuels.
Une commission proactive serait composée de personnel ayant reçu une formation adéquate pour fournir un soutien non juridique aux demandeurs et aux victimes d’actes criminels, alors qu’une commission réactive ne peut être composée qu’exclusivement d’avocats, qui se concentrent souvent sur les documents écrits du dossier. Une commission proactive inclurait des enquêteurs correctement formés.
Elle s’efforcerait de rejoindre, d’une manière culturellement adaptée, les Autochtones, les Noirs et les autres groupes défavorisés, afin de s’assurer qu’ils soumettent des demandes en nombre correspondant à leur surreprésentation dans les milieux carcéraux.
Feu Sir Thomas Thorp, juge de la Haute Cour de Nouvelle-Zélande, a attribué le faible nombre de demandes de mesures de redressement adressées au ministre néo-zélandais par les Maoris et les peuples insulaires du Pacifique à une méfiance à l’égard du système, combinée à la nature réactive du système de mesures de redressement du ministre néo-zélandais. Il a expliqué que le système de révision par le ministre était [traduction] « un processus entièrement réactif, administré par des agents du système de justice pénale qui, aux yeux des détenus, les a injustement condamnés et a ensuite injustement rejeté leur appel de la décision de culpabilité. ». Dans son rapport de 2005, Sir Thomas Thorp préconisait [traduction] « des dispositions plus réceptives administrées par une autorité indépendante de l’institution de la justice pénale »note de fin d’ouvrage 36, ce qui n’a été réalisé qu’en 2019, après son décès.
Une commission proactive est également beaucoup plus susceptible d’obtenir l’appui de comités consultatifs qui feraient le pont entre les diverses communautés, qu’une commission réactive qui ne fournit les motifs de ses décisions qu’aux demandeurs qui contestent leurs condamnations et aux procureurs qui les défendent.
Une commission agissant selon une approche proactive et systémique, à l’instar de la nouvelle commission néo-zélandaise, rendrait publics ses motifs. Bien qu’elle ait la possibilité de caviarder certains renseignements ou d’en retarder la publication pour préserver la vie privée, les privilèges juridiques ou l’équité des procès, les motifs de ses décisions pourraient contribuer à révéler les erreurs commises lors des enquêtes, des procès et des appels des affaires examinées. Les motifs justifiant le choix de ne pas renvoyer certaines affaires aux tribunaux pourraient également être très utiles. Ils permettraient d’expliquer aux personnes mécontentes et souvent confuses au sujet de leur condamnation ou de leur peine le travail de la commission et les raisons pour lesquelles cette dernière ne renverra pas l’affaire devant les tribunaux pour le moment.
De nombreuses personnes disculpées nous ont fait part de leur frustration au sujet du manque de responsabilisation des acteurs du système de justice pénale ayant contribué à leur condamnation injustifiée. Bien qu’il ne soit pas approprié qu’une commission indépendante soumette à des procès et à des sanctions des policiers, des procureurs, des avocats de la défense, des juges ou des témoins experts ayant contribué à des condamnations injustifiées, une commission proactive pourrait être dotée du pouvoir de signaler les cas impliquant une éventuelle faute aux autorités publiques et aux employeurs désignés, afin que ceux-ci puissent déterminer si une faute a été commise et si des mesures disciplinaires ou correctives sont nécessaires.
Une commission proactive et systémique reconnaîtrait que notre compréhension des causes et des types de condamnations injustifiées ne cesse de croître. Elle serait engagée dans la recherche et la formation continue, tandis qu’une commission réactive serait réticente à consacrer des ressources à autre chose qu’au traitement des affaires.
Une commission proactive agirait également pour l’élaboration et la publication de ses politiques, et les réviserait à la lumière de ses expériences et des commentaires qu’elle reçoit de la part des demandeurs et d’autres personnes, y compris les divers intervenants des projets Innocence. C’est pourquoi nous croyons que plusieurs des procédures régissant les actions de la commission ne devraient pas être prescrites de manière stricte dans la loi habilitante ou dans les règlements, comme c’est le cas pour le système actuel de révision ministérielle, qui est réactif. Nous pensons plutôt que la loi habilitante devrait exiger de la commission qu’elle élabore des politiques qui pourront être révisées au besoin pour tenir compte de l’expérience et des critiques.
Une approche systémique est également indiquée, compte tenu des facteurs systémiques à l’origine de la surreprésentation croissante des Autochtones, des Noirs et des autres personnes racisées incarcérées dans les pénitenciers fédéraux. Des commissions parmi les plus récentes, comme celle de la Nouvelle-Zélande, ont adopté le modèle d’une approche proactive et systémique, conforme à l’acceptation actuelle de la discrimination systémique et coloniale dans les systèmes de justice pénale des sociétés coloniales.
Une commission proactive et agissant selon une approche systémique peut et doit être impartiale. Une telle commission prendrait ses décisions sur la foi de renseignements et de preuves fiables, dont certaines seraient collectées par ses soins. Une commission proactive et agissant selon une approche systémique s’enorgueillirait de son indépendance vis-à-vis du gouvernement autant qu’une commission réactive. Nous rejetons l’idée qu’une commission proactive ne serait pas impartiale.
En résumé, il existe des différences fondamentales entre une commission proactive et une commission réactive. Une commission proactive soutiendrait les demandeurs et les victimes d’actes criminels qui sont affectés par ses décisions. Elle ne serait pas composée uniquement d’avocats. Elle n’agirait pas à l’écart des parties et ne les entendrait pas que par l’intermédiaire de soumissions formelles, comme le font les tribunaux. Elle serait soucieuse de sensibiliser les groupes défavorisés, notamment les Autochtones et les Noirs, qui sont surreprésentés en prison. Une commission proactive serait disposée à collaborer avec les avocats et les acteurs des projets Innocence lorsque ceux-ci représentent des demandeurs, ainsi que dans certains contextes de réforme systémique. Elle publierait ses décisions et ses politiques. Elle renverrait les questions possiblement systémiques et disciplinaires à d’autres organes, le cas échéant. Une commission proactive et systémique soutiendrait la recherche et sensibiliserait le public et les acteurs du système de justice pénale au sujet des causes et des conséquences des erreurs judiciaires. Elle soutiendrait les efforts visant à prévenir les erreurs judiciaires dans le futur et à corriger celles survenues dans le passé.
En bref, une commission proactive et systémique s’efforcerait d’offrir un accès à la justice. Elle reconnaîtrait que la correction et la prévention des erreurs judiciaires sont nécessaires.
Recommandation 2
Nous recommandons une commission indépendante financée de manière adéquate et soumise au même traitement sans lien de dépendance avec le gouvernement au même titre que l’appareil judiciaire.
Nous avons fait face à des problèmes liés à l’appareil gouvernemental, alors que nous cherchions à répondre à la demande du ministre de la Justice d’examiner les possibilités d’établissement d’une commission indépendante qui n’aurait aucun lien de dépendance avec le gouvernement et qui serait en dehors de la sphère politique. Il est beaucoup plus facile d’affirmer comme un principe abstrait que la commission devrait être indépendante du gouvernement, que de traduire ce statut institutionnel dans la pratique.
Nos inquiétudes quant à une véritable indépendance et à un financement adéquat se sont accrues lorsque nous avons fait des recherches et avons entendu parler des difficultés rencontrées par la première commission indépendante de ce type, soit la Criminal Cases Review Commission, mise sur pied pour l’Angleterre, le pays de Galles et l’Irlande du Nord. Le All Party Parliamentary Group on Miscarriages of Justice, co-présidé par la baronne Stern et Lord Garnier, c.r., a récemment documenténote de fin d’ouvrage 37 des réductions de 30 % du nombre de jours travaillés par les commissaires anglais, ainsi qu’une baisse de 8,8 ETP (équivalents temps plein) en 2014 à 2,5 ETP en 2019note de fin d’ouvrage 38. Le refus du gouvernement de reconduire le mandat d’un commissaire qui avait critiqué les mesures d’économie et d’efficacité du gouvernement a également suscité une controverse et un litige.
Des représentants de la Commission néo-zélandaise nous ont également indiqué qu’ils rencontraient déjà des problèmes budgétaires en raison d’un nombre de demandes plus élevé que prévu, depuis qu’ils ont commencé à travailler en 2020, et que cette situation pourrait retarder leur travail au niveau systémique. Nous avons appris qu’il est difficile pour toute commission de prévoir avec précision de quels fonds elle aura besoin, car cela dépend en grande partie du nombre de demandes qu’elle recevra et de la complexité des enquêtes qu’elle devra mener.
Les représentants du GRCC nous ont dit ne pas avoir rencontré de problèmes budgétaires, bien que le nombre de demandes ait triplé depuis 2015, grâce au fait que leur budget est constitué d’un « fonds renouvelable ». Le GRCC peut, dans les cas appropriés, engager des agents externes auxquels sont délégués les pouvoirs d’enquête du ministre et il peut demander des examens et solliciter des avis extérieurs si nécessaire. Le fait que le GRCC n’a pas connu de problèmes budgétaires malgré de récentes hausses du nombre de demandes reçues est une constatation importante et l’une des forces du système en place qui devrait être maintenue.
De même, des représentants du Bureau de l’enquêteur correctionnel nous ont mentionné que, bien qu’il ait le contrôle de l’administration de son bureau, ce dernier est accablé par le fait qu’il doive rendre des comptes à environ 40 différents organes du gouvernement fédéral. Le Bureau de l’enquêteur correctionnel compte 40 postes à temps plein et dépense environ 5,4 millions de dollars par annote de fin d’ouvrage 39.
Nous sommes très préoccupés par le fait que la nouvelle commission pourrait, comme la Commission néo-zélandaise, se retrouver rapidement sans budget adéquat. Comme c’est le cas pour le Bureau de l’enquêteur correctionnel, elle pourrait être soumise à un budget fixe ainsi qu’à des obligations et à des coûts administratifs importants. Si elle est créée comme un simple organe administratif de plus, la commission ne sera qu’une petite entité au sein du gouvernement fédéral et sera susceptible d’être sous-financée.
Notre préoccupation concernant le sous-financement ne présume pas de la mauvaise foi du gouvernement, mais reflète la difficulté de prévoir ce qui est nécessaire pour une commission dont les besoins en matière de ressources dépendent du nombre et de la complexité des demandes qu’elle reçoit au cours d’une année. Nous notons également que le nombre de demandes annuelles adressées au ministre, bien qu’il soit toujours inférieur à 20 par an, a augmenté trois fois depuis 2015 et nous nous attendons, sans toutefois pouvoir le prédire avec certitude, à ce qu’elles augmentent considérablement une fois qu’une nouvelle commission sera établie et connue des populations qui sont à risque de subir des erreurs judiciaires.
Nous avons appris lors des consultations que les commissions sous-financées concentrent inévitablement leurs efforts sur le traitement des demandes et la réduction des arriérés, et négligent par le fait même les aspects systémiques, préventifs et éducatifs de leur mandat. Bien que nous supposions qu’il ne soit pas intentionnel, nous avons conclu qu’il existe un réel danger que la nouvelle commission soit plus vulnérable à un financement inadéquat que l’actuel GRCC qui assiste le ministre.
En cherchant le meilleur moyen de garantir que la commission soit réellement indépendante et bien financée, nous avons fait un deuxième choix stratégique fondamental : la nouvelle commission devra être traitée par le gouvernement de la même manière que la magistrature indépendante.
Nous pensons qu’il est préférable d’établir une analogie entre la commission et les tribunaux aux fins de la nomination et du financement, plutôt que d’établir une analogie avec une agence administrative. Une telle approche est innovatrice, mais nous croyons qu’elle est nécessaire, en partie à cause de la longue lutte menée pour l’obtention d’une commission indépendante au Canada, laquelle a généré un certain degré de méfiance parmi ceux qui cherchent à obtenir des recours pour des erreurs judiciaires. En outre, il est nécessaire de traiter la commission comme un tribunal, car les besoins de la commission en matière de ressources, comme pour les tribunaux, dépendent des affaires qu’elle reçoit.
La commission devrait être aussi indépendante et sans lien de dépendance avec le gouvernement qu’il est possible de l’être dans une démocratie parlementaire. Cela signifie qu’elle doit être soumise à des dispositions en matière de nomination, de rémunération, de sécurité de l’emploi et de financement qui sont similaires à celles de la magistrature indépendante. Nous expliquerons plus en détail ce que cela implique plus loin dans ce rapport.
En résumé, si la commission indépendante doit posséder le pouvoir d’exiger de la magistrature indépendante qu’elle réexamine certaines affaires, elle doit, dans la mesure du possible, être considérée de la même manière que la magistrature indépendante. La commission ne doit pas être le « parent pauvre » de l’appareil judiciaire. Sans cette reconnaissance, la commission est vouée à l’échec. Plus encore, ce serait alors traiter les demandeurs comme des personnes de seconde zone qui, pour l’essentiel, supplient pour la clémence de la Couronne plutôt que de demander justice.
Recommandation 3
Nous recommandons une « Commission sur les erreurs judiciaires » plutôt qu’une commission qui serait limitée à l’innocence factuelle.
L’actuel système de révision ministérielle et toutes les commissions étrangères, sauf une, s’occupent des erreurs judiciaires, ce qui inclut les condamnations pénales moins graves et certaines questions relatives à la détermination de la peinenote de fin d’ouvrage 40. La seule exception est l’Innocence Inquiry Commission de la Caroline du Nord, qui s’occupe exclusivement des demandes d’innocence factuelle pour les crimes graves.
Comme nous l’avons mentionné précédemment, le Comité FPT CPP et la Criminal Lawyers Association ont tous deux insisté pour que la commission se concentre plutôt sur les affaires d’innocence factuelle. Un certain nombre de personnes disculpées nous ont parlé de l’importance de l’innocence factuelle. Pour eux, l’innocence factuelle constituait leur vérité la plus précieuse lorsque le monde entier se retournait contre eux. Beaucoup de personnes disculpées, mais pas toutes, ont souhaité que le même système judiciaire qui les avait déclarées coupables puisse également les déclarer factuellement innocentes. Nous reconnaissons et respectons l’importance de l’innocence factuelle dans l’expérience vécue par les personnes disculpées.
Innocence Canada, cependant, a adopté une approche plus nuancée. L’organisme nous a indiqué que [traduction] « l’innocence doit être un facteur clé dans la révision »note de fin d’ouvrage 41, cependant elle ne doit pas en être le seul facteur. Malgré ses ressources limitées et sa dépendance à l’égard des dons de bienfaisance, Innocence Canada accepte les cas pour lesquels elle croit qu’une personne est [traduction] « probablement innocente », mais « où la preuve de l’innocence peut être insaisissable ou irréalisable pour la personne condamnée. Par exemple, le passage du temps fera parfois en sorte que la personne condamnée ne pourra plus trouver les preuves qui existaient autrefois »note de fin d’ouvrage 42.
Ni le projet Innocence de l’Université de la Colombie-Britannique (UCB)note de fin d’ouvrage 43, ni aucun groupe consultatif indépendant, y compris les disculpés David Milgaard et Ron Dalton, ainsi que l’avocat de premier plan James Lockyer, n’ont demandé à ce que le mandat de la commission soit limité aux affaires impliquant l’innocence factuelle. En fait, ce dernier groupe a recommandé que l’actuel objectif, plus étendu, visant les erreurs judiciaires soit maintenu. David Milgaard nous a notamment exhortés à « ne pas fermer la porte » à ceux et celles qui ont été injustement condamnés.
Il y avait également d’autres partisans d’un mandat plus large de la commission en matière d’erreur judiciaire. L’ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels a suggéré qu’en plus de l’innocence factuelle, [traduction] « il semble également raisonnable que la CRCC puisse être en mesure de faire un renvoi lorsqu’elle détermine que la condamnation “risque d’être imprudente”, que la peine peut être manifestement excessive ou erronée, ou lorsqu’elle conclut qu’il est dans “l’intérêt de la justice” de faire un renvoi »note de fin d’ouvrage 44.
La sénatrice indépendante de l’Ontario Kim Pate nous a exhortés à inclure la détermination de la peine dans le mandat de la commission. Elle a fait valoir que « l’accent mis sur l’innocence factuelle et les preuves décrites et privilégiées comme étant “scientifiques” […] a entraîné des préjugés systémiques à l’encontre des femmes, en particulier des femmes autochtones et des autres femmes racialisées »note de fin d’ouvrage 45.
Nous recommandons que l’approche actuelle, qui met l’accent sur les erreurs judiciaires, soit maintenue, par opposition à l’adoption d’une nouvelle approche plus étroite et portant principalement sur l’innocence factuelle. Nous reconnaissons que l’innocence factuelle a joué un rôle dans les critères d’acceptation de certains projets Innocence et dans certaines conditions d’indemnisation. Néanmoins, nous pensons que la commission ne devrait pas être limitée par une approche adoptée par les organismes bénévoles et celles qui sont très peu financées, et qui dépendent des dons de bienfaisance. Nous pensons également que la commission ne devrait pas être influencée par des préoccupations concernant ce que nous soutiendrons plus tard comme étant un processus d’indemnisation souvent injuste et menant à une nouvelle victimisation.
Il est plus facile pour nous de recommander un mandat plus large en matière d’erreur judiciaire, car nous sommes convaincus que l’innocence factuelle, lorsqu’elle peut être établie, est une forme d’erreur judiciaire. Le juge Fred Kaufman, dans son rapport d’enquête pour le ministre de la Justice dans l’affaire Steven Truscottnote de fin d’ouvrage 46 et, par la suite, la Cour d’appel de l’Ontarionote de fin d’ouvrage 47, qui a prononcé un acquittement pour corriger cette condamnation injustifiée, ont laissé entendre que l’innocence factuelle constitue une erreur judiciaire. Du même coup, le juge Kaufman et la Cour d’appel de l’Ontario ont indiqué qu’il pouvait toujours subsister une erreur judiciaire dans certains cas moins clairs.
En résumé, les nombreuses options de conception détaillées qui suivent sont guidées et unies par trois choix stratégiques fondamentaux :
- la nouvelle commission devrait avoir une orientation proactive et systémique, plutôt que réactive;
- elle devrait être financée de manière adéquate et soumise au même traitement sans lien de dépendance au gouvernement que l’appareil judiciaire;
- elle devrait avoir la responsabilité d’enquêter, de corriger et de prévenir toutes les erreurs judiciaires, y compris, mais sans s’y limiter, les cas impliquant l’innocence factuelle.
C. Le système actuel de révision ministérielle
Le pouvoir de révision ministérielle a été codifié dans la version originale de 1892 du Code criminel d’une manière qui était plus généreuse pour les demandeurs que dans le système actuel. La disposition d’origine prévoyait ce qui suit :
748. Si, sur demande de la clémence de la Couronne en faveur de quelque personne convaincue d’un acte criminel, le ministre de la Justice éprouve quelque doute que cette personne aurait dû être trouvée coupable, il pourra, au lieu de recommander à Sa Majesté de faire grâce ou de commuer la sentence, après telle enquête qu’il jugera à propos, ordonner par écrit qu’un nouveau procès ait lieu à telle époque et devant telle cour qu’il jugera à proposnote de fin d’ouvrage 48.
L’accent mis sur la question de savoir si le ministre « éprouve quelque doute » au sujet du fait qu’une personne demandant la clémence « aurait dû être trouvée coupable » exprime le rôle fondamental du principe du doute raisonnable dans le droit pénal canadien. En 1927, les pouvoirs du ministre ont été élargis à la direction d’un nouvel appel et à l’obtention d’une décision de la cour d’appel sur une question précisée. Cependant, [traduction] « le critère original voulant que le ministre “éprouve quelque doute” pour accorder le recours est resté… »note de fin d’ouvrage 49.
En 1955, le critère voulant que le ministre « éprouve quelque doute » a été abrogé. Il a été remplacé par un pouvoir discrétionnaire plus étendu, selon lequel le ministre peut prescrire « un nouveau procès devant une cour qu’il juge approprié, si, après enquête, il est convaincu que, dans les circonstances, un nouveau procès devrait être prescrit »note de fin d’ouvrage 50. En 1970, ce large pouvoir discrétionnaire a été étendu pour inclure la possibilité de renvoyer une condamnation pour un nouvel appel ou un nouveau procès, et de renvoyer certaines questions aux cours d’appelnote de fin d’ouvrage 51. En 1955 comme en 1970, l’accent était ainsi mis sur l’augmentation du pouvoir discrétionnaire du ministre.
Les réformes de 2002
En 2002, les articles actuels 696.1 à 696.6 du Code criminel ont été adoptés. Ces réformes exigent que le ministre soit « convaincu qu’il y a des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite » avant de prescrire un nouveau procès ou un nouvel appel. Il s’agit d’un critère plus élevé que le critère antérieur nécessitant que le ministre « éprouve quelque doute », ou que le critère plus souple selon lequel le ministre doit être convaincu qu’un renvoi devant les tribunaux est nécessaire.
Les réformes de 2002 sont le reflet de l’interprétation du ministre de la Justice Allan Rock au début des années 1990 de ses pouvoirs de renvoi. À ce propos, il soulignait que [traduction] « le recours est extraordinaire, car le processus judiciaire normal est conçu de façon à garantir qu’aucune erreur judiciaire ne se soit produite »note de fin d’ouvrage 52. On peut soutenir que la référence à un recours extraordinaire était déjà dépassée en 2002, car la Cour suprême a infirmé en 2001 des précédents datant du début des années 1990 qui autorisaient l’extradition de fugitifs pour qu’ils encourent la peine de mort, en grande partie en raison du caractère inévitable des condamnations injustifiées dans tout système de justice pénalenote de fin d’ouvrage 53.
Les réformes de 2002 visaient à apporter une plus grande clarté au processus, mais une jurisprudence importante s’est développée autour du système actuel. Un tribunal a jugé qu’il n’est pas nécessaire pour les demandeurs de présenter l’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada pour épuiser les recours avant de présenter une demande de révision ministériellenote de fin d’ouvrage 54. Les tribunaux ont toutefois jugé que le premier niveau d’appel devait être épuisénote de fin d’ouvrage 55. La décision du ministre quant à la probabilité d’une erreur judiciaire a été considérée comme une question mixte de fait et de droitnote de fin d’ouvrage 56. Les décisions du ministre en matière de droit doivent être raisonnables et tenir compte de la jurisprudence actuellenote de fin d’ouvrage 57.
Malgré les changements apportés à la révision ministérielle, les tribunaux ont établi que « le pouvoir conféré au ministre […] “en est un d’exception et de prérogative”, qui demeure exclu de la sphère traditionnelle du droit criminel. « Une demande de révision de la condamnation demeure une demande de recours extraordinaire très discrétionnaire qui procède de la prérogative royale de clémence »note de fin d’ouvrage 58.
Le ministre de la Justice ne donne pas les motifs de ses décisions de renvoyer des affaires devant le tribunal. Un examen externe du processus de révision par une commission d’enquête provinciale n’a pas permis de découvrir pourquoi la première demande de David Milgaard avait été refusée par la ministre de la Justice de l’époque, Kim Campbell, le 27 février 1991, et pourquoi sa deuxième demande a été accordée le 28 novembre 1991, après la rencontre entre la mère de David, Joyce Milgaard, et le premier ministre Mulroney, le 6 septembre 1991. La commission d’enquête provinciale n’a pas pu examiner le processus fédéral. Il a toutefois été constaté que le premier ministre et la ministre de la Justice ont donné deux versions très différentes sur la question de l’ordre donné à la ministre de la Justice par le premier ministre d’accepter la deuxième demande de M. Milgaardnote de fin d’ouvrage 59. La quête de justice de David et de la regrettée Joyce Milgaard a été un événement extraordinaire dans l’histoire du Canada, qui jette encore une ombre sur le processus actuel de révision ministérielle.
L’idée que le recours du ministre soit un recours extraordinaire et hautement discrétionnaire est exprimée dans l’ensemble des réformes de 2002. C’est le signe d’un système réactif, qui considère les erreurs judiciaires comme des événements extraordinaires, un peu comme les accidents d’avion.
En 2008, l’enquête sur la condamnation injustifiée de David Milgaard s’est conclue après que les réformes de 2002 aient été examinées :
[Traduction]
Le système de révision des condamnations au Canada est fondé sur la pensée que les condamnations injustifiées sont rares et que toute mesure de redressement accordée par le ministre fédéral est un recours extraordinaire. Un changement est nécessaire pour refléter la compréhension actuelle du caractère inévitable des condamnations injustifiées et de la responsabilité du système de justice pénale de corriger ses propres erreurs […] Je recommande que l’enquête sur les allégations de condamnation injustifiée soit confiée à un organisme de révision indépendant du gouvernement et que cet organisme, et non le ministre fédéral, exerce la fonction de gardiennote de fin d’ouvrage 60.
Nous sommes d’accord avec ces déclarations. Les erreurs judiciaires sont une caractéristique inévitable et commune de tout système de justice pénale à fort volume qui vise l’efficacité et encourage les gens à plaider coupable.
Comme l’affirme la professeure Kathryn Campbell dans son livre Miscarriages of Justice in Canadanote de fin d’ouvrage 61, les références fréquentes dans les réformes de 2002 au concept de « recours extraordinaire » sont archaïques. La professeure présente également en détail plus de 70 erreurs judiciaires qui ont été documentées au Canada.
Le Canada condamne environ 90 000 personnes par an à une peine d’emprisonnement pour des infractions criminelles. Si le taux d’erreurs était de 0,5 % – soit un taux d’erreur extrêmement faible – cela donnerait lieu à 450 erreurs judiciaires par année au paysnote de fin d’ouvrage 62. Les tribunaux travaillent aujourd’hui plus rapidement et le système judiciaire consacre moins de temps aux affaires moins graves qu’aux affaires d’homicide, lesquelles représentent la majorité des erreurs judiciaires décelées. De nombreuses personnes expérimentées ayant été consultées ont indiqué que le risque de condamnation injustifiée pouvait être plus élevé dans les affaires moins graves que dans les affaires d’homicide. Bien qu’il soit impossible de savoir combien d’erreurs judiciaires se sont produites et continuent de se produire, nous pensons qu’il existe plus d’erreurs judiciaires les 20 demandes complètes que le ministre reçoit par année, ou que les 20 dossiers que le ministre a renvoyés aux tribunaux depuis 2002.
Le Groupe de la révision des condamnations criminelles
À la lumière d’un examen interne du ministère de la Justice mené après les deux demandes de renvoi faites par David Milgaard au ministre de la Justice, le Groupe de la révision des condamnations criminelles (GRCC) a été créé comme un groupe distinct composé d’avocats, dont le mandat est de conseiller le ministre en ce qui concerne les demandes. Ces avocats travaillent pour le ministère de la Justice, mais sont installés dans un bâtiment différent, à Ottawa. Le GRCC compte actuellement huit avocats, un parajuriste et un adjoint juridique, ainsi que deux étudiants en droit (par rapport à quatre avocats en 2016-2017).
Le ministre dispose également d’un conseiller spécial en matière de condamnations injustifiées, qui a pour mandat d’examiner les demandes à différentes étapes du processus de révision et de fournir des conseils juridiques indépendants et spécialisés au ministre de la Justice, y compris des avis et des recommandations à l’égard des mesures de redressement appropriées, s’il y a lieu. En 2018, son mandat a été élargi par décret pour lui permettre de faire des recommandations au ministre de la Justice en vue d’améliorer le processus de révision et de régler tout problème systémique relevé lors de la révision des demandes. Le conseiller spécial actuel est le juge de la Cour suprême à la retraite Morris Fish.
Exigences relatives à la présentation d’une demande complète au ministre
L’une des principales faiblesses du processus actuel est la lourde charge imposée aux demandeurs. Pour qu’une demande de recours auprès du ministre soit acceptée comme complète, elle doit inclure des copies conformes des transcriptions du procès et de tout mémoire d’appel, des jugements des tribunaux et de tout document déposés à l’appui de toute requêtenote de fin d’ouvrage 63. Les demandeurs sont également invités à signer des formulaires pour consentir à la divulgation de renseignements personnels et pour renoncer au secret professionnel qui protège la divulgation de renseignements partagés entre eux et leurs avocats.
Le traitement d’une demande présentée au ministre comporte quatre étapes.
1) Évaluation préliminaire
Après que le demandeur ait procédé au fastidieux processus de soumission de tous les éléments requis pour compléter sa demande, le GRCC effectuera une évaluation préliminaire des transcriptions et des décisions. Le Groupe peut demander de consulter les dossiers de la défense, des corps policiers et du ministère public, et même interroger des témoins et obtenir des rapports d’experts au cours de ce processus d’évaluation préliminaire, qui est souvent assez long. Le GRCC nous a informés que ces délais sont souvent causés par l’attente de réponses de la part de tiers pour l’obtention de renseignements.
Il existe au moins trois décisions judiciaires qui stipulent que le GRCC n’a pas le pouvoir ministériel d’exiger la production de documents ou que quelqu’un réponde à des questions avant qu’une demande ne fasse l’objet d’une enquête officiellenote de fin d’ouvrage 64.
Ainsi, au stade de l’évaluation préliminaire, le GRCC doit compter sur la coopération volontaire des corps policiers, des procureurs, des témoins potentiels et d’autres personnes. Cette situation accroît l’impasse identifiée par les tribunaux, à savoir que les demandeurs peuvent avoir de la difficulté à convaincre le GRCC d’entamer une enquête, si eux-mêmes ou le GRCC n’ont pas accès aux documents nécessaires. Dans certains cas, les demandeurs sont obligés d’engager des procédures contre la poursuite relativement aux demandes de divulgation post-condamnation.
La plupart des demandes présentées au ministre sont rejetées à l’étape de l’évaluation préliminaire et le demandeur dispose d’un an pour décider s’il souhaite contester cette décision.
2) Enquête
Si le GRCC conclut qu’il pourrait y avoir des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite, l’affaire doit, selon le règlement, passer au stade de l’enquêtenote de fin d’ouvrage 65. La seule exception est si, « pour éviter un déni de justice ou pour des raisons humanitaires, une décision [du ministre] doit être rendue promptement […] »note de fin d’ouvrage 66.
Une fois qu’un dossier est passé à l’étape de l’enquête, les avocats du GRCC ou les avocats ou agents indépendants exercent les pouvoirs qui leur sont délégués par le ministre pour exiger la production de documents et enjoindre des témoins de répondre à des questions sous serment. Le GRCC nous a informés qu’il donnait la priorité aux cas méritoires des demandeurs qui sont toujours en détention.
3) Rapport d’enquête et transmission
Une fois l’enquête terminée, un rapport d’enquête est rédigé et transmis au demandeur et au procureur, sous réserve d’engagements de confidentialité. En vertu du règlement, le demandeur dispose d’un an pour répondre au rapport d’enquêtenote de fin d’ouvrage 67.
Le GRCC présente ensuite ses conseils au ministre de la Justice, lesquels ne sont pas divulgués au demandeur, car ils sont soumis au secret professionnel de l’avocat. Kerry Scullion, l’ancien chef du GRCC, avait défendu cette pratique en se basant sur le fait qu’[traduction] « il existe très peu de cas […] pour lesquels les conseils dispensés à un ministre fédéral sont rendus publics »note de fin d’ouvrage 68. Ce processus de divulgation des rapports d’enquête et des réponses ajoute au délai nécessaire au ministre pour décider de la mesure de redressement à prendre, le cas échéant.
4) Décision du ministre
Le ministre peut, et non doit, accorder une mesure de redressement s’il y a des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite. Ce pouvoir discrétionnaire s’applique également pour établir si la mesure de redressement devra être un nouveau procès ou un nouvel appel. Étant donné qu’aucun motif n’est donné pour les renvois, nous ne connaissons pas les raisons pour lesquelles le ministre, depuis 2003, a prescrit un nouveau procès dans huit des 20 affaires faisant l’objet d’une demande, et a renvoyé la cause pour un nouvel appel dans 12 de ces 20 affaires.
L’article 696.4 du Code criminel codifie les normes énoncées pour la première fois par l’ancien ministre de la Justice Allan Rock, dans le but de structurer et de clarifier le processus décisionnel du ministre et de faire en sorte que la révision ministérielle ne devienne pas simplement une autre voie d’appel. Comme nous l’avons mentionné précédemment, la référence dans cet article au renvoi devant les tribunaux comme étant un « recours extraordinaire » est sans doute archaïque. Il est ainsi libellé :
Lorsqu’il rend sa décision en vertu du paragraphe 696.3(3), le ministre de la Justice prend en compte tous les éléments qu’il estime se rapporter à la demande, notamment :
a) la question de savoir si la demande repose sur de nouvelles questions importantes qui n’ont pas été enquêtée par les tribunaux ou prises en considération par le ministre dans une demande précédente concernant la même condamnation ou la déclaration en vertu de la partie XXIV;
b) la pertinence et la fiabilité des renseignements présentés relativement à la demande;
c) le fait que la demande présentée sous le régime de la présente partie ne doit pas tenir lieu d’appel ultérieur et les mesures de redressement prévues sont des recours extraordinaires.
Depuis 2003, 186 décisions finales au sujet de demandes ont été prises par le ministre avec l’aide du GRCC : 154 demandes ont été rejetées à l’étape de l’évaluation préliminaire; 32 demandes ont atteint la seconde étape d’enquête de la révision. Tel qu’indiqué précédemment, le ministre a finalement ordonné un recours sous la forme d’un nouveau procès ou d’un appel pour 20 demandes. En outre, le GRCC compte actuellement 45 demandes actives, dont 11 en sont à l’étape de l’enquête.
Ce que nous avons entendu au sujet du processus actuel
Nous respectons et accueillons favorablement la décision du ministre de passer à un nouveau modèle de commission indépendante pour les renvois. Nous pensons cependant qu’il est important de rapporter les commentaires que nous avons entendus au sujet du système actuel, car cela aura une incidence directe sur la conception de la nouvelle commission.
Innocence Canada s’est plaint des délais et du manque de transparence du processus de révision ministériellenote de fin d’ouvrage 69 et nous avons également entendu ce commentaire de la part d’autres personnes. Bien qu’Innocence Canada soumette davantage de demandes auprès du ministre depuis 2015, l’organisme a noté que seulement 10 des 24 disculpations qu’il a obtenues sont passées par le processus de révision ministériellenote de fin d’ouvrage 70. Les autres disculpations ont été obtenues grâce à des appels accueillis hors délai par la Cour suprême du Canada et les cours d’appel.
Innocence Canada a également cité des affaires où ses demandeurs ont dû attendre plus de trois ans pour que soit rendue une décision sur le passage de leur demande à l’étape d’enquête du processus de révision ministériellenote de fin d’ouvrage 71. L’organisme a ainsi indiqué que les délais d’obtention de mesures de redressement du ministre avaient augmenté. Par exemple, l’affaire Glen Assoun a été entre les mains du ministre pendant 5,9 ans, et l’affaire Jacques Delisle pendant 5,8 ans. Dans l’affaire Tomas Yebes, le projet Innocence de l’Université de la Colombie-Britannique a soumis une demande au ministre en 2019 (après avoir travaillé dans le dossier pendant 9 ans). Le ministre a ordonné un nouveau procès à la fin de l’année 2020 et, début 2021, M. Yebes a été acquitté du meurtre de ses deux fils qui aurait été perpétré lors de l’incendie, en 1982, de la maison dans laquelle il habitait avec eux.
Innocence Canada s’est également dit préoccupé par le dédoublement du travail d’enquête qu’il effectue lui-même et celui qu’effectue le GRCC. L’organisme affirme que le GRCC fait appel à ses propres experts, ce qui, selon lui, est [traduction] « une caractéristique d’un système accusatoire plutôt que d’un système inquisitoire »note de fin d’ouvrage 72. Le GRCC a répliqué en expliquant qu’il devait mener sa propre enquête indépendante et impartiale, distincte de celle du demandeur ou de celle du procureur.
Notre objectif n’est pas de ressasser ou de juger les griefs existants entre Innocence Canada et le GRCC, mais plutôt de souligner la nécessité pour une nouvelle commission d’être ouverte et collaborative.
Les membres du projet Innocence de l’UCB nous ont fait part d’expériences plus réussies, en particulier lorsqu’il s’agissait de traiter avec des avocats externes d’expérience, qui s’étaient vu déléguer certains des vastes pouvoirs d’enquête du ministre de la Justice en vertu du paragraphe 696.2(3) du Codenote de fin d’ouvrage 73.
Des préoccupations ont également été soulevées quant à la nécessité d’attendre que les corps policiers et les procureurs examinent les dossiers pour y déceler des renseignements confidentiels avant de les remettre au ministre ou à son délégué. Nous pensons que cela pourrait être un problème grave, surtout si l’on tient compte de ce que le comité FPT CPP nous a dit au sujet de la possibilité de contester des revendications de privilèges. Nous recommanderons donc plus loin que la commission canadienne, comme la commission anglaise, possède des pouvoirs très bien définis afin d’obtenir tous les renseignements qui lui semblent pertinents, indépendamment des revendications de privilège.
Des experts du milieu universitaire nous ont également fait part de leurs préoccupations quant au fait que les renseignements fournis dans les rapports annuels au sujet de la révision des condamnations criminelles en vertu de l’article 696.5 devraient être beaucoup plus rigoureux. Les rapports ne contiennent pas de renseignements d’ordre démographique sur le groupe ethnique, la langue, les incapacités, le genre, l’identité de genre, l’âge ou d’autres caractéristiques personnelles des demandeurs ou des bénéficiaires de recours. Nous avons demandé ces renseignements au GRCC, mais il n’a pu fournir que des renseignements concernant le genre, car aucune autre caractéristique personnelle pouvant être pertinente à l’égard des questions de discrimination et de désavantages systémiques n’a été recueillie auprès des demandeurs.
Il serait également utile que les rapports annuels contiennent davantage de renseignements sur les tendances et les causes des condamnations injustifiées, ainsi que sur le résultat des affaires qui sont renvoyées devant les tribunaux. Comme il le sera suggéré plus loin, un tel changement s’inscrirait comme faisant partie d’une réforme nécessaire, faisant passer une approche réactive administrant les demandes individuelles à une approche plus proactive et agissant au niveau systémique.
Révision ministérielle et accès à la justice
Il existe plusieurs façons de mesurer l’efficacité du système actuel de révision ministérielle en matière d’accès à la justice.
1. Nombre de demandes
De 2003 à 2015, le ministre de la Justice a reçu en moyenne cinq demandes de révision complètes par an. Depuis 2016, le ministre de la Justice et le GRCC ont reçu environ 18 demandes complètes par année, pour un total de 186 demandes depuis 2003. Comme nous l’avons indiqué précédemment, le GRCC compte actuellement 45 demandes actives, dont 11 ont atteint la seconde étape de l’enquête.
En comparaison, la commission anglaise, qui entend également les demandes pour le Pays de Galles et pour l’Irlande du Nord, reçoit environ 1 500 demandes par année. La population combinée de ces pays représente moins du double de celle du Canada.
La commission écossaise a pour sa part reçu 2 883 demandes entre 1999 et juillet 2021, soit une moyenne de 131 demandes par année. De 1998 à aujourd’hui, le ministre de la Justice du Canada a reçu 265 demandes. Le Canada compte 37,5 millions d’habitants, contre 5,4 millions pour l’Écosse.
La commission norvégienne a reçu 232 demandes au cours de sa première année, en 2004, et approximativement 150 à 170 demandes chaque année depuis, contre 186 demandes reçues au total par le ministre du Canada depuis 2003note de fin d’ouvrage 74. La Norvège compte environ 5,3 millions d’habitants.
De 2006 à juillet 2021, la North Carolina Innocence Inquiry a reçu 2 971 demandesnote de fin d’ouvrage 75, soit une moyenne de 198 demandes par année. La Caroline du Nord a une population d’environ 10 millions d’habitants.
La commission néo-zélandaise avait reçu 267 demandes en date du mois de juillet 2021, soit une moyenne de 16 demandes par moisnote de fin d’ouvrage 76. Les Maoris ont présenté 102 de ces demandes, les peuples insulaires du Pacifique en ont présenté 16 et 19 ont été présentées par des femmes. La population de la Nouvelle-Zélande se chiffre à un peu plus de cinq millions d’habitants.
Ces statistiques montrent clairement que les commissions existantes reçoivent beaucoup plus de demandes que le ministre dans le système actuel de révision ministérielle du Canada. Il faut toutefois reconnaître que toutes les commissions existantes, à l’instar du système canadien actuel, rejettent la grande majorité des demandes, c’est-à-dire qu’elles ne renvoient pas leurs dossiers devant les tribunaux. Cela dit, ces commissions fournissent des motifs aux demandeurs pour justifier leurs décisions. La divulgation de ces motifs peut aider les personnes à comprendre pourquoi elles ont été condamnées, ainsi qu’à savoir si elles ont encore des options pour faire appel auprès du système judiciaire.
2. Nombre d’affaires renvoyées devant les tribunaux
Une autre façon de mesurer l’accès à la justice est le nombre d’affaires renvoyées devant les tribunaux qui aboutissent à une condamnation effectivement annulée.
Depuis 1999, la commission écossaise a renvoyé 85 condamnations, dont 41 ont été annulées. Depuis 1997, la commission anglaise a renvoyé 750 affaires devant la Cour d’appel; de ce nombre, la Cour a tranché en faveur du demandeur dans 522 appelsnote de fin d’ouvrage 77. La commission norvégienne a rouvert 351 dossiers depuis 2004, et la commission de Caroline du Nord a renvoyé devant les tribunaux 19 dossiers concernant 27 personnes condamnées.
Comme cela est indiqué précédemment, depuis les réformes de 2002, le ministre de la Justice du Canada a renvoyé 20 affaires devant les tribunaux. Depuis 1998, le ministre a renvoyé 31 affaires devant les tribunaux. Les totaux du Canada, beaucoup plus bas que ceux des autres pays – par exemple, 31 affaires au Canada depuis 1998 contre 750 affaires en Angleterre depuis 1997 – sont saisissants.
En 2017, les professeurs Emma Cunliffe et Gary Edmond ont écrit :
[Traduction]
[Nous] croyons que le taux réel de condamnations injustifiées au Canada est susceptible d’être largement comparable à celui qui a été documenté dans les systèmes ayant adopté des procédures plus rigoureuses pour réduire l’incidence des condamnations injustifiées et pour les détecter lorsqu’elles se produisent[…] Si le taux de condamnations injustifiées identifiables au Canada est à peu près le même, par habitant, que celui de l’Angleterre et du Pays de Galles ou de l’Écosse, on s’attendrait alors à ce qu’un processus de révision des condamnations criminelles efficace renvoie environ douze appels fructueux par annéenote de fin d’ouvrage 78.
Depuis 2003, le ministre de la Justice renvoie environ une affaire par année devant les tribunaux. Cela confirme l’idée que le renvoi par le ministre soit en fait un recours extraordinaire. Néanmoins, nous doutons que les erreurs judiciaires soient si rares au Canada, par rapport au nombre beaucoup plus important de renvois et d’annulations de condamnations faits par les commissions d’Angleterre, d’Écosse, de Norvège et de Caroline du Nord.
3. Nombre de renvois réussis et aversion au risque
Les commissaires anglais et écossais renvoient une proportion importante d’affaires pour lesquelles la condamnation ou la peine n’est pas annulée par les tribunaux. En Angleterre, 750 appels ont été entendus à la suite de renvois depuis 1997, mais 212 de ces appels ont été rejetés par la Cour d’appel. La commission écossaise est encore moins réticente au risque. Elle a renvoyé 85 condamnations devant les tribunaux, les appels n’ayant été autorisés que pour 41 de ces casnote de fin d’ouvrage 79.
La quasi-totalité des 20 affaires renvoyées par le ministre depuis 2003 s’est soldée par un acquittement. Dans quatre de ces affaires, (Steven Truscott, William Mullins-Johnson, Erin Walsh et D.S.), la Cour d’appel provinciale a prononcé un acquittement et dans une autre (Frank Ostrowski), elle a suspendu les procédures. Dans six affaires (Daniel Wood, André Tremblay, Roméo Phillion, L.G.P., Eric Biddle et Yves Plamondon), la Cour d’appel provinciale a ordonné un nouveau procès après avoir entendu l’appel, mais le procureur a décidé de ne pas poursuivre.
Dans huit affaires (Steven Kaminski, Rodney Cain, Darcy Borge, James Driskell, Kyle Unger, Glen Assoun, Tomas Yebes et Jacques Delisle), le ministre a prescrit un nouveau procès. L’affaire Delisle est toujours devant les tribunaux, mais les procureurs ont refusé de poursuivre tous les autres accusés, à l’exception de Rodney Cain. M. Cain, qui avait été initialement condamné pour meurtre, a été reconnu coupable d’homicide involontaire lors de son nouveau procèsnote de fin d’ouvrage 80.
Ces résultats suggèrent que le ministre n’a renvoyé vers les tribunaux que des affaires illustrant clairement des erreurs judiciaires. Cela peut découler de l’application du critère élevé selon lequel le ministre doit pouvoir conclure, en vertu de l’article 696.3 du Code, qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite. Comme nous le verrons dans la partie J du présent rapport, la norme canadienne en matière de renvoi est plus élevée que la norme anglaise de possibilité raisonnablenote de fin d’ouvrage 81, ou que la norme écossaise selon laquelle une erreur judiciaire pourrait s’être produite.
Les résultats ci-dessus peuvent également refléter le fait que le système réactif de révision ministérielle pourrait encourager des demandes dans les cas qui sont clairement des erreurs judiciaires. Nous avons été informés par le GRCC que les 20 personnes qui ont obtenu des mesures de redressement de la part du ministre étaient toutes représentées par un avocat. Cela est compréhensible, étant donné les exigences qu’un système réactif impose aux demandeurs pour surmonter l’impasse à laquelle ils font face, à savoir d’être capable de produire de nouvelles questions importantes pour le ministre de la Justice, afin de justifier le recours extraordinaire à un renvoi.
Cependant, 132 des 186 personnes ayant demandé des mesures de redressement auprès du ministre depuis 2003 n’étaient pas représentées par un avocat. Toutes ces personnes ont vu leur demande rejetée. Ces demandeurs ont eu la possibilité de répondre au GRCC relativement à ces décisions, mais ils ont peut-être été désavantagés de devoir le faire sans l’aide d’un avocat. Quoi qu’il en soit, il semble que la présence d’un avocat et d’un dossier très solide indiquant qu’une erreur judiciaire a probablement eu lieu soit nécessaire pour obtenir des mesures de redressement auprès du ministre.
4. Les caractéristiques démographiques des demandeurs ayant réussi à obtenir un recours
Les 20 dossiers renvoyés par le ministre depuis 2002 concernent des hommes. Un seul recours a été accordé à un Autochtone (William Mullins-Johnson) et un autre a été accordé à un Noir (Rodney Cain).
Aucun des renvois ne provenait de la Saskatchewan ou des territoires du Nord, où vit la plus forte concentration d’Autochtones au Canada. Seuls trois demandeurs ayant obtenu des mesures de redressement étaient originaires du Québec, et aucun ne venait de Terre-Neuve ou de l’Île-du-Prince-Édouard.
Cette répartition démographique des demandeurs ayant réussi le processus est probablement une représentation des problèmes d’accès à la justice. Cela est particulièrement évident compte tenu de la quantité de travail et du niveau d’enquête que nécessite la préparation d’une demande de révision ministérielle, incluant la résolution des difficultés du demandeur à identifier de nouvelles questions importantes, et le fait que tous les demandeurs ayant réussi à obtenir un recours étaient représentés par un avocat.
Innocence Canada nous a gracieusement fourni, dans ses observations écrites, des renseignements sur les caractéristiques démographiques de ses dossiers actuelsnote de fin d’ouvrage 82. La comparaison entre ces données et les demandeurs qui ont obtenu de recours par le ministre est à la fois frappante et troublante.
Innocence Canada rapporte que 7 % de ses dossiers actuels concernent des femmes. Comme cela est indiqué précédemment, aucune femme n’a obtenu de recours par le ministre depuis 2003, et une seule femme a obtenu une mesure de redressement depuis 1998.
Innocence Canada indique en outre que 21 % de ses dossiers concernent des demandeurs autochtones. Bien que ce pourcentage ne reflète pas le fait que plus de 30 % de la population carcérale canadienne soit autochtone, ce taux est certainement plus près que celui de 1 cas sur 20, ou 5 % des demandes de mesures de redressement accordées par le ministre impliquant un homme autochtone.
Innocence Canada rapporte que 18 % de ses demandeurs sont Noirs, encore une fois un taux plus élevé que celui des mesures de redressement accordées par le ministre se chiffrant à 1 sur 20 concernant un homme noir.
D’autres problèmes liés à l’accès à la justice sont probablement vécus par les personnes vivant avec une incapacité, par celles dont l’anglais ou le français est la deuxième ou la troisième langue, ou pour d’autres motifs de discrimination illicite. Malheureusement, le GRCC ne recueille pas ces données. Nous reviendrons sur cette question.
Sommaire
On peut s’attendre à ce que le nombre de demandes présentées à la nouvelle commission augmente considérablement. La commission néo-zélandaise reçoit 16 demandes par mois et la Nouvelle-Zélande compte un peu plus de 5 millions d’habitants. Il n’y a aucune raison particulière de penser que la Nouvelle-Zélande aurait moins d’erreurs judiciaires que le Canada. Les deux pays affichent une surreprésentation flagrante de la population autochtone en prison mais, comme nous le verrons plus loin, cette surreprésentation au Canada, vu le taux de personnes autochtones dans les deux pays, est encore plus élevée qu’en Nouvelle-Zélande.
Depuis 2016, le système canadien actuel reçoit trois fois plus de demandes complètes qu’auparavant. Cela souligne la nécessité de doter la nouvelle commission de ressources adéquates.
Les données relatives à la sous-représentation des femmes, des Autochtones et des Noirs parmi les personnes bénéficiant de mesures de redressement accordées par le ministre sont très préoccupantes. Elles indiquent la nécessité d’une approche plus proactive, qui nécessitera des mesures de sensibilisation, d’adaptation et de soutien aux demandeurs. Ces données, comparées à la surreprésentation des Autochtones et des Noirs dans les prisons canadiennes, suggèrent que le système actuel ne traite qu’une partie de l’iceberg que représentent les erreurs judiciaires, c’est-à-dire la partie qui est composée principalement d’hommes blancs.
D. La structure de la nouvelle commission
Le nom de la nouvelle commission
Option 1 : Commission canadienne d’examen des affaires pénales
Cette option aurait l’avantage d’une reconnaissance du nom de commissions étrangères. Cependant, cette reconnaissance est plus probable parmi les acteurs du système de justice pénale que parmi les potentiels demandeurs.
Option 2 : Commission canadienne de révision des condamnations
Cette option permettrait d’éviter l’utilisation du mot « pénal », ce qui est approprié à la lumière du mandat de lutter contre les condamnations injustifiées. Elle a également l’avantage de conserver l’acronyme CCRC qui est connu de certains avocats et projets Innocence.
Option 3 : Commission sur les erreurs judiciaires
Cette option a l’avantage de se concentrer à la fois sur les enquêtes et sur la prévention des erreurs judiciaires ainsi que de faire état du motif de renvoi existant.
Option 4 : Commission sur les erreurs judiciaires Donald Marshall fils et/ou Joyce Milgaard
Un important débat a eu lieu récemment au Canada et ailleurs sur les personnes qui sont représentées et célébrées en tant que personnages historiques et sur l’exclusion d’Autochtones et de membres d’autres groupes marginalisés. Le regretté Donald Marshall fils a été la première personne de l’ère moderne à être disculpée de sa condamnation injustifiée. La regrettée Joyce Milgaard a joué un rôle de premier plan dans la correction de la condamnation injustifiée de son fils David et a défendu la cause d’autres personnes condamnées à tort.
Option 5 : un nom autochtone
La commission néo-zélandaise a été nommée Te Kāhui Tātari Ture par une communauté maorie de Hamilton, en Nouvelle-Zélande, là où elle est située. On pourrait traduire cette expression par « groupe d’attente/de connaissance ». Ce nom n’est pas utilisé dans la loi habilitante de la commission, mais il l’est dans le cadre d’interactions avec le public. Au Canada, un des défis à relever serait la diversité linguistique des peuples autochtones.
Ce que nous avons entendu
Plusieurs des personnes exonérées que nous avons consultées se sont opposées au choix du nom Commission d’examen des affaires pénales. Comme nous l’a dit Emily Bolton, directrice du groupe britannique APPEAL, les demandeurs à la commission sont des personnes ayant une famille, et non des « affaires pénales ». Ces demandeurs s’attendent à ce que leur dossier fasse l’objet d’une enquête, pas seulement d’un examen sur dossier.
Un groupe comprenant David Milgaard et Ron Dalton, toutes deux des personnes exonérées, nous a dit que Commission d’examen des affaires pénales est [traduction] « un titre sédentaire et ce titre n’explique pas son mandat aux membres du public. L’accent mis sur “pénales” n’est pas souhaitable. » Ce groupe a proposé un nouveau titre – [traduction] Commission d’identification d’erreurs judiciaires – qui, selon lui, serait plus informatif pour le publicnote de fin d’ouvrage 83.
Certaines personnes consultées nous ont dit que le nom de Commission d’examen des affaires pénales était répandu et devrait être utilisé.
Recommandation 4
Nous avons commencé ces consultations sous l’hypothèse, comme le reflète la lettre de mandat que nous a adressée le ministre de la Justice, que la nouvelle commission serait nommée Commission canadienne d’examen des affaires pénales. Nos consultations nous ont amenés à remettre en question, puis à écarter cette hypothèse.
En nous basant sur ce que nous avons entendu de personnes exonérées et de leurs défenseurs, nous sommes d’avis que la première option ne devrait pas être mise en œuvre. Bien que « commission d’examen des affaires pénales » soit une expression juridique, elle envoie un mauvais message. Les personnes qui font appel à la nouvelle commission sont des personnes en quête de justice. Elles ne sont pas des « affaires pénales ». La deuxième option, qui consiste à nommer la commission une « commission de révision des condamnations », ne représente qu’une amélioration partielle.
Nous recommandons la troisième option, soit Commission sur les erreurs judiciaires. Il est possible de combiner de manière créative cette option avec les options 4 et 5 si les familles et les communautés concernées y consentent. Conformément à l’idée selon laquelle la commission devrait être proactive et systémique, il est peut-être préférable de laisser la commission se pencher sur cette question plutôt que de l’imposer par la législation qui, nous l’espérons, sera adoptée rapidement.
Qui devraient être les commissaires?
Option 1 : des juristes et des experts en justice pénale
Les commissions anglaise, écossaise et néo-zélandaise exigent toutes qu’un tiers des commissaires soient des juristes ayant dix ans d’expérience au barreau et que deux tiers aient une expérience du système de justice pénale. Exiger que seulement les deux tiers des commissaires aient une expertise juridique ou une expertise en matière de justice pénale permet de garantir des perspectives de profanes parmi les commissaires.
Option 2 : des personnes vulnérables et des experts en matière de compétence culturelle et de la lutte contre la discrimination
La commission néo-zélandaise doit, selon la loi, compter au moins un membre ayant une connaissance ou une compréhension du te ao Māori et du tikanga Māori (expressions grossièrement traduites par la vision du monde et les pratiques correctes des Maoris). La loi néo-zélandaise est la seule loi habilitante qui traite expressément d’exigences en matière de diversité des commissaires. Aussi, il s’agit de la loi la plus récemment promulguée, les autres commissions ayant été créées dans les années 1990 ou au début des années 2000note de fin d’ouvrage 84.
Option 3 : le modèle des intervenants de justice pénale
La North Carolina Innocence Inquiry Commission est présidée par un juge en exercice de la cour supérieure. Elle doit également être composée d’un procureur, d’un avocat de la défense, d’un défenseur des victimes, d’un shérif, d’une personne qui n’est ni avocat ni employé de la justice et de deux autres membres discrétionnairesnote de fin d’ouvrage 85.
Ce que nous avons entendu
Le comité FPT CPP a soutenu l’approche de l’expertise en matière de justice pénale qui inclurait des juges d’appel expérimentés et d’autres personnes ayant [traduction] « une expérience considérable des deux champs de pratique : du point de vue de la Couronne et celui de la défense. » Le Projet Innocence Québec a également soutenu une commission composée d’anciens praticiens du droit pénal, tout comme le professeur Julian Roberts d’Oxford.
En revanche, le groupe dirigé par David Milgaard et James Lockyer a fait valoir qu’un modèle d’expertise en matière de justice pénale n’était pas approprié parce qu’un tel modèle [traduction] « aurait probablement pour conséquence que des juges à la retraite, des procureurs de la Couronne et d’autres acteurs du système de justice pénale ayant joué des rôles du même genre que celui des procureurs deviennent des commissaires […]. Le nouveau tribunal a besoin de commissaires qui ne sont pas issus d’une culture décisionnelle ou de poursuite »note de fin d’ouvrage 86. Ils ont ajouté qu’un tel groupe serait trop enclin à s’en remettre aux tribunaux et à ne pas partir [traduction] « du principe que les tribunaux font amplement d’erreurs »note de fin d’ouvrage 87. David Milgaard nous a dit que [traduction] « la sagesse des personnes exonérées devrait se refléter dans la composition de la commission ».
Certaines personnes exonérées nous ont dit que le fait d’avoir un juge à la retraite à la tête de la commission conférerait de la crédibilité à cette dernière, y compris auprès des tribunaux, étant donné que la commission renverra souvent des affaires devant les cours d’appel.
Une personne a exprimé une certaine opposition à l’exigence que les Autochtones ou les personnes racisées soient représentés parmi les commissaires. Toutefois, même cette personne a reconnu la nécessité d’une telle représentation au sein du personnel de la commission.
D’autres, comme Marjorie Villefranche de la Maison d’Haïti, ont insisté sur la nécessité d’une diversité parmi les commissaires et le personnel afin de disposer d’une « masse critique de différents milieux et de diverses sensibilités. »
L’ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels, Heidi Illingworth, a fait valoir l’importance d’une participation d’Autochtones à la commission. Elle a affirmé que [traduction] « il faudrait certainement mettre l’accent sur les personnes vulnérables et sur la compétence/l’humilité culturelle, car ces éléments sont souvent absents ou manquants dans les processus traditionnels de justice pénale. […] Il sera important d’éliminer la colonisation des processus attribuable au déséquilibre des pouvoirs entre les victimes, les délinquants et les acteurs du système judiciaire, en particulier en ce qui concerne les Autochtones, auxquels le système de justice colonial a été imposé »note de fin d’ouvrage 88.
La troisième option, soit une approche axée sur les intervenants du système de justice pénale, n’a pas réellement reçu de soutien. L’Association canadienne des libertés civiles (ACLC) a fait valoir qu’il en résulterait une approche contradictoire alors que c’est une approche inquisitoire qui est requise. L’Association du Barreau canadien (ABC) a déclaré qu’un défenseur des victimes d’actes criminels ne devrait pas siéger à la commission parce qu’il injecterait [traduction] « des considérations qu’il vaut mieux laisser au domaine de la détermination de la peine et de l’impact sur la victime, plutôt qu’à celui de la révision des condamnations après le fait »note de fin d’ouvrage 89. Par ailleurs, elle a recommandé que des experts du système de justice pour les jeunes et des psychiatres judiciaires jouent un rôle au sein de la commission.
La plupart des personnes consultées se sont prononcées en faveur d’une combinaison des options 1 et 2, qui requiert une expertise en matière à la fois de justice pénale et de personnes vulnérables. La Fondation canadienne des relations raciales a recommandé que [traduction] « les commissaires soient des experts en justice pénale et qu’au moins deux sièges soient réservés à des défenseurs des Autochtones et des Noirs »note de fin d’ouvrage 90. Sarah Malik, de la South Asian Bar Association, et d’autres personnes ont exprimé leur inquiétude quant à l’exigence que tous les commissaires soient bilingues, car cette exigence pourrait nuire aux efforts visant à refléter une diversité raciale et socioéconomique au sein de la commission.
La Société des plaideurs nous a dit ceci : [traduction] « [i]l est important d’assurer la représentation de groupes en quête d’équité parmi les commissaires nommés et, en outre, de fournir à tous les commissaires une éducation et une formation sur le racisme systémique, la discrimination et les préjugés inconscients, en particulier en ce qui concerne les condamnations injustifiées de personnes appartenant à des groupes en quête d’équité »note de fin d’ouvrage 91.
Tamara Levy, du projet Innocence de l’UCB, a suggéré qu’en plus de représentants de communautés autochtones et racisées, il devrait y avoir une personne ayant l’expérience de femmes en prison, étant donné le rôle des stéréotypes liés au genre. Les professeures Cunliffe et Parkes de l’UCB ont également fait valoir que les femmes subissent souvent des types de condamnations injustifiées différents de ceux des hommes et que, souvent, elles plaident coupables en partie en raison de leurs responsabilités familialesnote de fin d’ouvrage 92.
Roslyn Shields, du Centre de toxicomanie et de santé mentale, et Caleigh Glawson, de la Law and Mental Disorder Association Canada (LAMDA), ont plaidé pour une combinaison d’expertise en matière de justice pénale et d’expérience vécue de populations vulnérables. La LAMDA a recommandé que [traduction] « [d]es personnes ayant une expérience vécue de graves problèmes de santé mentale, de préférence celles qui ont également vécu l’expérience d’une condamnation injustifiée ou d’un verdict erroné de non-responsabilité criminelle, participent à la constitution de la commission et/ou de tout groupe consultatif agissant auprès d’elle »note de fin d’ouvrage 93.
Robert Israel du projet Innocence McGill a défendu la représentation par un non-juriste. Il a fait valoir qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une formation juridique pour avoir du bon sens et que le bon sens joue un rôle important dans la découverte de condamnations injustifiées.
Plusieurs des Anglais consultés ont noté que le journaliste d’enquête David Jessel a servi avec compétence au sein de la commission anglaise. Innocence Canada a souligné que les journalistes d’enquête, à commencer avec Isabel LeBourdais et son livre de 1966 sur l’affaire Steven Truscott, ont joué un rôle clé dans la découverte de certaines erreurs judiciaires. Innocence Canada a reconnu le rôle joué par les journalistes d’enquête en nommant un prix en l’honneur de la regrettée Tracey Tyler du Toronto Star. L’organisme a toutefois averti que [traduction] « ces dernières années, la couverture accordée aux condamnations injustifiées a diminué »note de fin d’ouvrage 94.
Michael Pollanen, le médecin légiste en chef de l’Ontario, nous a confié qu’une commission moderne doit avoir une expertise multidisciplinaire, notamment en sciences judiciaires et en médecine légale. Un certain nombre d’experts judiciaires ont indiqué qu’une expertise en statistiques serait utile étant donné les développements dans le domaine des sciences judiciaires. Quelques personnes consultées ont toutefois exprimé la crainte que la commission ne s’en remette trop à un expert judiciaire qui est un commissaire ou qu’on demande à de tels experts de se prononcer sur des questions ne relevant pas de leur compétence. Selon ces personnes, l’expertise judiciaire devrait être obtenue au cas par cas.
Recommandation 5
Un large soutien a été exprimé en faveur d’une combinaison des options 1 et 2 afin de pouvoir compter sur une expertise à la fois en matière de justice pénale et de personnes vulnérables. Nous sommes de cet avis.
Nous recommandons qu’un tiers des commissaires aient des compétences juridiques, qu’un autre tiers ait une expérience des causes et des conséquences d’erreurs judiciaires et qu’un autre tiers représente des groupes surreprésentés en prison qui sont désavantagés pour demander réparation. Cela devrait comprendre au moins un commissaire autochtone et un commissaire noir. Il doit également y avoir un nombre important de femmes commissaires.
Des exigences législatives imposant la nomination de membres de groupes vulnérables et de femmes au titre de commissaires contribueront à garantir que certains des commissaires sont familiers avec l’expérience de la victimisation découlant du crime. Les Autochtones, les Noirs, les femmes et les personnes handicapées sont tous surreprésentés parmi les victimes de crimesnote de fin d’ouvrage 95.
Comme nous l’avons vu dans la partie C du présent rapport, il existe de réelles inquiétudes quant au fait que les personnes appartenant à des groupes vulnérables et défavorisés ne demandent pas d’allégement ou ne reçoivent pas des mesures de redressement de la part du ministre à la hauteur de leur surreprésentation dans les prisons. De plus, comme nous l’avons mentionné plus haut, seule une des 20 personnes ayant reçu un recours du ministre depuis 2002, William Mullins-Johnson, était autochtone. Aucune femme autochtone n’a obtenu une mesure de redressement, alors que les femmes autochtones représentent plus de 40 % de la population carcérale féminine. Une seule des 20 personnes ayant reçu un recours, Rodney Cain, était noire, alors qu’environ 9 % de la population carcérale au Canada est noire.
Il existe un précédent pour la représentation statutaire de groupes défavorisés au sein d’une commission. La commission néo-zélandaise a l’obligation légale de compter un commissaire connaissant la vision du monde des Maoris. On nous a dit que la commission néo-zélandaise compte deux commissaires et un premier dirigeant qui sont Maoris, ainsi qu’un autre commissaire ayant une expertise dans le traitement des habitants des îles du Pacifique au sein du système judiciaire.
Les arguments selon lesquels la représentation des Maoris dans le système de justice pénale néo-zélandais est plus sévère que celle des Autochtones au Canada et rend l’approche néo-zélandaise inutile sont malavisés. Les Maoris sont surreprésentés dans les prisons néo-zélandaises, quatre fois plus qu’au sein de la population, tandis que les Autochtones du Canada sont surreprésentés six fois plus qu’au sein de la populationnote de fin d’ouvrage 96.
Les exigences légales en matière de diversité devraient fixer des planchers et non des plafonds pour l’inclusion de personnes issues de groupes défavorisés. Comme l’ont souligné les représentants de l’Association du Barreau canadien, tous les commissaires devraient être traités sur un pied d’égalité. De plus, tous les commissaires devraient contribuer aux délibérations de la commission. Les représentants ont également fait valoir que les condamnations injustifiées figurent parmi les nombreux traumatismes de la colonisation qui doivent être mieux compris par tous ceux qui exercent le pouvoirnote de fin d’ouvrage 97.
Il convient également de prêter attention à la représentation d’autres groupes qui sont vulnérables aux erreurs judiciaires et désavantagés pour les faire corriger. Cette dernière catégorie devrait, dans une certaine mesure, être laissée ouverte pour tenir compte de l’évolution des connaissances et de la recherche.
La plupart des personnes consultées ont démontré de manière convaincante que des compétences juridiques sont requises pour décider si une affaire sera renvoyée devant les tribunaux et déterminer comment une erreur judiciaire s’est produite. Il est nécessaire de comprendre le droit pénal, le droit de la preuve, la procédure criminelle et la détermination de la peine. Nous avons envisagé, mais rejeté, l’exigence que les commissaires ayant des compétences juridiques aient dix ans d’expérience au barreau, car nous craignons que cela ne constitue un obstacle à la recherche de la diversité.
Pour des raisons similaires, nous ne pensons pas que tous les commissaires doivent être bilingues, dans la mesure où il existe des ressources adéquates pour fournir des services bilingues et des services d’interprétation. Il devrait y avoir des programmes de soutien pour permettre aux commissaires et au personnel de devenir bilingues. La commission devrait être tenue d’élaborer des politiques visant à garantir la maîtrise des langues officielles lorsque celle-ci est requise.
Nous accueillons aussi le point soulevé par Innocence Canada selon lequel les condamnations injustifiées sont devenues un domaine plus développé et spécialisé du droit et de la recherche. Il est donc approprié de mettre à jour les exigences anglaises originales en matière d’expertise en justice pénale en général avec une expertise plus spécialisée dans les causes et les conséquences d’erreurs judiciaires.
Une certaine représentation par des non-juristes est appropriée et souhaitable au sein de la commission. Avocats et experts portent une part de responsabilité dans les erreurs judiciaires. La nomination de non-juristes à la commission pourrait, nous l’espérons, donner aux demandeurs un certain degré de confiance dans le fait que la nouvelle commission n’est pas simplement une autre partie d’un système de justice pénale pouvant avoir un certain désir conscient ou inconscient de se défendre. La participation de non-juristes dotés d’un esprit critique peut également contribuer de manière significative aux enquêtes sur des erreurs judiciaires et à la découverte d’erreurs judiciaires.
Quelques personnes consultées ont plaidé en faveur d’une commission entièrement composée d’experts en matière de justice pénale, notamment de juges, de procureurs et d’avocats de la défense à la retraite. Nous reconnaissons que tous ces groupes pourraient contribuer au travail de la commission. Néanmoins, nous pensons qu’une telle approche sous-estimerait la méfiance compréhensible de nombreux requérants envers le système qui les a condamnés. Des experts en matière de justice pénale ont trop souvent beaucoup plus de points en commun entre eux qu’avec des demandeurs ayant généralement fait de la prison. Nous pensons également que des non-juristes ayant une expertise pluridisciplinaire en matière de justice pénale, des personnes ayant une expérience vécue et une expertise en matière de discrimination systémique ainsi que des profanes peuvent tous apporter une contribution importante aux travaux de la commission.
Exclusions prévues par la loi?
Le groupe Milgaard/Lockyer a suggéré que les employés et les récents employés des ministères fédéral et provinciaux de la Justice, y compris du GRCC, ne devraient pas siéger à la commission. Il fait valoir ceci : [traduction] « [l]e nouveau tribunal exige des commissaires qui ne sont pas issus d’une culture décisionnelle ou de poursuites judiciaires […] Les commissaires doivent avoir les compétences et le désir de se mettre au service des personnes vulnérables […] La nouvelle commission exige un état d’esprit qui permette à ses commissaires de voir les condamnations injustifiées sous l’angle de défaillances du système de justice pénale. Un modèle d’intervenants en justice pénale serait l’antithèse de cela »note de fin d’ouvrage 98.
Il existe certains précédents d’exclusion de personnes sur la base de leur profession passée ou présente, même si aucune des cinq commissions d’examen des affaires pénales existantes ne prévoit de telles exclusions. Par exemple, des membres en exercice et d’anciens membres de la GRC ne peuvent pas être membres de la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes relatives à la GRCnote de fin d’ouvrage 99. De même, les officiers, les militaires du rang et les employés du ministère de la Défense nationale ne peuvent être membres de la Commission d’examen des plaintes concernant la police militairenote de fin d’ouvrage 100. On pourrait faire valoir qu’aucun participant actuel du système de justice pénale, y compris policiers, procureurs, avocats de la défense, juges et experts judiciaires, ne devrait être commissaire. À notre avis, cette approche générale ou fondée sur la profession aux conflits d’intérêts est trop large et trop générale.
Nous acceptons les arguments du groupe Milgaard/Lockyer selon lesquels les commissaires doivent avoir un esprit ouvert et critique et qu’ils doivent comprendre et accepter les faiblesses du système de justice pénale, y compris celles liées au racisme systémique. Nous ne pensons pas, cependant, que la loi devrait prévoir une exclusion sur la base expresse des antécédents professionnels d’une personne.
Nous pouvons imaginer que certains anciens agents de police, procureurs, avocats de la défense, juges ou journalistes d’enquête ainsi que des personnes exonérées pourraient être d’excellents commissaires. Ce qui compte est la personne et son ouverture d’esprit, et non pas uniquement son parcours professionnel. Parallèlement, la composition démographique et pluridisciplinaire de la commission devrait faire l’objet d’une évaluation récurrente, tant par la commission que dans le cadre d’examens parlementaires menés à intervalles réguliers.
La commission devrait élaborer et faire connaître une politique forte en matière de conflits d’intérêts, mais nous ne pensons pas qu’il soit possible d’utiliser la loi pour empêcher certaines personnes de devenir commissaires.
Nombre de commissaires
Option 1 : une commission formée de 11 à 13 personnes
En Angleterre, la commission compte 12 membres. La commissaire en chef exerce le pouvoir exécutif et ne rend aucune décision relative à des demandes. La commission décide de renvoyer des affaires suite aux décisions de trois commissaires. La décision d’un seul commissaire suffit pour rejeter une demande.
Option 2 : une commission formée de neuf personnes
Une commission de neuf personnes pourrait facilement être divisée en groupes de trois commissaires. Aussi, cela refléterait le fait que le Canada a une population plus petite que l’Angleterre, le Pays de Galles et l’Irlande du Nord, mais que sa population est plus importante et sa géographie est beaucoup plus étendue que celles de l’Écosse, de la Norvège, de la Caroline du Nord et de la Nouvelle-Zélande.
Option 3 : une commission formée de trois à huit personnes
La commission norvégienne est la plus petite commission, n’étant formée que de cinq commissaires. Les commissions de la Nouvelle-Zélande, de l’Écosse et de la Caroline du Nord comptent sept ou huit commissaires. Les commissions de la Caroline du Nord et de la Norvège comptent aussi des membres suppléants au cas où certains commissaires seraient dans l’incapacité de voter.
Ce que nous avons entendu
Le groupe Milgaard/Lockyer a recommandé une commission formée de 11 membres à temps plein, laquelle pourrait être élargie à 13 membres si le nombre de demandes à traiter l’exigeait.
Un certain nombre des Anglais que nous avons consultés nous ont dit que la pratique anglaise actuelle, selon laquelle de nombreux commissaires travaillent un jour par semaine, n’est pas souhaitable étant donné les exigences du travail.
Recommandation 6
Nous sommes convaincus que l’option 3 (3 à 8 commissaires) ne conviendrait pas. Les commissions qui comptent ce nombre de commissaires desservent toutes des populations représentant moins d’un septième de la population du Canada (Écosse, Norvège et Nouvelle-Zélande) ou moins d’un tiers de la population du Canada (Caroline du Nord).
Par ailleurs, l’option 1, qui consiste à avoir de 11 à 13 commissaires, est peut-être trop ambitieuse, surtout si les commissaires travaillent à temps plein. Nous sommes préoccupés par le fait qu’un commissaire en chef qui ne décide pas non plus des demandes pourrait être trop concentré sur la réalisation de gains d’efficacité, s’éloignant ainsi des complexités d’enquêter des dossiers.
Nous recommandons l’option 2 (9 commissaires), avec une combinaison de commissaires à temps plein et à mi-temps. Le commissaire en chef et les deux commissaires en chef adjoints devraient être à temps plein ou presque. Un vice-président pourrait être chargé de veiller à ce qu’une attention suffisante soit accordée aux questions systémiques et à l’éducation sur les causes et les conséquences d’erreurs judiciaires. Un autre vice-président pourrait être chargé de veiller à ce qu’une attention suffisante soit accordée à la prestation de renseignements, au soutien et à la sensibilisation du public à la commission. En vertu de la loi, la commission devrait compter un minimum de 9 commissaires, mais elle aurait la possibilité de s’élargir à un maximum de 11 commissaires, au besoin. Nous notons que la législation anglaise exige un minimum de 11 commissairesnote de fin d’ouvrage 101.
La nomination de neuf commissaires dès le départ serait utile, car le GRCC transfèrera quelque 45 demandes en suspens à la nouvelle commission. Cela prévoit également un nombre suffisant de nominations pour assurer la la représentativité de la commission. Ce nombre de commissaires est suffisamment réduit pour permettre à tous les commissaires de participer à certaines ou peut-être à l’ensemble des décisions de la commission concernant le renvoi ou le refus de renvoi d’une demande aux tribunaux.
Nous ne sommes pas persuadés qu’il soit nécessaire d’avoir des commissaires suppléants, comme le prévoient les modèles de la Norvège et de la Caroline du Nord. Nous préférons avoir un plus grand nombre de commissaires pouvant participer à la prise de décisions plutôt que d’avoir des suppléants qui ne le peuvent pas.
Nous soulignons que le gouvernement doit soutenir la nouvelle commission à la fois par un budget suffisant et par la nomination et le maintien d’un effectif complet de commissaires. Nous sommes conscients que certains organismes de surveillance fédéraux, tels que la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC, ne comptent que le quart des membres que la loi leur permet d’avoir. Selon nous, la législation devrait clairement fixer le nombre de commissaires à un minimum de neuf, avec la possibilité d’en nommer deux autres au besoin.
Mandats
Option 1 : mandats renouvelables à titre inamovible
La plupart des commissions existantes prévoient des mandats renouvelables. En Angleterre, en Écosse et en Norvège, la loi limite les renouvellements de mandat à un seul. Les commissaires anglais ont désormais un mandat initial de trois ans, qui peut être reconduit pour un autre mandat de cinq ans.
Le processus de reconduction est controversé en Angleterre. Un commissaire qui n’a pas été reconduit dans ses fonctions à la suite de changements proposés par le ministère de la Justice pour réduire les coûts a contesté l’indépendance de la commission en demandant une révision judiciaire. Bien qu’elle ait constaté une « ingérence politique », la cour a estimé que la commission était indépendante, car l’ingérence était « un cas isolé »note de fin d’ouvrage 102.
Option 2 : mandats non renouvelables
En Norvège, le président de la commission a un mandat de sept ans (modifié par rapport à un mandat initial de cinq ans pour préserver la continuité) et ne peut être reconduit. Comme souligné plus haut, les autres membres ont un mandat de trois ans et peuvent être reconduits une fois.
Option 3 : mandats échelonnés
Les commissaires néo-zélandais ont été initialement nommés pour des mandats échelonnés d’une durée de trois à cinq ans.
Ce que nous avons entendu
Jonathan Rudin, directeur de programme pour Aboriginal Legal Services, et Jean Teillet, un avocat métis de premier plan, nous ont tous deux dit que le fait d’autoriser le renouvellement de mandats pourrait nuire à l’apparence d’indépendance de la commission. Ils craignaient qu’un commissaire ayant pris une position critique à l’égard du gouvernement ne soit pas reconduit dans ses fonctions.
En revanche, l’Association du Barreau canadien a suggéré que les commissaires aient des mandats renouvelables. L’ABC a également souligné la nécessité d’une indépendance vis-à-vis du gouvernement en déclarant que les commissaires, comme les juges, ne devraient pouvoir être révoqués que par une adresse conjointe des deux chambres du Parlement ou s’ils ne sont pas en mesure de remplir leurs fonctions.
Un ancien magistrat d’une cour d’appel nous a mis en garde contre un mandat trop court, surtout si la nomination ne peut être renouvelée.
Recommandation 7
Nous recommandons des mandats non renouvelables, mais échelonnés et des nominations à titre inamovible. Des mandats non renouvelables et à titre inamovible sont à notre avis nécessaires pour réaffirmer l’engagement du ministre de la Justice à ce que la commission soit indépendante et sans lien de dépendance avec le gouvernement.
Nous pensons également que les mandats échelonnés sont utiles pour assurer la continuité de l’expérience et attirer une diversité de commissaires experts. Certaines personnes peuvent être disposées à siéger à la commission, mais pour diverses raisons régionales, professionnelles ou familiales, ne peuvent ou ne veulent pas servir pendant un mandat de cinq ou de sept ans. Nous recommandons que le Canada suive la pratique de la Nouvelle-Zélande et nomme le premier groupe de commissaires pour des mandats échelonnés. Nous recommandons que le mandat maximal soit d’une durée de sept ans et que la présidente ou le président de la commission y siège pendant ce maximum. La période minimale de nomination devrait être de trois à quatre ans afin de permettre à tous les commissaires d’acquérir l’expérience nécessaire et de contribuer aux travaux de la commission.
Afin de garantir l’indépendance par rapport au gouvernement, tant dans les faits que dans la perception, il ne doit être possible de révoquer des commissaires que pour des motifs valables ou pour des raisons d’incapacité. L’enquêteur correctionnel du Canada, les membres de la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes concernant la GRC et les membres de la Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire sont nommés pour cinq ans. Pendant cette période, ils restent en fonction, sauf s’ils sont frappés d’incapacité ou s’il existe un motif de révocation. L’autre choix, celui de nominations « à titre amovible », minerait, selon nous, l’indépendance de la commission en indiquant qu’un gouvernement actuel ou futur peut révoquer les commissaires qui lui déplaisent.
Mode de nomination des commissaires
Option 1 : nomination par le ministre ou le gouverneur en conseil
À l’heure actuelle, les nominations par un ministre ou le gouverneur en conseil sont généralement effectuées après consultation du cabinet du premier ministre, du Bureau du Conseil privé, du cabinet du ministre responsable et d’un haut fonctionnaire du ministère du ministre responsable. Parfois, un comité de sélection est utilisé, les participants étant généralement issus des rangs gouvernementaux.
Option 2 : nomination par le ministre de la Justice ou le gouverneur en conseil après examen des candidatures et avis d’un comité indépendant
Les postes de commissaire pourraient être annoncés et les candidats qualifiés pourraient être vérifiés et interviewés par un comité consultatif indépendant. La commission néo-zélandaise disposait d’un groupe consultatif auquel siégeait notamment le commissaire en chef qui jouait un rôle dans la sélection des autres membres. Les comités indépendants ne jouent généralement aucun rôle dans les nominations par le gouverneur en conseilnote de fin d’ouvrage 103, mais ils pourraient jouer un rôle important en ce qui concerne l’instauration de la confiance dans l’indépendance de la nouvelle commission, son autonomie par rapport au gouvernement et sa non-appartenance à la sphère politique.
Option 3 : nomination par un comité indépendant
Un comité indépendant, dont la composition est similaire à celle de la commission, pourrait être créé et chargé d’interviewer des candidats. Au lieu de fournir une liste restreinte de choix à l’intention du ministre ou du cabinet, ce comité pourrait, en vertu d’une loi ou d’un engagement, faire la sélection finale qui serait ensuite ratifiée par le gouverneur en conseil.
Ce que nous avons entendu
L’expérience néo-zélandaise d’un comité consultatif ayant été chargé de mener des entrevues et ayant aidé à nommer les premiers commissaires a été une expérience positive qui a contribué à renforcer la confiance dans la nouvelle institution parmi une série de groupes concernés. Colin Carruthers, président de la commission de révision des affaires pénales de Nouvelle-Zélande, nous a dit que plus de 100 candidatures avaient été reçues pour les postes de commissaires. Le comité consultatif, composé de M. Carruthers et de représentants du gouvernement et des Maoris, a mené plus de 50 entrevues. Certains membres du comité consultatif ont ensuite été nommés commissaires.
Sir Robert Neill, membre du Parlement britannique connaissant bien la commission anglaise, a souligné l’importance d’un processus de nomination ouvert et concurrentiel, indépendant du gouvernement, afin de gagner la confiance du public. Les représentants de la commission anglaise nous ont dit qu’il existe des concours actifs pour recruter des commissaires. Dans le cadre du processus, les candidats sont invités à évaluer une demande modèle. Par ailleurs, un récent groupe parlementaire comptant des représentants de tous les partis a noté qu’un certain nombre de témoins avaient soulevé des inquiétudes quant à la façon dont les commissaires sont nommés à la commission anglaise. Il a conclu que le processus de nomination n’était pas transparent et que le fait que le premier ministre procède aux nominations à la commission « les place fermement dans l’arène politique »note de fin d’ouvrage 104.
Un représentant de la commission écossaise nous a dit que la commission n’a guère son mot à dire sur les personnes que le gouvernement y nomme. Il a également concédé qu’il y a actuellement un manque de représentation de personnes racisées et de personnes handicapées au sein de la commission.
Le groupe dirigé par James Lockyer et David Milgaard a proposé que le ministre de la Justice nomme les commissaires, mais qu’il [traduction] « désigne une personne chargée de recommander des commissaires appropriés. Cette personne ou ce conseiller doit avoir des antécédents et une expertise dans le domaine des condamnations injustifiées. Par exemple, l’honorable Irwin Cotler ferait un excellent choix. Il y en a d’autres. Le conseiller du ministre devrait avant tout choisir comme commissaires des femmes et des hommes qui ont l’habitude de travailler sur des dossiers de condamnations injustifiées. » Ils ont également recommandé que l’Assemblée des Premières Nations choisisse un membre autochtone et que l’Inuit Tapiriit Kanatami choisisse un membre Inuk.
L’Association canadienne des libertés civiles a souligné [traduction] « l’importance d’établir un processus de nomination indépendant du gouvernement », suggérant qu’« un comité de nomination indépendant soit établi et soit principalement composé de personnes ayant une expertise similaire à celle des commissaires eux-mêmes »note de fin d’ouvrage 105.
La sénatrice Kim Pate nous a souligné l’intérêt d’avoir des commissaires nommés par des groupes communautaires.
Le Dr Mike DeGagné, directeur général de l’ancienne Fondation autochtone de guérison, a fait valoir l’importance d’avoir les personnes les plus compétentes en poste tout en respectant l’impératif de représenter la diversité. Il a vivement recommandé que la commission soit proactive et communique ses besoins et ses préférences aux membres du gouvernement chargés de nommer les commissaires.
Recommandation 8
Nous craignons que le processus de nomination ne soit un maillon faible de l’engagement admirable du gouvernement de mettre sur pied une commission caractérisée par son indépendance, son autonomie par rapport au gouvernement et sa non-appartenance à la sphère politique. Nous croyons également qu’un processus de nomination innovateur est nécessaire parce que, depuis plus de 30 ans, des commissions d’enquête et d’autres reprochent au processus de révision ministérielle de ne pas être suffisamment séparé du gouvernement en place. Cela a généré une certaine méfiance. L’engagement du gouvernement en faveur d’une commission indépendante pourrait facilement être sapé par la simple perception que le processus de nomination n’a pas produit des commissaires intrépides et indépendants. Le processus de nomination doit aussi être crédible, en particulier si, comme nous le suggérons, la loi n’interdit pas à d’anciens acteurs du système de justice pénale de siéger à la commission.
Pour les raisons susmentionnées, nous pensons qu’une version de l’option 3, à savoir la création d’un comité indépendant sur les nominations, est essentielle pour que les groupes que nous avons consultés aient la certitude que la commission est réellement indépendante du gouvernement et sans appartenance à la sphère politique. Un comité indépendant, ayant une composition diversifiée et multidisciplinaire, à l’instar de la commission, devrait interviewer les candidats et les nommer pour ratification par le gouverneur en conseil. Le comité de nomination doit être indépendant et diversifié afin de garantir qu’aucune personne ni aucun groupe ne domine le processus de nomination.
Nous recommandons de recourir à des concours publics pour attirer les commissaires les plus compétents. Comme dans le cas de nominations à la magistrature, il faut tenter d’atteindre des personnes compétentes issues de groupes défavorisés. Nous sommes d’accord avec la sénatrice Pate pour dire que les arguments en faveur d’un candidat pourraient être renforcés par des nominations de groupes communautaires, de projets Innocence, de personnes ayant une expérience et une expertise en matière d’erreurs judiciaires et d’autres groupes. Nous ne déléguerions toutefois pas la nomination effective des commissaires à un tel groupe en raison de la nécessité d’un processus concurrentiel indépendant de la sphère politique.
Comme l’ont suggéré à la fois l’Association du Barreau canadien et le groupe Milgaard/Lockyer, le comité de nomination devrait être indépendant du gouvernement, tout comme la nouvelle commission doit l’être. Il devrait mener des entrevues avec sérieux pour déterminer si les candidats aux postes de commissaires font preuve d’ouverture d’esprit et d’indépendance dans leur approche décisionnelle.
Si le comité de nomination était également un comité consultatif permanent, il pourrait sélectionner non seulement les premiers commissaires, mais aussi ceux qui seront nommés par la suite pour les mandats échelonnés que nous suggérons. De nouvelles nominations peuvent être nécessaires dès trois ans après l’entrée en fonctions de la commission, voire plus tôt si un commissaire est frappé d’incapacité ou démissionne. Ce qu’il faut absolument éviter est un processus de nomination fermé susceptible de jeter un doute quant à l’indépendance des commissaires.
Si, contrairement à notre recommandation – l’option 1 –, un processus ordinaire de nomination par le gouverneur en conseil est utilisé, il pourrait être nécessaire d’envisager d’interdire par la loi à d’anciens acteurs du système de justice pénale de la fonction de commissaire afin de s’assurer que la commission est raisonnablement perçue comme étant indépendante du gouvernement. Comme indiqué ci-dessus, ce n’est pas notre préférence. Les personnes les plus compétentes, quel que soit leur parcours professionnel, devraient accéder à la fonction de commissaire. Cela étant dit, nous ne saurions trop insister sur l’importance d’avoir un processus de nomination pour assurer une commission indépendante du gouvernement en place et sans appartenance à la sphère politique.
La commission devrait-elle avoir un comité consultatif?
Option 1 : aucun comité consultatif
Aucune des commissions existantes n’a de comités consultatifs permanents. La commission anglaise peut compter sur des comités de direction qui contribuent à fournir de l’expertise sur des questions financières et technologiques. Ces comités sont composés à la fois de commissaires et de personnes de l’extérieur possédant une expertise particulière qui sont nommées par le gouvernementnote de fin d’ouvrage 106.
Option 2 : un comité consultatif uniquement pour l’établissement de la commission et la nomination des commissaires
Un comité consultatif représentatif présidé par le commissaire en chef a contribué à la nomination de la première cohorte de commissaires en Nouvelle-Zélande, mais ce conseil ne siège plus.
Option 3 : un comité consultatif régi par un cadre législatif
Un comité consultatif permanent pourrait être créé en vertu de la loi habilitante. Un tel conseil pourrait avoir des exigences en matière de diversité et assurer la représentation de différents groupes concernés par le travail de la commission. Il pourrait jouer un rôle dans la nomination des commissaires et défendre la commission sur diverses questions, notamment le financement et la réforme systémique. De plus, afin de protéger l’indépendance et l’impartialité de la commission, le mandat législatif du conseil pourrait l’empêcher de jouer un rôle quelconque dans les décisions de la commission concernant des demandes individuelles.
Option 4 : un comité consultatif à la discrétion de la commission
La commission pourrait être autorisée à décider si elle a besoin d’un comité consultatif et à structurer elle-même le comité consultatif.
Ce que nous avons entendu
Une majorité des personnes consultées ont affirmé être favorables à la création d’un comité consultatif au sein de la commission, même si un certain nombre d’entre elles se sont interrogées sur la nécessité d’un tel conseil.
John Briggs, qui a souvent agi en tant que délégué exerçant les pouvoirs d’enquête existants du ministre, a suggéré qu’un comité consultatif n’était pas nécessaire si la commission et le personnel étaient structurés de manière appropriée. Nigel Marshman, qui dirige le GRCC, a également mis en garde contre une bureaucratie trop lourde qui pourrait surcharger une nouvelle commission et ralentir son travail. Sir Bob Neill, membre du Parlement britannique, a suggéré que des organisations extérieures peuvent tenir le gouvernement responsable du sous-financement d’une commission et qu’un comité consultatif n’est peut-être pas nécessaire. De même, Gerry Sinclair, le président sortant de la commission écossaise, a affirmé qu’il n’était pas nécessaire de créer un comité consultatif. Colin Carruthers, le président de la commission néo-zélandaise, a également remis en question l’utilité d’un comité consultatif permanent. L’Association du Barreau canadien a mis en garde contre la constitution d’un comité consultatif, car un tel conseil pourrait compromettre l’indépendance de la nouvelle commission. Tout conseil [traduction] « doit posséder les mêmes caractéristiques d’indépendance et d’autonomie que la commission elle-même »note de fin d’ouvrage 107.
Le groupe Milgaard/Lockyer s’est prononcé en faveur de la création d’un comité consultatif volontaire permanent chargé de [traduction] « prodiguer des conseils indépendants et externes à la commission, promouvoir son importance et fournir un mécanisme de retour d’information sur son efficacité, ses politiques et ses priorités. » Il a noté que le conseil pourrait [traduction] « au besoin, servir de défenseur d’un financement adéquat de la commission. Cela permettra d’éviter l’expérience anglaise de sous-financement des dernières années »note de fin d’ouvrage 108. David Milgaard nous a parlé de la nécessité d’un « conseil d’hommage » externe composé de personnes ayant démontré leur capacité à aider les autres et à en prendre soin.
Ron Dalton, co-président d’Innocence Canada et lui-même une personne exonérée, a également soutenu la création d’un comité consultatif en tant qu’organisme de surveillance civile qui pourrait aider à garder la commission sur la bonne voie. Darwin Seed, un homme autochtone ayant une expérience vécue des conséquences potentiellement néfastes du système de justice pénale, a soutenu la création d’un comité consultatif. Il a préconisé que le conseil soit composé d’un mélange de diverses formes d’expertise afin de prévenir la discrimination et d’améliorer l’accès à la justice. La professeure Emma Cunliffe a fait valoir qu’un comité consultatif devrait être « acharné ». La professeure Mai Sato de la Monash University, qui a co-écrit un livre sur la commission anglaise, a suggéré qu’un comité consultatif pourrait promouvoir la sensibilisation du public à la commission et prévenir le sous-financement de cette dernière. Des représentants du projet Innocence de l’UCB et du projet Innocence de l’Université d’Ottawa ont soutenu l’idée d’un comité consultatif pouvant jouer un rôle plus important sur le plan stratégique que celui de la commission en matière de financement et de questions systémiques.
L’ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels nous a dit que le sous-financement est une préoccupation légitime pour un certain nombre d’organismes fédéraux. Elle a déclaré ceci : [traduction] « Il sera important d’avoir un comité consultatif pour se prémunir contre le sous-financement et assurer un financement permanent suffisant, ainsi que des membres possédant une expertise pour améliorer l’accès à la justice et prévenir la discrimination »note de fin d’ouvrage 109. Isabel Schurman, une avocate de la défense expérimentée du Québec et vice-présidente du Conseil canadien des avocats de la défense, a commenté qu’un comité consultatif [traduction] « semblerait être une nécessité, surtout à la lumière des problèmes de sous-financement répertoriés ailleurs ». Elle a ajouté que [traduction] « l’on peut également envisager une ingérence avec la commission ou son financement pour des raisons politiques. La structure doit donc protéger contre ces possibilités »note de fin d’ouvrage 110. Nous avons été frappés par le fait que des projets Innocence, des défenseurs des victimes d’actes criminels et des avocats de la défense ont tous soutenu la création d’un comité consultatif, en partie par crainte d’un sous-financement.
Stephen Bindman, qui donne un cours sur les condamnations injustifiées à l’Université d’Ottawa et travaille au ministère de la Justice Canada, a également suggéré qu’un comité consultatif pourrait être utile, mais a prévenu qu’il ne devrait pas participer au traitement de demandes individuelles devant la commission. Une remarque similaire a été faite par le Dr Mike DeGagné. Ce dernier a fait valoir l’importance de séparer le travail stratégique d’un comité consultatif des responsabilités opérationnelles de la prise de décisions de la commission concernant des demandes individuelles. Le surintendant principal de la GRC et directeur des Services nationaux de laboratoire judiciaire de la GRC, Don Halina, a convenu que des dossiers individuels ne devraient pas être traités par des membres du comité consultatif. Pamela Dixon, de la Société canadienne des sciences judiciaires, nous a également fait part de difficultés vécues lorsque des membres du comité consultatif ont été assignés à témoigner sur les appareils utilisés pour mesurer la consommation d’alcool et de drogues.
Recommandation 9
Nous recommandons l’option 3, soit un comité consultatif régi par un cadre législatif. Nous sommes conscients des dangers d’ajouter trop de bureaucratie à la commission. Le conseil de Jean Teillet, selon lequel la nouvelle commission devrait avoir une approche « faire plus avec moins », est justifié. En même temps, cependant, nous pensons qu’un comité consultatif est une partie importante d’une commission proactive qui se préoccupe de réforme systémique.
Nous sommes d’avis que certaines commissions étrangères ont eu tendance à dé-prioriser le travail systémique, y compris en matière d’éducation, face à la pression imposée par la charge de travail. Nous constatons également qu’aucune des commissions étrangères n’a pris de positions fortes sur le plan stratégique, même sur des questions telles que leur propre sous-financement ou la nécessité d’adopter des mesures qui pourraient contribuer à prévenir de futures erreurs judiciaires.
Nous pensons qu’un comité consultatif pleinement informé du travail de la commission pourrait servir de lien vital et souvent manquant entre la commission et le système judiciaire plus large, d’une part, et des projets Innocence, de l’autre. Nous pensons également qu’un comité consultatif représentatif devrait jouer un rôle important dans la nomination des commissaires. Siéger au comité consultatif devrait être considéré comme un véritable engagement, et les personnes qui y siègent devraient être rémunérées pour leur temps.
Qui devrait siéger au comité consultatif? Bien qu’un comité consultatif joue un rôle dans les nominations des juges, le comité consultatif devrait refléter l’expertise particulière qui est requise au sein de la nouvelle commission. Le comité consultatif devrait comprendre des avocats, mais aussi des experts en matière d’erreurs judiciaires, y compris des experts en sciences judiciaires. Il devrait également y avoir des personnes ayant une expérience vécue des erreurs judiciaires ainsi que des membres non professionnels. Il devrait y avoir des personnes et des groupes autochtones et noirs qui sont désavantagés lorsqu’ils cherchent à obtenir réparation pour des erreurs judiciaires.
Nous avons envisagé l’option 4, qui consiste à laisser à la commission le soin de décider de la création d’un comité consultatif. Tout au long de notre travail, nous avons senti une tension entre recommander une loi habilitante prescriptive et permettre à la commission de développer et d’affiner ses propres processus. Comme nous le verrons plus loin, nous préférons généralement laisser la commission définir ses propres processus. Ici, cependant, nous faisons une exception, car nous pensons qu’un comité consultatif représentatif est une caractéristique essentielle d’une commission proactive, systémique et indépendante. Un comité consultatif peut contribuer à garantir que les questions systémiques ne sont pas négligées. Il peut aussi éviter que la commission ne soit sous-financée et contribuer à garantir que la nomination des commissaires reste indépendante du gouvernement et sans appartenance à la sphère politique.
Exigences en matière de personnel
Option 1 : du personnel juridique
En Écosse et en Caroline du Nord, le personnel des commissions est composé d’avocats.
Option 2 : des personnes ayant d’autres compétences en matière de justice pénale, par exemple, des enquêteurs et des experts dans les sciences judiciaires
La commission anglaise compte des enquêteurs internes, dont certains sont des policiers à la retraite ainsi que des avocats et des parajuristes.
Option 3 : du personnel d’intervention et de soutien
La commission néo-zélandaise a engagé des enquêteurs qui n’ont pas nécessairement une formation juridique, mais qui ont une éducation et une expérience pertinentes pour aider des demandeurs à recueillir de l’information, y compris en prison.
Ce que nous avons entendu
Personnes de soutien
Nos consultations de personnes exonérées ont souligné l’importance d’apporter du soutien aux personnes ayant été injustement condamnées. On nous a dit à maintes reprises que Win Wahrer, la directrice des services à la clientèle d’Innocence Canada, a joué un rôle clé en apportant soutien et espoir à des personnes exonérées. Innocence Canada nous a dit que Win, qui n’est pas avocate, a [traduction] « consacré sa vie à améliorer le sort des personnes injustement condamnées ». Nous admirons et respectons profondément son travail. Innocence Canada [traduction] « recommande qu’une nouvelle commission crée un poste dédié similaire au rôle que joue Mme Wahrer au sein d’Innocence Canada. Ce poste pourrait être occupé par une personne exonérée, car cela renforcerait la confiance de personnes injustement condamnées à l’égard de la commission et ferait en sorte que leur voix soit entendue »note de fin d’ouvrage 111.
La professeure Lucinda Vandervort de l’Université de la Saskatchewan a souligné l’importance d’un personnel [traduction] « culturellement et socialement approprié ». Elle a ajouté que [traduction] « des représentants légaux peuvent ne pas être en mesure de communiquer efficacement et de nourrir une confiance mutuelle dans certains cas, à moins qu’il n’y ait un noyau d’expérience de vie commune. »
La sénatrice Kim Pate a parlé avec nous et un groupe de femmes autochtones ayant une expérience du système de justice pénale. Toutes ont souligné la nécessité d’un soutien tenant compte des différences culturelles. La sénatrice Pate et l’enquêteur correctionnel Ivan Zinger nous ont tous deux fait part de difficultés qu’ils ont rencontrées pour embaucher des personnes ayant une expérience vécue en prison en raison de leur casier judiciaire. Ils ont indiqué qu’il était possible et peut-être souhaitable d’embaucher des personnes ayant des condamnations pénales.
L’ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels, Heidi Illingworth, a recommandé que le personnel de la commission compte des aînés autochtones et d’autres personnes ayant [traduction] « une expertise spécialisée et une pratique de la prestation de services de première ligne dans la culture autochtone ». Elle a suggéré ceci :
[Traduction] Ces personnes devraient être valorisées pour apporter du soutien aux victimes et aux délinquants autochtones, tout en étant rémunérées pour le soutien et l’expertise qu’elles apportent. Nous devons également intégrer un plus grand respect des visions du monde, des lois ancestrales et des cérémonies autochtones, ce qui peut conduire à l’établissement de relations et à une empathie systémique pour tous.
Mme Illingworth a ajouté que la loi habilitante [traduction] « devrait garantir que le personnel de la commission soit d’origines culturelles diverses et qu’il soit formé aux soins tenant compte des traumatismes, à l’humilité culturelle et à l’impartialité et que certains membres du personnel soient eux-mêmes autochtones »note de fin d’ouvrage 112.
Enquêteurs
Innocence Canada a souligné le rôle essentiel joué par des enquêteurs privés dans plusieurs de ses dossiers pour découvrir de nouvelles preuves. Il a fourni des exemples concrets de découverte de nouvelles preuves, comme des documents non divulgués auparavant, en se rendant dans des postes de police et sur des scènes de crime. La Criminal Lawyers Association nous a dit que la commission [traduction] « doit employer des enquêteurs expérimentés ayant le pouvoir de contraindre des témoins à coopérer, y compris le pouvoir de contraindre la police ou les procureurs à répondre à des questions et à remettre des documents »note de fin d’ouvrage 113.
Liaison avec les médias
Innocence Canada a recommandé que la commission embauche un spécialiste des médias, soit sur une base contractuelle soit à temps plein, pour informer le public du travail de la commissionnote de fin d’ouvrage 114. D’autres, favorables à une commission réactive, nous ont déconseillé de confier à la commission un rôle de liaison avec les médias.
Code de bonne pratique à l’intention du personnel
Le projet Innocence Cardiff a observé que le personnel d’une commission devrait s’engager à respecter un code de bonne pratique fondé sur une déclaration de principes claire, notamment :
- un engagement de traiter toutes les condamnations potentiellement injustifiées, quels que soient les obstacles institutionnels, juridiques et bureaucratiques et les pratiques traditionnelles;
- un engagement de chercher le changement et la reddition de comptes des organismes et pratiques de justice pénale en place lorsqu’ils créent de l’injustice ou y contribuent;
- des examens internes et externes menés à intervalles réguliers sur les pratiques du personnel et de la commission sous la forme d’une évaluation de valeursnote de fin d’ouvrage 115.
Embauche de personnel
L’ABC a recommandé que [traduction] « la commission gère toutes les questions de recrutement et d’administration afin de développer sa propre expertise en matière de condamnations injustifiées »note de fin d’ouvrage 116.
Recommandation 10
Le personnel de la commission joue un rôle très important. Nous recommandons que les trois options ci-dessus soient mises en œuvre. La commission aura besoin d’avocats talentueux et compétents. Cependant, il lui faudra aussi des enquêteurs et des personnes ayant des compétences et une expérience vécue qui leur permettront d’apporter aux demandeurs et aux victimes d’actes criminels un soutien adapté à leur culture et tenant compte des traumatismes. La commission a besoin de personnes capables de communiquer sans ambiguïté avec des demandeurs, des demandeurs potentiels, les médias et le grand public.
Comme l’a recommandé l’Association du Barreau canadien, la commission devrait avoir l’indépendance nécessaire pour recruter les bonnes personnes. Elle ne devrait pas être contrainte à embaucher uniquement dans le bassin de fonctionnaires existants.
La loi habilitante devrait également indiquer clairement que le personnel de la commission, y compris son premier dirigeant, relève des commissaires. Comme les juges, les commissaires doivent pouvoir s’attendre à ce que le personnel qui les aide à exercer leur fonction indépendante travaille pour eux. Cette attente doit être clairement codifiée pour éviter les problèmes qu’a connus la commission anglaise.
Un groupe parlementaire comptant des représentants de tous les partis a récemment indiqué que l’absence d’autorité de gestion explicite des commissaires anglais sur leur personnel était [traduction] « une cause de tension qui minait l’efficacité et que cela a considérablement déplacé l’équilibre des pouvoirs vers l’exécutif »note de fin d’ouvrage 117. Il a souligné que le modèle de commission où les commissaires étaient en charge était nécessaire pour [traduction] « fournir un leadership indépendant, en faisant appel à intervalles réguliers à des personnes ayant une expertise et une expérience plus larges afin d’atténuer le développement d’une mentalité institutionnelle »note de fin d’ouvrage 118. Nous convenons que le fait de donner aux commissaires, et en particulier au commissaire en chef, un pouvoir sur le personnel est nécessaire pour garantir l’indépendance de la commission.
L’embauche de personnel par la commission devrait être assujettie aux dispositions de la Loi sur l’équité en matière d’emploinote de fin d’ouvrage 119, qu’elle emploie ou non 100 personnes ou plus, ou peu importe sous quelle annexe de la Loi sur la gestion des finances publiques elle figurenote de fin d’ouvrage 120.
Exigences applicables aux agents/consultants
Option 1 : la commission a le pouvoir de nommer des agents et des consultants qui sont autorisés à exercer les pouvoirs d’enquête de la commission
Cela permettrait d’étendre à la commission les pouvoirs déjà prévus au paragraphe 696.2(3) du Code criminel. Cette disposition permet au ministre de déléguer des pouvoirs d’enquête à tout avocat, juge à la retraite, ou tout autre individu qui possède une formation ou une expérience similaire. La commission anglaise dispose également de pouvoirs statutaires lui permettant de demander à un service de police de mener des enquêtes.
Option 2 : aucun pouvoir de nommer des agents ou des consultants
Cela obligerait la commission à mener des enquêtes et des analyses « en interne ».
Ce que nous avons entendu
Plusieurs projets Innocence et Nigel Marshman, qui dirige l’actuel GRCC, nous ont dit qu’il est essentiel que la commission dispose de pouvoirs étendus et d’un budget suffisant pour déléguer la tenue d’enquêtes à des personnes compétentes. Cela permet de faire appel à des enquêteurs connaissant bien des communautés particulières et l’administration locale de la justice. Cela peut permettre à un enquêteur d’être nommé par la commission exclusivement pour une affaire en particulier. Ledit enquêteur aurait alors tous les pouvoirs d’enquête dont dispose la commission, y compris la capacité d’exiger des preuves et d’interroger des gens sous serment. Ce pouvoir permettrait également à la commission d’embaucher des personnes supplémentaires en cas d’augmentation ou d’accumulation de demandes ou encore de conflit d’intérêts au sein de la commission.
Un certain nombre de projets Innocence nous ont dit qu’ils avaient eu une bonne expérience avec des enquêteurs indépendants exerçant des pouvoirs d’enquête délégués par le ministre. Dans certains cas, ils ont indiqué que ces délégués étaient plus disposés à travailler avec eux que les avocats employés par le GRCC. Ils ont également observé que certaines des personnes déléguées par le ministre possèdent les connaissances locales ou autres connaissances particulières nécessaires. Selon eux, cela permettait à ces enquêteurs indépendants de travailler de manière plus efficace que le personnel permanent du GRCC en poste à Ottawa.
Des représentants de la Police provinciale de l’Ontario et de la GRC nous ont dit que, dans certains cas, pour mener une enquête efficacement, il faut des pouvoirs et des compétences que possède la police. Ils ont établi une analogie entre les enquêtes sur les demandes adressées à la commission et les enquêtes de dossiers plus anciens. Ils ont souligné que la police a accès à des pouvoirs et à des renseignements que ne possèdent pas le grand public ou les enquêteurs privés.
Cecilia Hageman, professeure des sciences judiciaires à l’Institut universitaire de technologie de l’Ontario, nous a parlé de l’importance de l’accès aux services fournis par les laboratoires privés. Don Halina, des Services nationaux de laboratoire judiciaire de la GRC, nous a dit que les « trois grands » laboratoires (gérés par la GRC ainsi que les gouvernements de l’Ontario et du Québec) pourraient être en mesure de réaliser du travail pour la commission dans le cas où le fait de confier le travail à un autre laboratoire créerait une perception de conflit d’intérêts. Il a fait valoir que des mesures devraient être prises pour maintenir la chaîne de possession. Le médecin légiste en chef de l’Ontario, Michael Pollanen, a souligné l’importance des enquêtes multidisciplinaires pouvant faire intervenir des enquêteurs judiciaires du monde entier. C’est ce qui a été fait dans les affaires du Dr Charles Smith. Le Dr Pollanen nous a dit que son service d’enquête sur les décès est disposé à fournir le matériel disponible pour de nouvelles analyses à d’autres experts et qu’il le fait à intervalles réguliers.
Recommandation 11
À notre avis, la loi habilitante devrait permettre à la commission de déléguer ses pouvoirs d’enquête à des personnes ayant les compétences nécessaires pour mener une enquête. Nous n’excluons pas la possibilité pour la commission, au besoin, de demander à un service de police, à une unité d’enquête spéciale ou encore à un organisme ou une personne ayant une expertise judiciaire particulière, ainsi qu’à d’autres personnes qualifiées, de mener une enquête. La commission doit être dotée des pouvoirs appropriés pour lui permettre de passer des contrats avec des experts qu’elle ne compte pas dans ses propres rangs. Elle doit également disposer d’un budget adéquat si elle ne veut pas que ses pouvoirs statutaires de déléguer des enquêtes et de payer des enquêteurs externes selon les besoins soient rendus illusoires par un sous-financement.
Nous sommes également frappés par la façon dont la police et, dans une moindre mesure, les procureurs contrôlent l’accès aux laboratoires judiciaires de la GRC et des gouvernements de l’Ontario et du Québec. À cette fin, nous pensons qu’il est important que la commission dispose de pouvoirs statutaires explicites lui permettant de transmettre des documents à tout analyste qualifié, où qu’il se trouve dans le monde. La commission a besoin de pouvoirs formulés en termes généraux, qui puissent s’adapter à l’évolution rapide de l’utilisation de la technologie et des sciences judiciaires dans le système de justice pénale.
Nous ne limiterions pas les qualifications des personnes ayant des pouvoirs d’enquête délégués aux avocats, aux juges à la retraite ou aux personnes ayant une expérience ou des antécédents similaires à ceux requis pour une délégation officielle de pouvoirs d’enquête ministériels en vertu du paragraphe 696.2(3) du Code criminel. Nous pouvons imaginer des circonstances où une équipe multidisciplinaire d’enquêteurs serait nécessaire, qui pourrait comprendre des enquêteurs privés, des services de police, des unités d’enquête spéciales et divers types d’enquêteurs et d’experts judiciaires. Nous reconnaissons que des avocats ou des juges à la retraite peuvent être nécessaires dans les cas où des personnes possédant de l’information pertinente seront interrogées sous serment. Nous soulignons que les personnes consultées attendent et espèrent que la nouvelle commission sortira de ses bureaux et mènera activement des enquêtes sur de présumées erreurs judiciaires. Le recours à une expertise indépendante, venant souvent de l’extérieur du territoire, a souvent été déterminant dans la découverte d’erreurs judiciaires.
Tout enquêteur externe doit être assujetti au même type de supervision que les membres du personnel permanent. D’un point de vue pratique, nous pensons que cette supervision devrait être assurée par le directeur général de la commission, sous réserve des conseils, de la surveillance et des directives du commissaire en chef.
La commission devrait élaborer des politiques relatives à son large pouvoir de délégation de pouvoirs et de fonctions d’enquête. Ces politiques doivent tout mettre en œuvre pour éviter les conflits d’intérêts réels ou apparents qui compromettraient son indépendance. La commission devrait élaborer des politiques visant à garantir que les enquêtes soient menées en collaboration et ne fassent pas inutilement double emploi avec le travail effectué par les représentants des demandeurs.
Le(s) siège(s) de la commission
Option 1 : dans la capitale nationale
L’actuel GRCC est sis à Ottawa. Les commissions de la Norvège et de la Caroline du Nord sont situées dans leurs capitales respectives.
Option 2 : un siège à l’extérieur de la région de la capitale nationale
Les commissions anglaise, écossaise et néo-zélandaise sont situées en dehors des capitales, en partie pour symboliser leur indépendance vis-à-vis du gouvernement.
Option 3 : des bureaux centraux et régionaux
La Commission nationale des libérations conditionnelles compte des bureaux centraux à Ottawa et des bureaux régionaux. La technologie rend plus réalisable l’établissement de bureaux régionaux où travaillent des commissaires et quelques employés.
Ce que nous avons entendu
Les commissions anglaise, écossaise et néo-zélandaise nous ont dit que le fait qu’elles siègent en dehors d’une capitale non seulement était destiné à souligner leur indépendance vis-à-vis du gouvernement, mais aussi s’expliquait par le fait que le premier président de chaque commission été réticent à s’installer dans la capitale. Nous avons appris que Birmingham et Glasgow ont également été choisis en raison de la qualité de leurs réseaux de transport respectifs.
La professeure Lucinda Vandervort a suggéré que [traduction] « des bureaux régionaux tels que ceux utilisés par la Commission nationale des libérations conditionnelles peuvent être souhaitables pour garantir l’accès à une expertise pertinente d’un bout à l’autre du pays et éviter une approche indûment “centriste” ou la crainte d’une telle approche. » L’Association du Barreau canadien nous a expliqué comment des différences dans l’administration locale de la justice [traduction] « créent des défis et des obstacles différents à la découverte de condamnations injustifiées […] Ce qui convient à Vancouver ne convient pas nécessairement à Iqaluit »note de fin d’ouvrage 121.
Le directeur général du Centre de recherche-action sur les relations raciales, Fo Niemi, a suggéré que la commission pourrait être située à l’extérieur d’Ottawa. Le professeur Joshua Sealy-Harrington de l’école de droit Lincoln Alexander de l’Université Ryerson a déclaré que le bureau de la commission devrait être situé hors d’Ottawa, possiblement au Manitoba.
Bruce MacFarlane, c.r., a suggéré que, étant donné la longue histoire de critiques contre le processus de révision ministérielle, il était important que la nouvelle commission soit située à l’extérieur d’Ottawa. Il a suggéré Winnipeg en raison de sa position géographique centrale et de ses voies de transport, de sa population francophone susceptible de pouvoir fournir des travailleurs bilingues, de son importante population autochtone et de l’intérêt et de l’expertise de longue date de la faculté de droit de l’Université du Manitoba en matière d’enseignement et de recherche sur les condamnations injustifiées et de gestion d’un projet Innocence. En outre, plusieurs enquêtes publiques sur des condamnations injustifiées ont été tenues au Manitoba et c’est à Winnipeg où avait eu lieu la célèbre rencontre de la regrettée Joyce Milgaard avec le premier ministre Mulroney, suivie de la deuxième demande de révision ministérielle de son fils David, qui a été acceptée.
Le groupe Milgaard/Lockyer a déclaré ceci : [traduction] « Nous préférons un bureau central à Toronto, car c’est la plus grande ville du Canada, et, donc, susceptible d’abriter le plus grand nombre de demandeurs. Des bureaux régionaux pourraient être ouverts au Québec, de préférence à Montréal, et dans une des provinces de l’Ouest. »
Bibi Sangha et Robert Moles ont averti que [traduction] « il serait difficile d’imaginer comment une commission pourrait fonctionner efficacement à partir d’un seul emplacement. Certaines enquêtes nécessiteraient des entretiens et l’examen de dossiers et de documents à la source ainsi qu’une sensibilité aux besoins respectifs et au traitement potentiellement discriminatoire à l’égard des groupes sociaux divergents. Comme nous l’avons vu dans les critiques formulées à l’encontre de la commission britannique, les “examens sur dossier” effectués à distance ne produisent pas forcément des résultats convaincants »note de fin d’ouvrage 122. Comme souligné plus haut, ils ont proposé que la commission s’associe à des projets Innocence dans différentes régions du Canada.
John Briggs a recommandé que la commission ne soit pas située à Ottawa, mais qu’elle compte plusieurs bureaux, notamment à Kingston, Winnipeg et Toronto. La juge Anne Derrick a affirmé que le fait de compter un bureau central et des bureaux régionaux contribuerait au rayonnement et à la visibilité de la commission. Tamara Levy, du projet Innocence de l’UCB, ne recommande pas que la commission soit située à Ottawa et nous a dit que la technologie et l’évolution des pratiques de travail devraient rendre les bureaux régionaux abordables. Robert Israel, du projet Innocence McGill, n’était pas opposé à l’idée de bureaux régionaux, mais a déclaré qu’un budget limité devrait être consacré à la tenue d’enquêtes. Emily Bolton, d’APPEAL, a également suggéré que des bureaux régionaux pourraient se spécialiser dans certaines matières tout en incitant d’autres bureaux à adopter de meilleures pratiques.
Le Projet Innocence Québec et Kathryn Campbell du projet Innocence de l’Université d’Ottawa ont soutenu un siège social à Ottawa « pour promouvoir le bilinguisme » et des bureaux régionaux « dans les grands centres de Vancouver, d’Edmonton, de Toronto, de Montréal et de Halifax. »
Quelques mises en garde ont été formulées concernant les bureaux régionaux. Le Dr Mike DeGagné nous a dit que des bureaux régionaux peuvent compliquer le maintien d’une culture institutionnelle cohérente. Il a ajouté que les gens doivent faire leurs bagages et être prêts à se rendre au besoin n’importe où au Canada. De Terre-Neuve, Ron Dalton, co-président d’Innocence Canada et lui-même une personne exonérée, a fait valoir l’importance d’un bureau central pour permettre aux gens de collaborer sur des dossiers. Il n’est pas opposé à un bureau à Ottawa si la commission est réellement indépendante. Le chef de police de Moose Jaw, Rick Bourassa, nous a dit qu’un emplacement central pourrait initialement aider à établir une culture institutionnelle. Ivan Zinger, l’enquêteur correctionnel fédéral, travaille à partir d’un bureau central, mais ses enquêteurs passent beaucoup de temps dans les régions pour se rendre dans 43 prisons différentes. Mark Newby, un avocat britannique ayant une vaste expérience des erreurs judiciaires, nous a dit que l’emplacement de la commission importe moins que son accessibilité pour les demandeurs.
Recommandation 12
Nous pensons que le fait d’installer la commission à l’extérieur d’Ottawa permettrait de souligner son indépendance. En même temps, ce n’est pas une préférence marquée. Nous sommes d’accord avec les personnes consultées qui nous ont dit que le test ultime de l’indépendance et de la crédibilité de la commission sera le travail qu’elle accomplira et l’accessibilité qu’elle offrira aux demandeurs et aux autres personnes intéressées par son travail.
La nouvelle commission doit avoir des capacités et compter une présence d’un océan à l’autre. Nous recommandons de laisser à la commission le soin de déterminer s’il est nécessaire et faisable d’ouvrir des bureaux régionaux, en particulier si des commissaires et des membres du personnel sont en poste dans l’ouest, dans l’est ou dans le nord du pays. Par ailleurs, de récentes avancées technologiques peuvent signifier qu’il existe des options de rechange rentables à l’exploitation de bureaux régionaux.
Si des bureaux régionaux sont utilisés, il convient de veiller à l’intégration technologique et au développement d’une culture collégiale commune. On nous a dit que la mission d’une commission exige que du personnel multidisciplinaire travaille ensemble de manière créative et collégiale. Ce travail exige une interaction constante entre commissaires et employés ainsi qu’une collaboration avec des demandeurs et des acteurs du système de justice pénale. Comme l’a déclaré David Jessel, un ancien journaliste d’enquête qui a figuré parmi les premiers commissaires à siéger à la commission anglaise : [traduction] « La réponse ne se cache que rarement dans la paperasse. J’ai toujours trouvé que c’est lorsqu’on rencontre un prisonnier ou un témoin, ou qu’on se rend sur une scène de crime, qu’on découvre quelque chose de nouveau. Il est peu probable que vous obteniez le même résultat si vous vous contentez d’interroger une base de données »note de fin d’ouvrage 123.
Quel que soit l’endroit où se trouvent les bureaux de la commission, ils doivent être physiquement éloignés des bureaux gouvernementaux, notamment ceux du ministère de la Justice, du ministère de la Sécurité publique et de la Commission nationale des libérations conditionnelles. Ils doivent également être séparés de toute autorité policière, de tout bureau des poursuites pénales, de toute autorité judiciaire, de toute chambre de défense, de tout projet Innocence et de toute autorité correctionnelle, afin de bien marquer leur indépendance.
La commission devrait disposer d’un budget suffisant pour les déplacements afin d’être en mesure d’aller à la rencontre de demandeurs et de témoins. Elle doit également disposer de fonds lui permettant d’avoir accès à des renseignements pertinents tout en conservant la chaîne de possession de documents ayant été ou pouvant être utilisés comme preuves devant un tribunal.
Le statut institutionnel et le financement de la commission
Option 1 : un agent du Parlement
Les agents du Parlement, comme le vérificateur général du Canada et le directeur parlementaire du budget, relèvent directement du Parlement. Ils sont généralement nommés par résolution parlementaire pour un mandat de sept ou dix ans après consultation de tous les partis politiques reconnus.
Option 2 : un secteur de l’administration publique fédérale en vertu de l’annexe I.1 de la Loi sur la gestion des finances publiques
Ces entités autonomes comprennent la Commission canadienne des droits de la personne, le Service administratif des tribunaux judiciaires, le Bureau du commissaire à la magistrature fédérale, le Bureau du directeur des poursuites pénales, le registraire de la Cour suprême du Canada, le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada ainsi que le Commissariat à l’information du Canada. Dans le cas de toutes les entités susmentionnées, le ministre de la Justice est mentionné comme étant le ministre compétent. Le Bureau de l’enquêteur correctionnel figure également dans cette annexe, le ministre de la Sécurité publique étant le ministre compétent. Toutes ces entités sont distinctes et autonomes des ministères responsables, mais ont un ministre approprié désigné dans la législation afin de rendre compte au Parlement de questions financières.
Option 3 : un établissement public en vertu de l’annexe 2 de la Loi sur la gestion des finances publiques
Ces établissements publics sont distincts des ministères responsables. Ils semblent différer des entités énumérées à l’annexe I.1, car ils sont automatiquement autorisés à dépenser des recettes sans autorisation supplémentaire. À l’instar des entités énumérées à l’annexe I.1, les établissements publics sont distincts et autonomes des ministères responsables. Des exemples incluent la Commission du droit du Canada, dont le ministre de la Justice est le ministre compétent, et l’Agence des services frontaliers du Canada, dont le ministre de la Sécurité publique est le ministre compétent.
Option 4 : La commission pourrait être soutenue par le Service administratif des tribunaux judiciaires, qui fournit un soutien indépendant des pouvoirs législatif et exécutif à divers tribunaux fédéraux. Elle devrait, comme le GRCC, être assujettie à un budget de fonds renouvelable qui permet de dépenser des fonds moyennant des autorisations supplémentairesnote de fin d’ouvrage 124.
Le ministère de la Justice joue un rôle dans le financement du Service administratif des tribunaux judiciaires en tant que ministère parrain en vertu de l’annexe I.1 de la Loi sur la gestion des finances publiques, même si le ministère de la Justice est une des principales parties dans les différents tribunaux fédéraux. L’administrateur en chef du Service administratif des tribunaux judiciaires occupe également un poste à titre amovible et est assujetti à des mandats renouvelables de cinq ansnote de fin d’ouvrage 125.
Ce que nous avons entendu
Nous avons entendu de nombreuses inquiétudes quant à la vulnérabilité de la commission au sous-financement. Ce sous-financement pourrait être attribuable à de futures mesures d’austérité gouvernementales généralisées ou encore à des coupures reflétant un manque de soutien politique pour la commission ou simplement un manque de compréhension de l’importance du rôle qu’elle joue. Innocence Canada et le groupe Milgaard/Lockyer ont tous deux mis en garde contre les dangers d’un engorgement de la commission et les préjudices qu’un tel engorgement causerait aux victimes d’erreurs judiciaires. L’Association du Barreau canadien a souligné que la commission devrait disposer d’un budget indépendant et [traduction] « contrôler toutes les questions de recrutement et d’administration afin de développer sa propre expertise pour traiter les condamnations injustifiées »note de fin d’ouvrage 126.
Un comité parlementaire, en 2015, et un rapport de tous les partis, en 2021, ont chacun souligné le sous-financement de la commission anglaise. Le rapport de 2015 a fait état d’une réduction de 30 % du financement entre 2009-2010 et 2014-2015, alors que les demandes et les arriérés étaient en augmentation. Le président de la commission a déclaré au comité que, pour chaque tranche de 10 livres sterling que son prédécesseur avait dû dépenser sur une demande, il n’avait que 4 livres sterling à dépenser et que la commission avait subi [traduction] « la plus forte réduction qui ait eu lieu dans le système de justice pénale »note de fin d’ouvrage 127.
Le rapport de tous les partis déposé en 2021 a conclu que les recommandations du comité parlementaire de 2015 n’avaient majoritairement pas été mises en œuvre. Le budget 2019-2020 de la commission demeurait inférieur à 6 millions de livres sterlingnote de fin d’ouvrage 128. Le rapport a noté qu’un groupe communautaire de premier plan, Justice, lui avait dit qu’en raison de compressions budgétaires, [traduction] « il est plus difficile d’annuler une condamnation injustifiée qu’à l’époque sombre des années 1980 et 1990 »note de fin d’ouvrage 129, époque qui avait conduit à la création de la commission anglaise.
En raison du sous-financement, les responsables de l’examen des dossiers qui avaient une charge de travail de 12,5 dossiers en 2010-2011 avaient, en 2017, une charge de travail de 27 dossiers. En outre, leurs salaires n’étaient plus concurrentielsnote de fin d’ouvrage 130.
Le rapport de tous les partis a recommandé d’accroître le financement afin que la commission puisse organiser davantage de réunions en face à face avec des demandeurs et d’autres personnes disposant d’information pertinente, effectuer les tests nécessaires et obtenir la divulgation complète des documents ainsi que les transcriptions complètes des procèsnote de fin d’ouvrage 131. La professeure Carolyn Hoyle, d’Oxford, auteure principale de l’importante étude sur son fonctionnement, a déclaré que la CCRC manquait massivement de ressources et que [traduction] « les décisions relatives à la profondeur des enquêtes ou à la manière d’enquêter sur une affaire sont prises en tenant compte du budget »note de fin d’ouvrage 132.
En contraste frappant avec le sous-financement de la commission anglaise, Nigel Marshman, chef de l’actuel GRCC, a décrit le processus budgétaire de cette entité comme reposant sur ce qui semble être un fonds renouvelable. Cela permet d’assurer que le travail du GRCC, y compris la nomination d’agents externes, n’est pas limité par des budgets annuels. Nous craignons qu’une commission indépendante soit plus vulnérable au sous-financement que le GRCC, qui est financé directement par le ministère de la Justice.
Les problèmes de sous-financement ne se limitent pas à la commission anglaise. Un représentant de la commission écossaise a fait remarquer que 930 000 livres sterling de son budget de 1,05 million de livres sterling sont consacrées à des salaires et à de l’hébergement, ce qui [traduction] « ne laisse pas grand-chose pour les enquêtes et les actions en justice entre autres »note de fin d’ouvrage 133.
La commission norvégienne n’a pas à payer des dépenses liées à la désignation fréquente d’avocats pour représenter des demandeurs ou des victimes de crimes, d’interprètes et d’experts. Elle a néanmoins prévenu que ses [traduction] « autres dépenses dépendent […] du nombre de dossiers, qui peut être difficile à prévoir. Si la commission doit traiter des dossiers complexes, elle peut être amenée à augmenter le volume du travail d’enquête et le nombre de réunions extraordinaires, ce qui entraîne une hausse des coûts »note de fin d’ouvrage 134.
Le commissaire en chef de la Nouvelle-Zélande nous a dit que, bien qu’il ait obtenu un financement gouvernemental stable de 4 millions de dollars par année pour les quatre premières années de la commission, ce financement était déjà insuffisant, car le nombre de demandes reçues par la commission a été deux fois plus élevé que prévu. Sans financement supplémentaire, la commission risque d’être confrontée à des arriérés et à des retards dans le traitement de demandes. Il se peut également qu’elle ne soit pas en mesure de mener des enquêtes générales sur des questions systémiques, malgré le mandat que lui confère la loi.
La commission de la Caroline du Nord reçoit de la législature un budget très modeste. Elle doit faire pression sur les politiciens pour conserver même ces modestes fonds. Elle doit également obtenir des subventions supplémentaires provenant d’autres programmes, notamment des fonds liés aux tests ADN et d’autres liés à la fourniture de services aux victimes d’actes criminels. Elle sollicite même des dons sur son site Webnote de fin d’ouvrage 135.
Quelques personnes, comme Hannah Quirk, experte siégeant à la commission anglaise, et Jerome Kennedy, avocat ayant travaillé sur de nombreux dossiers d’erreurs judiciaires, ont suggéré que la nouvelle commission relève du Parlement. Le professeur Ed Ratushny a également suggéré que la commission soit un organisme relevant du Parlement.
Recommandation 13
La lettre de mandat du ministre de la Justice prévoit « un organisme indépendant du gouvernement et sans appartenance à la sphère politique ». Nous sommes d’accord avec ce principe et cet objectif importants. Nous avons trouvé qu’il était difficile de situer une telle entité indépendante dans les modèles existants de l’appareil gouvernemental.
Comme nous l’avons vu dans la partie B du présent rapport, la commission doit être aussi indépendante et autonome du gouvernement que possible dans une démocratie parlementaire et elle doit être financée de manière adéquate. Nous avons décidé que la meilleure façon de mettre en œuvre ce choix politique fondamental est que le gouvernement fédéral traite la nouvelle commission indépendante de la même manière qu’il traite les tribunaux indépendants. Nous considérons qu’il s’agit d’un principe important qui devrait guider le financement et la dotation en personnel de la commission, y compris la rémunération des commissaires.
Il est important de reconnaître que la nouvelle Commission sur les erreurs judiciaires n’est pas un simple organisme, bureau ou tribunal administratif de plus. En assumant les pouvoirs dont dispose actuellement le ministre de la Justice, la commission aura le pouvoir unique, exercé nulle part ailleurs au sein de l’exécutif, d’ordonner de nouveaux procès ou de nouveaux appels. Il est donc important de ne pas considérer la commission comme rien de plus qu’un autre petit organisme fédéral susceptible d’être sous-financé ou encore de ne pas nommer une équipe complète de commissaires afin de réduire les coûts.
Nos préoccupations concernant le sous-financement ne supposent pas la mauvaise foi du gouvernement actuel ou de futurs gouvernements. Il n’est tout simplement pas possible de prévoir le nombre de demandes ou leur degré de complexité. Cela signifie qu’il sera très difficile à prévoir le financement dont la commission aura besoin au cours d’une année donnée.
Nous craignons que, contrairement à l’intention du gouvernement d’améliorer la façon dont les allégations d’erreurs judiciaires sont examinées, la commission soit plus vulnérable au sous-financement que l’actuel système de révision par le GRCC/ministre.
À notre avis, la nouvelle commission, comme le GRCC, devrait disposer d’un fonds renouvelable et ne pas avoir à s’inquiéter si les exigences de sa charge de travail l’obligent à dépasser le budget annuel qui lui est alloué au cours d’une année donnée. Il s’agirait d’une trahison de la promesse d’une commission indépendante si la nouvelle commission n’était pas adéquatement financée, alors que nous avons été informés que cela n’est pas une préoccupation pour le GRCC.
Nous recommandons l’option 4, soit un financement par le biais du Service administratif des tribunaux judiciaires et prenant la forme d’un fonds renouvelable, qui permettrait à la commission de dépenser des fonds, au besoin, au-delà de son allocation annuelle. La commission est un complément important du système judiciaire et a le pouvoir de retourner des affaires devant les tribunaux. Comme les tribunaux, elle ne peut pas prévoir parfaitement les exigences de sa charge de travail ou le besoin de nouvelles technologies pour fournir des services vitaux au public.
Le Service administratif des tribunaux judiciaires existe depuis 2003 et représente un tampon indépendant dans la prestation d’une gamme de services à la Cour fédérale, à la Cour d’appel fédérale, à la Cour canadienne de l’impôt ainsi que la Cour d’appel de la cour martiale. C’est la voie du financement de ces tribunaux (sauf en matière de salaires, voir ci-dessous). Nous reconnaissons que le Service administratif des tribunaux judiciaires n’a jusqu’à présent financé que des tribunaux, mais nous pensons que ce serait le meilleur moyen de financer la nouvelle commission. Nous espérons également que cet arrangement pourra aider la commission à éviter une partie de la bureaucratie fédérale et des formalités administratives qui, selon l’enquêteur correctionnel, s’appliquent aux petits organismes fédéraux.
Cela étant dit, nous reconnaissons qu’il n’existe aucune garantie contre le sous-financement. Le Service administratif des tribunaux judiciaires est toujours inscrit à l’annexe I.1 de la Loi sur la gestion des finances publiques, le ministère de la Justice étant le ministère parrain. Nous comprenons que, dans une démocratie parlementaire, il doit y avoir un certain lien entre les dépenses de fonds publics et le Parlement.
Nous comprenons pourquoi certaines personnes consultées ont recommandé que la commission soit un agent du Parlement. Comme nous, ces personnes veulent s’assurer que la commission est indépendante et adéquatement financée. Cela étant dit, nous ne pensons pas qu’il serait approprié que les chefs de tous les partis politiques reconnus jouent un rôle dans la nomination des commissaires. Cela risquerait de politiser le processus de nomination et pourrait donner aux partis politiques un droit de veto de facto sur la nomination de personnes potentiellement controversées dans certains milieux qui feraient néanmoins d’excellents commissaires.
Financement de la commission et des commissaires
Option 1 : financement en tant qu’établissement public par le ministère de la Justice et le Conseil du Trésor au moyen d’un budget renouvelable
Ce serait le cas si le ministère de la Justice était le ministère parrain et que la commission était inscrite à l’annexe 2 de la Loi sur la gestion des finances publiques, comme indiqué immédiatement ci-dessus dans l’option 3.
Option 2 : financement par l’intermédiaire d’un autre ministère et du Conseil du Trésor
Un ministère autre que le ministère de la Justice pourrait être désigné comme ministère parrain aux fins de la Loi sur la gestion des finances publiques.
Option 3 : financement lié aux salaires des juges des cours supérieures
Les salaires des commissaires pourraient être liés au processus indépendant établi pour déterminer les salaires des juges nommés par le gouvernement fédéral. Les neuf commissaires ne seraient pas nécessairement tous nommés pour siéger à temps plein. Néanmoins, leur traitement pourrait être lié aux des salaires des juges des cours supérieures, tels que déterminés par un processus indépendant exigé par la Constitutionnote de fin d’ouvrage 136.
Ce que nous avons entendu
L’Association du Barreau canadien a indiqué qu’elle soutenait [traduction] « la désignation de la commission d’examen des affaires pénales en tant qu’organisme indépendant, avec un financement dédié non lié aux budgets d’autres ministères ». Elle a également recommandé que les commissaires, comme les juges des cours supérieures, ne puissent être révoqués que par une adresse conjointe des deux chambres du Parlementnote de fin d’ouvrage 137. La Société des plaideurs a également plaidé en faveur de la protection de l’inamovibilité afin de [traduction] « garantir que la commission fonctionne sans appartenance à la sphère politique comme prévu »note de fin d’ouvrage 138.
En Angleterre, la Westminster Commission, composée de représentants de tous les partis, a récemment souligné que la CCRC [traduction] « joue un rôle unique dans le système judiciaire et, comme l’a affirmé la Cour divisionnaire, elle doit être constitutionnellement indépendante du gouvernement »note de fin d’ouvrage 139. Elle craint que de nombreux commissaires qui ne travaillent qu’un jour par semaine n’acquièrent pas l’expérience nécessaire ou n’aient pas le temps d’effectuer leur travail correctement. Enfin, elle a noté que les commissaires sont payés à un taux journalier qui est inférieur à la moitié de ce que les juges qui sont enregistreurs gagnent lorsqu’ils travaillent sur une base journalièrenote de fin d’ouvrage 140.
Innocence Canada a souligné l’expérience de la commission anglaise, où le ministère de la Justice s’est engagé dans des mesures de réduction des coûts et une prétendue ingérence dans les nominations, comme un exemple de ce qu’il faut éviter. L’organisme a fait valoir que [traduction] « l’intégrité et la fonctionnalité d’une commission peuvent être gravement compromises lorsqu’un gouvernement est trop impliqué dans le fonctionnement interne d’une commission »note de fin d’ouvrage 141.
Recommandations 14 et 15
Il existe un réel danger qu’une commission indépendante, surtout si elle reçoit plus de demandes et s’engage à enquêter et à prévenir des erreurs judiciaires, soit sous-financée par rapport à l’approche plus réactive du GRCC.
À notre avis, le meilleur moyen de se prémunir contre le sous-financement est d’opter pour une combinaison des options 1 et 3. L’option 1 permettrait à la commission d’avoir accès à un budget de fonds renouvelable afin qu’elle ne soit pas obligée de retarder des enquêtes ou de refuser de mener des tests ou d’engager des agents extérieurs, au besoin, parce qu’elle a dépensé plus que le budget qui lui est alloué annuellement. Cette option est la plus proche afin de maintenir ce que le responsable du GRCC a décrit comme l’état actuel des choses avec un budget renouvelable qui peut, dans une année particulièrement chargée, dépasser le budget annuel alloué. Par exemple, le GRCC a pu répondre aux augmentations du nombre de demandes complètes qu’il a reçues depuis 2015 (de cinq à environ 17-18 demandes complètes par an) sans avoir à s’inquiéter de sous-financement, comme il devrait pouvoir le faire, tout comme la nouvelle commission indépendante. Selon nous, cet état de fait devrait perdurer lorsque la nouvelle commission recevra un nombre encore plus élevé de demandes.
Afin de garantir un budget renouvelable, il peut s’avérer nécessaire d’apporter certaines modifications au Service administratif des tribunaux judiciaires afin qu’il soit désigné sous l’annexe 2 plutôt que sous l’annexe 1.1 de la Loi sur la gestion des finances publiques.
Nous sommes également favorables à l’option 3. Comme nous l’avons souligné plus haut, nous pensons qu’il est important de reconnaître le rôle unique que la commission indépendante jouera en remplacement du ministre de la Justice. La commission n’est pas juste un organisme ou tribunal administratif comme les autres, en raison de ses pouvoirs uniques lui permettant d’annuler des condamnations et d’ordonner la tenue de nouveaux procès et des appels. Si la commission doit prendre des décisions ayant une incidence sur celles prises par les tribunaux indépendants, elle devrait avoir droit du gouvernement au même respect et au même traitement que les tribunaux. Pour cette raison, nous recommandons l’option 3 qui garantirait que les commissaires à temps plein sont rémunérés selon des taux associés à ceux que touchent les juges des cours supérieures, tel que déterminé par un processus indépendant et exigé par la Constitution, comme prévu par la Loi sur les juges.
Nous ajoutons qu’un tel arrangement ne doit pas servir d’excuse pour sous-financer le budget global de la commission. Les commissaires prendront la décision finale de retourner ou non des affaires devant le tribunal, mais ils auront besoin d’enquêteurs, d’avocats spécialisés et de travailleurs de soutien spécialisés et ils devront pouvoir engager des agents et des experts indépendants pour faire leur travail correctement.
Loi habilitante
Option 1 : des modifications au Code criminel
Une certaine version des actuels articles 696.1 à 696.6 est présente dans le Code criminel depuis sa première adoption en 1892. La commission norvégienne a été créée de la même manière dans le cadre du code pénal de ce pays.
Option 2 : une loi habilitante distincte
Les commissions anglaise, écossaise et néo-zélandaise sont toutes établies en vertu d’une loi distincte, bien qu’aucun de ces pays ne dispose d’un Code criminel complet. Certains ont recommandé que les organismes de surveillance et d’examen, en particulier dans le domaine du maintien de l’ordre, fassent l’objet d’une législation distincte des lois sur le maintien de l’ordre afin de souligner l’indépendance du processus d’examen et de plainte.
Ce que nous avons entendu
Le groupe Milgaard/Lockyer a recommandé que la commission soit créée en vertu du Code criminel pour servir [traduction] « d’avertissement à tous les acteurs du système de justice pénale que le système est humain et donc faillible ». Le Projet Innocence Québec a également recommandé que la commission soit établie en vertu du Code criminel, comme c’est le cas pour l’actuel processus de révision ministérielle. Il a ajouté : « Nous ne voyons aucune raison politique de faire autrement… »note de fin d’ouvrage 142.
Jerome Kennedy d’Innocence Canada a exprimé sa préférence pour une loi habilitante distincte. L’Association du Barreau canadien a également recommandé l’adoption d’une loi autonome pour améliorer la perception de l’indépendance de la commission – avis partagé par l’Association canadienne des libertés civiles et la professeure Kathryn Campbell de l’Université d’Ottawanote de fin d’ouvrage 143.
Recommandation 16
Nous acceptons qu’une loi distincte jouerait un certain rôle pour souligner l’indépendance de la commission. Nous notons qu’une loi distincte a été recommandée pour les organismes de surveillance de la police.
En même temps, une loi distincte serait moins visible et moins accessible que le Code criminel. Par ailleurs, le Code criminel est différent des lois sur le maintien de l’ordre, car il prévoit déjà un contrôle judiciaire des actions de la police et des procureurs.
Comme nous l’avons souligné dans la partie C du présent rapport, la nécessité de prévoir une certaine voie pour corriger des erreurs judiciaires est une caractéristique constante du Code criminel depuis sa première adoption en 1892. Il serait anormal de retirer cette disposition du Code criminel à une époque où il est largement et correctement admis que les erreurs judiciaires sont inévitables. Nous sommes d’accord avec le groupe Milgaard/Lockyer que l’établissement de la nouvelle commission dans le Code criminel servirait à rappeler aux participants à la justice les dangers et l’inévitabilité des erreurs dans le système judiciaire.
L’établissement de la commission dans une partie distincte du Code criminel, y compris des dispositions prévoyant la nomination et le financement indépendants de la nouvelle commission, devrait également indiquer clairement que la commission est indépendante d’autres parties du système judiciaire – y compris la police, les procureurs et les tribunaux.
Examens prévus de la commission par le Parlement et des experts
Option 1 : un examen unique par un comité parlementaire trois ou cinq ans après la création de la commission
Certaines modifications apportées au Code criminel ont fait l’objet d’examens prévus, généralement menés par un comité parlementaire.
Option 2 : un examen par un comité parlementaire tous les trois ou cinq ans
La législation pourrait exiger une série d’examens périodiques menés par un comité parlementaire.
Option 3 : aucun examen parlementaire
De nombreuses modifications du Code criminel ne prévoient aucun examen, mais comme toute législation, le Code criminel peut être réexaminé par le Parlement à un moment futur.
Option 4 : un examen par des experts indépendants
Les modifications apportées au Code criminel en 2021 concernant l’aide médicale à mourir exigent que des examens indépendants soient menés et déposés au Parlement en ce qui concerne les personnes atteintes de maladies mentales. Les modifications prévoient également un examen par un comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes.
Ce que nous avons entendu
Un large soutien a été exprimé en faveur d’un examen parlementaire prévu entre trois et cinq ans après la création d’une commission. Cet examen pourrait permettre de déterminer si la commission a été correctement financée et si son mandat doit être adapté en fonction du nombre imprévisible de demandes dont elle est saisie.
Un certain soutien, en particulier parmi les experts en sciences judiciaires, a été exprimé en faveur d’un examen par des experts indépendants afin de déterminer l’efficacité des enquêtes menées par la commission et l’utilisation de preuves d’experts par cette dernière. Les experts en sciences judiciaires ont souligné que les sciences et les technologies judiciaires évoluent rapidement. Un tel examen indépendant pourrait être mené par le Conseil des académies canadiennes qui fait appel aux talents multidisciplinaires de toutes les sociétés savantes du Canada.
Il a également été suggéré que le vérificateur général du Canada ou le directeur parlementaire du budget soit tenu de préparer un rapport sur la suffisance du financement de la commission. Ce rapport pourrait être déposé au Parlement et ferait partie des éléments de preuve pris en compte dans le cadre de l’examen parlementaire.
Les représentants du projet Innocence Cardiff ont souligné qu’un organisme externe pourrait également procéder à un examen éthique du travail de la commission, y compris des commissaires et des membres du personnel.
L’Association du Barreau canadien s’est toutefois opposée à des examens parlementaires prévus, estimant qu’ils risquaient de nuire à l’indépendance de la nouvelle commission. Elle ne s’est toutefois pas opposée à ce qu’un comité parlementaire ou une équipe d’enquête indépendante enquête et fasse rapport au Parlement [traduction] « s’il y a des problèmes dans l’administration de la commission »note de fin d’ouvrage 144.
Recommandation 17
Nous sommes favorables à la fois à l’option 2, qui prévoit des examens parlementaires périodiques, et à l’option 4, qui permettrait à la commission de déterminer quand et si d’autres experts indépendants devraient participer à un examen. Nous recommandons également que les examens parlementaires périodiques de la commission soient précédés d’examens par le vérificateur général ou le bureau du directeur parlementaire du budget de la suffisance du financement de la commission.
Les examens parlementaires de la commission anglaise ont soulevé d’importantes préoccupations concernant le sous-financement et la relation entre la commission et le système judiciaire plus large, y compris le caractère adéquat des motifs d’appel de la Cour d’appel. Les examens parlementaires peuvent également exercer un contrôle sur la composition démographique et multidisciplinaire des membres de la commission.
Le fait de confier l’examen à un comité mixte de la Chambre des communes et du Sénat minimisera les risques de partisanerie, et nous sommes favorables à ce type d’examen. La commission devrait participer activement et avec enthousiasme à de tels examens parlementaires.
D’autres examens indépendants sur d’autres sujets peuvent également s’avérer utiles, mais il faut laisser à la commission le soin de décider s’ils sont nécessaires pour améliorer son travail.
Le processus d’examen en continu, à l’intérieur comme à l’extérieur du Parlement, fait partie du rôle proactif, dynamique et systémique que nous envisageons pour la commission.
Protections contre la discrimination et mesures de protection positives
Option 1 : des dispositions relatives à la non-discrimination et à l’égalité réelle prévues par la législation
Les obligations de la commission en matière de lutte contre la discrimination et d’accommodement pourraient être incluses dans un préambule ou encore des dispositions opérationnelles de la loi habilitante de la commission. La législation néo-zélandaise fait expressément référence à la nécessité pour au moins un commissaire d’avoir une connaissance de la vision du monde, des lois et des coutumes des Maoris.
Option 2 : aucune référence aux dispositions relatives à la non-discrimination et à l’égalité réelle dans la législation
Les lois établissant les autres commissions étrangères ne renvoient pas expressément à l’égalité et à la non-discrimination. En même temps, les dispositions générales relatives à la non-discrimination en vigueur sur ces territoires s’appliqueraient aux travaux de ces commissions.
Ce que nous avons entendu
La plupart des personnes consultées ont soutenu l’option 1, qui consiste à inscrire des principes spécifiques de non-discrimination et des mesures de protection positives dans la loi habilitante de la commission.
Le responsable du GRCC, Nigel Marshman, nous a dit qu’il n’avait aucune opinion tranchée sur cette question. Il a fait remarquer que la nouvelle commission serait de toute façon liée par la Charte et la Loi canadienne sur les droits de la personne et pourrait élaborer ses propres politiques de non-discrimination. Le juge Grenier, ancien conseiller spécial auprès du ministre, a exprimé sa préférence pour que la commission élabore ses propres politiques de non-discrimination sans qu’elles soient incluses dans la loi habilitante.
La Société des plaideurs nous a également dit qu’il n’était pas nécessaire d’avoir des dispositions précises de non-discrimination étant donné les lois existantes. Par ailleurs, elle a indiqué que la commission devait élaborer et publier ses propres politiques de non-discrimination.
Dale Tesarowski, du bureau du procureur général de la Saskatchewan, s’est dit préoccupé par l’inclusion de mesures de protection positives en raison du risque d’exclusion de certains groupes. Bonnie Weppler, du Conseil des Églises pour la Justice et la Criminologie, a affirmé que le problème résidait davantage dans l’application des diverses lois anti-discrimination que dans l’existence de ces lois.
La plupart des personnes consultées se sont toutefois prononcées en faveur de mesures de protection positives. La Fondation canadienne des relations raciales a recommandé que le protocole d’examen de dossiers de la commission [traduction] « intègre un niveau d’examen permettant de déterminer le rôle que le racisme a pu jouer dans la condamnation de demandeurs noirs, racisés et autochtones ». Aussi, elle a recommandé que la commission recueille des statistiques fondées sur la race qui pourraient être pertinentes pour une réforme systémique visant à prévenir les erreurs judiciairesnote de fin d’ouvrage 145.
Innocence Canada a proposé que [traduction] « dans le cas de demandeurs autochtones, la commission indépendante élargisse le champ des infractions pour lesquelles elle accepte des demandes et que la commission indépendante établisse des contacts dans les communautés autochtones et racisées en matière de programmes de sensibilisation, afin d’assurer que ces communautés connaissent l’existence et le rôle de la commission indépendante »note de fin d’ouvrage 146.
Le groupe Milgaard/Lockyer a proposé que la législation contienne des dispositions de non-discrimination et que la nouvelle commission élabore ses propres politiques de non-discrimination. Il a également proposé que le préambule de la législation fasse référence à la surreprésentation des Autochtones entre autres groupes dans le système judiciaire.
L’Association du Barreau canadien a soutenu des mesures de protection positives : [traduction] « Premièrement, elles garantissent un meilleur accès à la justice en éliminant des obstacles inutiles à l’examen postérieur à la condamnation. Deuxièmement, ces mesures reconnaissent la discrimination historique à l’égard de certains groupes qui ont été surreprésentés dans le système judiciaire canadien »note de fin d’ouvrage 147.
L’Association canadienne des libertés civiles a également demandé [traduction] « un libellé législatif affirmant l’importance de respecter les garanties d’égalité contenues dans la Charte, la Loi canadienne sur les droits de la personne et le droit international applicable, ainsi qu’une reconnaissance explicite des groupes qui sont surreprésentés dans le système de justice pénale. » Elle a ajouté que [traduction] « les préambules ou les déclarations de principes peuvent éclairer l’interprétation des lois et contribuer à garantir que les dispositions législatives soient interprétées d’une manière qui tienne compte du contexte plus large du système judiciaire ».
Le professeur Wesley Crichlow nous a dit que les spécificités de certains groupes devraient être nommées en mettant l’accent sur le racisme anti-Noirs et en reconnaissant l’intersectionnalité de la discrimination. Clayton Ruby et Mary Cornish ont tous deux reconnu l’importance de faire de l’égalité une partie du mandat de la commission. Shawn Richard a suggéré que la collecte de données fondées sur la race est importante pour combattre le racisme et la discrimination systémique dans le travail de la commission.
Pauktuutit Inuit Women of Canada, qui représente les femmes inuites, a mis en garde contre l’adoption d’une approche applicable à tous les Autochtones qui, selon elle, traite de manière inappropriée les délinquants inuits comme s’ils étaient des membres des Premières Nationsnote de fin d’ouvrage 148.
L’ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels a déclaré que [traduction] « l’élaboration de politiques de non-discrimination dans la législation est garante de leur cohérence et leur légitimité. » Elle a exhorté la commission à [traduction] « instaurer des politiques et des lignes directrices opérationnelles qui incluent un cadre antiraciste et anti-oppression, ainsi qu’une formation à l’humilité culturelle et des pratiques centrées sur les expériences vécues de traumatisme et de victimisation, afin de garantir que les personnes les plus à risque soient traitées avec respect, équité et dignité »note de fin d’ouvrage 149.
Recommandation 18
Nous sommes d’accord avec la majorité des personnes consultées ayant soutenu l’option 1, qui prône l’inclusion de mesures de protection positives contre la discrimination et des obligations d’accommodement raisonnable dans la loi habilitante de la commission. Le renvoi, dans le préambule de la loi habilitante, à des groupes, notamment aux Autochtones et aux Noirs qui sont surreprésentés en prison, a une certaine valeur. Néanmoins, c’est loin d’être suffisant.
L’énoncé de principes de la loi devrait refléter l’article 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui interdit toute discrimination fondée sur « la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre, l’état matrimonial, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, l’état de personne graciée ou la déficience »note de fin d’ouvrage 150. Compte tenu des restrictions existantes sur les pardons et les suspensions de casier judiciaire, nous sommes favorables à une simple interdiction sur la base de la discrimination en raison d’une condamnation pénale, tout en veillant à ce que tous les commissaires et l’ensemble du personnel de la commission soient dignes de confiance quant à la nécessité de protéger les renseignements confidentiels. Il existe une valeur éducative dans une déclaration de principes d’affirmation de l’égalité. De tels principes permettent d’accueillir concrètement les demandes de membres de groupes défavorisés pouvant avoir de bonnes raisons de se méfier des organismes publics.
La législation devrait également rendre obligatoire la collecte de données sur les caractéristiques personnelles des demandeurs et de ceux qui reçoivent un recours de la commission. Ces données doivent inclure l’identification autochtone, le genre, l’identité de genre, l’âge, l’appartenance à un groupe racisé, la langue, le handicap et d’autres caractéristiques personnelles pertinentes pouvant servir à mesurer la discrimination systémiquenote de fin d’ouvrage 151. La loi habilitante de la commission devrait exiger que les données recueillies soient publiées dans des rapports annuels et comparées à la prévalence de ces caractéristiques au sein de la population canadienne et dans les prisons au Canada. La commission devrait collaborer avec Statistique Canada et d’autres organismes pour fournir ces données afin de mesurer la surreprésentation dans les prisons et de savoir si la commission s’adapte et gagne la confiance de demandeurs issus de groupes défavorisés qui sont représentés de façon disproportionnée dans les prisons. En bref, nous pensons que l’attention portée à l’égalité réelle et à la lutte contre la discrimination devrait être inscrite dans l’ADN législatif de la commission.
Comme c’est le cas pour la nécessité d’un comité consultatif représentatif, nous pensons que cette caractéristique est essentielle au succès d’une commission proactive et systémique comme nous l’envisageons. Nous faisons donc une exception à notre recommandation générale de permettre à la commission d’élaborer et de définir ses propres politiques. Cela étant dit, la reconnaissance statutaire des mesures de protection positives contre la discrimination que nous envisageons n’empêcherait pas la nouvelle commission de les accroître de ses propres politiques de non-discrimination.
À l’échelle fédérale, la Loi sur l’équité en matière d’emploinote de fin d’ouvrage 152 devrait s’appliquer à la commission, même si celle-ci compte moins des 100 employés nécessaires pour déclencher ses dispositions. Cela permettra de garantir la diversité du personnel de la commission.
Nous espérons que l’inclusion de ces mesures de protection positives et de ces exigences en matière de rapports dans la loi habilitante permettra à la commission d’accommoder de manière positive des demandeurs issus de groupes défavorisés et d’améliorer leur accès à la justice.
E. Le mandat de la nouvelle commission
Affaires graves et moins graves
Option 1 : Affaires plus graves seulement
La commission de la Caroline du Nord n’entend que les demandes concernant des affaires graves, comme le meurtre. Les projets Innocence au Canada et aux États-Unis se limitent aussi généralement à des affaires d’homicide et parfois à des affaires d’infraction sexuelle qui ne soulèvent pas la question du consentement.
Option 2 : Toutes les condamnations criminelles
Cette option limiterait la compétence de la nouvelle commission aux affaires dans lesquelles une personne est déclarée coupable d’une infraction criminelle fédérale au sens du Code criminel, de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents ou de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.
Option 3 : Toutes les condamnations prononcées en vertu de lois et de règlements fédéraux
La compétence du ministre au titre de l’article 696.1 du Code criminel comprend maintenant toutes les affaires criminelles et toutes les infractions à un règlement fédéral (édictées à des fins non criminelles comme les infractions de nature environnementale ou les infractions concernant le transport maritime) même si les infractions réglementaires n’entraînent généralement pas de peine d’emprisonnement ou la même stigmatisation que les infractions criminelles.
Option 4 : Compétence visant toutes les affaires criminelles, mais pouvant faire l’objet d’une entrée en vigueur retardée ou d’une politique de la commission
La commission pourrait avoir compétence sur toutes les condamnations, mais ensuite être autorisée par une politique ou par l’entrée en vigueur retardée de certaines parties de sa loi habilitante à traiter en premier des affaires les plus graves et plus tard, si les ressources le permettent, à enquêter sur des affaires moins graves.
Ce que nous avons entendu
Les observations que nous avons entendues relevaient de trois grandes catégories. La plupart des personnes et des organisations consultées nous ont dit que la nouvelle commission devrait avoir compétence pour examiner des affaires criminelles encore moins graves parce que toute condamnation injustifiée était une injustice et pourrait avoir de graves conséquences pour la personne visée. D’autres entités, dont Innocence Canada, la Criminal Lawyers Association et le groupe fédéral-provincial-territorial des chefs des poursuites pénales ont tous conseillé de limiter le mandat de la commission aux affaires les plus graves pour éviter qu’il ne soit trop lourd. Enfin, certaines ont recommandé que la commission se penche d’abord sur les affaires les plus graves, puis qu’elle examine les affaires moins graves si elle en a la capacité.
Toutes les erreurs judiciaires sont graves
La Fondation canadienne des relations raciales a cité les récents travaux de la Commission ontarienne des droits de la personne qui ont mené à la conclusion que les personnes noires à Toronto constituaient 32 % des arrestations pour des crimes moins graves, même si elles ne représentaient que 9 % de la population torontoisenote de fin d’ouvrage 153. Elle a reconnu que, compte tenu des ressources limitées, la commission devrait accorder la priorité aux demandeurs qui sont toujours emprisonnés, mais a recommandé que la commission ait compétence sur les crimes moins graves. L’ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels nous a également dit que [traduction] « souvent, les personnes marginalisées sont criminalisées pour des affaires moins graves et il faut donc porter attention à ces affaires pour prévenir la surreprésentation au sein du système de justice »note de fin d’ouvrage 154.
L’Association du Barreau canadien a indiqué que toutes les condamnations criminelles devraient faire l’objet d’une révision parce qu’elles [traduction] « rendent les personnes inadmissibles à certains types d’emplois, au bénévolat et à des occasions d’études. Les condamnations peuvent avoir une incidence sur l’accès au logement et aux procédures de droit de la famille. Elles peuvent entraîner d’importantes restrictions de voyage et d’autres formes de stigmatisation socialenote de fin d’ouvrage 155. » Tony Paisana, chef de la section du droit pénal de l’Association du Barreau canadien, nous a dit qu’à la lumière de sa vaste expérience de travail dans les prisons et le système de justice pénale, il ne croit tout simplement pas que tous les détenus prétendront avoir été condamnés à tort.
Le groupe Milgaard/Lockyer a également souligné les conséquences néfastes de toute condamnation criminelle et a ajouté ce qui suit : [traduction] « si le mandat de la commission était limité aux affaires plus graves, cela signifierait qu’il y aurait un système de révision à deux niveaux; les affaires graves sur demande à la commission, les affaires moins graves sur demande au ministre, ce qui n’est pas souhaitable »note de fin d’ouvrage 156.
Le Projet Innocence Québec a rappelé que, même si la plupart des erreurs judiciaires concernent des homicides et des agressions sexuelles, [traduction] « l’ampleur des dommages ne dépend pas toujours de la gravité de l’infraction. Au-delà des dommages, nous croyons que notre système de justice sera meilleur si l’on veille à ce que toute erreur judiciaire soit corrigée »note de fin d’ouvrage 157. De même, le projet Innocence de l’UCB nous a dit qu’il n’accepte que les affaires graves, mais qu’il s’agit [traduction] « strictement d’une question de financement »note de fin d’ouvrage 158.
La Law and Mental Disorder Association nous a dit que les personnes ayant des problèmes de santé mentale sont souvent condamnées ou tenues de plaider coupable dans des affaires moins graves pour avoir accès à des peines « spécialisées ». Elle a recommandé que la commission ait compétence pour examiner les demandes dans les affaires moins gravesnote de fin d’ouvrage 159.
De nombreuses autres organisations et personnes consultées nous ont dit que « une condamnation injustifiée est une condamnation injustifiée » et devrait être corrigée si possible avec l’aide de la commission.
Affaires graves seulement
Mary Ainslie du bureau du procureur général de la Colombie-Britannique nous a dit que [traduction] « souvent les infractions moins graves ne soulèvent pas autant de préoccupations quant aux erreurs judiciaires. Si les affaires moins graves entraînent une surreprésentation, il existe de nombreuses autres façons de régler ces problèmes. » Le groupe FPT des chefs des poursuites pénales a déclaré qu’il existe de nombreuses mesures de protection, comme les appels dans des affaires moins graves qui ont donné lieu à de faux plaidoyers de culpabilité. Il a également déclaré que, dans de telles affaires, l’enquête pourrait hypothéquer les ressources des services de police et en matière de poursuites et ne pas permettre de trouver de nouveaux éléments de preuve en raison de périodes de conservation variables, mais souvent courtes, dans les affaires moins graves. Ce groupe a affirmé ne pas souhaiter que la nouvelle commission soit [traduction] « écrasée par son propre poids. Le fait de vouloir trop en faire trop rapidement entraînerait d’énormes dépenses et pourrait créer une méfiance généralisée chez les divers intervenants »note de fin d’ouvrage 160.
La Société des plaideurs a souligné qu’il n’était [traduction] « pas réaliste de penser que la commission disposera des ressources nécessaires pour traiter des questions moins graves au cas par cas »note de fin d’ouvrage 161, mais a laissé entendre que la commission pourrait traiter de telles questions au moyen d’une réforme systémique. Le juge Mel Green a proposé une approche similaire. La Criminal Lawyers Association est aussi d’accord pour accorder la priorité aux affaires plus graves, mais ferait des exceptions dans les affaires où un pardon ou une suspension du casier judiciaire n’a pu être accordé, une personne peut être expulsée ou faire l’objet d’une ordonnance de surveillance à long termenote de fin d’ouvrage 162. Les représentants de la commission de la Caroline du Nord nous ont dit être d’accord avec le principe de n’examiner que les affaires graves.
Les affaires graves, et ensuite peut-être les affaires moins graves
Un certain nombre de personnes et d’organisations consultées ont proposé que la commission se penche d’abord sur les affaires les plus graves puis, si les ressources le permettent, traite les affaires moins graves. Par exemple, Innocence Canada a fait valoir que cette approche progressive permettrait de ne pas [traduction] « submerger la nouvelle commission de demandes pouvant faire l’objet d’une révision dès le départ et qu’elle ne soit pas vouée à l’échec dès sa création »note de fin d’ouvrage 163.
Recommandation 19
Nous sommes convaincus que la nouvelle commission devrait pouvoir entendre les affaires concernant toutes les condamnations criminelles telles que décrites à l’option 2 et qu’elle devrait être autorisée à établir et à réviser les politiques relatives à la priorité à accorder aux demandes, comme le prévoit l’option 4. À notre avis, il n’est pas nécessaire que la commission ait compétence, comme c’est le cas du ministre à l’heure actuelle, en ce qui concerne les infractions prévues dans la réglementation fédérale qui ne sont pas aussi stigmatisantes que les condamnations criminelles. Le GRCC nous a informés que cela ne ferait aucune différence en pratique puisque les demandes ne visent pas des infractions réglementaires fédérales. Nous craignons également que le régime actuel puisse entraîner des disparités inéquitables si les personnes reconnues coupables d’une infraction réglementaire dans le régime fédéral pouvaient présenter une demande à la nouvelle commission, mais que les personnes reconnues coupables d’infractions réglementaires adoptées par d’autres ordres de gouvernement ne le peuvent pas.
Nous prenons au sérieux les avertissements de nombreuses personnes et organisations d’expérience consultées selon lesquelles la commission pourrait avoir suffisamment de travail en traitant les affaires graves. Nous croyons qu’il est préférable que la commission ait une vaste compétence pour faire enquête sur toutes les condamnations criminelles tout en établissant une obligation légale afin que la commission élabore des politiques publiques quant à la priorité qu’elle attribuera aux affaires. Cela permettrait à la commission d’interagir avec les divers groupes pour la formulation d’une telle politique et de réviser les politiques à la lumière des demandes et des ressources qu’elle reçoit. Comme nous l’avons déjà souligné en ce qui concerne le sous-financement, les politiques publiques et transparentes sur l’acceptation et le traitement des affaires permettront également à la commission de faire savoir au public si elle ne dispose pas de ressources suffisantes pour examiner toutes les affaires relevant de sa compétence.
Nous pensons que l’approche consistant à exiger de la commission qu’elle établisse de telles politiques est préférable à l’option de commencer par les affaires les plus graves et de traiter seulement plus tard les affaires moins graves. Comme l’a indiqué le groupe Milgaard/Lockyer, une telle approche nous amène à nous demander ce qui arrive aux demandes concernant des affaires moins graves entre-temps. Encore une fois, le rôle de la commission ne devrait généralement pas être plus restrictif que l’actuel système ministériel/GRCC.
Enfin, nous sommes d’accord avec les nombreuses personnes et organisations consultées qui nous ont dit que l’impact d’une condamnation injustifiée dépend de toutes les circonstances, y compris des caractéristiques personnelles du délinquant et des conséquences collatérales d’une condamnation.
Demandes concernant des délinquants dangereux et des délinquants à contrôler
Option 1 : La commission peut examiner les désignations de délinquant dangereux et de délinquant à contrôler
C’est le statu quo en ce qui concerne l’article 696.1. Le GRCC nous a appris qu’il reçoit rarement des demandes relatives à ces désignations, qui font également l’objet d’appels et de révisions périodiques par la Commission des libérations conditionnelles du Canada.
Option 2 : La commission ne peut pas examiner les désignations de délinquant dangereux et de délinquant à contrôler
Le délinquant qui est déclaré délinquant à contrôler ou délinquant dangereux pourrait quand même présenter une demande concernant la condamnation à une infraction sur laquelle est fondée la désignation de délinquant à contrôler ou de délinquant dangereux.
Ce que nous avons entendu
La plupart des personnes et des organisations consultées préfèrent que la commission, comme le ministre, ait compétence sur les affaires concernant des délinquants dangereux et des délinquants à contrôler. Il y avait toutefois quelques exceptions. Le groupe FPT des chefs des poursuites pénales a affirmé que le droit d’appel, qui est plus solide pour l’accusé que l’appel ordinaire concernant une peinenote de fin d’ouvrage 164, et une révision subséquente par la Commission des libérations conditionnelles après sept ans de détention indéterminée et tous les deux ans par la suite, étaient adéquatsnote de fin d’ouvrage 165. Les représentants de la Commission des libérations conditionnelles ont souligné la décision de 1990 de la Cour suprême d’accueillir une demande d’habeas corpus sur le fondement d’erreurs de la Commission des libérations conditionnelles quant à la détention de la personne pendant 37 ansnote de fin d’ouvrage 166. Néanmoins, ils étaient certains que de telles erreurs ne se reproduiraient pas. Le Projet Innocence Québec nous a dit qu’il n’avait jamais traité d’affaire de délinquant dangereux ou de délinquant à contrôler pour laquelle il pouvait présenter une demande de révision au ministre parce que le demandeur disposait toujours de voies d’appel au titre de l’article 759 du Code criminel. Il a souligné que, si des demandes portant sur l’infraction sous-jacente étaient accueillies, l’ordonnance de délinquant dangereux ou de délinquant à contrôler [traduction] « n’aurait plus de fondement juridique »note de fin d’ouvrage 167.
Contrairement au Projet Innocence Québec, Kathryn Campbell nous a dit que le Projet Innocence de l’Université d’Ottawa a reçu au cours des dernières années de nombreuses demandes de la part de personnes désignées délinquant dangereux et délinquant à contrôler, mais qu’en raison de ressources et d’une expertise limitées, il n’a pas été en mesure de les aider.
Jonathan Rudin, directeur du programme Aboriginal Legal Services, a insisté sur la nécessité d’autoriser les demandes à la commission qui pourraient prendre en compte de nouveaux éléments de preuve relatifs à la réadaptation du délinquant et du risque de récidive future. Il a cité une affaire récentenote de fin d’ouvrage 168 dans laquelle un délinquant a reçu un diagnostic de schizophrénie et s’est fait prescrire des médicaments après sa désignation initiale. Cette démarche a fait une différence très positive dans sa participation aux programmes correctionnels et dans de nombreux autres aspects de sa vie. M. Rudin a ajouté que les rapports Gladue sur la situation des délinquants autochtones sont souvent absents des procédures relatives aux délinquants dangereuxnote de fin d’ouvrage 169. Il a souligné que, même si la personne est libérée par la Commission des libérations conditionnelles, elle fait toujours l’objet d’une peine d’une durée indéterminée. Enfin, il a laissé entendre qu’il pourrait être indiqué de renvoyer un délinquant dangereux ou un délinquant à contrôler à un tribunal de première instance qui sera le mieux placé pour examiner la nouvelle preuve et tout autre élément de preuve pertinent.
Le professeur David Milward, de l’Université de Victoria, a souligné le manque de programmes pour les personnes autochtones faisant l’objet d’une désignation de délinquants dangereux ou de délinquants à contrôlernote de fin d’ouvrage 170. Il nous a dit que la commission devrait avoir les pouvoirs dont dispose actuellement le ministre de la Justice pour ordonner la tenue d’un nouveau procès ou d’un appel à l’égard de délinquants à contrôler ou de délinquants dangereuxnote de fin d’ouvrage 171.
Quinn Saretsky de la société Elizabeth Fry du Manitoba nous a raconté comment elle a travaillé avec des femmes autochtones qui ont été désignées délinquantes dangereuses et qui étaient mécontentes de l’approche de la Commission des libérations conditionnelles concernant leur maintien en détention. Les tribunaux ont indiqué que le contrôle judiciaire des décisions de la Commission des libérations conditionnelles selon la norme du caractère raisonnable est préférable au recours à l’habeas corpus en cas de violation du droit à la protection contre les peines cruelles et inusitéesnote de fin d’ouvrage 172.
Kelly Potvin, la directrice générale de la société Elizabeth Fry de Toronto et coprésidente de la société Thunder Woman Healing Lodge, a déclaré qu’il était important d’avoir un organisme autre que la Commission des libérations conditionnelles qui se penche sur le maintien en détention des délinquants jugés dangereux. Le groupe Milgaard/Lockyer a appuyé l’inclusion de la désignation de délinquant dangereux dans le mandat de la commission. Ses représentants ont dit craindre que la Commission des libérations conditionnelles ne soit pas adéquate dans de telles affaires et que la commission puisse jouer un rôle de dernier recours qui est important.
Recommandation 20
Nous estimons que toute nouvelle commission devrait avoir compétence pour entendre les demandes relatives à la désignation de délinquant dangereux ou de délinquant à contrôler. Cette approche est conforme au principe général selon lequel la commission ne devrait généralement pas retirer des droits prévus dans le système actuel de révision ministérielle. C’est particulièrement le cas lorsque les conséquences d’une condamnation et d’une détention sont graves, comme dans le cas d’une détention pouvant être indéterminée ou de conditions qui peuvent être imposées aux personnes désignées délinquants dangereux ou délinquants à contrôler.
Nous reconnaissons que la Commission des libérations conditionnelles effectue des révisions périodiques, mais nous craignons que les délinquants ne disposent pas toujours des ressources nécessaires pour obtenir de nouveaux renseignements et éléments de preuve. De plus, ils pourraient ne pas faire confiance à la Commission des libérations conditionnelles pour qu’elle agisse à la lumière de nouveaux renseignements.
Nous sommes également préoccupés par les limites du contrôle judiciaire des décisions de la Commission des libérations conditionnelles selon la norme générale du caractère raisonnable. À notre avis, les nouveaux éléments de preuve permettant de déterminer si une personne a été correctement désignée comme délinquant dangereux ou délinquant à contrôler devraient être examinés par la commission et, s’il y a lieu, par les tribunaux sur le fond.
Nous sommes troublés par la position dans laquelle les délinquants autochtones et ceux appartenant à d’autres groupes défavorisés peuvent se retrouver devant le système correctionnel et de libération conditionnelle. Ils peuvent être pris dans un cercle vicieux où ils ne sont pas en mesure d’obtenir de nouveaux éléments de preuve concernant leur réadaptation en raison d’un manque de programmes ou de restrictions relatives aux programmes. Nous ne croyons pas que la commission devrait aggraver cette inégalité en l’ignorant. Même dans les affaires où une demande présentée par une personne désignée délinquant dangereux ou délinquant à contrôler peut être rejetée parce que la désignation n’a pas été portée en appel devant la Cour d’appel, une commission proactive devrait, dans les cas qui s’y prêtent, s’efforcer d’aider le demandeur à interjeter appel et à trouver de nouveaux éléments de preuve concernant sa réadaptation et ses placements possibles dans la communauté.
Verdicts de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux (NRC)
Option 1 : La commission peut examiner les verdicts de non-responsabilité criminelle
Cette option élargirait la compétence de la nouvelle commission au-delà de celle du ministre en vertu de l’article 696.1, pour y inclure la révision d’un verdict selon lequel une personne n’était pas criminellement responsable pour cause de troubles mentaux. Nous soulignons que la commission de l’Angleterre peut examiner des verdicts similairesnote de fin d’ouvrage 173.
Option 2 : La commission ne peut pas examiner les verdicts de non-responsabilité criminelle
Il s’agirait du statu quo. Comme dans le cas des désignations de délinquant dangereux et de délinquant à contrôler examinées ci-dessus, cette option laisserait le sort des personnes ayant reçu un verdict de NRC entre les mains des commissions d’examen en santé mentale assujettis à un contrôle judiciaire.
Ce que nous avons entendu
Il y a eu peu d’opposition à l’inclusion des verdicts de non-responsabilité criminelle dans la compétence de la commission. La Law and Mental Disorder Association a remarqué que les délinquants, y compris les jeunes contrevenants, sont parfois tenus d’accepter un verdict de NRC pour avoir accès à un traitement ou parce que l’on croit qu’une telle décision est dans « le meilleur intérêt » des personnes atteintes de troubles mentaux graves. [Traduction] « Quelque 10 à 15 ans plus tard, ces accusés continuent d’être détenus dans des établissements hautement sécurisés ». Il est difficile d’interjeter appel de verdicts établissant la NRC, surtout lorsqu’ils remontent à un certain temps et que le financement de l’aide juridique n’est pas disponible ou qu’il est refusé. En général, les clients atteints de troubles mentaux graves ont aussi de la difficulté à se représenter eux-mêmes. L’autoreprésentation ou la représentation inefficace mènent à de nombreux « verdicts de NRC injustifiés »note de fin d’ouvrage 174.
La professeure Lucinda Vandervort a également soutenu que le mandat de la commission devrait être défini de façon générale pour inclure les verdicts de NRC afin d’assurer un « accès véritable à un recours efficace »note de fin d’ouvrage 175. L’Association du Barreau canadien est d’avis que la nouvelle commission devrait être en mesure d’examiner les affaires de NRC parce que ces personnes [traduction] « pourraient avoir disposé de moyens de défense légitimes qui n’ont pas été invoqués, ou l’ont été de façon moins efficace, en raison de l’état de l’accusé au moment du procès »note de fin d’ouvrage 176.
Recommandation 21
Nous appuyons l’option 1, c’est-à-dire que la commission devrait être en mesure d’entendre les demandes visant à contester un verdict de NRC. Nous ajoutons que la commission devrait pouvoir renvoyer une affaire à la Cour d’appelnote de fin d’ouvrage 177 ou à un nouveau procès si de nouveaux éléments de preuve démontrent que la personne déclarée coupable pourrait ou non avoir été non responsable criminellement au moment de l’infraction.
Comme dans le cas de la révision des désignations de délinquant dangereux ou de délinquant à contrôler, nous sommes d’avis que la nouvelle commission peut combler une lacune importante du système actuel. Pour s’en assurer, la détention et les conditions imposées à une personne déclarée non responsable criminellement font l’objet d’une révision périodique par une commission d’examen en santé mentale faisant l’objet d’un contrôle judiciaire. Cela dit, aucun système n’est parfait. Les tribunaux qui examinent le caractère raisonnable des décisions rendues par les commissions d’examen en santé mentale peuvent ne pas prendre connaissance de nouvelles questions importantes et présumer de la justesse du verdict de NRC initialnote de fin d’ouvrage 178. La commission doit donc jouer un rôle de dernier recours qui est essentiel.
Les personnes qui ont reçu un verdict de NRC ne disposent peut-être pas des ressources nécessaires pour trouver de nouveaux éléments de preuve concernant la justesse de leur verdict de NRC. De plus, une commission proactive devrait prendre des mesures pour venir en aide à un demandeur dans une affaire de verdict de NRC (ou de délinquant dangereux) lorsqu’un appel du verdict initial ou un contrôle judiciaire de la révision administrative subséquente de sa décision n’a pas eu lieu, mais pourrait bien être accueilli.
Affaires concernant d’autres peines
Option 1 : Aucune compétence en matière de peine
L’actuel système de révision ministérielle ne comprend pas les demandes relatives à la peine, à l’exception des désignations de délinquant dangereux et de délinquant à contrôler. Il existe une vaste compétence d’appel bien établie en matière de détermination de la peine.
Option 2 : Compétence en matière de peine
Les commissions de l’Angleterre, de l’Écosse, de la Norvège et de la Nouvelle-Zélande ont toutes compétence sur la peine, y compris dans les affaires portant sur de nouvelles questions de fait ou de droit.
Option 3 : Compétence sur la peine limitée aux nouveaux éléments de preuve après un appel par une personne qui purge encore sa peine
La compétence de la commission en matière de peines pourrait se limiter à de nouvelles questions de fait dans le cas d’une personne qui purge encore sa peine.
Ce que nous avons entendu
De nombreuses personnes et organisations consultées sont d’avis que la commission ne devrait pas examiner les demandes portant sur la peine. Jacques Larochelle, un avocat de la défense chevronné exerçant au Québec, nous a dit que le but de la commission [traduction] « est d’empêcher qu’une personne innocente soit reconnue coupable ». La juge Anne Derrick nous a dit qu’il était difficile de voir comment la détermination de la peine cadrerait avec la nature des autres travaux réalisés par la commission. Robert Israel, du Projet Innocence McGill, s’est dit préoccupé par le fait que l’examen des peines pourrait détourner la commission de son objet, c’est-à-dire les condamnations injustifiées. Le Projet Innocence Québec a ajouté qu’il serait [traduction] « difficile d’établir un critère pour évaluer l’impact de nouveaux éléments de preuve en raison du large pouvoir discrétionnaire du juge quant à la détermination de la peine »note de fin d’ouvrage 179. Amanda Carling, qui a travaillé avec Innocence Canada, se dit également préoccupée par le fait qu’une nouvelle commission pourrait être submergée par les questions de détermination de la peine en plus de remplir son mandat en matière de désignation de délinquants dangereux et de délinquants à contrôler. L’avocat criminaliste Mark Sandler est aussi d’avis qu’une nouvelle commission chargée de revoir des dossiers de détermination de la peine pourrait [traduction] « en avoir trop dans son assiette ». Le groupe FPT des chefs des poursuites pénales s’est opposé à la compétence en matière de peine compte tenu du rôle des tribunaux d’appel et de la nécessité [traduction] « de tenir compte des traumatismes pour les victimes »note de fin d’ouvrage 180. Colin Carruthers, le responsable de la commission de la Nouvelle-Zélande, a constaté que certains membres de la magistrature étaient d’avis qu’il ne fallait pas donner à la commission de la Nouvelle-Zélande le mandat d’examiner les peines. Il nous a dit qu’il [traduction] « comprendrait » si le Canada décidait de ne pas inclure la peine dans le mandat d’une nouvelle commission.
D’autres organisations ont défendu la compétence en matière de peines. Les représentants des commissions de l’Angleterre et de la Norvège ont indiqué qu’ils avaient pris en compte de nouveaux éléments de preuve liés à la santé mentale et à la responsabilité atténuée dans des affaires de détermination de la peine. Un représentant de la commission de l’Écosse a également défendu la compétence de la commission en matière de peine en soutenant que les tribunaux d’appel peuvent se tromper. Il a ajouté que la commission ne constitue pas un autre palier d’appel, mais se concentre plutôt sur de nouveaux renseignements.
Le professeur Julian Roberts d’Oxford et Umar Azmeh ont fait valoir que [traduction] « un contrevenant qui purge une peine de cinq ans alors qu’une peine de deux ans aurait été une peine “appropriée” est victime d’une erreur judiciaire ». Ils ont soutenu que la révision en appel ne garantirait pas à elle seule la protection contre toutes les erreurs en matière de peine, pas plus qu’elle n’empêche toutes les condamnations injustifiées. Ils ont également affirmé que les erreurs judiciaires au moment de la détermination de la peine [traduction] « comprendront généralement de nouveaux éléments de preuve dont le tribunal ne disposait pas au moment de la détermination de la peine »note de fin d’ouvrage 181. Ils ont cité une étude qui a conclu que la préoccupation selon laquelle [traduction] « les affaires relatives à la peine engorgeraient les travaux de la commission [de l’Angleterre] ne s’était pas concrétisée en pratique »note de fin d’ouvrage 182. Ils ont avancé que l’article 696.4 du Code criminel exigeant de « nouvelles questions importantes » fiables et pertinentes pourrait être utilisé pour s’assurer que le rôle de la nouvelle commission ne supplante pas celui des cours d’appel au chapitre de la révision des peines. Ils ont également mentionné la surreprésentation des minorités dans les prisons et les compressions dans le financement de l’aide juridique comme motifs justifiant l’inclusion de la peine dans la compétence de la commission.
Hannah Quirk, du Kings College London, a établi une distinction entre les points de droit sur la détermination de la peine, qui, à son avis, devraient être soumis aux tribunaux dans le cadre d’appels ordinaires, et les nouveaux faits qui peuvent être découverts par la commission et renvoyés aux tribunaux.
Le groupe Milgaard/Lockyer était en faveur de l’inclusion de la peine dans la compétence de la commission. David Milgaard nous a exhortés à ne pas fermer la porte aux affaires relatives à la détermination de la peine. La sénatrice Kim Pate a souligné qu’il était important d’examiner les affaires de détermination de la peine afin que la compétence de la commission ne soit pas limitée à un cadre d’innocence factuelle qui [traduction] « a donné naissance à des préjugés systémiques contre les femmes et en particulier les femmes autochtones et d’autres femmes racisées »note de fin d’ouvrage 183. La sénatrice, ainsi que des femmes autochtones auxquelles elle vient en aide, dont bon nombre sont passibles de peines d’emprisonnement à perpétuité, nous ont fait part des nombreuses difficultés auxquelles elles ont été confrontées, notamment en ce qui concerne la Commission des libérations conditionnelles.
L’organisme Pauktuutit Inuit Women of Canada a décrit les défis auxquels font face les femmes inuites emprisonnées, dont bon nombre ne parlent ni l’anglais ni le français. Il a souligné que, pour les agents de libération conditionnelle, [traduction] « la nécessité de se rétablir d’abus antérieur et des relations violentes est perçue comme un risque »note de fin d’ouvrage 184.
Une personne condamnée à l’emprisonnement à perpétuité de l’établissement William Head nous a dit que, malgré les recommandations judiciaires quant au moment où une personne purgeant une peine d’emprisonnement à vie devrait être admissible à une libération conditionnelle, de nombreux agents de libération conditionnelle disent aux condamnés à perpétuité : [traduction] « vous avez une peine d’emprisonnement à vie, vous serez admissible quand je dirai que vous l’êtes! »
La Law and Mental Disorder Association a fait valoir que la nouvelle commission devrait être en mesure de réviser des affaires de détermination de la peine, notamment en raison des idées fausses selon lesquelles il existe un lien entre la maladie mentale et le danger qui persistent encore dans la détermination de la peine.
Nous avons entendu divers points de vue des défenseurs des droits des victimes d’actes criminels quant à savoir si les peines devraient faire partie du mandat de la commission. Steve Sullivan, de l’organisme Mères contre l’alcool au volant, et Karen Wiebe, de la Manitoba Organization for Victims Assistance, ont affirmé que la détermination de la peine ne devrait pas être incluse dans le mandat de la commission étant donné son incidence éventuelle sur les victimes d’actes criminels et l’actuel mandat du ministre. Par ailleurs, Bonnie Weppler, du Church Council on Justice and Corrections, et Heidi Illingworth, l’ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels, sont en faveur de l’inclusion de la détermination de la peine. Mme Illingworth a ajouté que [traduction] « les personnes condamnées devraient avoir épuisé tous les appels judiciaires avant de pouvoir présenter une demande relative à leur peine » et que la commission devrait en informer les victimes d’actes criminels et leur permettre d’intervenir. La Cour d’appel devrait rendre la décision finale sur la peine lorsqu’une commission lui renvoie l’affaire.
Recommandation 22
Notre préférence est que la nouvelle commission devrait avoir compétence pour entendre les affaires de détermination de la peine, mais à condition que l’on ait découvert de nouveaux éléments de preuve portant sur le caractère approprié d’une peine continue après un appel pour justifier un renvoi par la commission. Dans ces affaires de détermination de la peine qui sont graves, mais qui sont relativement rares, les victimes d’actes criminels devraient être en mesure de soumettre une déclaration de la victime pour considération par la commission.
Nous recommandons que les conditions susmentionnées soient imposées aux renvois concernant la détermination de la peine afin d’éviter que la commission devienne un deuxième niveau d’appel, pouvant faire preuve d’une moindre déférence que les cours d’appel à l’égard des peinesnote de fin d’ouvrage 185. Nous sommes rassurés par le fait que les commissions de l’Angleterre et de l’Écosse n’ont pas été submergées par les affaires de détermination de la peine, même si elles exercent une compétence plus large en matière de détermination de la peine que celle que nous recommandons parce qu’elles font des renvois en matière de détermination de la peine qui sont fondés uniquement sur des points de droit plutôt que sur de nouveaux éléments de preuve pertinents à la peine continue d’un demandeur. Une peine continue est une peine qui est encore purgée par le demandeur.
Outre les restrictions législatives exigeant de nouveaux éléments de preuve, au moins un appel et une peine continue, nous recommandons que la commission ait la marge de manœuvre nécessaire pour établir des politiques sur la priorité qu’elle attribue aux différents types de demandes. Nous comprendrons si la commission accorde une moins grande priorité aux demandes fondées uniquement sur la détermination de la peine, mais nous pouvons également entrevoir des situations qui pourraient justifier une exception à cette pratique générale.
Nous comprenons également pourquoi les intervenants qui souhaitent que la commission se concentre sur l’innocence factuelle s’opposent à l’inclusion des affaires relatives à la peine seulement. Comme il est mentionné dans la partie B du présent rapport, nous adoptons une approche plus large et plus traditionnelle qui vise toutes les erreurs judiciaires. Nous croyons qu’une peine fondée sur une compréhension erronée des faits sous-jacents des infractions ou sur une interprétation erronée des caractéristiques pertinentes du délinquant peut constituer une erreur judiciaire, surtout si le demandeur purge encore sa peine.
Affaires antérieures
Option 1 : Une commission qui n’accepte que les demandes de personnes vivantes
Les commissions de la Nouvelle-Zélande et de la Caroline du Nord ne peuvent entendre que les demandes des demandeurs vivants.
Option 2 : Une commission qui n’accepte que les demandes relatives à des personnes vivantes, sauf dans des circonstances particulières
La commission de la Norvège peut entendre les demandes qui concernent des personnes décédées seulement s’il existe des raisons particulières.
Option 3 : Une commission qui accepte les demandes relatives aux affaires antérieures concernant des personnes décédées
Les commissions de l’Angleterre et de l’Écosse peuvent entendre des demandes concernant les condamnations de personnes décédées et ont renvoyé certaines de ces affaires, y compris des affaires antérieures de peine de mort, à la Cour d’appel.
Ce que nous avons entendu
La plupart des personnes et organisations consultées étaient d’accord pour permettre à la commission d’entendre des demandes concernant des personnes décédées. Tamara Levy, du projet Innocence de l’UCB, a souligné que de nombreuses personnes qui ont purgé de longues peines d’emprisonnement sont en mauvaise santé. Son projet compte des demandeurs décédés et d’autres qui sont en mauvaise santé.
Les représentants d’Innocence Canada, le groupe Milgaard/Lockyer et des personnes disculpées nous ont tous dit que la stigmatisation d’une condamnation criminelle est intergénérationnelle et a des répercussions sur la famille et la communauté de la personne condamnée. Ils ont souligné l’importance et l’influence du renvoi par la commission de l’Angleterre d’affaires antérieures de peine de mort.
L’affaire concernant le Canadien Wilbert Coffin, qui a été exécuté en 1956, fait toujours l’objet d’un examen par Innocence Canada. Kathryn Campbell, du projet Innocence de l’Université d’Ottawa, nous a dit qu’elle peut personnellement témoigner du fait que la famille et la communauté de M. Coffin sont encore très ébranlées par cette affaire. David Marshall a expliqué comment la condamnation injustifiée de son frère, Donald Marshall fils, a causé un préjudice [traduction] « à notre famille, à mes parents, à mes frères et sœurs, à notre communauté de Membertou et à notre nation micmaque […] Nous nous sommes sentis blessés, désespérés et démunis. On nous a couvert de honte. Notre estime de soi a été mise à rude épreuve chaque jour parce que les gens pensaient que notre frère était un meurtrier. Cette perception a engendré la peur et la méfiance de tout le monde, mais surtout des policiers, des avocats, des juges et des prisons. Nous vivions enlisés dans le racisme et nos cœurs étaient brisés »note de fin d’ouvrage 186.
Certaines des organisations et des personnes consultées, dont le doyen David Asper c.r., et des représentants de la commission de la Nouvelle-Zélande et de l’Écosse, ont proposé que la commission établisse un seuil pour les affaires antérieures, par exemple un critère d’intérêt de la justice ou des politiques où les affaires de personnes vivantes sont prioritaires.
Jean Teillet, une éminente avocate métisse qui est l’arrière-petite-nièce de Louis Riel, nous a dit qu’elle s’oppose à une demande de pardon dans le dossier de la condamnation de Riel pour trahison parce qu’elle laisserait entendre que l’État canadien pardonne aux Métis alors qu’il devrait revenir aux Métis de décider s’ils pardonnent l’État canadien. Elle a indiqué qu’il devrait revenir aux communautés et à la famille touchées de décider s’il convient d’aller de l’avant avec une demande portant sur la question de savoir si la condamnation a été une erreur judiciaire.
Quelques personnes et organisations consultées ont soulevé des préoccupations concernant les affaires de personnes décédées. Ils craignaient de détourner les ressources limitées des affaires concernant des personnes vivantes. Le groupe FPT des chefs des poursuites pénales a également formulé de telles préoccupations, mais a avancé que la commission pourrait renvoyer une antérieure affaire dans des circonstances exceptionnelles qui seraient conformes aux limites imposées par la cour pour entendre les appels concernant la condamnation de personnes décédées – qui laissent entendre que les rares ressources judiciaires ne devraient généralement être utilisées que dans les affaires où il y avait de nouvelles preuves [traduction] « qui laissent croire que la personne condamnée était innocente au plan factuel »note de fin d’ouvrage 187.
Recommandation 23
Nous reconnaissons que la vérité ne meurt jamais et que les familles et les communautés souffrent de stigmatisation et de méfiance bien après la mort de la personne qui a été condamnée, emprisonnée et peut-être même exécutée. Nous recommandons l’option 2 qui accorde à la commission un certain pouvoir discrétionnaire lui permettant de décider s’il convient d’examiner une affaire antérieure. Nous convenons avec Jean Teillet que la commission doit s’assurer que les familles et les communautés concernées appuient la demande. Nous reconnaissons également que, dans certains cas, les communautés et les familles peuvent être divisées.
Il existe un certain nombre de façons d’accorder à la commission un pouvoir discrétionnaire structuré pour décider s’il convient de présenter une demande concernant une personne décédée. L’une d’elles serait d’inclure une disposition législative prévoyant que les demandes présentées au nom du défunt ne doivent être examinées que dans des circonstances spéciales ou exceptionnelles, ou lorsque l’intérêt de la justice l’exige. Une autre façon consisterait à permettre à la commission de formuler ses propres politiques à ce sujet et de les adapter en fonction de son expérience et de ses consultations. Nous aimons mieux cette dernière approche en raison de sa souplesse et parce qu’elle exige que la commission soit proactive, qu’elle communique avec les familles et les communautés touchées et qu’elle écoute leurs préoccupations. Nous ne croyons pas qu’une commission indépendante devrait tenter de prédire ou être liée par des décisions judiciaires portant sur la recevabilité d’une affaire théorique.
Mandat systémique
Option 1 : Une commission réactive qui répond uniquement aux demandes
En général, les commissions de la Caroline du Nord, de l’Angleterre et de l’Écosse ne sont pas intervenues dans les questions de nature systémique liées aux causes et à la prévention des condamnations injustifiées. On craint qu’une telle intervention compromette l’indépendance de la commission et exerce des pressions sur ses ressources limitées.
Option 2 : Une commission qui effectue aussi des travaux de réforme systémique
La commission de la Nouvelle-Zélande a été expressément mandatée d’enquêter sur les problèmes systémiques découlant des politiques, des procédures et d’autres questions générales qui contribuent aux erreurs judiciairesnote de fin d’ouvrage 188. La commission Runcimannote de fin d’ouvrage 189 qui a recommandé la création de la commission de l’Angleterre a également envisagé qu’elle [traduction] « puisse attirer l’attention […] sur les caractéristiques générales du système de justice pénale, qu’elle avait jugé insatisfaisant, dans le cadre de ses travaux, et formuler toute recommandation de réforme qu’elle juge appropriée ».
Ce que nous avons entendu
La plupart des personnes et organisations consultées étaient d’accord pour que l’on donne à la commission un mandat de réforme systémique, mais bon nombre d’entre elles s’y sont opposées. Tant le représentant de la commission écossaise que le professeur Chris Sherrin de l’Université Western ont soutenu qu’un mandat systémique pourrait saper les ressources limitées de la commission et la plonger dans la controverse. Selon le professeur Ed Ratushny, de l’Université d’Ottawa, et Hannah Quirk, du Kings College, l’impartialité présumée de la commission pourrait être minée si celle-ci faisait des observations sur des questions de réforme systémique visant à prévenir les erreurs judiciaires à l’avenir. Jacques Larochelle, un avocat de la défense d’expérience qui a agi dans des affaires de condamnation injustifiée, s’est opposé à un mandat systémique de la commission au motif que les problèmes d’erreurs judiciaires étaient attribuables aux personnes qui appliquent les règles et non aux règles ou aux institutions elles-mêmes. Il a prédit que la nouvelle commission serait submergée par les demandes individuelles et n’aura pas le temps de se pencher sur les problèmes sociaux.
Colin Carruthers, le président de la commission de la Nouvelle-Zélande, nous a dit qu’en raison du nombre de demandes plus élevé que prévu, sa commission n’avait pas de plans immédiats pour mener des enquêtes de nature générale sur des questions systémiques et qu’elle pourrait avoir besoin de fonds supplémentaires pour s’acquitter du volet systémique de son mandat. Selon le Projet Innocence Québec, compte tenu des exigences liées aux enquêtes, [traduction] « la commission ne devrait pas déroger de son mandat principal qui consiste à corriger les (actuelles) erreurs judiciaires […] Cela n’empêche pas la commission de formuler des recommandations, à l’issue de la révision d’un dossier, sur les pratiques à améliorer d’un point de vue systémique »note de fin d’ouvrage 190.
Le groupe FPT des chefs des poursuites pénales a fait remarquer que l’actuel système de révision ministérielle ne contribue guère à la réforme, en partie parce que les résultats de ses enquêtes demeurent confidentiels. Comme il est mentionné à la partie B du présent rapport, la confidentialité des motifs d’une commission fait partie intégrante du modèle réactif utilisé en Angleterre et en Écosse, tandis que la publication des motifs de la commission comme l’exige la législation néo-zélandaise peut appuyer une réforme systémique.
Le groupe FPT des chefs des poursuites pénales a établi une distinction utile entre le rôle légitime de la nouvelle commission dans la sensibilisation du public aux condamnations injustifiées et le rôle de la commission comme défenseur du changement, ce qui pourrait nuire à la perception d’indépendance de la commission. L’organisme Innocence Canada a aussi fortement appuyé le rôle éducatif de la commission. Il a souligné que de nombreuses commissions d’enquête du Canada ont demandé que les acteurs du système de justice pénale soient sensibilisés aux causes des condamnations injustifiées et aux moyens de les prévenir. Innocence Canada a fait ce qu’il peut, mais a observé que [traduction] « peu de mesures ont été prises pour mettre en œuvre des programmes nationaux. En réalité, la plupart des initiatives de sensibilisation et des efforts de défense des intérêts reviennent à des organismes sous-financés comme Innocence Canada »note de fin d’ouvrage 191. Il a souligné que la sensibilisation et la prévention efficaces pourraient profiter à la commission en réduisant le nombre de demandes qu’elle reçoit.
L’Association canadienne des libertés civiles a fait valoir que les organismes de traitement des plaintes concernant la police, l’enquêteur correctionnel et les commissions de protection de la vie privée collaborent tous à la réforme systémique sans miner leur capacité d’enquêter et de traiter les plaintes de façon impartialenote de fin d’ouvrage 192. Selon la sénatrice Kim Pate, une commission uniquement réactive ne ferait que [traduction] « perpétuer les préjugés et les approches existants »note de fin d’ouvrage 193. Nigel Marshman de Justice Canadanote de fin d’ouvrage 194, l’universitaire et avocat de la défense, Joshua Sealy-Harrington, et Catherine Latimer, de la Société John Howard, ont tous suggéré que la commission produise des rapports annuels dans lesquels elle cernerait les problèmes systémiques et les tendances découlant des demandes individuelles.
Les représentants d’Innocence Canada, Nigel Marshman et le chef de police de Moose Jaw, Rick Bourassa, ont proposé que la commission ait également le pouvoir de formuler des recommandations stratégiques à un organisme compétent et de mener des enquêtes sur d’autres affaires qui soulèvent des thèmes similaires. La question de la capacité de la commission de renvoyer des questions à d’autres organismes sera traitée ci-dessous.
L’ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels a déclaré que [traduction] « la commission devrait être proactive et avoir la capacité de répondre aux préoccupations systémiques pouvant mener à des condamnations injustifiées et à des erreurs judiciaires. À titre d’un organisme indépendant, elle devrait faire des recommandations au législateur […]. Nous savons que la discrimination et le racisme systémiques affligent les services de police et les tribunaux criminels partout au Canada; il sera important que la commission puisse réagir de façon proactive à ces préoccupations, tenir des systèmes responsables et offrir des solutions »note de fin d’ouvrage 195. Naïka Champaïgne de Jeunes Queer Youth nous a dit que « l’investissement dans des ateliers organisés par des organismes ou des intervenants communautaires est un bon moyen de diffuser l’information »note de fin d’ouvrage 196.
Recommandations 24 et 25
Comme il est mentionné à la section B du présent rapport, nous croyons que le Canada a besoin d’une commission qui a la compétence pour effectuer une réforme systémique. Parallèlement, nous prenons au sérieux ceux qui ont signalé qu’un mandat systémique nécessite des ressources suffisantes et que la commission devrait se préoccuper davantage de la sensibilisation, de l’éducation, de la recherche sur les causes et de la prévention des condamnations injustifiées plutôt que d’agir comme défenseur de la réforme. Nous croyons que le comité consultatif que nous recommandons ainsi que les projets Innocence et d’autres groupes communautaires sont mieux placés que la commission pour faire la promotion d’une réforme systémique.
Comme l’a souligné le vicomte Runciman dans son rapport sur la commission, les rapports annuels de la commission constituent un moyen légitime de soulever des préoccupations systémiques. À l’instar de l’enquêteur correctionnel fédéral, la commission devrait rendre ses rapports annuels lisibles et dignes de mention. Si la commission veut gagner la confiance du public, elle devrait être aussi transparente que possible et publier le plus d’informations possible sur son travail.
Comme il a été mentionné précédemment, le rapport annuel de la commission devrait renfermer des données sur les caractéristiques personnelles des personnes qui demandent et obtiennent des recours de la commission par rapport aux niveaux de surreprésentation raciale et autres formes de surreprésentation dans les prisons. Le rapport annuel devrait également faire état des décisions éventuelles suite aux renvois et commenter les tendances nationales et internationales concernant les condamnations injustifiées. Cela nécessitera des ressources adéquates.
Afin que le mandat de réforme systémique de la commission ne soit pas négligé, nous recommandons qu’un vice-président soit chargé des initiatives en matière de réforme systémique. Tous les employés et les commissaires devraient être encouragés à signaler les problèmes systémiques qui surviennent dans leur travail et en faire part au vice-président. Nous sommes d’accord avec la recommandation de la Fondation canadienne des relations raciales selon laquelle [traduction] « le protocole de révision de la commission devrait inclure un palier de révision qui se penche sur le rôle que le racisme aurait pu jouer dans la condamnation des demandeurs noirs, racisés et autochtones »note de fin d’ouvrage 197.
La juge à la retraite de la Cour suprême Marie Deschamps, qui est aujourd’hui à la tête de l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, nous a parlé d’une initiative que la nouvelle commission devrait imiter selon nous. Cet organisme organise régulièrement des séances de formation où des universitaires et d’autres participants discutent et échangent de l’information avec ses membres et son personnel. La nouvelle commission devrait s’engager à la fois à informer et à sensibiliser tous les acteurs au système de justice pénale au sujet des erreurs judiciaires.
F. La commission et ses relations avec les demandeurs, les projets Innocence et les victimes d’actes criminels
Communication et soutien auprès des demandeurs
Option 1 : Une commission réactive qui offre un soutien minimal et assure la communication avec les demandeurs
Les articles 696.1 à 696.6 du Code criminel et le règlement afférent n’imposent aucune obligation concernant les activités de sensibilisation ou le soutien auprès des demandeurs. On nous a dit que le GRCC avait à l’occasion acheté des transcriptions et avait aidé des demandeurs à satisfaire aux exigences très onéreuses décrites à la partie C du présent rapport pour présenter une demande complète. Le GRCC n’a pas mis en œuvre de formulaire de demande « facile à lire » ni n’utilise de langues autres que le français et l’anglais.
Option 2 : Une commission proactive fait de la sensibilisation et offre du soutien aux éventuels demandeurs
Les cinq commissions étrangères sont responsables d’une certaine forme de sensibilisation dans les prisons. Elles offrent toutes des fiches d’information et des demandes traduites dans d’autres langues. La commission de l’Angleterre a constaté une augmentation importante du nombre de demandes en raison d’une sensibilisation accrue et d’un formulaire de demande « facile à lire ». La commission de la Nouvelle-Zélande a l’obligation légale de faire connaître ses fonctions au grand public. Elle a également embauché un gestionnaire de la mobilisation à temps plein et un conseiller en communication à mi-temps. La commission de la Caroline du Nord a traduit son formulaire de demande en espagnol. La commission de la Norvège a l’obligation légale d’aider les demandeurs et a nommé des interprètes pour ce faire.
Ce que nous avons entendu
La plupart des personnes et des organisations consultées préfèrent que la commission adopte une approche proactive qui vise à informer les gens de son travail et à offrir du soutien aux demandeurs. Les quelques personnes et des organisations consultées qui ont soulevé des préoccupations au sujet de la sensibilisation et du soutien ont dit craindre que la commission ne dispose peut-être pas des ressources suffisantes pour effectuer son travail et qu’elle attire les demandes de personnes qui n’ont pas épuisé toutes leurs voies d’appel. Bien qu’il ne soit pas opposé aux demandes simplifiées et aux interventions ciblées, le groupe FPT des chefs des poursuites pénales a signalé qu’une [traduction] « sensibilisation trop active risque de miner l’indépendance et l’objectivité de la commission »note de fin d’ouvrage 198.
La plupart des personnes et des organisations consultées étaient d’accord pour donner à la commission le mandat de faire de la sensibilisation et de lancer des enquêtes. Dans le cadre de deux tables rondes tenues avec des personnes disculpées, on a souligné à maintes reprises à quel point le soutien de Win Wahrer, la directrice des services à la clientèle d’Innocence Canada, les a aidées ainsi que les membres de leur famille en leur offrant soutien et espoir pendant le long processus d’exonération. Innocence Canada a recommandé que la nouvelle commission ait aussi une personne désignée qui pourrait être une personne disculpée [traduction] « car cela pourrait accroître la confiance de la personne condamnée à tort envers la commission indépendante[…] »note de fin d’ouvrage 199 Innocence Canada a également suggéré que la sensibilisation doit être faite dans les communautés autochtones et être adaptée à la culture et à la langue de chaque communauté. Selon l’organisme, il est nécessaire de tenir des activités de sensibilisation en français. La plupart des personnes et des organisations consultées ont souligné que les activités de sensibilisation de la commission doivent être adaptées aux différences culturelles et linguistiques.
Presque toutes les personnes et les organisations consultées étaient d’accord pour que des exigences législatives soient imposées à la commission en matière de traduction et d’aide à la communication. Les représentants de la commission de la Nouvelle-Zélande nous ont dit que des travaux ont été effectués sur leur formulaire de demande pour le rendre accessible du point de vue linguistique. Les représentants du projet Innocence de l’UCB et d’Innocence Canada ont laissé entendre que des services d’interprétation devraient être fournis pour des langues autres que les langues officielles du Canada. Selon le projet Innocence de l’UCB, ces politiques devraient être établies par la commission et non par voie législativenote de fin d’ouvrage 200.
Gregory Stratton, un universitaire australien qui étudie les condamnations injustifiées, nous a parlé de la condamnation injustifiée d’un aborigène australien, Gene Gibson, qui parlait le pintupi et le kukutja, mais à peine l’anglais. M. Gibson a été accusé de meurtre, mais a plaidé coupable à une accusation d’homicide involontaire devant un tribunal anglaisnote de fin d’ouvrage 201. Il a reçu un dédommagement de 1,3 million de dollars pour les sept années qu’il a passées en prison, et la famille de la victime du crime s’est dite en faveur du résultat. On a aussi recommandé que la police soit plus sensibilisée aux réalités culturelles.
La commission royale sur la condamnation injustifiée de Donald Marshall, fils, a conclu que, lorsque M. Marshall a témoigné devant les tribunaux en anglais, on lui a demandé 29 fois de s’exprimer plus fort, ce qui a peut-être influé sur leurs conclusions selon lesquelles M. Marshall ne disait pas la vérité. La commission royale a déclaré que, lorsque Marshall a présenté son témoignage à la commission dans la langue algonquine micmaque parlée par près de 11 000 Micmacs aujourd’hui, [traduction] « la capacité de M. Marshall de s’exprimer librement dans sa langue maternelle a apporté un niveau d’aise aux procédures qui étaient absentes lors de ses autres comparutions devant le tribunal. Cela a eu un effet favorable, soit d’obtenir la meilleure preuve possible du témoin »note de fin d’ouvrage 202. La commission a cru la version de M. Marshall. Par contre, le jury qui l’a reconnu coupable et la Cour d’appel qui l’a acquitté, mais qui lui reproché d’avoir contribué à sa condamnation injustifiée, ne l’ont pas cru.
De nombreuses organisations et personnes consultées nous ont dit que la traduction et l’aide à la communication doivent être fournies pour toutes les langues autochtones parlées au Canada et que la formation sur les réalités culturelles est essentielle pour assurer une communication efficace. On nous a dit que les lacunes dans les services linguistiques du système de justice pénale [traduction] « peuvent être perçues comme étant une cause de condamnation injustifiée et la commission devrait s’efforcer de corriger cette erreur »note de fin d’ouvrage 203.
Nigel Marshman, le chef de l’actuel système de révision ministérielle, le GRCC, a proposé que des mesures d’adaptation soient prises au cas par casnote de fin d’ouvrage 204. L’ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels nous a dit que d’autres modifications devraient être apportées aux moyens de communication, comme l’offre de vidéoconférences ou de synthétiseurs vocauxnote de fin d’ouvrage 205.
De nombreuses organisations et personnes consultées nous ont dit que « la collaboration est vraiment précieuse » et qu’elle devrait être fondée sur les connaissances et les réseaux existants d’organismes et de représentants communautaires, surtout dans le cas des communautés qui se méfient du système de justice pénale. Les personnes et les organisations consultées ont proposé différentes formes de sensibilisation, y compris la sensibilisation du public au sujet de la commission, le repérage de groupes particuliers qui sont systématiquement exclus ou vulnérables et la présence d’un « navigateur » qui contribue à la sensibilisation dans ces communautés.
Les représentants du groupe de travail du conseil de révision indépendant de David Milgaard nous ont fait part de la nécessité d’une sensibilisation multimodale, comme l’utilisation de vidéos, de brochures en langage clair et de communications interpersonnelles. Selon la juge Corrine Sparks et Sylvie Blanchet, toute personne qui mène des activités de sensibilisation devrait avoir une formation appropriée, particulièrement sur les traumatismes. L’ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels nous a dit que les mécanismes d’aiguillage vers des services de soutien juridiques, en santé, en santé mentale et autres services communautaires devraient également faire partie du mandat de sensibilisation de la commissionnote de fin d’ouvrage 206.
Alena Pastuch nous a dit qu’elle est une partie non représentée, et qu’elle s’est représentée elle-même dans un procès qui a duré cinq mois. Selon elle, la commission devrait faire des visites dans les prisons et [traduction] « la traduction serait une énorme composante ». L’une de ses codétenues à la prison fédérale d’Edmonton parlait le swahili et [traduction] « ne comprenait aucune de ses procédures judiciaires ni ses audiences de libération conditionnelle »note de fin d’ouvrage 207.
Les représentants de la commission de la Caroline du Nord nous ont fait part de leurs plans visant à ce que la personne actuellement désignée pour offrir du soutien aux victimes d’actes criminels appuie également les demandeurs et, en particulier, les personnes exonérées qui sont également victimes d’injustice et souvent libérées sans soutien. Comme ils l’ont souligné, tant les victimes d’actes criminels que les personnes exonérées sont des victimes du système judiciaire. Ils nous ont expliqué que la personne responsable du soutien aux victimes au sein de leur commission travaille indépendamment des avocats qui enquêtent dans le dossier. Par conséquent, la personne responsable du soutien peut intervenir si les enquêteurs de la commission n’agissent pas de manière appropriée.
Recommandation 26
Nous recommandons un mandat proactif qui permet d’entrer en contact avec les demandeurs potentiels et de les appuyer. Un tel mandat est souhaitable pour plusieurs raisons. Premièrement, la commission doit être proactive si elle veut recevoir plus de demandes de mesures de redressement que l’actuel régime de révision ministérielle. Comme il est mentionné à la partie C, le système ministériel réactif reçoit beaucoup moins de demandes chaque année que les commissions dans des pays dont la population générale et la population carcérale sont beaucoup plus petites que celles du Canada.
Deuxièmement, un mandat proactif et systémique est nécessaire pour gagner la confiance des personnes qui ont été condamnées et qui croient être victimes d’une erreur judiciaire, ce qui est particulièrement vrai dans le cas des personnes autochtones, noires et appartenant à d’autres groupes désavantagés. Si la commission ne dispose pas d’un mandat proactif, elle pourra être perçue par de nombreuses personnes qui ont été reconnues coupables d’une infraction comme étant simplement une autre composante d’un système qui, à leur avis – et parfois avec raison – leur a fait défaut.
Nous avons été étonnés d’apprendre que de nombreux avocats chevronnés ainsi que des projets Innocence en Angleterre perçoivent la commission anglaise comme un organisme qui est éloigné des demandeurs et de leurs avocats. Michael Naughton, de l’Université de Bristol, nous a dit que de nombreuses personnes de la communauté des projets Innocence en Angleterre voient la commission comme étant peu préoccupée, tant par les demandeurs que par leur innocence. Des représentants du projet Innocence Cardiff ont soulevé des préoccupations similairesnote de fin d’ouvrage 208. Il ne nous appartient pas de juger du bien-fondé de ces préoccupations, mais nous croyons que la nouvelle commission canadienne devrait faire tous les efforts raisonnables pour éviter des perceptions aussi négatives.
Nous sommes d’accord avec les nombreuses personnes et organisations consultées selon lesquelles une nouvelle commission devrait travailler en collaboration avec les projets Innocence et les avocats préoccupés par les condamnations injustifiées. Une commission doit être indépendante du gouvernement, sans pour autant être distante des demandeurs de la même façon qu’un tribunal qui décourage les communications ex parte ou unilatérales.
Les représentants de la commission de la Nouvelle-Zélande nous ont dit que leur but était de traiter les demandeurs avec plus de respect et de compassion qu’ils l’ont été, même parfois par leurs propres avocats, dans le système de justice pénale. Ils nous ont dit qu’ils voulaient faire quelque chose de vraiment différent dans le système de justice pénale. Nous sommes d’accord et nous avons en effet été inspirés par les aspirations de la commission de la Nouvelle-Zélande à cet égard.
Même si la commission ne renvoie pas la cause d’un demandeur aux tribunaux, elle devrait disposer des ressources nécessaires pour adopter une approche bienveillante et utile qui pourrait aider les personnes lésées par la façon dont le système de justice les a traitées.
Les demandeurs devraient-ils être tenus de renoncer au secret professionnel de l’avocat?
Option 1 : Renonciation requise
L’actuel GRCC (la révision ministérielle) demande régulièrement aux demandeurs de renoncer au privilège du secret professionnel de l’avocat afin que leurs avocats puissent révéler ce qui a été dit à titre confidentiel par les demandeurs et leurs avocats dans le but d’obtenir des conseils juridiques. La commission anglaise exige de telles renonciations, mais au cas par cas. Les personnes qui font une demande auprès de la commission de la Caroline du Nord doivent renoncer à tous les privilèges juridiques après avoir reçu un avis juridique indépendant.
Option 2 : Aucune exigence législative en matière de renonciation
L’article 38 de la commission néo-zélandaise de révision des affaires criminelles n’exige pas de renonciation aux privilèges, mais un tribunal peut ordonner au cas par cas que la commission ait accès à des renseignements confidentiels.
Plusieurs lois canadiennes concernant les barreaux prévoient que l’enquêteur peut avoir accès à des documents visés par le secret professionnel de l’avocat aux fins limitées de l’enquête et sous réserve des exigences en matière de confidentialité visant à protéger le secret professionnel de l’avocat à toutes autres finsnote de fin d’ouvrage 209.
Ce que nous avons entendu
Les représentants de la commission de la Caroline du Nord nous ont expliqué que les modifications récentes apportées à sa loi pour obliger les demandeurs à renoncer dès le début à tous leurs privilèges juridiques peuvent être difficiles à gérer sur le plan administratif étant donné que le demandeur doit recevoir un avis juridique indépendant avant de signer la renonciation. Un représentant de la commission écossaise nous a dit que les renonciations ne sont pas requises en raison d’autres dispositions qui exigent que les demandeurs aident la commission dans ses travaux.
Le groupe Milgaard/Lockyer s’est dit préoccupé par l’imposition d’exigences générales afin que les demandeurs renoncent au privilège du secret professionnel de l’avocat et a préféré que la commission tranche cette question au cas par casnote de fin d’ouvrage 210.
Recommandation 27
Nous recommandons l’option 2, soit de ne pas imposer la renonciation aux demandeurs par voie législative. Nous sommes d’avis que la première rencontre de la commission avec les demandeurs ne devrait pas commencer par des exigences qui forcent les demandeurs à renoncer à leurs droits. Nous croyons que cela pourrait donner l’impression que la commission pourrait nuire aux demandeurs et qu’il s’agit simplement d’un autre élément du système de justice pénale que les demandeurs peuvent percevoir comme leur étant défavorable. Les représentants de la commission de la Caroline du Nord nous ont également dit que le processus à suivre pour s’assurer que les demandeurs reçoivent des avis juridiques indépendants avant de renoncer à leurs privilèges peut entraîner des retards.
Les demandeurs, en particulier les demandeurs autochtones, noirs et d’autres demandeurs racisés et défavorisés, sont dans une position vulnérable et ne devraient généralement pas être tenus de renoncer au privilège du secret professionnel de l’avocat à l’égard de leurs communications antérieures avec leurs avocats. Une fois qu’il y a eu renonciation à un privilège juridique, cette renonciation s’applique à toutes les fins.
Comme nous le verrons plus en détail dans la partie H du présent rapport, nous recommandons que la loi habilitante de la commission renferme des dispositions semblables à celles des lois concernant les barreaux de la Colombie-Britannique et de l’Ontarionote de fin d’ouvrage 211 qui permettraient à la nouvelle commission d’accéder à des renseignements visés par un privilège de manière confidentielle et à des fins limitées liées aux fonctions de la commission tandis que le privilège serait protégé et préservé à toutes autres fins.
La commission devrait-elle être en mesure de nommer un avocat pour les demandeurs non représentés?
Option 1 : Aucun pouvoir de nomination ou recours aux régimes d’aide juridique existants
La plupart des commissions s’en remettent aux régimes d’aide juridique existants pour offrir des services de représentation aux demandeurs. Les réductions de l’aide juridique en Angleterre signifient que moins de 10 % des demandeurs ont maintenant des avocats, alors que le tiers des demandeurs avaient un avocat auparavant.
Option 2 : Pouvoir de nomination
La commission pourrait avoir le pouvoir de nommer un avocat lorsqu’elle le juge nécessaire. L’article 397 du code pénal norvégien prévoit que la commission peut nommer un avocat de la défense [traduction] « lorsque des circonstances spéciales l’indiquent » et que ces conseils sont payés à même les fonds de l’État.
Ce que nous avons entendu
De nombreuses personnes et organisations consultées nous ont dit que la représentation juridique des demandeurs devrait être financée. Certaines nous ont dit que des demandeurs pourraient ne pas faire confiance au personnel et aux avocats de la commission ou, s’ils le font, ils pourraient penser qu’ils les représentent alors qu’ils seront des employés de la nouvelle commission et lui sont redevables.
Les avocats qui ont représenté de nombreux demandeurs devant la commission anglaise nous ont dit que les motifs provisoires de rejet des demandes par la commission sont souvent complexes sur le plan juridique et exigent qu’un avocat y réponde.
Le GRCC nous a présenté une lettre caviardée de neuf pages remise à un demandeur dont la demande a été rejetée lors de l’évaluation préliminaire et n’a pas fait l’objet d’une enquête. La lettre était complexe sur le plan juridique. Elle soulevait de nombreux points de droit concernant l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve et les obligations de divulgation.
Presque toutes les personnes et les organisations consultées nous ont dit que les bureaux provinciaux d’aide juridique fonctionnent aux limites de leur capacité et que nous ne pouvions pas compter sur eux pour financer les demandeurs. Par exemple, la Law and Mental Disorder Association nous a dit que le système d’aide juridique est débordé et que les gens « passent entre les mailles du filet ».
Alena Pastuch nous a fourni un exemple concret. Elle avait d’abord obtenu de l’aide juridique, mais [traduction] « ils n’avaient pas assez de ressources et ont laissé tomber mon dossier, ce qui m’a forcée à présenter une demande Rowbotham qui m’a traumatisée encore plus. J’ai dû me représenter moi-même dans un procès criminel qui a duré cinq mois avec une invalidité permanente en santé mentale. C’était une situation vouée à l’échec pour toutes les parties concernées »note de fin d’ouvrage 212.
L’Association des régimes d’aide juridique du Canada a affirmé que [traduction] « sans financement supplémentaire du gouvernement fédéral, les régimes d’aide juridique ne peuvent tout simplement pas s’engager à fournir des services ou des paiements supplémentaires », y compris ceux qui aident les demandeurs à préparer une demande auprès de la nouvelle commission, à répondre à ses décisions provisoires ou à représenter des personnes lorsque la commission renvoie des affaires à la cour. Cela est vrai même si la commission et les défenseurs des droits conviennent que ce financement peut aider la commission et les demandeurs. Le financement fédéral de la commission, comme celui qui est maintenant prévu pour financer les avocats nommés à la suite d’une demande Rowbotham, est nécessaire.
L’Association des régimes d’aide juridique du Canada a fait remarquer qu’Aide juridique Ontario, le plus important régime d’aide juridique, a financé des demandes de révision ministérielle, mais qu’elles [traduction] « représentent généralement plusieurs centaines de milliers de dollars et même près d’un million de dollars en dépenses totales ». Ces dépenses comprennent non seulement les frais juridiques, mais aussi, ce qui est encore plus important, les fonds nécessaires pour mener d’autres enquêtes et obtenir des rapports d’expertsnote de fin d’ouvrage 213.
L’Association des régimes d’aide juridique du Canada a également suggéré qu’il faudrait dresser une liste restreinte d’avocats de la défense pour les condamnations injustifiées qui permettrait d’offrir un certain choix aux demandeurs qui ont besoin d’un avocat. Le fait de donner un tel choix aux demandeurs peut aider à vaincre la méfiance à l’égard des avocats et du système judiciaire qu’éprouvent de nombreuses personnes condamnées à tortnote de fin d’ouvrage 214.
Innocence Canada a laissé entendre que des fonds réservés profiteraient aux demandeurs vulnérables parce qu’ils leur donneraient accès à des avocats spécialisés. L’organisme a souligné que la correction des condamnations injustifiées est un sous-ensemble spécialisé du travail de défense.
De nombreuses personnes et organisations consultées nous ont dit que la représentation juridique devrait être automatiquement offerte aux jeunes demandeurs.
Selon les représentants du projet Innocence Québec, les avocats qui travaillent pour la commission ne devraient pas représenter les demandeurs. De plus, la commission devrait aider principalement les avocatsbénévolesou les avocats rémunérés par l’aide juridique à obtenir les documents nécessaires et les preuves d’expert qui ne sont pas disponibles autrement. Parallèlement, l’organisme a soutenu que la commission devrait être en mesure d’accorder du financement aux demandeurs [traduction] « qui n’ont pas accès à l’aide juridique et qui ne sont pas en mesure de retenir les services d’un avocat »note de fin d’ouvrage 215.
Recommandation 28
Nous avons été convaincus que, dans certains cas, la nouvelle commission devrait pouvoir financer les avocats des demandeurs, en particulier les demandeurs défavorisés, mais seulement lorsque la commission juge que cela est nécessaire pour assurer le traitement efficace ou équitable d’une demande, et seulement lorsqu’il est clair que le financement de l’aide juridique privée et provinciale ne peut être obtenu.
Nous reconnaissons que le fait de faire verser par la commission les honoraires d’avocats du secteur privé pourrait mettre à rude épreuve les budgets limités, mais nous croyons que la commission devrait avoir la marge de manœuvre nécessaire pour le faire dans certains cas. Par exemple, nous pouvons imaginer une situation où un demandeur vulnérable peut avoir une bonne relation avec un avocat expérimenté dans le domaine des condamnations injustifiées. Dans un tel cas, la capacité de la commission de rémunérer cet avocat peut être à la fois la façon la plus humaine et la plus efficace de traiter une demande. De même, lorsque la commission décide provisoirement de rejeter une demande, il peut ne pas être juste de s’attendre à ce qu’un demandeur non représenté fournisse une réponse efficace avant que la décision finale soit rendue.
La loi habilitante de la commission pourrait l’obliger à adopter des politiques qui régissent les cas où elle fournira du financement et à quel taux. Nous ne croyons pas que le financement des avocats des demandeurs devrait être la norme. La nouvelle commission, comme les commissions étrangères existantes, fonctionnera en grande partie comme une entité inquisitoire. Elle emploiera des avocats, des travailleurs de soutien et des enquêteurs qui effectueront la majeure partie du travail de la commission. Nous sommes d’accord avec L’Association des régimes d’aide juridique du Canada lorsqu’elle affirme que [traduction] « plus la commission est en mesure d’assumer un rôle indépendant et inquisitoire, moins les demandeurs auront besoin de fonds pour retenir les services d’un avocat »note de fin d’ouvrage 216. Cela dit, la commission indépendante devrait avoir la marge de manœuvre voulue pour rémunérer les avocats des demandeurs lorsqu’il est nécessaire de rendre une décision juste et efficace concernant une demande.
Relation avec les projets Innocence
Option 1 : Les projets Innocence ne sont plus nécessaires
On pourrait dire qu’une commission financée par l’État éliminerait le besoin des projets Innocence. Une commission publique pourra accéder beaucoup plus facilement à des documents et à des experts pertinents ainsi qu’à un meilleur financement qu’un projet Innocence bénévole.
Option 2 : Des projets Innocence représentant certains demandeurs
Certains éléments de preuve indiquent que les demandeurs devant la commission anglaise qui sont représentés par des avocats, y compris des projets Innocence, ont un taux de renvoi plus élevé que les demandeurs non représentés. Comme il a été mentionné précédemment, les avocats spécialisés en erreurs judiciaires peuvent aider à préparer des demandes, à répondre aux décisions provisoires de la commission et à représenter les demandeurs lorsqu’une commission renvoie une affaire devant les tribunaux.
Option 3 : Une approche de collaboration ou de partenariat entre les projets Innocence et la nouvelle commission qui comprend un éventuel financement
La nouvelle commission pourrait collaborer avec les projets Innocence dans des dossiers et sur des enjeux systémiques et être en mesure d’accorder des subventions à ces projets.
Ce que nous avons entendu
Aucun des projets d’Innocence que nous avons consultés ne nous a dit que la création d’une commission allait ou devrait mettre fin à leurs activités. Tous souhaitaient explorer le rôle optimal des projets Innocence une fois la commission créée. Certains pensaient que les projets Innocence pourraient avoir plus de temps et de ressources à consacrer à la réforme systémique. D’autres étaient d’avis que les projets Innocence et les personnes disculpées pourraient jouer un rôle accru dans le suivi et la réinsertion des personnes qui avaient été condamnées à tort. Enfin, certains estiment qu’ils ont encore un rôle à jouer au chapitre de la représentation des demandeurs et d’autres personnes devant les tribunaux.
Le juge à la retraite de la Cour suprême Morris Fish, qui est actuellement conseiller spécial du ministre en matière de condamnations injustifiées, a laissé entendre que les projets Innocence pourraient avoir un rôle particulier à jouer, surtout dans les cas où l’aide juridique n’a pas été fournie ou les voies d’appels n’ont pas été épuisées.
Les représentants du projet Innocence de l’Université de Cardiff nous ont parlé du rôle actif qu’ils jouent pour aider les demandeurs devant la commission de l’Angleterre, du pays de Galles et de l’Irlande du Nord. L’Association du Barreau canadien a recommandé que [traduction] « des fonds discrétionnaires soient également attribués aux projets Innocence et à des avocats spécialisés dans des domaines pouvant être abordés dans des affaires de condamnation injustifiée (p. ex. sciences judiciaires, jeunesse) »note de fin d’ouvrage 217.
La professeure Bibi Sangha et le professeur Bob Moles, de l’université Flinders en Australie, ont laissé entendre que les commissions étrangères existantes [traduction] « sont d’avis qu’elles devraient prendre la responsabilité de la totalité de l’enquête. Par conséquent, des personnes se sont senties mises à l’écart, notamment celles qui travaillent au sein du mouvement des projets Innocence. » Ils ont soutenu que [traduction] « il n’y a en principe aucune raison pour que ceux qui travaillent sur des condamnations injustifiées et les CCRC soient dirigés comme des fiefs distincts »note de fin d’ouvrage 218. Ils ont proposé que la commission canadienne entreprenne des « projets de partenariat » avec les projets Innocence de différentes régions du pays.
Enfin, nous avons appris de projets Innocence parrainés par des universités que les étudiants qui y participent trouvent qu’ils leur offrent une extraordinaire expérience d’apprentissage sur un aspect unique du système de justice pénale. Souvent, les étudiants poursuivent leur bénévolat dans le cadre du projet Innocence après avoir terminé leurs études en droit.
Recommandation 29
Nous sommes convaincus que les projets Innocence ont encore un rôle essentiel à jouer après la création d’une nouvelle commission. Nous recommandons donc l’option 3 qui envisage une approche de collaboration avec les projets Innocence et permettrait à la nouvelle commission de financer à sa discrétion les projets Innocence qui contribuent de manière efficiente et efficace à l’exécution du mandat de la commission. Selon nous, il ne serait pas utile d’être trop prescriptif quant à la nature de cette collaboration ou du financement.
La professeure Bibi Sangha et le professeur Bob Moles ont suggéré que les projets Innocence pourraient aider la commission dans différentes régions du pays à la fois en ce qui concerne les dossiers et les questions de réforme systémiquenote de fin d’ouvrage 219. Les projets Innocence qui reçoivent le soutien et le financement nécessaires, notamment de la commission, pourraient également consacrer plus de temps au soutien à la réinsertion sociale, à l’aide post-carcérale et à la réforme systémique. Le travail essentiel des projets Innocence ne sera pas terminé une fois la nouvelle commission créée.
Notification, participation et soutien des victimes d’actes criminels
Option 1 : Aucun soutien, notification ou participation
Les textes législatifs qui ont établi les commissions anglaise et écossaise dans les années 1990 ne faisaient pas mention des victimes d’actes criminelsnote de fin d’ouvrage 220.
Option 2 : Notification, mais aucune participation
La plupart des commissions avisent les victimes d’actes criminels dans la minorité de cas où elles renvoient une condamnation ou une peine aux tribunaux. Dans certains cas, la notification des victimes d’actes criminels peut avoir lieu plus tôt en raison de leur participation à l’enquête de la commission.
Option 3 : Notification, participation et soutien
La Charte canadienne des droits des victimesnote de fin d’ouvrage 221 donne à toute victime d’actes criminels le droit, sur demande, d’obtenir des renseignements en ce qui concerne l’état d’avancement et l’issue d’une enquêtenote de fin d’ouvrage 222; de « donner son point de vue en ce qui concerne les décisions »note de fin d’ouvrage 223 et de présenter une déclaration de la victimenote de fin d’ouvrage 224. Le GRCC nous a dit qu’il estime être lié par cette loi. La commission de la Caroline du Nord doit, en application de la loi, aviser les victimes d’actes criminels ou les plus proches parents et leur permettre d’exprimer leurs points de vue lorsqu’une demande a atteint l’étape de l’enquête officielle ou de l’audience de la commission. Cette commission compte également sur les services d’une personne qui offre du soutien aux victimes d’actes criminels. La commission norvégienne peut nommer un avocat pour les victimes d’actes criminels et leurs plus proches parents et l’a fait dans onze affaires en 2019-2020.
Ce que nous avons entendu
La plupart des personnes et des organisations consultées étaient en faveur de la notification des victimes d’actes criminels avant que la commission renvoie une affaire, mais étaient plus divisées sur la participation des victimes. Bruce MacFarlane, c.r., nous a dit que la notification des familles des victimes d’actes criminels décédées peut soulever des questions extrêmement délicates. Les familles peuvent se demander pourquoi la condamnation est contestée après un plaidoyer de culpabilité ou une condamnation et un appel. Ce qui est encore plus troublant, c’est que les familles peuvent être divisées sur la façon de répondre.
Les représentants de la commission écossaise et le chef de police de Moose Jaw, Rick Bourassa, qui fait partie du comité sur les victimes d’actes criminels de l’Association canadienne des chefs de police, nous ont dit que les victimes d’actes criminels devraient être tenues au courant tout au long du processus. Les représentants de la commission de la Norvège nous ont dit que la notification des victimes pourrait être évaluée au cas par cas, mais qu’elle devrait toujours se produire dans les affaires qui seront très médiatisées.
Les membres du groupe FPT des chefs des poursuites pénales ont avancé que la nouvelle commission devrait disposer de fonds destinés à un poste de soutien aux victimes parce que même les services aux victimes existants ne connaîtront pas bien le processus. Ils ont ajouté ce qui suit : [traduction] « Si le mandat de la commission inclut les infractions sexuelles, il semble inévitable que les victimes aient un rôle à jouer pour fournir des éléments de preuve aux enquêteurs. Il faudrait réfléchir à la question de savoir si les victimes devraient recevoir des conseils juridiques indépendants, dans les cas où les articles 276, 278 et suivants du Code sont applicablesnote de fin d’ouvrage 225.
Divers défenseurs des droits des femmes et de la justice liée au genre, ainsi qu’Innocence Canada, nous ont dit que les victimes devraient être avisées seulement lorsqu’une affaire est renvoyée, sinon cela pourrait causer un nouveau traumatisme aux victimes d’actes criminels. D’autres personnes et organisations consultées ont suggéré que les victimes d’actes criminels soient avisées plus tôt au stade de l’enquête. L’une d’elles a déclaré que les victimes d’actes criminels devraient être avisées une fois qu’une demande a été présentée à la nouvelle commission.
Forte de sa vaste expérience de la justice pénale internationale et nationale, Élise Groulx, présidente honoraire de l’Association internationale du barreau, a exhorté que la nouvelle commission ne doit pas exclure les victimes d’actes criminels. Elle a souligné qu’en tant qu’ancienne avocate de la défense au Québec, elle avait d’abord été réticente à accorder aux victimes des droits de participation, mais elle a été convaincue qu’un rôle accru pour les victimes d’actes criminels était essentiel à la légitimité de toute institution de justice pénale. Elle a prévenu que l’exclusion des victimes pourrait vraisemblablement entraîner leur opposition au processus.
L’ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels nous a dit que la Charte canadienne des droits des victimes laisse entendre qu’une certaine participation pourrait être nécessaire. On nous a dit que la participation des victimes d’actes criminels est importante « pour la perception de justice » et que, pour certaines personnes, comme les communautés autochtones, la participation est essentielle pour « rétablir l’harmonie ».
D’autres personnes et organisations consultées n’étaient pas en faveur de la participation des victimes. Le Projet Innocence Québec a remis en question la pertinence du [traduction] « point de vue d’une victime quant à l’importance de nouveaux éléments de preuve pour le verdict ou l’équité du procès ». Il a souligné que, même si les victimes d’actes criminels pouvaient être avisées, [traduction] « une telle notification pourrait créer indûment une période d’incertitude pouvant leur causer un préjudice additionnel »note de fin d’ouvrage 226.
La professeure Lucinda Vandervort a suggéré que les victimes soient avisées, mais que [traduction] « leur participation soit laissée à la discrétion de la commission. Cette approche offre une certaine marge de manœuvre dans les cas où la commission pourrait être aidée par la participation de la victime, mais où sa participation est autrement interdite »note de fin d’ouvrage 227.
Recommandation 30
Nous recommandons l’option 3 en ce qui concerne la notification, le soutien et la participation parce que nous croyons que les victimes d’actes criminels dans des affaires de condamnations injustifiées, comme les condamnés à tort eux-mêmes, sont des personnes à qui le système de justice a fait défaut. Comme l’a fait remarquer la juge Beard dans sa décision de remettre Kyle Unger en liberté sous caution en attendant une décision suivant la révision ministérielle, après qu’il eut purgé 13,5 ans d’une peine pour meurtre, [traduction] « cette procédure sera sans doute difficile pour les membres de la famille de la victime, car ils seront forcés de revivre les horribles événements entourant le meurtre de la victime de 16 ans, les années de procédures judiciaires qui ont suivi et la publicité qui a entouré ces procédures judiciaires. Tous deux ainsi que M. Unger et sa famille subiront un stress énorme en attendant que cette demande soit tranchée définitivement, et je ne peux qu’encourager ceux et celles qui mènent le dossier à procéder le plus rapidement possible sans compromettre la rigueur ou l’équité de la révision »note de fin d’ouvrage 228.
Nous sommes d’accord avec la grande majorité des personnes et des organisations consultées qui nous ont dit qu’il serait inutile d’aviser les victimes d’actes criminels dans tous les cas d’une demande. Nous estimons également comme elles qu’il « n’y a pas de solution universelle ». À notre avis, il convient d’accorder à la commission la marge de manœuvre nécessaire pour établir et réviser ses propres politiques sur la notification et la participation des victimes et le soutien offert à ces dernières. Son travail à cet égard devrait se faire en consultation avec les personnes qui représentent les victimes d’actes criminels et travaillent avec elles.
Si la commission est assujettie à la Charte canadienne des droits des victimes, la participation limitée des victimes d’actes criminels sera possible. Nous prenons acte du fait que nombreuses sont les personnes et les organisations consultées qui se sont opposées à une telle participation, mais nous ne croyons pas que le fait de permettre aux victimes d’actes criminels de communiquer leurs points de vue sur les décisions de la commissionnote de fin d’ouvrage 229 et de présenter des déclarations d’impact des victimes relativement aux demandes de détermination de la peinenote de fin d’ouvrage 230 sera incompatible avec le mandat de la commission de contribuer à corriger les erreurs judiciaires dans le respect de toutes les personnes touchées. Nous sommes convaincus qu’une commission indépendante tiendra dûment compte des observations formulées par les victimes d’actes criminels et appliquera avec impartialité et équité les critères relatifs au renvoi.
G. Décisions préliminaires et remise en liberté sous caution en attendant la décision de la commission
Acceptation et examen initial des demandes
Option 1 : La commission établit son propre processus d’examen initial
La commission anglaise a élaboré ses propres politiques prévoyant les cas où les demandes peuvent être entendues sans que les recours en appel soient épuisés dans des « circonstances exceptionnelles »note de fin d’ouvrage 231. Les demandes peuvent être rejetées par un seul commissaire. Elle a également comme politique de permettre au directeur du traitement des dossiers de déclarer un demandeur persistant, abusif et malveillant. Le cas échéant, elle ne donnera plus suite aux communications du demandeur en questionnote de fin d’ouvrage 232.
Option 2 : Exigences législatives relatives à l’acceptation et à l’examen initial des demandes
L’article 696.1 du régime actuel de révision ministérielle exige que « toutes les voies de recours [aient] été épuisées ». Cette disposition a été interprétée comme nécessitant au moins un appel devant la Cour d’appel provinciale, mais pas nécessairement une demande d’autorisation d’appel devant la Cour suprême du Canadanote de fin d’ouvrage 233. Ainsi qu’il en est fait mention dans la partie C du présent rapport, le règlement exige que les décisions judiciaires pertinentes, les transcriptions et les documents soumis aux tribunaux soient fournis pour qu’une demande soit jugée complète.
La commission de la Nouvelle-Zélande est habilitée par la loi à ne prendre aucune mesure ou aucune autre mesure dans les cas où, à son avis, la demande est [traduction] « frivole, vexatoire ou par ailleurs faite de mauvaise foi » ou si, « pour toute autre raison, la commission estime qu’il est inutile ou inapproprié qu’elle prenne une mesure ou une autre mesure »note de fin d’ouvrage 234. L’exigence selon laquelle les recours en appel doivent être épuisés n’est pas une exigence législative absolue en Nouvelle-Zélande, mais un facteur prévu par la loinote de fin d’ouvrage 235.
Ce que nous avons entendu
La plupart des personnes et des organisations consultées ont dit préférer un processus souple d’acceptation et d’examen initial des demandes, sans exigences législatives rigoureuses. Certaines nous ont dit que [traduction] « la commission doit jouir de la plus grande latitude pour élaborer ses propres procédures compte tenu des connaissances acquises, des expériences à l’échelle internationale […] et de la situation canadienne »note de fin d’ouvrage 236. La professeure Mai Satonote de fin d’ouvrage 237, l’avocat de la défense Mark Sandler et l’avocate de la défense Annamaria Enenajor nous ont dit que les commissaires devraient jouir d’une flexibilité à l’étape de l’examen initial, surtout lorsqu’ils examinent les demandes de personnes vulnérables. Pour certains, une loi énonçant une exigence fixe pour l’acceptation des demandes « créerait des obstacles à l’accessibilité »note de fin d’ouvrage 238.
Des représentants de la commission de la Caroline du Nord nous ont également fait part de l’importance de permettre au directeur exécutif de la commission, par opposition aux commissaires, de rejeter les demandes qui ne relèvent pas de la compétence de la commission. De même, Innocence Canada nous a dit que les réviseurs de dossiers devraient être en mesure de rejeter les demandes qui ne relèvent pas de la compétence de la commissionnote de fin d’ouvrage 239. Il sera important que la commission fournisse des rapports détaillés sur les raisons pour lesquelles les demandes sont rejetées.
Certaines personnes et organisations consultées nous ont dit qu’un seuil législatif « offre à la fois transparence et responsabilisation ». Elles ont dit craindre qu’un processus d’examen initial par la commission soit trop discrétionnaire et ont ajouté qu’il serait préférable d’avoir en place des critères législatifs clairs.
Des représentants du projet Innocence de l’UCB nous ont dit que tout critère législatif devrait reconnaître l’impact des condamnations injustifiées sur les groupes marginalisésnote de fin d’ouvrage 240. La Fondation canadienne des relations raciales affirme que le processus d’examen initial doit être assorti d’obligations d’examiner le rôle du racisme dans un dossier donné. Le groupe Milgaard/Lockyer nous a dit que le seuil législatif devrait se rapporter exclusivement à l’épuisement des recours en appelnote de fin d’ouvrage 241.
La grande majorité des personnes et organisations consultées nous ont dit qu’un commissaire seul ne devrait avoir le pouvoir de prendre une décision à aucune étape du processus de demande, d’enquête ou de renvoi. Le groupe FPT des chefs des poursuites pénales a prévenu que la multiplicité des décideurs [traduction] « entraîne inévitablement des retards plus longs »note de fin d’ouvrage 242, mais d’aucuns, comme les professeurs Ireland (Université du Manitoba) et McLellan (Université d’Algoma, Innocence Compensation Project), nous ont dit que le fait d’avoir un seul décideur risque d’engendrer un manque d’uniformité, une perception d’injustice et une partialité. De même, Jean-Claude Bernheim, de la Société John Howard du Québec, a indiqué qu’il faudrait exiger un minimum de trois commissaires pour rejeter une demande. Le juge Mel Green a affirmé qu’une dissidence au sein d’un groupe de trois commissaires devrait être considérée comme une indication de la nécessité que l’affaire soit examinée par l’ensemble de la commission. Parallèlement, des représentants de la commission anglaise et celle de la Nouvelle-Zélande, ainsi que certains praticiens chevronnés, nous ont dit qu’il n’est pas pratique d’exiger que toute la commission participe à chaque étape de chaque dossier, bien que nous ayons été informés que c’est ce qui se passe dans la pratique en Écosse.
Recommandation 31
Nous recommandons que la nouvelle commission jouisse de la marge de manœuvre nécessaire pour énoncer ses propres politiques d’acceptation et d’examen initial, sans exigences législatives rigoureuses. Nous ne croyons pas non plus qu’il doive y avoir une exigence stricte en ce qui concerne l’épuisement des recours en appel ainsi que le prévoit l’art. 696.1, et estimons que celle-ci devrait faire l’objet d’exceptions dans les circonstances déterminées par la commission. Nous exhortons la commission à faire preuve de souplesse et de générosité à cet égard parce que, comme l’a déclaré le groupe Milgaard/Lockyer, les personnes qui ont été victimes d’erreurs judiciaires ne devraient pas se voir refuser justice en raison des erreurs de leurs avocats. Les demandeurs ne devraient pas se voir refuser justice parce qu’ils ne savaient pas qu’ils pouvaient encore interjeter appel ou parce qu’ils ne pouvaient obtenir de financement pour interjeter appel. Dans les cas appropriés, la commission devrait aider les demandeurs à exercer leurs droits d’appel. Ce qu’il faut éviter, c’est une mentalité de « case à cocher » excessivement bureaucratique, sévère et intolérante qui rejette systématiquement les demandes parce qu’il n’y a pas eu d’appel et qui n’offre ensuite aucune aide aux demandeurs dont la demande a été rejetée. L’expérience canadienne et étrangère permet de penser que la nouvelle commission « rejettera » la plupart des demandes. Par ailleurs, il est important que la commission dispose des ressources nécessaires et qu’elle souhaite aider tous les demandeurs dans une certaine mesure.
Afin d’assurer la souplesse et la transparence de l’approche de la commission, nous croyons également que la commission devrait être tenue, en vertu de sa loi habilitante, d’établir des politiques à l’égard des circonstances exceptionnelles et des cas frivoles et vexatoires.
Bon nombre des personnes et organisations que nous avons consultées ont exprimé leur malaise face à la capacité d’un seul des commissaires anglais de rejeter une demande. Nous partageons ce sentiment, compte tenu du fait surtout que la décision contestée aura parfois été prise par un jury et que, de manière générale, un appel aura été rejeté. Nous constatons également que le manque d’uniformité de certaines décisions de la commission anglaise suscitent des préoccupationsnote de fin d’ouvrage 243.
Nous laisserons à la commission le soin de décider s’il y a lieu d’élaborer un système d’appel interne pour les décisions prises par un sous-ensemble de commissaires de la commission entière. Un tel système d’appel pourrait avoir l’avantage d’être une solution de rechange plus rapide et moins coûteuse que la révision judiciaire de la décision de la commission par un demandeur déçu. Nombreux sont ceux et celles qui nous ont dit que de telles procédures de révision judiciaire requièrent souvent que des commissions indépendantes retiennent les services d’avocats externes et peuvent être une source de retard et d’épuisement des ressources. Nous reviendrons sur la question du contrôle judiciaire plus loin.
Nous sommes également d’accord avec les personnes et les organisations consultées qui nous ont dit que toute norme d’acceptation des demandes doit être administrée d’une manière équitable qui tient compte des inconvénients que les demandeurs peuvent avoir subis. Nous aurions des réserves à l’égard d’une loi ou d’une politique qui ne laisserait aucune place à des exceptions justifiables.
Étant donné le rôle clé et largement documenté des idées préconçues et du préjugé de confirmation dans les condamnations injustifiées, il est important que la commission prenne des mesures actives et visibles pour se prémunir contre ce phénomène persistant dans ses propres processus. Nous avons été impressionnés par le modèle écossais, dans lequel quatre commissaires participent habituellement au traitement d’une demande, alors que les décisions sont prises par les huit commissaires. Les quatre commissaires qui n’ont pas pris part au traitement du dossier peuvent jouer un rôle de remise en question en ce qui concerne la recommandation de décision élaborée par le personnel de la commission, avec la participation des quatre autres commissaires.
Nous laisserions à la commission le soin d’élaborer et de réviser ses propres politiques afin de se prémunir contre le préjugé de confirmation et les idées préconçues et de permettre les appels et les remises en question au sein de la commission. Cela permettrait à la commission d’interagir avec d’autres personnes et d’ajuster ses processus au fil du temps, notamment en fonction du nombre de demandes reçues.
Remise en liberté sous caution en attendant la décision finale de la commission
Option 1 : Statu quo non codifié
Dans une série d’affaires, les cours supérieures ont réclamé et exercé le pouvoir de libérer un demandeur sous caution en attendant la décision du ministre de renvoyer ou non l’affaire aux tribunauxnote de fin d’ouvrage 244. L’un des facteurs pris en considération dans ces décisions a été la question de savoir si le GRCC a fait passer un dossier à l’étape de l’enquête officielle. Dans un dossier, l’évaluation préliminaire exhaustive du GRCC a été utilisée dans un processus qui a donné lieu à la remise en liberté sous caution d’un demandeur en attendant la décision du ministrenote de fin d’ouvrage 245. Le paragraphe 679(7) du Code fait en sorte que les dispositions relatives à la remise en liberté sous caution s’appliquent en attendant l’appel, mais seulement après que le ministre a fait un renvoi en vertu de l’art. 696.3.
Option 2 : Dispositions législatives relatives à la remise en liberté sous caution en attendant la décision finale de la commission
Le paragraphe 679(7) du Code pourrait être modifié pour préciser que la remise en liberté sous caution en attendant l’appel peut être accordée également en attendant la décision finale de la commission et non seulement après un renvoi par la commission.
Ce que nous avons entendu
La plupart des personnes et organisations consultées appuient une loi visant à codifier le processus de remise en liberté sous caution en attendant la révision après condamnation. James Lockyer a dit appuyer une modification du paragraphe 679(7) pour inclure la remise en liberté sous caution en attendant la décision finale de la nouvelle commission. Cela irait à l’encontre de l’actuel processus de remise en liberté sous caution en attendant la décision du ministre, puisqu’un seul juge de la Cour d’appel rendrait la décision par opposition à une cour supérieure, et la décision d’un seul juge de la Cour d’appel sur la remise en liberté sous caution serait susceptible d’appel devant trois juges de la Cour d’appel.
L’Association du Barreau canadien nous a dit que lier une demande de remise en liberté sous caution à une évaluation préliminaire positive par le GRCC actuel ou par la nouvelle commission est trop restrictifnote de fin d’ouvrage 246. Le Projet Innocence de l’UCB a fait valoir que, dans la plupart des cas, il [traduction] « serait inacceptable de refuser la remise en liberté sous caution du demandeur pendant la durée d’une enquête »note de fin d’ouvrage 247. Le Projet Innocence Québec a prévenu que les décisions de la commission concernant le traitement d’une demande ne doivent pas être influencées par les considérations de sécurité publique qui influeront sur les décisions relatives à la remise en liberté sous caution.
Le groupe FPT des chefs des poursuites pénales a déclaré que [traduction] « la remise en liberté sous caution devrait être intégrée à un endroit approprié dans le processus » et devrait intégrer les paragraphes 679(3) et 515(10) et l’article 493.1 du Code. Il a souligné que l’absence d’avis et de divulgation à la Couronne dans le cadre du processus de révision ministérielle [traduction] « peut signifier que la Couronne est mal préparée pour les demandes de remise en liberté sous caution dans des affaires complexes qui remontent loin dans le temps »note de fin d’ouvrage 248.
Recommandation 32
À notre avis, l’option 2, qui consiste à modifier le paragraphe 679(7) du Code pour permettre aux cours d’appel d’accorder une remise en liberté sous caution en attendant la décision finale de la commission ainsi que dans les cas de renvois par la commission, devrait être remise en œuvre. Cela renforcerait la pratique actuelle et la rendrait plus transparente.
Nous espérons que la commission disposera de ressources suffisantes et sera en mesure de se prononcer dans des dossiers plus rapidement que le ministre le fait dans le cadre du régime actuel. Cela dit, nous reconnaissons que l’enquête approfondie sur des allégations d’erreurs judiciaires prend du temps. La remise en liberté sous caution peut jouer un rôle crucial dans l’atténuation de certains des préjudices causés par des condamnations injustifiées. Comme le juge Freeman l’a fait remarquer en accordant une remise en liberté sous caution à Clayton Johnson, condamné à tort pour avoir commis le meurtre de sa femme, en attendant l’appel d’un renvoi ministériel :
[Traduction]
Ni la justice ni l’intérêt public ne peuvent être servis en l’obligeant à rester en prison tant que le processus n’est pas terminé […], comme le souligne son avocat, les mois qui lui sont injustement retirés, s’il est innocent, ne peuvent jamais lui être restitués, mais si au bout du compte il est toujours reconnu coupable, ils peuvent être ajoutés au temps qu’il doit purger. Je conclus que la détention de M. Johnson n’est pas nécessaire dans l’intérêt public »note de fin d’ouvrage 249.
Nous préférons également inclure la remise en liberté sous caution en attendant la décision de la commission en vertu du paragraphe 679(7) parce que le processus d’octroi de la remise en liberté sous caution en vertu de cette disposition du Code a été clarifié récemment par la Cour suprêmenote de fin d’ouvrage 250.
Nous craignons que la décision de faire passer une demande à l’étape de l’enquête officielle puisse jouer un rôle trop important dans la décision d’accorder une remise en liberté sous caution en attendant la décision de la commission. Selon notre interprétation de la remise en liberté sous caution en attente de décisions ministérielles, il est faux de croire que la décision de soumettre ou non une demande à une enquête officielle est une condition nécessaire ou suffisante pour accorder une remise en liberté sous caution.
Des demandes de remise en liberté sous caution ont été présentées alors que des demandes de révision ministérielle font encore l’objet d’une évaluation préliminaire.note de fin d’ouvrage 251 À l’inverse, la remise en liberté sous caution a été refusée même si le ministre a fait passer la demande au stade de l’enquêtenote de fin d’ouvrage 252. Comme le juge Watt l’a souligné dans la première décision de ce genre sur la remise en liberté sous caution, il n’est [traduction] « ni nécessaire ni souhaitable d’examiner le bien-fondé de la demande principale, et encore moins de se prononcer à cet égard. Il appartient au ministre de dire s’il y a des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite en l’espèce »note de fin d’ouvrage 253.
Selon que la commission a découvert de nouvelles questions, les demandeurs de remise en liberté sous caution peuvent avoir besoin de l’aide de la commission pour établir si leur dossier n’est pas frivole, ce qui joue un rôle dans la question de savoir s’il est dans l’intérêt public d’accorder une remise en liberté sous caution. Dans bien des cas, la commission devrait pouvoir compter sur l’obligation continue de la Couronne de divulguer ces documents au demandeur. Toutefois, si la Couronne ne possède pas ou refuse de divulguer des documents que la commission possède et qui sont pertinents en ce qui a trait à l’audience sur la remise en liberté sous caution, la commission devrait divulguer ces documents au tribunal qui entend la demande de remise en liberté sous caution. Ainsi, les documents privilégiés ne seront pas divulgués, et les engagements et les interdits de publication nécessaires seront mis en place. Le juge de la Cour d’appel décidera également si les nouveaux documents détenus par la commission seront divulgués au demandeur et à la poursuite et en déterminera le mode de divulgation.
Cela devrait répondre à ce que le groupe FPT des chefs des poursuites pénales a qualifié d’absence de divulgation du GRCC, qui rend difficile pour les procureurs la tâche de prendre position sur les demandes de remise en liberté sous caution en attendant la décision du ministre. Nous reconnaissons qu’une telle divulgation peut soulever des questions complexes au sujet des privilèges et des interdictions de publication, mais nous sommes d’avis que celles-ci devraient relever du juge de la Cour d’appel qui, en vertu de nos propositions, rendra la décision relative à la remise en liberté sous caution.
Nous croyons également que les demandes relatives à la peine présentées à la commission devraient être régies par les termes du par. 679(4). Dans le cas où le demandeur présente une demande à la commission à l’égard d’une peine seulement, le juge de la Cour d’appel devrait alors appliquer le par. 679(4), qui est assorti d’une exigence semblable en trois volets pour la remise en liberté sous caution en attendant l’appel d’une condamnation en vertu du par. 679(3)note de fin d’ouvrage 254.
Il y a lieu de mentionner une dernière chose en ce qui concerne la remise en liberté sous caution. Dans bon nombre des cas où elle a été libérée sous caution en attendant la décision du ministre, la personne condamnée à tort a été assujettie à des conditions extrêmement rigoureuses. Glen Assoun nous a parlé des préjudices et des indignités que lui avaient causé de telles conditionsnote de fin d’ouvrage 255.
La Cour suprême du Canada a récemment mis en garde contre l’imposition de conditions de remise en liberté sous caution inutiles. La Cour a critiqué une culture d’aversion pour le risque et de consentement en matière de remise en liberté sous caution. Nous craignons que cette culture relative à la remise en liberté sous caution soit encore plus forte dans les cas où une personne a été condamnée et a été déboutée en appel, et demande ensuite une remise en liberté sous caution en attendant une décision du ministre ou de la nouvelle commissionnote de fin d’ouvrage 256.
La Cour a également souligné ce qui suit : « l’imposition de conditions sévères touche de façon disproportionnée les populations vulnérables et marginalisées [et…] les personnes vivant dans la pauvreté ou aux prises avec des problèmes de toxicomanie ou des maladies mentales […]. Les personnes autochtones, surreprésentés au sein du système de justice criminelle, sont aussi touchées de façon disproportionnée par l’imposition de conditions de remise en liberté sous caution inutiles et déraisonnables et des accusations pour manquement qui en découlent »note de fin d’ouvrage 257.
Comme l’a prévenu la juge Martin : « Les conditions de remise en liberté sous caution peuvent être faciles à imposer, mais difficiles à vivre »note de fin d’ouvrage 258. Nous sommes d’accord. Nous espérons que les difficultés que Glen Assoun a éprouvées pendant sa remise en liberté sous caution assortie de conditions rigoureuses, comme le fait de devoir signaler à son superviseur de la remise en liberté sous caution « toutes les amitiés sexuelles et non sexuelles avec des femmes » ou l’interdiction de fréquenter toute entreprise dont l’activité principale est la vente d’alcoolnote de fin d’ouvrage 259 ne se répètent pas à l’avenir.
H. Pouvoirs de conservation et d’enquête
Option 1 : Pouvoir de demander à la police et aux procureurs de conserver, de cataloguer et de copier des renseignements pertinents dans le cadre de l’enquête de la commission
La commission pourrait être habilitée à demander à des particuliers et à des organismes publics de conserver, de cataloguer et de copier tous les documents pertinents concernant une demande. Ce pouvoir pourrait inclure celui d’interroger des particuliers sur l’existence et l’emplacement des documents.
Option 2 : Aucun pouvoir de demander la conservation
La loi habilitante de la commission pourrait rester muette sur les questions de conservation. Cela pourrait obliger la commission à exercer ses pouvoirs d’enquête (il en sera question ci-après) pour tenter d’assurer la conservation des documents pertinents.
Ce que nous avons entendu
La plupart des personnes et organisations consultées ont souligné l’importance de conserver l’information pertinente. Le GRCC de la révision ministérielle actuelle nous a dit qu’il demande la conservation des documents une fois la demande complète et que l’omission de conserver des documents pose un obstacle important à son travail.
Les représentants de la GRC et d’autres services de police nous ont dit que les périodes de conservation étaient longues pour les dossiers d’homicide, mais beaucoup plus courtes dans les cas moins graves. Elles semblent varier d’un service de police à l’autre. Par exemple, la police de Toronto conserve de façon permanente certains documents dans les affaires d’homicide, mais seulement pendant sept ans dans les affaires de vol qualifié et d’agression sexuelle.
Nicholas St-Jacques, du Projet Innocence Québec, a prévenu que les avocats du Québec doivent conserver les dossiers pendant sept ans seulement. D’autres barreaux adoptent des approches différentes; seuls le Manitoba et les Territoires du Nord-Ouest signalent expressément aux avocats que, lorsqu’il existe un risque de condamnation injustifiée, il serait prudent de conserver leurs dossiers indéfiniment. Le délai de conservation des dossiers judiciaires et des preuves scientifiques diffère également d’une province à l’autre.
Le groupe FPT des chefs des poursuites pénales s’est porté à la défense d’une commission réactive qui vise surtout à établir l’innocence factuelle dans les cas graves, en partie parce qu’un mandat plus large [traduction] « impose des exigences rigoureuses et imprévisibles aux services de police et de poursuites », notamment en ce qui concerne la conservation des documentsnote de fin d’ouvrage 260. Il a dit ceci également :
[Traduction] Le système doit reconnaître formellement les obligations du côté de la défense. À tout le moins, les avocats de première instance et d’appel doivent conserver leurs dossiers en ce qui concerne un demandeur. En outre, l’insistance sur l’innocence factuelle est conforme à la divulgation réciproque et à l’exigence d’affidavits des demandeursnote de fin d’ouvrage 261.
Le groupe a prévenu que la nouvelle commission ne devrait pas créer des [traduction] « obligations de divulgation massive des dossiers et épuiser les ressources humaines et financières limitées. Une partie de cette pression pourrait être atténuée si les demandeurs devaient d’abord demander la divulgation à leur avocat de première instance ou à leurs avocats en appel »note de fin d’ouvrage 262.
En dépit de ses vastes pouvoirs, la commission anglaise a dû faire face à des retards dans la production de matériel pertinent par la police et les procureurs et à la destruction de documents pertinents. Un rapport de tous les partis a récemment recommandé que la police, les procureurs et les tribunaux conservent les documents plus longtempsnote de fin d’ouvrage 263.
Recommandation 33
Nous avons été convaincus que la nouvelle commission devrait être habilitée par la loi à ordonner à tout organisme public ou privé et à toute personne de conserver, de cataloguer et de copier des documents qu’elle juge pertinents pour trancher une demande. Ce pouvoir devrait être exercé le plus tôt possible. Cela ne devrait pas dépendre du fait que toutes les transcriptions et tous les mémoires déposés devant les tribunaux ont été soumis par un demandeur ou obtenus d’une autre façon.
Nous reconnaissons que les ordonnances de conservation anticipées obligeront tous les participants au système de justice pénale, y compris les tribunaux et les avocats de la défense, à consacrer des ressources à la conservation, à la recherche et à la copie des documents pertinents. Néanmoins, nous croyons que cela doit être fait pour que la commission puisse enquêter rapidement et efficacement dans les dossiers.
Nous rejetons la suggestion du groupe FPT des chefs des poursuites pénales selon laquelle les ressources de la police et des poursuites consacrées à la conservation des documents pertinents [traduction] « réduisent notre capacité de prévenir les condamnations injustifiées à l’étape du procès »note de fin d’ouvrage 264. À notre avis, les policiers et les procureurs, en tant qu’organismes publics, ont des obligations spéciales de conserver les documents pertinents et d’aider la nouvelle commission à accomplir son travail. Nous espérons et nous attendons à ce que les policiers, les procureurs et toutes les autres personnes qui travaillent dans le système de justice pénale coopèrent et travaillent en collaboration avec la commission.
Nous craignons que les revendications de privilège juridique et les demandes de caviardage visant à préserver le privilège et la vie privée ralentissent les enquêtes de la commission. Nous croyons également que le fait de conférer à la commission de solides pouvoirs de conservation et d’enquête devrait réduire au minimum les dépenses et les retards causés ces dernières années par les demandeurs qui tentent d’obtenir des documents pertinents de la police et des procureurs au moyen de demandes de divulgation après condamnationnote de fin d’ouvrage 265. La commission devrait disposer de vastes pouvoirs statutaires pour obtenir tous les documents pertinents sans égard aux revendications de privilège ou à la portée précise des obligations de divulgation après condamnation en vertu de l’art. 7 de la Charte.
Nous acceptons la préoccupation du groupe FPT des chefs des poursuites pénales selon laquelle la commission devrait également avoir accès aux documents détenus par les anciens avocats du demandeur. Les barreaux devraient imposer des périodes de conservation plus longues aux avocats dans les affaires criminelles en les avertissant clairement que les documents devraient être conservés indéfiniment s’il existe un risque d’erreur judiciaire. Les barreaux devraient agir de manière à protéger les clients parce que les intérêts des demandeurs et de leurs anciens avocats en matière de rétention et de collaboration avec la commission pourraient malheureusement ne pas être identiques. Cela est particulièrement vrai s’il y a possibilité d’une aide inefficace de l’avocat et/ou de réclamations en responsabilité civile du client contre l’ancien avocat.
La technologie numérique devrait contribuer à réduire les coûts de conservation indéfinie des dossiers, mais il faut prêter attention aux changements technologiques qui pourraient rendre inaccessibles les anciennes formes de fichiers conservés électroniquement.
La nouvelle commission devrait être proactive en raison notamment de la nécessité pour elle de négocier des protocoles d’entente avec la GRC et d’autres services de police, services de poursuite et services d’enquête sur les décès en ce qui concerne les périodes de conservation plus longues et les moyens plus rapides de produire des documents pertinents pour la commission, tout en maintenant la chaîne de possession. La commission devrait également collaborer activement avec les barreaux et les tribunaux pour prolonger et normaliser les périodes de conservation des dossiers de droit criminel détenus par les avocats. Elle devrait tenter de mettre en place certaines normes nationales dans ce domaine important où, nous a-t-on dit, il existe de nombreuses différences provinciales et même locales dans les politiques de conservation.
Nous considérons les périodes de conservation comme étant l’une des nombreuses manières dont le mandat de la commission de contribuer aux enquêtes sur les erreurs judiciaires et à corriger ces dernières est indissociable de son mandat en matière de réforme systémique. La commission ne devrait pas être neutre en ce qui concerne la nécessité de prolonger les délais de conservation. Elle devrait plutôt tenter de persuader tous les participants au système de justice pénale d’adopter des délais de conservation plus longs pour permettre une enquête plus approfondie et plus rapide sur les allégations d’erreurs judiciaires et la correction plus fréquente de ces dernières.
Seuil pour mener une enquête
Option 1 : Seuil prévu par la loi
L’alinéa 4(1)a) du règlement pris en vertu de l’art. 696.1 du Code criminel prévoit que le ministre « enquête sur la demande s’il constate qu’il pourrait y avoir des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite ». Le sous-alinéa 4(1)b)(i) prévoit qu’une demande peut passer directement à l’étape de la décision ministérielle si « pour éviter un déni de justice ou pour des raisons humanitaires, une décision soit être rendue promptement ».
Option 2 : Seuil établi par une politique de la commission
La décision d’exercer ou non les pouvoirs d’enquête pourrait être laissée à la commission afin qu’elle élabore ses propres politiques.
Ce que nous avons entendu
La plupart des personnes ou organisations consultées voient d’un bon œil le pouvoir de la nouvelle commission d’établir ses propres critères ou politiques pour déterminer les cas où il convient de faire enquête. David Milgaard nous a dit que tout seuil d’enquête devrait être réduit pour permettre à la nouvelle commission d’aider les demandeurs. Il a déclaré qu’une nouvelle commission ne devrait pas laisser [traduction] « la jurisprudence faire entrave à la vérité et à la justice ». La jurisprudence à laquelle M. Milgaard renvoie inclut trois décisions judiciaires qui laissent entendre que les pouvoirs d’enquête actuels du ministre ne s’appliquent pas tant qu’une demande n’est pas passée à l’étape de l’enquête officiellenote de fin d’ouvrage 266.
Les représentants du GRCC nous ont dit qu’ils avaient réussi à surmonter l’absence de pouvoirs d’enquête lors de l’évaluation préliminaire en prenant des engagements ou en acceptant des caviardages de la police et des procureurs destinés à garantir le privilège juridique et la confidentialité. Dans certains cas, le GRCC avait suffisamment de motifs pour faire passer le dossier à l’étape de l’enquête, à laquelle il pouvait exercer ses pouvoirs d’enquête.
Des représentants du projet Innocence de l’UCB nous ont dit qu’il sera tout simplement impossible de découvrir les condamnations injustifiées sans un accès complet et non caviardé à tous les dossiers pertinents et à toutes les pièces matérielles pour analyse. Ils soulignent que la plupart des condamnations injustifiées sont causées en partie par l’absence de divulgation complètenote de fin d’ouvrage 267.
Certains se sont portés à la défense du maintien des normes d’enquête prévues par la loi. Le groupe FPT des chefs des poursuites pénales a appuyé le seuil actuel pour la tenue d’une enquête et a déclaré que [traduction] « le seuil doit respecter la présomption de régularité et doit reposer sur la proposition selon laquelle les normes ont été respectées en l’absence de preuves fiables et convaincantes démontrant le contraire »note de fin d’ouvrage 268. Le Projet Innocence Québec a également appuyé le critère actuel pour les enquêtes pour le motif que [traduction] « s’il est appliqué correctement, le critère est peu élevé… »note de fin d’ouvrage 269. Mary Ainslie, du bureau de la Couronne de la Colombie-Britannique, nous a dit que le seuil devrait être « élevé ». Elle a prévenu que les enquêtes de la nouvelle commission vont encombrer la police et les procureursnote de fin d’ouvrage 270.
Recommandation 34
Nous recommandons l’option 2, qui consiste à permettre à la commission d’élaborer ses propres politiques concernant l’exercice de ses pouvoirs d’enquête. Nous suggérons fortement de ne pas imposer une norme législative qui pourrait empêcher la commission d’exercer ses pouvoirs d’enquête.
Bien qu’il énonce une norme législative, le règlement en vigueur porte à confusionnote de fin d’ouvrage 271. Par conséquent, il a entraîné des litiges et des retards inutiles. Trois tribunaux ont interprété cette disposition comme n’accordant des pouvoirs d’enquête que lorsque les demandes ont passé l’étape de l’évaluation préliminaire par le GRCCnote de fin d’ouvrage 272.
Nous convenons avec le groupe Milgaard/Lockyer que la division de la révision en deux étapes distinctes d’évaluation préliminaire et d’enquête a causé des retards et que les pouvoirs d’enquête devraient exister et être exercés dans tous les cas exception faite des dossiers frivolesnote de fin d’ouvrage 273. De nombreux praticiens expérimentés nous ont dit que l’intuition et même la chance jouent un rôle dans les enquêtes fructueuses qui permettent de trouver de nouvelles preuves révélant des erreurs judiciaires.
La décision prise en 2002 d’exiger que les demandes passent à l’étape de l’enquête selon certains critères était peut-être mue par de bonnes intentions, mais nous ne croyons pas qu’une telle prescription législative soit nécessaire ou souhaitable lorsque le décideur ultime est une commission indépendante qui n’entretient aucun lien avec le gouvernement. La commission devrait avoir la liberté d’ordonner la tenue d’enquêtes même dans les cas qui en sont à un stade préliminaire. Toutes les personnes possédant des renseignements pertinents devraient respecter le jugement de la commission selon lequel l’exercice de ses pouvoirs d’enquête est nécessaire. Cela découle du principe général selon lequel la commission devrait, dans la mesure du possible, être traitée comme ayant un statut égal aux tribunaux.
Nous rejetons la suggestion du groupe FPT des chefs des poursuites pénales selon laquelle la commission devrait tenir pour acquis que les condamnations sont solides et ne pas mener d’enquête [traduction] « en l’absence de preuves convaincantes et fiables démontrant le contraire »note de fin d’ouvrage 274. À notre avis, cela place les demandeurs dans une impasse insoluble. Comme l’affirme Innocence Canada, [traduction] « les condamnations injustifiées sont rarement évidentes à première vue ». Nous sommes d’accord avec la suggestion d’Innocence Canada selon laquelle la commission [traduction] « doit enquêter de façon proactive sur les demandes et s’assurer que les demandeurs ne sont pas accablés par la tâche d’acquérir des documents, surtout lorsqu’il n’existe aucun mécanisme permettant aux demandeurs de le faire »note de fin d’ouvrage 275.
Laisser le déclenchement des pouvoirs d’enquête à la discrétion de la commission pourrait également encourager ceux qui travaillent pour la commission à adopter une approche collaborative avec les demandeurs pour l’enquête sur leur dossier. Ce qu’il faut éviter, c’est une approche excessivement bureaucratique par laquelle la grande majorité des demandes se soldent par des examens à distance des documents plutôt que par des enquêtes véritables visant à trouver de nouveaux éléments de preuve. Les victimes d’erreurs judiciaires s’attendent à juste titre à des enquêtes et non à des examens sur papier par la commission indépendante.
Pouvoirs d’enquête
Option 1 : Pouvoirs statutaires en vertu de la partie I de la Loi sur les enquêtes
Le ministre et ses délégués ont actuellement le pouvoir, en vertu de l’art. 4 de la Loi sur les enquêtesnote de fin d’ouvrage 276, d’assigner des témoins et de les obliger de « a) déposer oralement ou par écrit sous la foi du serment ou, d’une affirmation solennelle si ceux-ci en ont le droit en matière civile; » et « b) produire les documents et autres pièces qu’ils jugent nécessaires en vue de procéder d’une manière approfondie à l’enquête dont ils sont chargés ». En application de l’art. 5 de la Loi sur les enquêtes, le ministre et les délégués« ont, pour contraindre les témoins à comparaître et à déposer, les pouvoirs d’une cour d’archives en matière civile ».
Option 2 : Pouvoirs conférés par la partie I de la Loi sur les enquêtes avec une disposition législative visant à surmonter toute revendication de privilège, y compris, sans s’y limiter, le secret professionnel de l’avocat, le privilège reconnu au dénonciateur, le privilège relatif au litige, le privilège de l’intérêt commun, le privilège de la défense conjointe, les avis juridiques de la Couronne à la police, les privilèges prévus par les art. 37 et 38 de la Loi sur la preuve au Canada et à surmonter toute prétention selon laquelle un dossier ou un document est confidentiel, couvert par la common law ou la protection de la vie privée prévue par la loi ou soumis à des restrictions concernant la production de documents à l’accusé ou l’admissibilité d’éléments de preuve dans des affaires de nature sexuelle.
De plus, la loi devrait, suivant les précédents de plusieurs lois sur les barreaux, stipuler que les privilèges juridiques appartenant à tous les demandeurs, témoins et autres tiers sont préservés à toutes fins autres que pour permettre à la commission de s’acquitter de ses obligations légales. La production (obligatoire ou autre), la divulgation, la réception et/ou l’utilisation de renseignements ou de documents protégés par la nouvelle commission doivent être réputées ne pas constituer une renonciation au privilège par le titulaire du privilège.
Le premier paragraphe de cette option suivrait le par. 17(4) de la Criminal Appeals Act, 1995note de fin d’ouvrage 277, qui prévoit que le pouvoir de la commission anglaise d’obtenir des documents pertinents [traduction] « n’est affecté par aucune obligation de secret ou autre limitation de la divulgation (y compris toute obligation ou limitation imposée par ou en vertu d’un texte législatif) qui empêcherait par ailleurs la production du document ou autre matériel à la commission ou l’octroi à cette dernière de l’accès à celui-ci ». Il suit également la pratique anglaise selon laquelle la commission a accès à des documents concernant les plaignants/victimes d’actes criminels dans des affaires de nature sexuelle, pour examen en privé.
Le deuxième paragraphe de cette option suit l’art. 88 de la Legal Profession Actnote de fin d’ouvrage 278 de la Colombie-Britannique qui, de l’avis de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, signifie ce qui suit : [traduction] « Un avocat est libre de fournir les renseignements requis au Barreau et le privilège du client demeure intact »note de fin d’ouvrage 279. L’article 49.8 de la Loi sur le Barreaunote de fin d’ouvrage 280 de l’Ontario contient une disposition similaire qui oblige les avocats à transmettre aux enquêteurs du Barreau des documents privilégiés ou confidentiels.
Option 3 : Pouvoirs conférés par la partie I de la Loi sur les enquêtes et capacité d’obtenir des ordonnances des tribunaux pour avoir accès à de l’information visée par des privilèges juridiques
L’article 195I de la Criminal Procedure (Scotland) Act, 1995note de fin d’ouvrage 281 et l’art. 40 de la Criminal Cases Review Commission Act 2019 de la Nouvelle-Zélande permettent à ces commissions d’avoir accès à des renseignements privilégiés, mais seulement sur le fondement d’une ordonnance du tribunal après que ce dernier a établi l’équilibre entre les intérêts divergents de la commission en matière d’information et de l’importance de maintenir le privilège.
Ce que nous avons entendu
Presque toutes les personnes et organisations consultées nous ont dit que la commission devrait avoir le pouvoir d’exiger la production de documents par des entités publiques et privées et d’obliger les témoins à répondre à des questions. L’Association du Barreau canadien nous a dit que toute autre solution [traduction] « serait superficielle » et « inutilement étroite »note de fin d’ouvrage 282. Le groupe FPT des chefs des poursuites pénales, Innocence Canada et le Projet Innocence Québec nous ont tous dit que les pouvoirs d’enquête ministériels actuels devraient aussi être accordés à la commission. Le Projet Innocence Québec a précisé que ces pouvoirs lui ont permis d’obtenir [traduction] « plusieurs documents […] que nous n’aurions jamais pu obtenir par l’accès à l’information ou autrement ». Il a ajouté qu’[traduction]« exiger que des individus soient interrogés sous serment est nécessaire puisque, dans plusieurs cas, il sera souvent difficile, voire impossible, pour le demandeur d’obtenir une version d’individus qui peuvent parfois combler les lacunes ou révéler comment l’enquête policière s’est réellement déroulée »note de fin d’ouvrage 283. Un représentant de la commission de la Caroline du Nord a souligné à notre intention que la capacité de questionner les gens, y compris les policiers et les procureurs, sous serment était un outil d’enquête extrêmement utile.
Bien qu’il se soit dit en faveur de l’octroi à la nouvelle commission de pouvoirs en vertu de la partie I de la Loi sur les enquêtes, le groupe FPT des chefs des poursuites pénales a prévenu que ces pouvoirs pourraient ne pas permettre à la commission d’obtenir des documents pertinents assujettis à un privilège juridique visant à protéger des intérêts importants comme les communications entre l’avocat et le client, l’identité des informateurs de police, la sécurité nationale et tout autre intérêt public déterminé. Le groupe a déclaré ce qui suit : [traduction] « À l’heure actuelle, la loi ne prévoit aucun mécanisme permettant la divulgation de documents à une commission concernant le privilège de l’informateur. En effet, l’insistance sur de telles informations ou l’utilisation de pouvoirs d’assignation pour exiger leur production pourrait obliger la Couronne ou la police à exiger une audience prévue à l’article 37 de la Loi sur la preuve au Canada »note de fin d’ouvrage 284. Ces audiences permettent aux juges de rendre des ordonnances visant à interdire la divulgation de renseignements pour des raisons d’intérêt public après avoir soupesé les intérêts contradictoires.
Parallèlement, de nombreuses autres personnes ou organisations consultées nous ont dit que la nouvelle commission devait, au besoin, avoir le pouvoir législatif d’annuler tout privilège de nature juridique lorsque les renseignements sont nécessaires pour déterminer la validité d’une condamnation. Lida Sara Nouraie, présidente de l’Association des avocats de la défense criminelle de Montréal et du Projet Innocence Québec, le groupe Milgaard/Lockyer, ainsi que la personne responsable de la section du droit criminel de l’Association du Barreau canadien, nous ont tous dit que des règles pourraient être mises en œuvre pour permettre à la commission d’obtenir des informations privilégiées tout en prenant des mesures pour que les documents privilégiés ne deviennent pas publics et que le privilège soit préservé à des fins autres que l’enquête menée par la commission. L’Association du Barreau canadien a également souligné que les travaux de la nouvelle commission [traduction] « s’harmonisent avec l’exception relative à l’"innocence en jeu" »note de fin d’ouvrage 285 pour de nombreux privilèges juridiques. On nous a dit que sans accès à des informations privilégiées, « vous avez les mains liées » et que « si nous cherchons la vérité », la nouvelle commission « a besoin de tout pouvoir possible pour trouver la vérité ».
Recommandations 35, 36, 37 et 38
À notre avis, il est absolument essentiel que la commission dispose, comme le prévoit l’option 2, des pouvoirs légaux les plus vastes possibles pour avoir accès rapidement aux documents à l’égard desquels une personne ou une entité invoque un privilège juridique ou aux diverses protections dont sont assortis des documents privés.
Bien que la question n’ait pas été examinée par les tribunaux, les enquêtes menées par le GRCC et le ministre et par la nouvelle commission pourraient être retardées et bloquées par des poursuites intentées par des personnes et des entités qui refusent de produire des documents ou de répondre à des questions au motif que les renseignements sous-jacents sont protégés par un large éventail de privilèges juridiques et de revendications de confidentialité. La Cour suprême a statué que des pouvoirs semblables à ceux prévus à la partie I de la Loi sur les enquêtes fédérale ne l’emportent pas sur les privilèges relatifs aux informateurs de policenote de fin d’ouvrage 286 ou à ceux relatifs à l’indépendance judiciairenote de fin d’ouvrage 287. Cette dernière décision s’appliquait aux tentatives infructueuses d’enquête sur le dossier et la composition d’une formation de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse qui reprochait à Donald Marshall, fils, sa propre condamnation injustifiée. Le GRCC nous a également informés qu’il a évité jusqu’à présent les litiges en prenant des engagements pour obtenir des documents de la police et des procureurs ou en acceptant d’eux des documents caviardés afin de préserver divers privilèges juridiques.
Le recours à des revendications de privilège juridique pour vaincre ou même retarder l’enquête de la commission pourrait miner la confiance du public dans la nouvelle commission. Nous tenons pour acquis qu’aucun privilège juridique n’est absolu. Par exemple, le secret professionnel de l’avocat est passé d’une règle de preuve à un principe de justice fondamentale en vertu de l’article 7 de la Charte.Même à la lumière de son caractère constitutionnel, il peut être violé lorsque « l’innocence est en jeu ». Dans l’arrêt R. c. McClure, la Cour suprême du Canada a autorisé une atteinte à ce privilège « si des questions fondamentales touchant la culpabilité ou l’innocence de l’accusé sont en cause ou s’il y a un risque véritable qu’une déclaration de culpabilité injustifiée soit prononcée »note de fin d’ouvrage 288. On ne saurait trop insister sur le fait que le mandat fondamental de la commission consistera à traiter les demandes d’individus dont « l’innocence est en jeu », qui pourraient avoir été condamnés injustement ou qui pourraient avoir été victimes d’une erreur judiciaire.
La possibilité que les enquêtes de la commission soient ralenties et interrompues par des litiges sur la question de savoir si elle peut avoir accès à des documents à l’égard duquel un privilège ou la protection de la vie privée a été revendiqué nous a convaincus que la deuxième option est essentielle pour que la nouvelle commission soit en mesure d’enquêter pleinement et efficacement sur les demandes. Nous ne saurions trop insister sur l’importance de cette conclusion. La plupart des personnes et organisations consultées s’attendent à ce que la Commission ait un accès rapide et sans entrave à tous les documents pertinents. Elles ne s’attendent pas à ce que les policiers, les procureurs, les avocats de la défense ou d’autres personnes résistent à la production de documents à la commission ou à la réponse aux questions de celle-ci en invoquant un privilège juridique ou en invoquant une autre forme de droit à la confidentialité ou à la protection de la vie privée relativement aux renseignements demandés. Nous croyons que ce sont des attentes légitimes.
Le groupe FPT des chefs des poursuites pénales lui-même a souligné que la nouvelle commission ne devrait pas être minée par des retards qui se sont parfois produits dans le présent processus de révision ministérielle et qui portent préjudice à la fois aux demandeurs et aux victimes d’actes criminels. Pour cette raison, nous écartons la troisième option parce qu’elle exigerait que la nouvelle commission consacre le temps et engage les dépenses nécessaires pour convaincre un tribunal chaque fois qu’elle a demandé l’accès à des renseignements à l’égard desquels un privilège ou le droit à la protection de la vie privée a été revendiqué. Nous concluons plutôt qu’il est essentiel que la loi de la commission comporte une disposition semblable au par. 17(4) de la Criminal Appeal Act 1995, qui permet à la commission anglaise d’avoir accès aux documents pertinents sans égard aux privilèges ou au droit à la confidentialité prévus par la common law ou par la loi. C’est essentiel, selon nous.
Nous nous attendons à ce que certains policiers, procureurs, avocats de la défense et victimes d’actes criminels s’opposent à ce que la commission ait le pouvoir d’obtenir des renseignements par ailleurs privés ou visés par un privilège. Nous convenons que les intérêts protégés par les privilèges juridiques et les diverses protections de la vie privée sont importants. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons suggéré que les demandeurs ne soient pas toujours tenus de renoncer au secret professionnel de l’avocat comme condition préalable à la présentation d’une demande. Nous sommes bien conscients que la divulgation de renseignements couverts par le privilège des informateurs de la police peut mettre des vies en danger. Nous savons que la production et la divulgation de documents privés dans des affaires sexuelles sont réglementées afin de protéger les droits à la vie privée et à l’égalité et d’encourager le signalement de cas de violence sexuelle.
Heureusement, il existe des précédents législatifs canadiens qui permettent aux enquêteurs d’avoir accès sans entrave à des documents privilégiés et privés tout en prenant des mesures pour préserver le privilège juridique et protéger la confidentialité des renseignements privés. Le deuxième paragraphe de la deuxième option que nous recommandons prévoit que la commission soit assujettie à des dispositions semblables à celles de plusieurs lois sur les barreaux qui permettent aux enquêteurs d’examiner en privé des documents privilégiés et confidentiels aux fins limitées prévues par la loi tout en protégeant les privilèges juridiques à d’autres fins.
L’article 88 de la Legal Profession Actnote de fin d’ouvrage 289 de la Colombie-Britannique exige que les avocats fournissent des documents assujettis au secret professionnel de l’avocat aux enquêteurs du barreau. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu qu’en vertu de cette disposition : [traduction] « Un avocat est libre de fournir les renseignements requis au Barreau et le privilège du client demeure intact »note de fin d’ouvrage 290. Aux termes de l’article 49.8 de la Loi sur le Barreaunote de fin d’ouvrage 291 de l’Ontario, la personne visée par une enquête doit fournir des renseignements et des documents même si ceux-ci sont privilégiés ou confidentielsnote de fin d’ouvrage 292. De plus, les commissaires des plaintes peuvent « recevoir de toute personne ou de tout organisme des renseignements ou des documents qui se rapportent à […] une enquête […] même si les renseignements ou les documents sont protégés ou confidentiels »note de fin d’ouvrage 293. Le paragraphe 49.8 (3) de la Loi sur le Barreau de l’Ontario conserve le privilège. La production, la réception et l’utilisation par le barreau de renseignements et de documents privilégiés « […] n’ont pas pour effet d’invalider un privilège ni ne constituent une renonciation à un tel privilège [… qui] est maintenu à toutes autres fins »note de fin d’ouvrage 294.
Nous ne voyons pas pourquoi une disposition semblable ne peut être incluse dans la loi habilitante de la commission. Cela devrait être jumelé à l’équivalent canadien du par. 17(4) de la Criminal Appeal Act 1995 qui permettra à la commission d’avoir accès aux documents pertinents même si un privilège en common law ou prévu par la loi ou le droit à la protection de la vie privée est revendiqué. L’intérêt public à enquêter sur les allégations d’erreurs judiciaires n’en exige pas moins. Parallèlement, le deuxième paragraphe de la deuxième option devrait faire en sorte que les documents privilégiés ou privés obtenus par la commission demeurent privés et ne soient utilisés qu’à des fins législatives précises qui favorisent l’intérêt public impérieux d’enquêter sur des allégations d’erreurs judiciaires.
Nous reconnaissons que les dispositions législatives susmentionnées qui permettent à la commission d’avoir accès à des documents privilégiés, mais qui obligent également la commission à prendre des mesures pour protéger le privilège à l’égard des tiers imposent des obligations difficiles à la commission. La commission pourrait ne pas être en mesure de divulguer intégralement ou immédiatement au demandeur les renseignements qu’elle a obtenus de la police ou du procureur et qui font l’objet d’une revendication non frivole de privilège ou du droit à la protection de la vie privée. Inversement, la commission pourrait ne pas être en mesure de divulguer au procureur des documents qui seraient assujettis à une revendication non frivole de privilège ou du droit à la protection de la vie privée. Les motifs de ses décisions pourraient devoir être caviardés afin de préserver les privilèges juridiques pertinents et le droit à la protection de la vie privée.
La commission aura besoin des ressources et des compétences juridiques nécessaires pour protéger les renseignements privilégiés et privés. Dans certains cas, la commission devra peut-être demander l’aide des tribunaux qui pourront décider définitivement si un privilège juridique ou des exceptions au privilège comme l’innocence en jeu s’appliquent. Au fil du temps, la commission peut élaborer des politiques régissant les conditions qui justifient et exigent la divulgation des renseignements au demandeur, à d’autres parties, aux tribunaux et au public. Cette tâche présentera de nombreux défis pour la commission, mais à notre avis, il n’y a pas d’autre solution pour que la commission soit en mesure de mener de manière exhaustive et efficace des enquêtes pertinentes sur des allégations d’erreurs judiciaires lorsque l’innocence du demandeur peut être en jeu.
Loi sur la protection des renseignements personnels et Loi sur l’accès à l’information
Les lois sur la protection des renseignements personnels constituent un obstacle potentiel aux travaux de la nouvelle commission. La commission devrait disposer de pouvoirs législatifs clairs pour recueillir des renseignements personnels pertinents relativement à ses tâches d’enquête. Elle devrait être habilitée à élaborer des politiques régissant la divulgation de renseignements personnels qui tiendront compte des intérêts publics concurrents. Nous prévoyons que la commission, comme les tribunaux, rendrait souvent anonymes les noms des plaignants dans les affaires de nature sexuelle et dans les cas où les demandeurs et les témoins sont jeunes ou par ailleurs vulnérables.
La commission devrait également être assujettie aux exemptions prévues à l’art. 22 de la Loi sur la protection des renseignements personnelsnote de fin d’ouvrage 295 et à l’art. 16 de la Loi sur l’accès à l’informationnote de fin d’ouvrage 296 aux demandes du public et de la presse d’avoir accès à l’information détenue par un organisme d’enquête participant à l’application de la loi. Comme nous le verrons plus loin, la principale forme de transparence envers le public des travaux de la commission devrait être la publication des motifs de ses décisions.
Dossiers privés dans des affaires sexuelles
Bien que la commission devrait généralement élaborer ses propres politiques en matière de divulgation de renseignements personnels, nous estimons qu’une exception est justifiée en ce qui concerne les restrictions relatives à la divulgation des dossiers personnels d’un plaignant à l’accusé prévues aux art. 278.6 et 278.7 du Code criminel. Ces dispositions devraient lier la commission. Nous reconnaissons que cela pourrait retarder le règlement des demandes relatives à des condamnations pour infractions sexuelles et exiger que la commission divulgue des documents privés au demandeur, mais nous croyons que cela est nécessaire pour protéger l’attente raisonnable de respect de la vie privée de la victime d’un acte criminel. Un juge établirait un équilibre entre les intérêts divergents en vertu du par. 278.7(2) et pourrait imposer des conditions à la divulgation de documents privés au demandeur en vertu du par. 278.7(3). Les restrictions à la publicité prévues à l’art. 278.9 s’appliqueraient également.
Cela dit, nous ne croyons pas que les restrictions prévues à l’art. 278.4 à l’égard de la production de documents aux juges devrait s’appliquer à la capacité de la commission d’exiger la production et d’examiner des documents privés dans des affaires de nature sexuelle. Cette restriction relative à la production prévue au Code criminel s’applique aux tentatives stratégiques de l’accusé d’avoir accès aux dossiers privés du plaignant. En revanche, la commission agira en tant qu’organisme impartial d’enquête. La commission anglaise a souvent accès à des documents, y compris des dossiers médicaux, qui au Canada seraient visés par le régime énoncé à l’art. 278.1note de fin d’ouvrage 297. Cela dit, la commission ne devrait demander des documents privés que lorsque cela est nécessaire pour une enquête. Elle devrait être consciente des préoccupations exprimées par le législateur à l’art. 278.5 au sujet des droits concurrents de l’accusé (le demandeur) et des droits à la protection de la vie privée et à l’égalité des plaignants ou victimes d’actes criminels et de l’intérêt de la société à encourager le signalement d’infractions sexuelles et l’obtention de traitements par les plaignants ou victimes d’actes criminels. Même lorsqu’elle détermine qu’elle doit avoir accès à des documents privés, la commission doit les examiner en privé et ainsi, espérons-le, réduire au minimum les effets préjudiciables sur les plaignants ou victimes d’actes criminels. Nous serions également préoccupés par le fait que les travaux de la commission dans les affaires de nature sexuelle pourraient être retardés indûment si elle devait d’abord s’adresser aux tribunaux pour obtenir l’accès à des documents privés. C’est d’autant plus le cas que les demandes dans les dossiers de nature sexuelle forment le quart de toutes les demandes présentées à la commission anglaisenote de fin d’ouvrage 298.
Nous avons été informés par le GRCC actuel que les questions relevant du régime énoncé aux art. 278.1 à 278.98 ne se sont pas posées à ce jour dans le cadre de ses travaux. Le groupe FPT des chefs des poursuites pénales nous a également dit que de telles questions pourraient se poser dans le cadre des travaux de la nouvelle commission, surtout si, comme l’ont prévu de nombreuses personnes et organisations consultées, un nombre considérable de demandes sont présentées relativement à des condamnations dans des affaires de nature sexuelle. Tout comme les questions de privilège juridique, ces questions sont très complexes. La commission devra disposer de ressources suffisantes et de personnel juridique compétent et devra consulter également toutes les personnes touchées par son travail.
I. Prise de décisions, publicité des décisions et révision judiciaire
Processus décisionnel
Option 1 : Décision écrite provisoire assujettie aux commentaires des demandeurs
La plupart des commissions fournissent aux demandeurs des décisions écrites provisoires lorsqu’elles rejettent une demande. Les demandeurs disposent souvent d’une courte période, généralement de 28 jours, pour répondre avant que la décision ne soit rendue définitive. Dans certains cas, la réponse d’un demandeur a amené la commission anglaise à réexaminer et à modifier sa décision provisoire de rejeter une demande.
Suivant le régime actuel de révision ministérielle du GRCC au Canada, le demandeur doit disposer d’un délai d’un an pour répondre à une décision de rejeter une demande ou aux résultats de l’enquête du GRCC. Les conseils du GRCC au ministre ne sont pas divulgués au demandeur en raison du secret professionnel de l’avocat. Le régime actuel et toutes les commissions étrangères permettent à un demandeur débouté de présenter une nouvelle demande s’il existe de nouveaux renseignements.
Option 2 : Appels devant la commission au complet et/ou audiences de la commission
Aucune des commissions n’a conçu de mécanisme d’appel interne, mais un tel mécanisme pourrait être conçu par voie législative ou sous forme de politique. La commission de la Caroline du Nord est la seule commission qu’une loi oblige à tenir des audiences publiques après qu’une enquête a été menée relativement à une demande. La commission de la Norvège a le pouvoir discrétionnaire de tenir des audiences publiques sur une demande.
Ce que nous avons entendu
Des avocats qui avaient représenté des demandeurs auprès de la commission anglaise nous ont dit que les décisions provisoires de rejeter des demandes peuvent être assez longues et techniques. Par conséquent, le demandeur pourrait devoir obtenir des conseils juridiques pour répondre efficacement à la décision provisoire. Clare Wade, c.r., nous a dit que les réponses écrites aux décisions de la commission [traduction] « donnent d’assez bons résultats » et peuvent modifier la décision de la commission, mais qu’elles « prennent du temps »note de fin d’ouvrage 299. La professeure Bibi Sangha et le Dr Bob Moles, de l’Université Flinders, ont suggéré que les projets Innocence relevant du milieu universitaire pourraient contribuer à aider les demandeurs à répondre aux décisions provisoires de rejeter leurs demandes. Des représentants de la commission de la Nouvelle-Zélande nous ont dit qu’ils tentent de rendre les décisions provisoires plus compréhensibles pour les demandeurs non représentés. Dans une affaire antérieure, l’un des commissaires s’est même rendu dans une prison pour expliquer en personne au demandeur le motif du rejet de sa demande.
Comme ses ressources ont diminué, la commission anglaise a passé moins de temps à évaluer les réponses des demandeurs aux décisions provisoires. Les demandeurs répondent dans environ la moitié des cas, mais la commission anglaise ne modifie sa décision provisoire de ne pas renvoyer l’affaire aux tribunaux dans 0,7 % de ces dossiers seulement. Il s’agit d’un très faible pourcentage, mais en raison du volume élevé de demandes reçues, cela a tout de même représenté 10 dossiers entre 2005 et 2014note de fin d’ouvrage 300.
On nous a dit que les demandeurs devraient disposer de plus de 28 jours pour répondre aux décisions provisoires avec plus de temps, d’accommodement et d’aide. Projet Innocence Québec nous dit qu’il faudrait leur accorder au moins six mois parce que les avocats prêtent souvent assistance gratuitement et qu’ils pourraient avoir besoin de temps pour tenter de porter à l’attention de la commission de nouvelles questions qui pourraient éliminer la nécessité de présenter une nouvelle demandenote de fin d’ouvrage 301.
Les points de vue étaient partagés sur l’existence d’un processus d’appel interne à la commission. Certains ont dit que donner aux demandeurs la possibilité d’interjeter appel devant la commission complète pourrait être trop onéreux, nécessiter trop de ressources et se révéler inutile, puisqu’ils pourraient recourir à la révision judiciaire également. D’autre part, d’autres ont dit être en faveur d’un mécanisme d’appel interne comme moyen d’assurer l’uniformité des décisions et d’éviter des révisions judiciaires longues et coûteuses des décisions de la commission.
La plupart des personnes et organisations consultées nous ont dit que les demandeurs devraient être en mesure de présenter une nouvelle demande à la commission si de nouvelles questions importantes sont soulevées.
Recommandation 39
Nous appuyons l’option 1 selon laquelle les demandeurs sont en mesure de répondre aux décisions provisoires de rejeter leur demande. Nous insistons toutefois sur le fait que la commission devrait tenter d’exposer en des termes simples les raisons pour lesquelles elle ne renvoie pas une affaire. Elle devrait tenter d’éviter des explications bureaucratiques génériques ou excessivement légalistes. Elle devrait prendre au sérieux la nécessité de donner au demandeur une véritable occasion de répondre dans le cadre de son obligation de traiter tous les demandeurs équitablement et avec dignité.
La commission devrait accorder au demandeur un délai de réponse réaliste compte tenu de toutes les circonstances. Nous ne croyons pas que le délai accordé aux demandeurs pour répondre devrait être le même pour tous ou codifié. Nous admettons qu’un délai de 28 jours sera trop court pour la plupart des demandeurs. Par ailleurs, le délai d’un an pourrait être trop long pour certains demandeurs. La politique de la commission régissant le délai et la forme de la réponse du demandeur devrait tenir compte de tout désavantage subi par ce dernier.
La commission devrait disposer d’un financement suffisant pour lui permettre, à sa discrétion, de payer des avocats ayant de l’expérience dans les condamnations injustifiées pour aider les demandeurs à répondre aux décisions provisoires de ne pas renvoyer une affaire aux tribunaux. Nous sommes également d’accord avec la professeure Bibi Sangha et le Dr Bob Moles que les projets Innocence relevant du milieu universitaire peuvent également être utiles. Enfin, la commission a également besoin de ressources suffisantes pour évaluer les réponses qu’elle reçoit des demandeurs au sujet de sa décision provisoire de ne pas renvoyer une affaire et pour fournir une réponse réfléchie.
Nous laisserions à la nouvelle commission le soin de décider s’il y a lieu de mettre en œuvre l’option 2 d’un mécanisme d’appel interne. Les appels des décisions rendues par trois commissaires aux neuf membres de la commission pourraient contribuer à rendre le travail de la commission plus transparent et cohérent. Certains s’inquiètent du fait que la commission anglaise peut être à la fois secrète et incohérente en fonction de qui prend les décisions au sein de la commission. Les appels internes seraient peut-être moins coûteux, plus rapides et plus utiles à la commission que la révision judiciaire de ses décisions.
Nous croyons que les demandeurs, ayant de nouvelles questions importantes, devraient pouvoir présenter une nouvelle demande. Bien que cela soit contraire au principe du caractère définitif des décisions de la commission, la nouvelle commission est une institution qui vise à atténuer les effets préjudiciables du poids énorme que le reste du système juridique accorde au caractère définitif des décisions. La commission en tant qu’institution vouée à l’enquête sur les erreurs judiciaires devrait reconnaître que ses propres décisions sont faillibles. Cela devrait être envisagé si la commission élabore ses propres politiques sur les demandes répétitives ou frivoles.
La révision judiciaire
Option 1 : Des tentatives pourraient être faites dans la loi habilitante pour interdire la révision judiciaire de la décision de la commission
C’est ce que fait la loi de la Caroline du Nord et les tribunaux ont refusé d’examiner les décisions de cette commissionnote de fin d’ouvrage 302.
Option 2 : La loi habilitante pourrait ne pas faire mention de la révision judiciaire
Cette option a été privilégiée en ce qui concerne l’art. 696 du Code criminel, mais plusieurs recours en révision judiciaire ont été institués.
Option 3 : La loi habilitante pourrait permettre une révision judiciaire à la Cour fédérale
La Cour fédérale a été saisie de demandes de révision judiciaire des décisions du GRCC et du ministre.
Option 4 : La loi habilitante pourrait permettre une révision judiciaire aux cours supérieures provinciales
Certaines lois fédérales comme l’art. 57 de la Loi sur l’extraditionnote de fin d’ouvrage 303 autorise expressément la révision judiciaire devant les cours supérieures provinciales.
Ce que nous avons entendu
On nous a dit que la révision judiciaire est nécessaire et peut assurer l’équité procédurale, la transparence et la responsabilisation. Nous avons parlé à un avocat britannique, Mark Newby, qui a demandé et obtenu une révision judiciaire d’une décision de la commission anglaise de ne pas utiliser les tests d’ADN. Son client a été disculpé après les tests d’ADN, mais il plaide actuellement devant la Cour européenne des droits de l’homme au sujet d’une indemnisation.
Parallèlement, la Commission de Westminster a prévenu que la révision judiciaire ne constitue pas un [traduction] « moyen significatif et efficace de contester les décisions de la CRCC concernant la stratégie d’enquête ou la décision concernant un renvoi ». Elle a dit croire que le contrôle limité de la qualité de la révision judiciaire était [traduction] « susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur la confiance envers la CRCC et la qualité de ses enquêtes et décisions »note de fin d’ouvrage 304.
De nombreuses personnes et organisations consultées, comme James Lockyer et Innocence Canada, nous ont dit que les décisions de la commission devraient être sujettes à la révision par les cours supérieures provinciales et non par la Cour fédérale. Elles ont fait valoir que les cours supérieures provinciales avaient l’expertise et les connaissances requises en matière pénale pour examiner les décisions de la nouvelle commissionnote de fin d’ouvrage 305.
Recommandation 40
Nous appuyons l’option 4 qui consiste à prévoir une révision judiciaire devant les cours supérieures provinciales. Nous ne croyons pas que la loi habilitante doive tenter d’interdire la révision judiciaire. La révision judiciaire des travaux du GRCC canadien actuel et des commissions étrangères offre une mesure de contrôle nécessaire pour assurer l’équité et des décisions raisonnables qui tiennent compte des éléments de preuve accessibles et des normes juridiquesnote de fin d’ouvrage 306. La révision judiciaire peut également contester l’ingérence gouvernementale alléguée dans le travail d’une commission indépendantenote de fin d’ouvrage 307. Dans la grande majorité des quelque 50 affaires signalées, les décisions des commissions anglaise et écossaise de rejeter une demande ont été confirmées par les tribunaux dans le cadre d’un contrôle judiciairenote de fin d’ouvrage 308.
À notre avis, la nouvelle commission devrait déployer tous les efforts raisonnables pour travailler avec les demandeurs déçus afin d’éviter une révision judiciaire. Il est possible d’éviter la révision judiciaire en adoptant une approche collaborative qui reconnaît que les demandeurs sont des experts au sujet de leurs propres dossiers. Il est possible de l’éviter également par l’élaboration d’appels internes au sein de la commission et au moyen de réponses claires et véritables aux réponses des demandeurs à une décision provisoire de ne pas renvoyer une affaire aux tribunaux.
La révision judiciaire n’applique que des normes minimales d’équité et de caractère raisonnable. La nouvelle commission doit éviter d’adopter une position défensive qui n’aspire qu’au minimum légal des décisions qui ne peuvent être infirmées dans le cadre d’une révision judiciaire. D’aucuns craignent que certains commissaires anglais aient adopté une telle approche lors de l’examen des décisions de rejeter des demandesnote de fin d’ouvrage 309.
Nous convenons avec un certain nombre de personnes et organisations consultées que la révision judiciaire sera plus efficace comme contrôle ultime de la qualité si elle est effectuée par des juges qui possèdent une expertise en justice pénale. Ainsi, dans le cadre d’une révision judiciaire fructueuse, le juge Mosley a conclu que le ministre avait commis une erreur dans l’application des règles constitutionnelles relatives à l’omission de divulguer des éléments de preuvenote de fin d’ouvrage 310. Cela nous amène à recommander que la loi habilitante prévoie que les cours supérieures provinciales, par opposition à la Cour fédéralenote de fin d’ouvrage 311, ont compétence pour examiner les décisions de la nouvelle commission. Le paragraphe 57(1) de la Loi sur l’extradition et le par. 183(1) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité établissent des précédents législatifs.
Les cours supérieures provinciales pourraient également avoir certains pouvoirs inhérentsnote de fin d’ouvrage 312, mais en l’absence de termes clairs leur accordant une compétence, il pourrait y avoir des retards longs et coûteux, car les demandeurs déçus tentent de faire entendre leur cause devant les cours supérieures provinciales, notamment en présentant des demandes de divulgation après condamnation en vertu de l’art. 7 de la Charte. Il vaut mieux à notre avis reconnaître dès le départ la compétence des cours supérieures provinciales et éviter les litiges inutiles.
Publicité des décisions
Option 1 : Restrictions législatives relatives à la publicité de la décision de la commission
Les commissions anglaise et écossaise sont soumises à des restrictions sévères sur la divulgation et la publicité de leurs décisions. La raison d’être de telles restrictions semble être une crainte d’atteinte à la vie privée des personnes mentionnées dans les décisions et la volonté de protéger l’équité des procès subséquents s’ils sont nécessaires après un renvoi devant les tribunaux. Le GRCC canadien transmet ses décisions de rejeter des demandes et ses sommaires d’enquête au demandeur et aux procureurs, mais sous réserve d’un engagement de confidentialité. Le GRCC ne justifie pas par des motifs une décision de renvoyer une demande aux fins d’un nouvel appel ou d’un nouveau procès, mais les ordonnances du ministre sont publiques.
Option 2 : Exigences législatives selon lesquelles les décisions seront rendues publiques à condition d’être caviardées pour maintenir la vie privée et un procès équitable
Les commissions norvégienne et néo-zélandaise publient leurs décisions, tout comme la commission de la Caroline du Nord, bien que le juge en exercice qui dirige la commission de la Caroline du Nord puisse imposer des ordonnances temporaires de mise sous scellés.
Ce que nous avons entendu
La plupart des personnes et organisations consultées ont dit être en faveur d’une obligation de publier les décisions et les motifs sous réserve d’un caviardage conçu pour protéger la vie privée, les procès équitables et les privilèges juridiques. Le doyen David Asper et la professeure Kathryn Campbell ont tous deux souligné le rapport entre transparence et légitimité. Projet Innocence Québec a appuyé la discussion publique parce que [traduction] « le régime actuel est critiqué pour son manque de transparence […]. Le public doit être en mesure d’évaluer si et comment le régime est capable de corriger ses erreurs »note de fin d’ouvrage 313.
La récente commission de Westminster a recommandé que la commission anglaise obtienne certains pouvoirs afin de publier au moins une partie de ses décisions lorsque l’intérêt public l’exige, mais sous réserve de l’accord des demandeursnote de fin d’ouvrage 314. Elle a noté que certains demandeurs considéraient la commission anglaise comme inutilement secrète, ce que nous avons également entendu au sujet du régime actuel de révision du GRCC et du ministre.
Parallèlement, de nombreuses personnes et organisations consultées ont indiqué que la nouvelle commission devrait être prête à caviarder certaines parties de ses décisions. La publication complète pourrait avoir pour effet de victimiser à nouveau les demandeurs, les témoins et les victimes d’actes criminels. Cela pourrait aussi dissuader ces personnes de se manifester et de coopérer avec la police, les procureurs et la commission. Une publicité complète pourrait dans certains cas nuire à l’équité des procès futurs. Elle pourrait également entraîner une perte de privilèges juridiques conçus pour préserver des intérêts importants comme les confidences entre l’avocat et son client et l’identité des informateurs de la police. Le projet Innocence de l’UCB a fait valoir que les décisions de la commission ne devraient être rendues publiques qu’après une décision finale des tribunauxnote de fin d’ouvrage 315.
Certaines personnes ou organisations consultées, comme l’ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels et juge de la Cour suprême à la retraite Morris Fish, ont affirmé que les décisions en matière de publication pourraient être prises en consultation avec les demandeurs et les victimes d’actes criminels, en particulier les personnes de moins de 18 ans, ou avec leur consentementnote de fin d’ouvrage 316.
Des représentants de la commission de la Nouvelle-Zélande nous ont dit que, malgré l’obligation qui leur est imposée de rendre toutes leurs décisions publiques, ils envisagent de rendre anonyme le nom des demandeurs dont les demandes sont rejetéesnote de fin d’ouvrage 317. Le projet Innocence de l’UCB et certaines personnes disculpées nous ont dit que publier les noms des demandeurs dont les dossiers n’ont pas été renvoyés aux tribunaux pouvait causer des préjudices.
Recommandation 41
Conformément à notre recommandation générale en faveur d’une commission proactive et systémique, nous croyons qu’il est essentiel que la nouvelle commission soit tenue par la loi de publier ses décisions comme le prévoit l’option 2. Nous constatons que les lois qui ont créé des commissions similaires dans les années 2000 ont opté pour la publicité des décisions. Un représentant de la commission écossaise nous a dit déplorer que la divulgation de leurs décisions ait été si sévèrement limitée par les lois adoptées dans les années 1990. À notre avis, la publication des décisions est essentielle pour montrer que la nouvelle commission représente un changement réel par rapport au régime actuel de révision ministérielle par le GRCC.
La divulgation de décisions détaillées et bien raisonnées de ne pas renvoyer des dossiers à la cour pourrait renforcer la confiance du public dans le travail de la commission. Le groupe FPT des chefs des poursuites pénales a déclaré que le refus actuel de publier des rapports d’enquête ou les motifs des décisions du ministre de renvoyer des affaires signifie [traduction] « qu’aucune information susceptible d’expliquer et d’aider à prévenir les erreurs judiciaires n’est fournie au public et aux membres du système de justice pénale »note de fin d’ouvrage 318. Nous sommes d’accord. La publication des décisions de la commission pourrait accroître notre connaissance des causes des condamnations injustifiées. Les motifs invoqués par la commission pour justifier un renvoi pourraient être particulièrement importants dans le nombre important d’affaires où un nouveau procès est ordonné, mais où le procureur ne poursuit pas.
Des représentants de la commission anglaise ont prévenu que les gens, y compris la police, les procureurs et les témoins, pourraient être moins disposés à coopérer avec la commission si la décision éventuelle est rendue publique. Cela est possible, mais à notre avis, la réponse consiste à s’assurer que toutes les personnes sont tenues de fournir à la commission les renseignements nécessaires. La Commission de Westminster a répondu à des préoccupations similaires en notant que la commission anglaise s’était vu conférer [traduction] « par la loi le pouvoir d’exiger la divulgation, précisément parce qu’elle ne devrait pas avoir à se fier à la coopération de tels organismes »note de fin d’ouvrage 319. Nous sommes d’accord et avons proposé de conférer des pouvoirs législatifs puissants et semblables à la nouvelle commission canadienne.
Nous reconnaissons, tout comme le groupe FPT des chefs des poursuites pénales, que des caviardages et des retards dans la publication des motifs des décisions de la commission seront nécessaires dans certains cas. Par exemple, l’évaluation préliminaire de 90 pages du GRCC a fait l’objet d’une vaste interdiction de publication lorsqu’elle a été divulguée pour la première fois relativement à la demande de remise en liberté sous caution de Glen Assoun en attendant la décision du ministrenote de fin d’ouvrage 320. Le juge Chipman a justifié l’interdiction parce que les documents du GRCC contenaient des renseignements [traduction] « provenant de personnes à la fois vulnérables et marginalisées dans la société » et qui « ne s’attendaient pas à ce que leurs renseignements se retrouvent dans un forum public ». Il a ajouté également que certains des renseignements peuvent être « privilégiés et protégés par la loi » et que « s’ils étaient divulgués, ils pourraient compromettre une enquête en cours »note de fin d’ouvrage 321.
Par ailleurs, il n’y a aucune raison pour que la totalité ou la plupart des enquêtes et motifs de la commission ne puissent être rendus publics à un moment donné. Le juge Chipman a levé l’interdiction de publication en 2019 après l’acquittement de M. Assoun par suite d’un nouveau procès ordonné par le ministre. Le juge a fourni l’explication suivante :
[Traduction] M. Assoun doit pouvoir raconter son histoire. Les médias doivent pouvoir expliquer pourquoi le ministre a pris sa décision et pourquoi la Couronne n’avait aucune preuve au sujet du nouveau procès […]. Les membres du grand public doivent pouvoir comprendre pourquoi des renseignements pertinents et fiables n’ont pas été divulgués à M. Assoun alors qu’ils auraient dû l’être. Le public devrait pouvoir comprendre pourquoi la remise en liberté sous caution a été accordée. Il doit pouvoir comprendre pourquoi le ministre a pris sa décision. Le public a le droit de savoir pourquoi la Couronne n’a présenté aucune preuve au cours du nouveau procès et pourquoi l’accusation de meurtre au deuxième degré a été rejetée. Il est dans l’intérêt de M. Assoun et du grand public d’entendre l’histoire de M. Assounnote de fin d’ouvrage 322.
Le dossier de Glen Assoun donne un rare aperçu de la complexité de la question de savoir ce qui doit et ce qui ne doit pas être rendu public et de la question du moment de la publication. Il sera essentiel que la nouvelle commission dispose des ressources et de l’expertise nécessaires pour prendre ces décisions. Heureusement, il existe une jurisprudence bien établie sur la conciliation de l’intérêt public à l’égard de la transparence du système de justice pénale avec des préoccupations concurrentes au sujet de la protection des renseignements personnels, de l’égalité et de l’équité des procès à l’avenir. Comme dans d’autres domaines, nous préférons permettre à la commission d’établir et de réviser des politiques concernant la publication de ses décisions et, au besoin, de les caviarder et de retarder leur publication. Nous croyons toutefois qu’il est essentiel que la loi habilitante exige que la nouvelle commission publie ses décisions sous réserve des caviardages et des retards nécessaires. Rien de moins ne fera en sorte que la commission améliore véritablement le régime existant, suscite la confiance du public et contribue à la réforme systémique.
J. Motifs de renvois et recours
Critère pour le renvoi d’affaires devant les tribunaux
Option 1 : Critère du paragraphe 696.3(3) actuel qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite
Le critère actuel exige que le ministre de la Justice soit convaincu qu’il y a des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite.
Option 2 : Renvoi en fonction du critère qu’une erreur judiciaire a pu se produire
Il s’agit d’un critère moins onéreux qui sous-tend qu’une erreur judiciaire a pu se produire. Ce critère s’approche du degré de certitude exigé en vertu de l’article 4 du règlement pour que le ministre de la Justice déclenche une enquête formellenote de fin d’ouvrage 323. Le critère s’approche également de l’interprétation judiciaire du critère d’une « possibilité réelle »note de fin d’ouvrage 324 en Angleterre et du critère de renvoi de la commission écossaise qui établit, en partie, qu’une erreur judiciaire a pu se produirenote de fin d’ouvrage 325.
Option 3 : Critère réunissant les options 1 et 2 et le critère fondé sur « l’intérêt de la justice »
La commission écossaise a comme critère de renvoi qu’une erreur a pu se produire et qu’il convient d’effectuer un renvoi dans l’« intérêt de la justice »note de fin d’ouvrage 326.
Option 4 : Renvoi dans l’intérêt de la justice
Le critère de renvoi pour la commission néo-zélandaise est qu’elle [traduction] « considère qu’il est dans l’intérêt de la justice de le faire »note de fin d’ouvrage 327.
Option 5 : Renvoi lorsque l’innocence factuelle est probable ou possible
Les renvois de la commission de la Caroline du Nord s’appuient sur le critère statutaire selon lequel il existe suffisamment de preuves d’innocence factuelle pour justifier un examen judiciaire. On définit l’innocence factuelle comme étant [traduction] « l’innocence complète de toute responsabilité criminelle pour un acte délictueux grave pour lequel une personne a été déclarée coupable et pour tout autre niveau de responsabilité criminelle réduit lié au crime, et pour lequel il existe des preuves d’innocence crédibles et vérifiables qui n’ont pas été présentées lors du procès ou prises en compte lors d’une audience accordée dans le cadre d’un recours après une condamnation »note de fin d’ouvrage 328. Les huit commissaires doivent s’entendre sur cette norme si le demandeur a plaidé coupable, mais il suffit de cinq des huit commissaires dans les autres cas.
Ce que nous avons entendu
Nous avons entendu un large éventail de points de vue sur le critère de renvoi approprié. L’avocat de la défense Mark Sandler, la Fondation canadienne des relations raciales, le Projet Innocence Québec, et le Projet Innocence de l’UCB ont tous appuyé le critère existant selon lequel une erreur judiciaire s’est probablement produite.
À l’opposé, l’avocat de la défense Jacques Larochelle a soutenu que le critère actuel constitue un critère « beaucoup trop élevé », car il exige une probabilité qu’une erreur judiciaire se soit produite. Selon lui, « une possibilité sérieuse qu’une erreur judiciaire ait pu se produire » constitue un critère plus approprié. Dans la même veine, le groupe Milgaard/Lockyer a fait valoir que [traduction] « la loi actuelle restreint sévèrement les pouvoirs de renvoi du ministre de la Justice »note de fin d’ouvrage 329. Il a aussi suggéré que la nouvelle commission devrait pouvoir renvoyer une affaire « pour tout motif selon lequel une erreur judiciaire a pu se produire »note de fin d’ouvrage 330 avec une liste non exclusive d’exemples d’erreurs judiciaires. L’Association du Barreau canadien préconise également un critère de renvoi fondé sur le fait qu’une erreur judiciaire a pu se produire ou lorsqu’il est dans l’intérêt de la justice d’effectuer un renvoi, avec comme exemple des modifications dans la loi ou dans les sciences judiciairesnote de fin d’ouvrage 331.
Certaines personnes consultées, comme des représentants des commissions de la Nouvelle-Zélande et de l’Écosse, la professeura Mai Sato et Nigel Marshman de la GRCC, ont dit favoriser le critère de l’« intérêt de la justice » exclusivement en raison de sa portée et de sa souplesse. Par contre, l’Association canadienne des libertés civiles s’y est opposée parce que le critère de l’intérêt de la justice [traduction] « invite l’introduction de facteurs accessoires et, en fin de compte, non pertinents, tels que la nature de la condamnation sous-jacente et l’opinion publique »note de fin d’ouvrage 332. Dans le même ordre d’idées, le Projet Innocence Québec a précisé qu’il faudrait éviter le critère de l’intérêt de la justice, car « il est trop vague et pourrait entraîner une détérioration de la confiance envers la commission au-delà de celle que connaît déjà souvent l’appareil judiciaire »note de fin d’ouvrage 333.
D’autres personnes consultées, comme Morris Fish, juge de la Cour suprême à la retraite et actuel conseiller spécial du ministre de la Justice concernant les erreurs judiciaires, et la professeure Kathryn Campbell, ont appuyé le critère anglais d’une « condamnation imprudente », car il se prête à de nombreuses situations. Bien qu’il soutienne le critère actuel de renvoi, le Projet Innocence de l’Université de la Colombie-Britannique, pour sa part, appuie largement l’ajout du critère anglais comme motif d’appel d’une condamnation. Nous aborderons ce sujet ci-dessous.
Le groupe FPT des chefs des poursuites pénales a fait valoir que [traduction] « le critère d’innocence factuelle s’harmonise au processus inquisitoire assorti des obligations de divulgation de part et d’autre, ce qui pourrait être très productif et beaucoup plus rapide. Un critère d’innocence factuelle assurerait un large soutien public aux travaux de la commission »note de fin d’ouvrage 334. Ce groupe a aussi déclaré que « peu importe si le seuil global se limite à l’innocence factuelle, la probabilité d’une erreur judiciaire, à laquelle une cour d’appel détermine et accorde une réparation, est un concept connu et compris, et suffisamment rigoureux pour concilier tous les intérêts concurrents quant au résultat. Nous recommandons le maintien du critère tel que reflété dans le régime actuel »note de fin d’ouvrage 335. La Criminal Lawyers Association a pour sa part recommandé que [traduction] « la commission n’accepte que les demandes de personnes qui allèguent l’innocence factuelle et une erreur judiciaire »note de fin d’ouvrage 336.
Certaines personnes consultées, dont l’Association du Barreau canadien, nous ont dit que la disposition concernant les « nouvelles questions importantes » du paragraphe 696.4 du Code criminel ne devrait pas s’appliquer à la nouvelle commission parce qu’elle impose trop de restrictions au pouvoir de renvoi devant les tribunauxnote de fin d’ouvrage 337. La professeure Kathryn Campbell s’est opposée à la notion de « recours extraordinaire » pour décrire les renvois compte tenu de la fréquence des erreurs judiciaires. D’autres, comme le groupe FPT des chefs des poursuites pénales, ont défendu l’article 696.4 ainsi que sa référence aux renvois en tant que recours extraordinaire. Ils nous ont dit qu’une telle disposition est nécessaire pour garantir que la nouvelle commission ne soit pas un autre niveau d’appel et pour reconnaître la valeur de la finalité et la disponibilité des appels dans le système de justice pénale.
Recommandation 42
Nous recommandons l’option 2, selon laquelle la commission renverrait les affaires devant les tribunaux au motif qu’une erreur judiciaire a pu se produire. Le critère actuel, qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite, constitue un critère beaucoup plus difficile à satisfaire pour un demandeur comparativement à nos homologues étrangers.
Nous soutenons l’exigence du paragraphe 696.4 du Code criminel selon laquelle il devrait y avoir de « nouvelles questions importantes » et que ces nouvelles questions doivent être pertinentes et fiables. Nous convenons également que la commission ne se veut pas un appel additionnel. Compte tenu de nos connaissances accrues sur la prévalence des erreurs judiciaires et de la nécessité pour la commission d’être complètement indépendante du système existant qui découle de la prérogative royale de clémence, nous recommandons toutefois l’abandon de l’expression « recours extraordinaire » pour décrire un renvoi.
Nous recommandons l’utilisation de l’expression « erreur judiciaire » dans les motifs de renvoi prévus par la loi, parce qu’elle est large et susceptible d’évoluer à la lumière des nouvelles connaissances. Dans le renvoi de Steven Truscott, les cinq juges de la Cour d’appel de l’Ontario ont fait remarquer qu’une erreur judiciaire :
[Traduction] « peut toucher pratiquement n’importe quel genre d’erreur qui mène à un procès injuste tant sur le fond que sur la forme. On a appliqué cet article lors d’appels où aucune injustice n’avait été commise lors du procès, mais où la preuve admissible en appel a mis sérieusement en doute la fiabilité de la condamnation. Dans ces affaires, l’erreur judiciaire ne relève pas de la conduite du procès […] mais plutôt dans le maintien de la condamnation face à de nouvelles preuves qui rendent la condamnation non fiable »note de fin d’ouvrage 338.
Nous voyons d’un bon œil le fait que l’expression « erreur judiciaire » puisse évoluer au fur et à mesure que nos connaissances sur la fréquence et les causes des erreurs judiciaires augmentent.
Nous estimons qu’une liste non exhaustive d’exemples d’erreurs judiciaires, comme le propose le groupe Milgaard/Lockyer, est utile. Elle servirait également à des fins éducationnelles pour souligner des exemples concrets du genre d’erreurs judiciaires décelées dans le passé.
Nous nous opposons à l’option 1, soit le critère actuel pour un recours ministériel, car il exige, dans les faits, que le demandeur établisse, selon la prépondérance des probabilités, qu’une erreur judiciaire se soit probablement produite. Bien que ce soit le critère que le ministre de la Justice utilise actuellement au Canada, il s’agit d’un critère plus élevé que celui utilisé par la commission écossaise, qui se préoccupe de savoir si une erreur judiciaire a pu se produire. Cette situation pourrait également expliquer pourquoi, depuis l’adoption, en 2002, de ce critère élevé (qui repose sur des critères formulés par le ministre de la Justice au début des années 1990), le ministre n’a accordé que 20 recours, dont la quasi-totalité a abouti à un acquittement ou à l’absence de poursuites.
Pas de critère prédictif
Nos consultations auprès de tous les avocats anglais d’expérience nous ont convaincus que le choix d’un critère ou de la pratique de la nouvelle commission en matière de renvoi en fonction d’un jugement prédictif quant à la possibilité qu’une cour d’appel annule une condamnation constituerait un immense recul. Heureusement, même le critère actuel du paragraphe 696.3(3) du Code ne repose pas sur des prédictions quant à ce que décideraient dix cours d’appel différentes, dans le contexte canadien, à l’égard d’un renvoi ou à ce qui se passerait au cours d’un nouveau procès. Le critère actuel cherche à déterminer si une erreur judiciaire « s’est probablement produite », indépendamment de ce que déciderait une cour d’appel au sujet du renvoi, ou à l’issue d’un nouveau procès.
La nouvelle commission, tout comme le ministre présentement, doit se faire une opinion indépendante à savoir si une erreur judiciaire s’est produite. Même avec le critère prédictif en Angleterre, la commission et la cour d’appel sont en fréquent désaccord sur la question de l’annulation d’une condamnation. Nous croyons que de tels désaccords entre une commission pluridisciplinaire et une cour d’appel sont à la fois inévitables et sains pour une amélioration progressive du système judiciaire.
Les intérêts de la justice
Nous valorisons la souplesse du motif de renvoi ouvert de l’« intérêt de la justice ». La Nouvelle-Zélande s’en sert comme seul critère de renvoi, et en Écosse, comme exigence supplémentaire à celle qu’une erreur judiciaire ait pu se produire. Des représentants de la commission écossaise nous ont dit qu’en pratique, la commission applique d’abord le critère de l’intérêt de la justice, afin d’éliminer certaines demandes. À titre d’exemple, il pourrait s’agir d’une condamnation mineure alors que le délinquant a un long casier judiciaire. Cette démarche nous donne à réfléchir.
Le fait que le critère de l’intérêt de la justice pourrait potentiellement défavoriser les demandeurs autochtones, noirs et autres demandeurs marginalisés, ou encore des demandeurs qui peuvent sembler antipathiques ou dangereux, nous préoccupe. Nous sommes conscients que les décideurs juridiques se rassurent d’avoir une certaine « marge de manœuvre » avec les critères qu’ils appliquent. Le critère de la « personne raisonnable » a fourni ce niveau de confort pendant des siècles. Mais trop souvent, la personne raisonnable se définit à la lumière de l’expérience des hommes blancs. Le critère de renvoi de la commission devrait être suffisamment large pour susciter la plus grande confiance du public à la fois envers la commission et le système judiciaire. Il ne doit pas être défini pour le confort de la commission en lui donnant cette « marge de manœuvre » dans ses décisions. Nous sommes donc d’avis que la commission soit tenue de renvoyer une affaire lorsqu’elle conclut qu’une erreur judiciaire a pu se produire.
Si le critère de l’intérêt de la justice est adopté, nous croyons, tout comme le recommande l’Association du Barreau canadiennote de fin d’ouvrage 339, qu’il devrait s’agir d’un motif additionnel de renvoi dans les affaires où la commission ne peut pas conclure qu’une erreur judiciaire a pu se produire. Cette approche fait en sorte que le critère souple et vague de l’intérêt de la justice soit utilisé au profit des demandeurs. Selon nous, le critère de l’intérêt de la justice ne devrait pas, comme c’est le cas en Écosse, désavantager les demandeurs en entraînant le rejet d’une demande sans qu’il soit possible de déterminer si une erreur judiciaire a pu se produire. Si l’on adopte ce critère, la loi ou la nouvelle commission devra préciser ce terme vague. Comme le recommande l’Association du Barreau canadien, il devrait tenir compte de questions comme l’évolution du droit et en sciences judiciaires.
Raisons pour lesquelles l’innocence factuelle ne devrait pas être le seul motif de renvoi
Nous ne pensons pas que la nouvelle commission, avec son orientation proactive et systémique, ne doit renvoyer des affaires que lorsqu’elle conclut que l’innocence factuelle est probable, ou même possible. Nous comprenons et respectons les décisions prises par les Projets Innocence de se limiter aux personnes qu’ils estiment innocentes dans les faits. Mais il existe une différence fondamentale entre des groupes communautaires qui comptent sur des contributions bénévoles et une institution publique conçue pour corriger et prévenir les erreurs du système de justice pénale.
Les personnes qui ont établi les Projets Innocence bénévoles aux États-Unis ont développé le concept d’innocence factuelle ou réelle afin de convaincre les gens qu’un système de justice pénale doté de la peine capitale commettait des erreurs. Mais les fondateurs des Projets Innocence savaient bien que seule une partie des crimes disposent de preuves d’ADN généralement nécessaires pour établir l’innocence factuellenote de fin d’ouvrage 340.
Exiger l’innocence factuelle au Canada constituerait, selon nous, un recul. Elle restreindrait davantage le mandat de correction des erreurs de la nouvelle commission comparativement à celui dont dispose le ministre de la Justice à l’heure actuelle. Il faudrait mettre au point une nouvelle définition de l’innocence factuelle, définition que les tribunaux hésitent à développer et à appliquernote de fin d’ouvrage 341.
L’obligation de recourir à l’innocence factuelle restreindrait également la capacité de la commission à apporter sa contribution à une réforme systémique. Comme l’ont déclaré Barry Scheck et Peter Neufeld, les cofondateurs du Projet Innocence aux États-Unis, les exonérations grâce à l’ADN ne devraient servir que de mesure temporaire à la faillibilité du système de justice pénale. Dans les cas où on peut récupérer l’ADN des substances corporelles sur les lieux du crime, tout système judiciaire compétent devrait les comparer à celui de l’accusé avant, ou juste après, le dépôt des accusations. Ainsi, cette étape permettrait de retirer les accusations contre les personnes exonérées par l’ADN bien avant un procès criminel.
Si l’erreur judiciaire repose sur la preuve de l’innocence factuelle, la réparation des erreurs judiciaires pourrait finalement se réduire à néant, laissant croire, à tort, que notre système de justice pénale ne fait pas d’erreurs. Aucun système de justice pénale dirigé par des personnes humaines ne peut être parfait. Il existe de nombreuses erreurs judiciaires qui restent à découvrir, à reconnaître, ou même à comprendre comme telles. Pour cette raison, nous pensons qu’il serait erroné, et qu’il s’agirait d’un recul injustifié, de ne permettre à la nouvelle commission de renvoyer des affaires devant les tribunaux que pour des motifs d’innocence factuelle.
Cela étant dit, l’innocence factuelle compte, et en particulier aux personnes exonérées qui ont partagé leur vécu. Elles nous ont dit que leur innocence factuelle est en fait ce qui leur a permis de poursuivre leur démarche alors que le monde semblait s’être tourné contre eux. L’innocence factuelle est également importante en ce qui concerne les normes d’indemnisation désuètes mais en vigueur actuellement au Canada, une question que nous aborderons plus loin.
Notre compréhension des erreurs judiciaires implique la preuve de l’innocence factuelle. Mais elle comprend également les cas où une condamnation n’est plus fiable, exacte, ou juste. Elle comprend aussi des erreurs de procédure graves, telles que la destruction de matériel pertinent qui empêche l’accusé de démontrer que la condamnation n’est pas fiable.
Nous reconnaissons que les demandeurs, la nouvelle commission et les tribunaux ne s’entendent pas toujours sur la définition d’une erreur judiciaire ou sur la présence d’une telle erreur dans un cas particulier. Toutefois, nous pensons que, pour la commission, la bonne question à poser reste celle à savoir s’il y a pu y avoir une erreur judiciaire.
Lorsque la nouvelle commission et les tribunaux examinent si une erreur judiciaire a pu se produire, nous tenons à réitérer que la commission ne doit pas prendre de décisions fondées sur sa prédiction de réussite devant la Cour d’appel ou en appel devant la Cour suprême du Canada ou sur des prédictions quant à l’issue si la tenue d’un nouveau procès est ordonnée. La commission et les tribunaux doivent tous deux se forger une opinion indépendante sur les renseignements dont ils disposent. Ils doivent s’acquitter de leur tâche dans le respect de l’objectif commun d’améliorer le système de justice pénale en corrigeant les erreurs judiciaires.
Recours : nouveau procès, nouvel appel et pardon
Option 1 : Statu quo – nouvel appel, nouveau procès et/ou renvoi à la Cour d’appel
Le paragraphe 696.3(3) confère au ministre de la Justice la possibilité d’ordonner un nouveau procès ou un nouvel appel lorsqu’il conclut qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite. Le paragraphe 696.3(2) permet au ministre de la Justice, à tout moment, de renvoyer devant la cour d’appel une question relative à toute demande. La commission norvégienne peut également ordonner de nouveaux procès ou de nouveaux appels.
Option 2 : Nouveaux appels seulement
Les commissions anglaise, écossaise et néo-zélandaise ne peuvent que renvoyer les condamnations et les peines à la cour d’appel. La commission de la Caroline du Nord, pour sa part, peut seulement renvoyer les affaires à un panel de trois juges spécialement constitué.
Option 3 : Option supplémentaire de recommander un pardon
La commission anglaise dispose de ce pouvoir, mais elle ne l’a jamais exercé.
Option 4 : la commission peut annuler une condamnation sans ordonner un nouveau procès
En vertu du paragraphe 696.3(3), le ministre de la Justice n’a pas le pouvoir d’annuler une condamnation sans ordonner un nouveau procès. Aucune commission étrangère n’a le pouvoir d’annuler une condamnation et elles doivent toutes renvoyer les affaires devant les tribunaux.
Ce que nous avons entendu
Les personnes consultées avaient une opinion partagée, mais la plupart ont appuyé l’option 1 qui donne à la commission les mêmes recours que ceux dont le ministre de la Justice dispose présentement. Innocence Canada a souligné que le ministre de la Justice a récemment ordonné un nouveau procès dans des cas où les demandeurs n’étaient pas en bonne santé. James Lockyer et Sean MacDonald ont tous deux défendu ce recours à un nouveau procès. Ils ont souligné les délais et les frais associés à la préparation d’un appel et à l’audition de nouvelles preuves en appel. La professeure Kathryn Campbell nous a dit que [traduction] « sans le pouvoir d’annuler une condamnation et d’ordonner un nouveau procès – la réussite d’une nouvelle commission s’inscrirait dans la démarche que la cour d’appel adopte lors de renvois »note de fin d’ouvrage 342.
Le juge Morris Fish, conseiller spécial du ministre de la Justice sur les erreurs judiciaires, Nigel Marshman, responsable du GRCC, et Jean-Claude Bernheim, de la Société John Howard du Québec, nous ont dit que le recours par défaut devrait être un renvoi devant la cour d’appel avec la possibilité d’ordonner un nouveau procès dans des circonstances exceptionnelles.
La professeure Emma Cunliffe a pour sa part indiqué que le seuil pour un nouveau procès devrait être très élevé. Le Projet Innocence de l’UCB a déclaré que la commission devrait avoir la possibilité de faire des recommandations non contraignantes au procureur si elle ordonne un nouveau procèsnote de fin d’ouvrage 343.
Les chefs des poursuites pénales FPT ont proposé que la nouvelle commission puisse seulement renvoyer les affaires devant la cour d’appel. Ils ont fait valoir que [traduction] « d’un point de vue pratique, il s’avère souvent illusoire d’ordonner un nouveau procès, car le dossier a tendance à être si vieux qu’il y a peu de chances réalistes d’aller de l’avant »note de fin d’ouvrage 344. Ils ont ajouté que la nouvelle démarche d’appel « place correctement le fardeau sur le demandeur dans sa quête d’un recours »note de fin d’ouvrage 345 et est plus conforme au respect de la séparation des pouvoirs et au respect du pouvoir judiciaire. Plusieurs avocats anglais consultés se sont dits surpris d’apprendre que le ministre de la Justice peut, à l’heure actuelle, annuler une condamnation lorsqu’il ordonne un nouveau procès. En parallèle, quelques personnes consultées et l’Association des régimes d’aide juridique du Canada ont recommandé que la nouvelle commission puisse annuler une condamnation sans renvoyer l’affaire devant les tribunaux.
Sir Bob Neill et les juges Jonathan Dawe, Mel Green et Alan Whitten ont indiqué qu’une transparence accrue constitue l’un des avantages de restreindre la commission aux renvois devant les cours d’appel. Ils reconnaissent que dans la majorité des cas où le ministre de la Justice ordonne un nouveau procès, la poursuite retire les accusations ou ne présente aucune preuve. Par le passé, les procureurs ont souvent suspendu les procédures, une pratique que bon nombre de commissions d’enquête ont critiquée. Le Projet Innocence Québec a suggéré de conserver le pouvoir d’ordonner un nouveau procès, mais de ne l’utiliser que lorsqu’un demandeur en fait la demandenote de fin d’ouvrage 346.
Les personnes consultées qui appuient la participation de la commission aux pardons, comme la personne exonérée Maria Shepherd, nous ont dit que la nouvelle commission devrait être en mesure [traduction] « d’accorder automatiquement un pardon à une personne condamnée à tort », car elle était « innocente avant d’avoir été déclarée coupable et qu’il devrait en être ainsi après une exonération »note de fin d’ouvrage 347. Le groupe Milgaard/Lockyer a recommandé que la nouvelle commission puisse, dans les cas appropriés, recommander un pardon absolu ou un pardon conditionnelnote de fin d’ouvrage 348. L’ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels a déclaré qu’il [traduction] « pourrait être avantageux que la commission joue un rôle consultatif à l’égard du processus de pardon… »note de fin d’ouvrage 349. Le Projet Innocence de l’UCB a pour sa part recommandé que la nouvelle commission puisse renvoyer une demande de pardon ou la suspension d’un casier judiciaire à la Commission des libérations conditionnelles du Canada et que cette Commission puisse également, dans les cas appropriés, renvoyer les demandeurs à la nouvelle commission pour qu’elle fasse enquête sur des erreurs judiciaires qui pourraient conduire les tribunaux à l’annulation d’une condamnation.
Amanda Carling, de la Faculté de droit de l’Université de Toronto et anciennement d’Innocence Canada, nous a prévenus que la commission de devrait pas « forcer » les demandeurs à recourir au pardon, puisque le pardon suppose la culpabilité. Certains craignent que la nouvelle commission ne recommande le pardon comme prix de consolation. Un représentant de la commission écossaise a indiqué que la commission ne devrait pas participer au système de pardon puisqu’il s’agit d’un « processus extrajudiciaire » qui n’exige pas l’expertise de la commission.
Le Projet Innocence de l’UCB a fait valoir qu’à son avis, le pouvoir du ministre de la Justice en vertu du paragraphe 696.3(2) de renvoyer aux cours d’appel les questions relatives à une demande pour laquelle le ministre désire de l’aide est sous-utilisé et pourrait contribuer à une réforme systémique. Cette question est liée à l’admissibilité de nouvelles preuves, que nous aborderons plus loin. Dans certains cas, il pourrait être possible pour la commission d’avoir l’option d’un renvoi direct à la Cour suprême du Canada, comme ce fut le cas dans l’affaire Milgaard.
Recommandation 43
De prime abord, nous avions une certaine affinité avec l’option 2, soit de suivre la voie des commissions étrangères et restreindre la nouvelle commission aux renvois des cas devant une cour d’appel. Toutefois, nous avons conclu que le recours à l’ordonnance d’un nouveau procès se justifie dans certaines circonstances, et que la commission devrait, comme envisagé dans l’option 1, détenir les mêmes pouvoirs que le ministre de la Justice dispose actuellement pour ordonner un nouveau procès, renvoyer une affaire devant une cour d’appel et/ou de demander à une cour d’appel de l’aider sur une question concernant une demande.
Cette recommandation repose sur le fait que le ministre de la Justice a ordonné un nouveau procès dans près de 40 % des vingt cas où un renvoi a eu lieu depuis 2003. Le recours à un nouveau procès a plus d’attrait pour les demandeurs maintenant que les procureurs, respectant les conseils des enquêtes publiques, hésitent plus souvent à utiliser un arrêt des procédures et fournit ainsi aux demandeurs le bénéfice d’un verdict de non-culpabilité en ne produisant aucune preuve, même lorsqu’un nouveau procès n’est pas possible. Une ordonnance d’un nouveau procès peut se traduire par une conclusion efficace si les procureurs décident rapidement de ne pas engager de nouvelles poursuites après la décision ministérielle. Enfin, nous sommes extrêmement réticents à recommander qu’un droit existant que certains considèrent comme essentiel, notamment en cas de mauvaise santé, leur soit retiré au nom de ce qui devrait être une amélioration du système.
Le groupe FPT des chefs des poursuites pénales s’est dit opposé au recours à un nouveau procès, en partie parce que le ministre de la Justice ne fournit pas de motifs à sa décision à l’heure actuelle. Comme mentionné ci-dessus, nous considérons essentiel que la nouvelle commission rende ses motifs public, ce qui règle cette préoccupation des chefs des poursuites pénales. Les motifs de l’ordonnance d’un nouveau procès par la commission pourraient être particulièrement importants pour le demandeur et le public, surtout lorsque le procureur détermine qu’il n’existe pas une possibilité raisonnable de condamnation et que le nouveau procès ne va pas de l’avant.
Nous réfutons également l’argument du groupe FPT des chefs des poursuites pénales selon lequel il est approprié que le demandeur supporte toujours le fardeau de la preuve lors du renvoi d’une affaire devant les tribunaux pour un nouvel appel. Nous soulignons que les demandeurs ayant obtenu un renvoi se seront déjà acquittés de ce fardeau pour convaincre la commission qu’une erreur judiciaire a pu se produire. Nous soulignons également que la commission royale sur les poursuites intentées contre Donald Marshall, fils, a critiqué la décision ministérielle d’exiger que M. Marshall supporte le fardeau d’établir les motifs d’appel lorsque le ministre de la Justice a renvoyé sa condamnation injustifiée à la Cour d’appel de la Nouvelle-Écossenote de fin d’ouvrage 350.
Nous pensons que les pouvoirs actuels du ministre de la Justice en vertu du paragraphe 696.3(2) pourraient servir à des fins moins contentieuses pour que la commission demande à la Cour d’appel de l’aider sur une question, y compris un enjeu de nature systémique qu’une demande soulève. Le Projet Innocence de l’UCB a précisé que le pouvoir de demander de l’aide des cours d’appel peut être utile, mais qu’il est présentement sous-utilisé.
Nous appuyons également l’option 3, qui permet à la nouvelle commission, dans des circonstances exceptionnelles, de faire une recommandation directe au sujet d’un pardon ou d’une suspension du casier judiciaire. Cela étant dit, nous reconnaissons que même le pardon absolu ne constitue généralement pas un mesure appropriée pour remédier à une erreur judiciaire. Il est également nécessaire de réformer et de consolider le processus de pardon et de suspension du casier judiciaire, ce qui va au-delà de la portée de notre mandat. Le pouvoir exécutif peut renvoyer certaines affaires concernant les pardons à la commission anglaise et néo-zélandaise. Nous ne pensons pas que ce soit souhaitable compte tenu de l’indépendance de la commission par rapport au gouvernement et aux différences que Jean Teillet et Amanda Carling ont mis en relief entre les erreurs judiciaires et les pardons.
De manière générale, le recours standard de la commission devrait être un nouvel appel, à moins que le demandeur ne demande un nouveau procès ou une recommandation de pardon et que la commission justifie ces recours.
Nous avons envisagé la possibilité de donner à la nouvelle commission le pouvoir d’annuler les condamnations sans avoir à les renvoyer devant les tribunaux. L’Association des régimes d’aide juridique du Canada a fait valoir que cette démarche serait plus efficace. Cela dit, nous sommes convaincus que l’approche actuelle, selon laquelle le ministre de la Justice ou la nouvelle commission ne fait que renvoyer les affaires devant les tribunaux, respecte la séparation des pouvoirs et, tout particulièrement, le principe d’indépendance du pouvoir judiciaire.
K. Motifs d’appel et règles de preuve
Motifs d’admissibilité d’un appel
Option 1 : Maintenir les motifs actuels d’en appeler d’une condamnation ou d’une peine au Canada
Cette option signifie que les cours d’appel appliqueraient les motifs d’appel établis dans l’article 686 du Code criminel lorsqu’une nouvelle commission leur renvoie une déclaration de culpabilité.
Option 2 : Élargir les motifs actuels d’en appeler d’une condamnation pour y ajouter le « doute persistant »
Le juge Kaufman, qui a mené l’enquête publique sur la condamnation injustifiée de Guy Paul Morin, en avait fait la recommandation, mais la Cour suprême du Canada l’a par la suite rejetée comme étant trop subjectivenote de fin d’ouvrage 351.
Option 3 : Élargir les motifs actuels d’en appeler d’une condamnation pour y ajouter le concept d’une « condamnation imprudente »
Cette réforme s’inspirerait de l’approche anglaise d’en appeler en vertu de l’article 2 de sa Criminal Appeal Act 1968note de fin d’ouvrage 352.
Option 4 : Permettre un deuxième appel et des appels ultérieurs en fonction de preuves nouvelles et convaincantes
L’Australie ne dispose pas de commission d’examen des affaires pénales, mais certains États ont créé un droit pour l’accusé d’introduire un deuxième appel ou des appels ultérieurs en fonction de preuves nouvelles et convaincantesnote de fin d’ouvrage 353.
Option 5 : Permettre aux cours d’appel, à la demande de l’accusé, de prendre une décision concernant l’innocence factuelle
Les cours d’appel du Canada ont refusé de prendre des décisions concernant l’innocence factuelle en l’absence d’orientation législative. Elles ont exprimé la crainte qu’une telle décision corresponde à un « troisième verdict », ce qui diluerait la signification d’un verdict de non-culpabilité et de la présomption d’innocencenote de fin d’ouvrage 354.
Ce que nous avons entendu
Les personnes consultées se sont montrées très favorables à l’élargissement des motifs actuels d’en appeler d’une condamnation en vertu de l’article 686 du Code criminel pour permettre l’appel d’une condamnation au motif supplémentaire que la condamnation est imprudente. Bruce MacFarlane, Clayton Ruby, le juge à la retraite Morris Fish, le groupe Milgaard/Lockyer et le Projet Innocence de l’UCB ont tous soutenu l’ajout du critère juridique anglais d’une « condamnation imprudente » aux motifs d’appel actuels de l’article 686.
Le groupe Milgaard/Lockyer et le Projet Innocence de l’UCB ont tous deux cité l’exemple de l’affaire Tomas Yebes pour illustrer la nécessité de réformer des motifs d’appel existants. En 1987, la Cour suprême a maintenu la condamnation de M. Yebes pour le meurtre de ses fils en 1982. Elle a estimé que le rôle de la Cour d’appel était de se demander si le verdict était celui auquel le jury aurait pu raisonnablement aboutir. Elle a conclu que, compte tenu de la preuve entendue au procès, la condamnation devait être maintenuenote de fin d’ouvrage 355. Comme le groupe Milgaard/Lockyer et le Projet Innocence de l’UCB l’ont fait remarquer dans leurs observations écrites respectives, la décision de la Cour suprême de 1987 confirmant la condamnation de M. Yebes est devenue et demeure un précédent important sur les pouvoirs des cours d’appel lorsque l’accusé conteste le caractère raisonnable d’une condamnation. L’arrêt Yebes fait autorité en la matière, ayant été cité dans près de 2 500 affaires, y compris dans plus de 30 décisions ultérieures de la Cour suprême.
M. Yebes avait toujours réitéré son innocence. Le Projet Innocence de l’UCB et des avocats bénévoles ont pris cette affaire en main en 2010. En 2019, ils ont présenté une demande de recours ministériel en vertu de l’article 696. Ils ont fait valoir qu’il y avait des failles dans les sciences judiciaires utilisées pour établir que l’incendie avait été allumé délibérément et que les garçons avaient trouvé la mort avant l’incendie. En 2020, le ministre de la Justice a ordonné un nouveau procès. En 2021, le procureur n’ayant appelé aucune preuve, M. Yebes a été déclaré non coupablenote de fin d’ouvrage 356.
Le groupe Milgaard/Lockyer a soutenu que la décision de la Cour suprême de 1987 dans l’affaire Yebes constituait [traduction] « une décision désastreuse […] Le fait que nos cours d’appel n’aient pas annulé les condamnations de Yebes souligne un échec systémique majeur de notre processus pénal »note de fin d’ouvrage 357. Le Projet Innocence de l’UCB a avancé que si le ministre de la Justice avait renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel plutôt qu’ordonner un nouveau procès, la jurisprudence à ce jour n’aurait peut-être pas soutenu l’annulation de la condamnation. Il a recommandé « de sérieusement envisager l’élargissement des motifs d’appel disponibles pour qu’ils comprennent le critère du doute persistant ou d’une condamnation imprudente […] »note de fin d’ouvrage 358. Le groupe Milgaard/Lockyer a fait une recommandation similaire. Il a également ajouté que les cours d’appel devraient pouvoir renvoyer des affaires à la nouvelle commission si elles ont des inquiétudes quant à la prudence d’un verdict de culpabilité et qu’une enquête supplémentaire est nécessairenote de fin d’ouvrage 359. Cela pourrait être utile dans des affaires comme celle de M. Yebes qui reposent sur des preuves médicolégales.
Tous ne s’entendaient pas sur l’élargissement des motifs d’appel. Le groupe FPT des chefs des poursuites pénales et l’Ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels ont suggéré que les motifs actuels pour interjeter un appel sont adéquatsnote de fin d’ouvrage 360. Beaucoup ont critiqué le critère d’imprudence utilisé en Angleterre comme étant trop restrictif. Deux entités parlementaires ont récemment recommandé que la Commission du droit examine le caractère adéquat des motifs d’appel en Angleterre.
De nombreuses personnes consultées ont soutenu que la Cour d’appel ne devrait pas avoir le pouvoir discrétionnaire de refuser une affaire que la nouvelle commission leur renvoie. De plus, on a indiqué que la Cour d’appel devrait être orientée pour savoir si elle doit ordonner un nouveau procès ou prononcer un acquittement et que les nouveaux procès devraient être l’exception et non la règlenote de fin d’ouvrage 361.
Bibi Sangha et Bob Moles, de l’Université Flinders, ont recommandé le modèle utilisé dans certains états australiens, soit la création du droit à un deuxième appel et à un appel ultérieur au motif de preuves nouvelles et convaincantes. Compte tenu de l’expérience de la Nouvelle-Zélande, ils ont exprimé la crainte qu’une nouvelle commission devienne rapidement submergée et engorgée de demandes, et qu’un nouveau droit de deuxième appel et d’appel ultérieur ne serve en quelque sorte de soupape de sécurité pour les demandeurs représentés par des avocats et des projets Innocence.
Certaines personnes consultées ont indiqué que l’établissement de l’innocence constitue un élément important pour la personne en cause, alors que d’autres trouvent que ce critère était trop difficile à prouver et ont suggéré qu’il faisait exclusion de nombreuses condamnations injustifiées. La professeure Debra Parkes a déclaré que le critère d’innocence factuelle pourrait également renforcer les problèmes structurels qui, souvent, n’offrent pas de recours aux erreurs judiciaires que les femmes, les autochtones et les groupes racisés vivent.
Recommandations 44 et 45
Il nous était important d’examiner le caractère adéquat des motifs d’appel actuels, car nous craignons que l’efficacité de la commission anglaise soit compromise par l’approche restrictive des cours d’appel anglaises en matière d’appel. Même si la nouvelle commission ne doit pas tenter de prévoir la décision d’une cour d’appel concernant un renvoi, les demandeurs devront généralement convaincre à la fois la commission et la cour d’appel d’annuler leur condamnation ou de modifier leur peine.
Nous soutenons l’option 2, soit l’élargissement des motifs d’appel, pour permettre aux cours d’appel d’annuler une condamnation au motif « que la cour estime que la condamnation est imprudente »note de fin d’ouvrage 362. L’approche adoptée par la Cour suprême quant à la capacité des cours d’appel à annuler les condamnations dans l’affaire Yebes de 1987 sur le verdict raisonnable, et même dans l’affaire Biniarisnote de fin d’ouvrage 363 qui a rejeté le doute persistent en 2000, a été adoptée avant que les tribunaux reconnaissent le caractère inévitable des condamnations injustifiéesnote de fin d’ouvrage 364. Elle devrait être mise à jour.
Le critère actuel pour interjeter appel repose en grande partie sur l’« expérience judiciaire »note de fin d’ouvrage 365. Toutefois, le manque de diversité au sein de la magistrature et l’absence de compréhension universelle par les juges des causes et des conséquences des condamnations injustifiées nous préoccupent. Les cours d’appel peuvent faire preuve d’un respect particulier à l’égard des décisions des juges de première instance ou des jurys quant à la question de savoir si un témoin dit la vérité. Il s’agit d’un facteur que des préjugés inconscients fondés sur l’apparence et la présentation des témoins peuvent également influencernote de fin d’ouvrage 366. Le critère actuel crée également plus d’obstacles à l’appel des condamnations par des jurys comparativement aux procès menés par un juge seulementnote de fin d’ouvrage 367.
Comme le suggère le groupe Milgaard/Lockyer, nous pensons que la commission devrait pouvoir aider les cours d’appel et faire enquête sur des questions soulevées en appel, questions qui n’auraient pas été pleinement examinées lors du procès. Le groupe Milgaard/Lockyer fait aussi valoir qu’il est possible d’améliorer la procédure d’appel pour mieux se prémunir contre les erreurs judiciaires, notamment lors du premier appel interjeté par l’accusé. L’affaire Yebes constitue une mise en garde importante, mais elle n’est malheureusement pas la seule. Les cours d’appel devraient se préparer à faire appel à la nouvelle commission pour faire enquête sur des questions spécifiques qui les préoccupent comme moyen de prévenir les erreurs judiciaires. Dans la plupart des affaires criminelles, les cours d’appel des provinces et des territoires constituent la dernière étape pour l’accusé d’éviter une condamnation injustifiée.
En tant qu’organe inquisitoire et d’enquête, la commission se trouve en bonne position pour répondre à certaines des faiblesses du système accusatoire, en particulier compte tenu de ce que nous avons entendu sur les restrictions en matière d’aide juridique et les difficultés de l’accusé à contester les preuves médicolégales de l’État, invoquer des alibis et présenter d’autres suspects. Une personne qui interjette appel devant la Cour d’appel pourrait tenter de la convaincre de demander à la commission de faire enquête sur un point précis qui pourrait établir que la condamnation était en fait une erreur judiciaire.
De même, nous reconnaissons que notre recommandation d’élargir les motifs d’appel actuels pourrait semer la controverse. Le débat concernant la nécessité d’un motif supplémentaire d’en appeler d’une condamnation ne devrait pas ralentir le besoin urgent de créer une nouvelle commission indépendante qui, à notre avis, serait efficace même avec les motifs d’appel existants. Nous avançons ces propos, car même le juge Kaufman, dans sa recommandation d’ajouter le doute persistant comme motif d’appel, a reconnu que les critères d’appel existants sont souples. L’ajout du critère anglais d’une condamnation imprudente ne constituerait pas un remède miracle. De fait, on a beaucoup critiqué ce critère en Angleterre comme étant trop restrictif et la Cour d’appel a souvent hésité à recourir au critère du doute persistant.
Nous sommes conscients que la nouvelle commission pourrait devenir surchargée, notamment par de nouvelles demandes d’aide de la part des cours d’appel. La création d’un droit de deuxième appel et d’un appel ultérieur, comme l’ont fait certains états australiens, pourrait servir d’une soupape de sécurité. Cela étant dit, nous avons des préoccupations concernant les restrictions imposées par les tribunaux australiens pour ce qui constitue une preuve nouvelle et convaincantenote de fin d’ouvrage 368.
Mais de manière plus fondamentale, nous avons des réserves quant à l’équité d’un système à deux niveaux dans lequel les demandeurs qui peuvent retenir les services d’un avocat et trouver et présenter des preuves nouvelles et convaincantes peuvent s’adresser directement à une cour d’appel pour un deuxième appel, tandis que ceux qui n’ont pas d’aide juridique doivent s’adresser à une commission financée par des fonds publics (en espérant qu’elle ne soit pas sous-financée). Une telle approche reproduirait ce que les Associations des régimes d’aide juridique nous ont confié être les injustices du système actuel, tout particulièrement pour les accusés autochtones et noirs. Nous partageons l’avis des services d’aide juridique sur le fait que la nouvelle commission devrait être conçue et financée adéquatement afin de [traduction] « garantir que toutes les personnes y aient accès, et non seulement aux personnes qui disposent de leurs propres ressources pour s’engager pleinement dans le processus et en tirer les avantages »note de fin d’ouvrage 369.
La commission devrait aussi avoir suffisamment de financement pour aider les cours d’appel dans les affaires où certaines questions doivent faire l’objet d’une enquête indépendante par la commission afin d’aider la cour d’appel à établir s’il y a eu erreur judiciaire. La bonne approche, à notre avis, est de s’assurer que la commission dispose de suffisamment de ressources pour qu’elle puisse fournir un accès à la justice pour tous.
Nous avons toutefois hésité à recommander l’option 5 pour ce qui est de permettre aux cours d’appel de déterminer et de déclarer l’innocence factuelle. Comme mentionné ci-dessus, nous pensons qu’il s’agirait d’une régression si la nouvelle commission ne peut renvoyer des affaires que sur des motifs d’innocence factuelle. De même, plusieurs personnes exonérées ont mentionné que l’innocence factuelle revêt beaucoup d’importance. Nous sommes également conscients que les lignes directrices fédérales-provinciales-territoriales de 1988 exigent la preuve de l’innocence factuelle comme condition préalable à l’indemnisation. Il reste qu’on a maintenant accordé de nombreux règlementsnote de fin d’ouvrage 370 et des dommages-intérêts en vertu de la Chartenote de fin d’ouvrage 371 sans preuve d’innocence factuelle.
Nous croyons que l’indemnisation ne devrait pas exiger la preuve d’innocence factuelle compte tenu des difficultés à établir un tel critère sans preuve d’ADN. Toutefois, si les gouvernements maintiennent l’innocence factuelle comme condition formelle de l’indemnisation, nous pensons, en toute équité, que ceux qui interjettent appel devant une cour d’appel devraient pouvoir lui demander de déterminer l’innocence factuelle. Cette étape permettrait au moins de résoudre la question d’indemnisation beaucoup plus rapidement.
Règles de preuve permettant l’admission de nouvelles preuves en appel
Option 1 : Maintenir les règles actuelles de l’arrêt Palmernote de fin d’ouvrage 372
Lorsque le ministre de la Justice renvoie une décision pour un nouvel appel, la Cour d’appel applique la règle de l’arrêt Palmer concernant l’admissibilité de nouvelles preuves. L’arrêt Palmer exige que la Cour d’appel décide si la preuve est pertinente sur une question décisive ou potentiellement décisive; qu’elle est crédible; que si on y croit, elle aurait eu un impact sur le résultat; et que la preuve n’aurait pas pu être obtenue avec une diligence raisonnable lors du procès de première instance. Les cours d’appel ont plus de souplesse avec l’exigence de diligence raisonnable si le fait de l’appliquer peut entraîner une erreur judiciaire, y compris lors d’un renvoi ministérielnote de fin d’ouvrage 373.
Option 2 : Remplacer les règles de l’arrêt Palmer avec les règles basées sur les arrêts Taillefernote de fin d’ouvrage 374/Dixonnote de fin d’ouvrage 375
Les arrêts Taillefer/Dixon permettent de prendre en compte de nouveaux éléments de preuve lorsqu’il existe une possibilité raisonnable que cette nouvelle preuve ait pu affecter le verdict ou l’équité globale du procès. Ce critère est plus généreux pour le demandeur que celui de l’option 1, mais, à l’heure actuelle, il ne s’applique que lorsque la Couronne était en possession de la nouvelle preuve lors du procès et qu’elle ne l’a pas divulguée.
Option 3 : Exiger que les cours d’appel examinent les nouveaux éléments de preuve qui, selon la commission, justifient un renvoi ou l’ordonnance d’un nouveau procès
La loi pourrait exiger que les cours d’appel examinent les nouveaux éléments de preuve sur lesquels la commission se fonde pour renvoyer une affaire devant les tribunaux. Cependant, il appartiendrait à la cour d’appel de décider du poids à accorder, le cas échéant, aux éléments de preuve qui ont incité la commission à effectuer un renvoi. Il faudrait faire une exception qui exigerait que les tribunaux, à la suite d’un renvoi de la commission, suivent les procédures et les restrictions relatives à l’admissibilité des antécédents sexuels et des dossiers privés prévues aux articles 276-278.1-278.91 du Code criminel.
Ce que nous avons entendu
Plusieurs avocats anglais, dont Mark Newby, ont indiqué que le refus des cours d’appel d’admettre de nouvelles preuves a joué un rôle dans certaines condamnations injustifiées qui ont mené à la création de la commission anglaise. Lui et d’autres avocats nous ont dit que les décisions restrictives des tribunaux sur l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve compromettent la capacité de la cour d’appel à entendre certains renvois de la commission anglaise sur le fond. La professeure Carolyne Hoyle a également déclaré que parfois, la commission anglaise ne renvoyait pas un dossier par crainte que la cour d’appel refuse d’accepter les preuves en tant que nouveaux éléments de preuve.
L’actuel GRCC nous a fourni une lettre anonyme qui rejette une demande de recours ministériel. Cette lettre élabore longuement sur le critère de la nouvelle preuve dans l’arrêt Palmer, et de manière qui laisse entendre que le GRCC, et peut-être même le ministre de la Justice, tenteraient de prédire le résultat et s’en remettre à d’éventuelles décisions de la cour d’appel à savoir si une preuve est admissible en tant que nouvelle preuve au moment de décider de la nécessité de renvoyer l’affaire devant les tribunaux. L’Association canadienne des libertés civiles a dit craindre que la commission puisse renvoyer certaines affaires sur la base d’éléments de preuve que la cour d’appel a jugés inadmissibles en vertu du critère de l’arrêt Palmer relatif aux nouveaux éléments de preuvenote de fin d’ouvrage 376.
Le groupe Milgaard/Lockyer a recommandé une modification au paragraphe 683(1) du Code criminel afin de codifier le critère moins restrictif des arrêts Taillefer/Dixon sur l’admissibilité de toute nouvelle preuve en appel. Il a également suggéré de modifier l’article 683 du Code criminel pour qu’il reflète ce critère et que les cours d’appel, sur renvoi de la nouvelle commission, ne devraient « généralement » pas considérer les questions de diligence raisonnable et des motifs tactiques lors du procès dans leur raisonnement sur l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve. Ils ont fait valoir que les victimes d’erreurs judiciaires ne devraient pas avoir à payer pour les erreurs que leurs avocats ont commises lors du procèsnote de fin d’ouvrage 377.
En revanche, le groupe FPT des chefs des poursuites pénales a avancé qu’il n’était pas nécessaire de modifier les règles actuelles qui régissent l’admissibilité de nouvelles preuves en appel. Il a déclaré que, même lors d’un renvoi du ministre de la Justice, [traduction] « la personne porte la responsabilité de démontrer l’admissibilité des nouvelles preuves[…] Les règles de preuve ne doivent pas être écartées[…] Les pouvoirs d’une cour d’appel à la suite d’un renvoi doivent demeurer les mêmes que ceux lors d’un appel. S’ils étaient plus étendus, cela minerait fondamentalement le système de justice pénale canadien » et créerait un fardeau pour la nouvelle commissionnote de fin d’ouvrage 378. Le groupe FPT des chefs des poursuites pénales a également mis en garde contre la nécessité d’examiner les articles 276 et 278.1-278.91 du Code criminel, malgré que le GRCC nous ait informés que le système actuel n’a pas donné lieu à de telles préoccupations.
Recommandation 46
Nous recommandons l’option 3 comme moyen de s’assurer que les cours d’appel admettent toute nouvelle preuve qui, selon la commission, justifie un renvoi. Nous partageons les craintes de l’Association canadienne des libertés civiles quant à la possibilité que la commission renvoie une affaire en raison de renseignements nouveaux, mais qu’une cour d’appel refuse d’admettre les nouveaux renseignements comme étant de nouveaux éléments de preuve. Nous craignons qu’un tel résultat ne mine la confiance du public envers la nouvelle commission.
La Cour d’appel de l’Ontario a reconnu dans le renvoi Truscott [traduction] « qu’en ordonnant ce renvoi, le ministre de la Justice a déterminé qu’une enquête judiciaire plus approfondie était nécessaire pour dissiper le doute qui plane sur la condamnation du demandeur. En agissant de la sorte, le Ministre a indiqué que l’intégrité de la justice pénale serait mieux servie si la cour examinait l’admissibilité de la preuve sur le fond et non d’exclure, sur la base d’un manquement de diligence raisonnable et au nom de préoccupations liées à la finalité, de nouvelles preuves autrement admissibles »note de fin d’ouvrage 379. Nous pensons que le renvoi d’une affaire par la nouvelle commission soulèvera des préoccupations semblables au sujet des doutes concernant les condamnations. Nous sommes d’accord qu’il est préférable pour la cour de décider de telles affaires sur le fond.
Nous reconnaissons que la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Truscott a maintenu sa capacité de déterminer si la preuve, y compris celle réunie par le juge Kaufman à titre de délégué du ministre de la Justice, était admissible en tant que nouvelle preuvenote de fin d’ouvrage 380. Néanmoins, selon notre expérience, les cours d’appel entendent souvent de nouvelles preuves avant de décider si elles sont admissibles en vertu de l’arrêt Palmer. Il ne s’agirait donc pas d’une étape démesurée pour les tribunaux d’accepter simplement comme étant admissible tout renseignement nouveau que la commission a déterminé comme étant fiable et décisif pour déterminer qu’une erreur judiciaire a pu se produire.
Selon notre recommandation, la cour d’appel disposerait de toute la latitude voulue pour accorder le poids qu’elle souhaite accorder aux renseignements nouveaux sur lesquels repose le renvoi de la nouvelle commission. Une démarche semblable s’appliquerait aussi lorsque la commission ordonne un nouveau procès. Le juge de première instance ou le jury pourraient librement accorder le poids qu’ils jugent approprié, mais ils devraient entendre les nouvelles preuves qui ont servi à la décision de la commission pour renvoyer l’affaire devant les tribunaux. Nous sommes conscients que cette recommandation pourrait contraindre les tribunaux à prendre en compte des preuves sur les causes des erreurs judiciaires, telle qu’une identification fautive des témoins oculaires, qu’ils ont traditionnellement hésité à entendre. Nous considérons qu’il s’agit là d’un dialogue sain entre une commission pluridisciplinaire et les tribunaux.
Toutefois, l’option 3 crée une exception qui obligerait les tribunaux à décider, lors d’un nouvel appel ou un nouveau procès, si les documents que la commission a examinés confidentiellement sont admissibles en vertu des articles 276 et 278.1-278.91 du Code criminel. Comme le groupe FPT des chefs des poursuites pénales l’a fait valoir dans ses observations écrites [traduction] : « si le mandat de la commission comprend les infractions de nature sexuelles, il semble inévitable que les victimes aient à fournir des preuves aux enquêteurs. Il faudrait donc réfléchir à la question de savoir si l’utilisation des articles 276 et 278 et suivants du Code criminel requiert que les victimes obtiennent des conseils juridiques indépendantsnote de fin d’ouvrage 381. Il s’agit d’un domaine qui exige le respect des procédures prévues par la loi sur l’admissibilité de la preuve lors de procès publicsnote de fin d’ouvrage 382, procédures jugées conformes à la Chartenote de fin d’ouvrage 383.
Il se pourrait que l’option 2, comme recommandé par le groupe Milgaard/Lockyer, ait du mérite. Nous partageons son argument selon lequel il est injustifiable d’exiger que les demandeurs aient à payer pour tout manque de diligence ou toute décision tactique prise par l’avocat lors du procès. Nous pensons également que la commission et les tribunaux chargés des renvois devraient se concentrer sur le fond sans être ralentis ou distraits par des enquêtes sur la diligence raisonnable, les tactiques et l’aide inefficace de l’avocat.
Malgré nos recommandations de réformes en matière de preuve à examiner lors d’un renvoi, nous réaffirmons que le statu quo de l’option 1, soit que les tribunaux appliquent le critère actuel de l’arrêt Palmer lorsqu’ils examinent de nouvelles preuves, offre tout de même une bonne marge de manœuvre à la nouvelle commission. L’expérience en anglaise laisse entendre que, dans ce scénario, la nouvelle commission devrait interpréter les règles relatives aux nouvelles preuves de manière assez large pour avantager le demandeur, mais que les cours d’appel pourraient parfois conclure que les renseignements nouveaux en compte par la commission sont inadmissibles en tant que nouveaux éléments de preuve. Nous espérons que de tels désaccords soient plutôt rares, car ils pourraient saper la confiance du public relative au processus de la commission. Cela dit, il ne faut pas retarder la création d’une nouvelle commission si l’option 2 ou l’option 3 devaient susciter la controverse.
L. Les rapports entre la commission et d’autres entités
Participation de la commission aux appels
Option 1 : Aucune participation aux appels
À l’heure actuelle, le GRCC (révisions ministérielles) ne participe pas aux appels.
Option 2 : Disposition législative qui permet à la commission de participer aux appels
L’article 15 de la Criminal Appeal Act 1995, permet à une cour d’appel d’ordonner à la commission anglaise d’enquêter sur des questions qui pourraient aider la cour d’appel à statuer.
Ce que nous avons entendu
Le groupe Milgaard/Lockyer est d’avis que la nouvelle commission devrait être en mesure de faire enquête sur des questions pertinentes dans tous les appels, à la demande des cours d’appel. Les cours d’appel ont le pouvoir, en vertu de l’alinéa s.683(1)(e), de nommer des commissaires spéciaux pour enquêter sur toute question pertinente à un appel qu’elles ne peuvent facilement examiner. Rarement utilisé, ce pouvoir a permis à mettre au jour au moins une condamnation injustifiéenote de fin d’ouvrage 384.
Une commission pluridisciplinaire pourrait également être plus apte à aider les cours d’appel dans des affaires où l’on craint qu’une erreur judiciaire a pu se produire, mais où il est nécessaire de mener une enquête que la cour d’appel ne peut aisément faire. La commission produirait un rapport d’enquête, tout comme le fait un commissaire spécial, qui pourrait ensuite servir à la cour d’appel « comme bon lui semble »note de fin d’ouvrage 385. Cette étape serait plus courante lors d’un premier appel qui n’aurait pas tiré profit d’une enquête de la nouvelle commission. De cette manière, une cour d’appel pourrait demander à la commission d’ajouter des éléments inquisitoires et d’enquête au processus d’appel qui n’a pu détecter certaines erreurs judiciaires.
Recommandation 47
Nous recommandons l’option 2 qui permet à une cour d’appel de demander à la nouvelle commission de mener des enquêtes que la cour d’appel juge pertinentes à un appel. Nous pensons que ce pouvoir puisse aider les cours d’appel à prévenir les condamnations injustifiées en offrant certains éléments inquisitoires et d’enquête pour combler les lacunes du système accusatoirenote de fin d’ouvrage 386.
La commission anglaise est la seule commission étrangère à qui la Cour d’appel demande de l’aide, le cas échéant, pour faire enquête sur des questions pertinentes au règlement d’un appel et à la prévention d’erreurs judiciaires. Entre 1997 et 2017, la Cour d’appel anglaise a adressé 95 requêtes à la commission anglaise pour enquêter sur des questions en vertu de l’article 15 de la Criminal Appeal Act 1995. La Commission anglaise a enquêté sur un éventail de questions, notamment sur des irrégularités présumées du jury, des fautes présumées de la police, des rétractations de témoins et d’autres suspects potentiels. La commission a mené ces enquêtes en priorité, même si la Cour d’appel n’a souvent « aucune idée de la quantité de travail nécessaire pour mener une enquête approfondie et minutieuse »note de fin d’ouvrage 387.
Ainsi, les demandes imprévisibles que 13 cours d’appel provinciales et territoriales pourraient faire à la commission mettent en lumière encore une fois la difficulté de déterminer un budget adéquat. C’est une autre raison pour laquelle la commission a besoin d’un budget de fonds renouvelable adéquat.
Il est important de donner à la nouvelle commission le pouvoir d’aider les cours d’appel pour qu’elle puisse contribuer à la réforme systémique d’un système d’appel qui n’a pas reconnu des erreurs judiciaires dans le passé et qui pourrait en laisser filer davantage à l’avenir compte tenu des limites de l’aide juridique et de l’importance de l’efficacité.
Capacité de renvoyer des questions systémiques et possiblement des affaires disciplinaires
Option 1 : Aucun pouvoir de renvoi conféré par la loi
Aucune commission n’a la compétence légale de renvoyer des affaires à des entités ou des pouvoirs publics autres que les tribunaux.
Option 2 : Pouvoir conféré par la loi de renvoyer des questions systémiques et des affaires disciplinaires à d’autres entités
La commission anglaise a récemment renvoyé à un comité parlementaire certains problèmes systémiques découlant d’une série d’erreurs judiciaires liées à un système informatique défectueux. Elle a aussi collaboré avec les barreaux et les procureurs sur un ensemble de renvois où des personnes avaient plaidé coupables d’être en situation irrégulière dans le pays, même si elles pouvaient se défendre en invoquant le statut de réfugié.
Ce que nous avons entendu
Les personnes exonérées ont dit se sentir désillusionnées par ce qu’elles considèrent une absence de responsabilité des participants du système de justice pénale à qui elles imputent leurs condamnations injustifiées. On peut comprendre que ce manque de responsabilité qui les a menées à une condamnation injustifiée et à purger de lourdes peines d’emprisonnement les a profondément affectées.
Les personnes consultées en Angleterre ont avancé que le renvoi de mesures systémiques par la commission contribuerait à remédier certaines des causes systémiques d’erreurs judiciaires sans pour autant surcharger la commission.
Recommandations 48 et 49
Nous pensons qu’il est extrêmement important que la commission proactive et systémique que nous envisageons soit en mesure de faire des renvois et des représentations au ministère de la Justice, à la Commission du droit du Canada, à la Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada, et à d’autres organismes sur des questions qu’elle estime pertinentes à l’exécution de son mandat afin de mieux comprendre ces problèmes systémiques et d’aider à prévenir les erreurs judiciaires.
Nous convenons également qu’il faudrait que la loi confère des pouvoirs explicites à la commission afin qu’elle puisse renvoyer une inconduite possible issue d’une affaire à l’organisme de réglementation approprié, y compris les barreaux, les organismes d’enquête spéciale ou de traitement des plaintes policières, les organismes de réglementation médicolégale et les conseils fédéral et provinciaux de la magistrature. Bien que cela ne garantisse pas l’imputabilité, cette mesure répond aux préoccupations compréhensibles et fondées des personnes exonérées quant au manque d’imputabilité des participants du système de justice pénale qui ont contribué à des erreurs judiciaires.
M. Réinsertion sociale et indemnisation
La nouvelle commission et la réinsertion sociale
Option 1 : La commission devrait soutenir la réinsertion sociale des demandeurs pendant les processus de demande et de renvoi, et après leur libération ou l’annulation de leur condamnation
Dans l’affaire Kyle Unger, condamné à tort, le juge qui lui a accordé une remise en liberté sous caution dans l’attente de la décision ministérielle a observé :
[Traduction] « Je recommanderais fortement, et en fait je m’attends à ce que le gouvernement mette à la disposition de M. Unger et de sa famille des services de conseil appropriés s’il est libéré, afin de s’assurer que sa réinsertion sociale soit aussi harmonieuse et réussie que possible, car ce serait terrible et une nouvelle victimisation de M. Unger, un homme possiblement innocent, s’il ne recevait pas au moins le même degré de soutien à la réinsertion sociale que celui dont bénéficient les personnes coupables. Il s’avèrerait très injuste si le gouvernement mettait fin aux services de soutien et d’utiliser ensuite cette raison pour garder M. Unger en prison »note de fin d’ouvrage 388.
Option 2 : La commission ne devrait pas fournir de soutien à la réinsertion sociale ou prendre part à l’indemnisation
Aucune des commissions étrangères ni le GRCC du Canada ne fournissent de soutien financier aux demandeurs remis en liberté grâce à leurs efforts. Certaines commissions verraient un tel soutien comme une preuve du manque d’indépendance et d’impartialité de la commission. En Angleterre, la CCRC peut orienter les personnes dont elle a renvoyé le dossier à une cour d’appel vers un service de soutien spécialisé en cas d’erreurs judiciaires, service géré par le Bureau de conseil aux citoyens des cours royales de justice et financé par l’État. Le bureau peut aider les demandeurs de la CCRC à obtenir un logement, des soins de santé et des avantages sociauxnote de fin d’ouvrage 389.
Ce que nous avons entendu
Plusieurs personnes exonérées nous ont dit qu’elles ont vécu des difficultés après leur libération. Elles n’ont pas reçu de soutien financier ni d’aide au logement ou à la formation dont elles avaient besoin et qui sont parfois accessibles aux contrevenants qui obtiennent une libération conditionnelle. Ce constat semble fondamentalement injuste. Il s’agit d’un autre exemple où le système actuel rend à nouveau victimes les personnes ayant subi une condamnation injustifiée.
Win Wahrer, Gavin Wolch et Lori Kuffner nous l’ont rappelé avec éloquence que :
[Traduction] Lorsque le rêve de liberté d’une personne condamnée à tort devient enfin une réalité, elle connaît un réveil brutal : il n’existe aucune institution canadienne pour les aider à se remettre sur pied. Ces personnes quittent souvent la prison sans aucun moyen de subsistance, sans foyer, sans crédit, et portent le fardeau d’un traumatisme qui va au-delà de l’incarcération […] Et on s’attend à ce qu’elles fonctionnent en société, gagnent leur vie et subviennent à leurs besoins comme si de rien n’était. Lorsqu’une personne condamnée à tort recouvre sa liberté, elle n’est pas encore librenote de fin d’ouvrage 390.
Ils ont proposé la création d’un comité composé d’au moins une personne condamnée injustement, et dont les membres représenteraient également « la diversité des genres, raciale, linguistique, géographique et économique du Canada, avec une place réservée expressément aux voix autochtones. » Ce comité examinerait les demandes et distribuerait les nécessités de la vie aux victimes d’erreurs judiciaires qui n’ont pas encore reçu d’indemnisation ou qui pourraient ne pas en recevoir.
Nicole Porter, spécialiste en réadaptation qui donne bénévolement de son temps et travaille avec David Milgaard pour aider les personnes condamnées à tort, a indiqué que les victimes d’erreurs judiciaires ont besoin d’un logement abordable, d’une formation en milieu de travail, d’une aide juridique pour récupérer la garde des enfants et d’autres formes de soutien dès leur libérationnote de fin d’ouvrage 391. Comme bien d’autres, Nicole Porter a précisé qu’il n’existe aucun programme à l’heure actuelle qui offre ces nécessités de la vie aux victimes d’erreurs judiciaires au Canada.
La plupart des personnes consultées nous ont dit que la nouvelle commission devrait être en mesure d’offrir aux victimes d’erreurs judiciaires des services de counselling, d’aide financière, d’aide en matière de santé et de soins dentaires, d’aide au logement et d’aide à l’emploi. Certains ont rappelé que la commission Goudge avait veillé à rendre disponible gratuitement un conseiller compétent et expérimenté aux victimes d’erreurs judiciaires causées par Charles Smith pendant la procédure d’enquête. On a considéré un tel soutien comme étant approprié même si certaines de ces victimes d’erreurs judiciaires n’avaient pas bénéficié d’un recours judiciaire au moment où elles ont reçu les services du conseillernote de fin d’ouvrage 392.
Les représentants de la commission de la Caroline du Nord ont indiqué souhaiter qu’une personne au sein de leur commission qui n’est pas juriste et qui fournit un soutien aux victimes d’actes criminels puisse également à l’avenir fournir un soutien aux demandeurs, dont des personnes exonérées. Une approche logique, puisque les victimes d’actes criminels et les personnes exonérées sont toutes deux victimes des échecs du système de justice pénale.
Certains pourraient faire valoir que le soutien aux demandeurs va à l’encontre de la nature indépendante et impartiale de la commission, en particulier lorsqu’un demandeur reçoit un soutien avant d’avoir obtenu une décision judiciaire définitive. À titre d’exemple, les représentants de la commission anglaise ont indiqué que leurs travailleurs en service social individualisé ont un rôle indépendant et ne peuvent servir de personne de soutien aux demandeurs. Par ailleurs, les représentants de la commission de la Caroline du Nord ont souligné que leur personne de soutien aux victimes d’actes criminels travaille indépendamment des personnes qui enquêtent sur des affaires.
Le Bureau de conseil aux citoyens des cours royales de justice soutient les demandeurs lorsque la CCRC effectue un renvoi à la cour d’appel, et ce, avant que le demandeur ne reçoive un recours judiciaire. Ce soutien comprend de l’aide à se procurer des nécessités de la vie comme un logement, des soins de santé et des prestations sociales. Le ministère de la Justice de l’Angleterre finance ce bureau, mais celui-ci opère indépendamment du ministèrenote de fin d’ouvrage 393. L’Association du Barreau canadien appuie un programme semblable au Canada afin de fournir [traduction] « des services de counselling, une représentation juridique dans les procédures civiles, un logement et autres nécessités de la vie » pour que les personnes qui reçoivent un recours de la nouvelle commission puissent « se remettre sur pied »note de fin d’ouvrage 394.
Heidi Illingworth, l’ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels, a déclaré que [traduction] « les demandeurs dont le cas franchit l’examen initial pour passer à la phase d’enquête bénéficieront d’un soutien en matière de santé mentale, de soins de santé, d’aide juridique et de la communauté[…] La nouvelle commission devrait fournir ce soutien aux demandeurs et les orienter pendant que la commission examine leur dossier et après […] il faut s’assurer que les travailleurs en service social individualisé et les avocats de la commission fassent preuve d’humilité culturelle, soient informés des traumatismes et disposent d’options appropriées aux personnes autochtones, noires et de couleur (PANDC). » Elle ajoute que les « aînés autochtones constituent aussi une ressource précieuse […] Ils devraient être valorisés en tant que soutien aux victimes et aux contrevenants autochtones – et être rémunérés pour ce soutien et cette expertise »note de fin d’ouvrage 395.
Jonathan Rudin, du Aboriginal Legal Services, a signalé que tout soutien à la réinsertion doit avoir une pertinence culturelle. Selon lui, la commission devrait passer des contrats avec des organismes communautaires pour fournir un soutien aux demandeurs. L’ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels nous a informés qu’un [traduction] « cadre législatif pourrait également être nécessaire pour s’assurer que les organismes communautaires désignés reçoivent un financement adéquat pour fournir des ressources » et contribuer à l’intégrationnote de fin d’ouvrage 396.
David Milgaard a souligné l’importance d’une démarche bienveillante pour la réinsertion des personnes condamnées à tort qui ont [traduction] « déjà été déçues une fois par le système de justice. Les laisser tomber une seconde fois n’est pas une option négociable »note de fin d’ouvrage 397.
Recommandation 50
Nous recommandons que la nouvelle commission fournisse le soutien nécessaire aux demandeurs pendant le processus de demande et après leur libération, comme décrit dans l’option 1. La commission proactive et systémique que nous envisageons ne tournerait pas le dos aux demandeurs, que ce soit pendant le processus de demande ou après leur libération. Nous sommes convaincus, compte tenu de ce que nous avons entendu, qu’il existe un besoin de services de counselling, de soutien et de bienveillance pour composer avec le stigmatisme injuste et immérité d’une condamnation injustifiée.
La commission devrait avoir un mandat législatif la chargeant d’aider les demandeurs au cours du processus de la commission et d’appel, et également après la libération ou l’annulation de la condamnation. Pour être cohérents avec la volonté de laisser à la nouvelle commission la liberté d’établir ses politiques, nous lui laisserions le soin de déterminer de quelle manière et sous quelle forme apporter un soutien. La suggestion de Win Wahrer d’Innocence Canada, soit de nommer un comité composé de représentants diversifiés, dont une personne condamnée à tort, pour examiner les demandes de soutien financier temporaire présentées par les personnes dont on a retenu la demande, mérite qu’on s’y attarde. La suggestion de Jonathan Rudin selon laquelle la commission devrait passer un contrat avec des groupes communautaires qui disposent de compétences culturelles pour apporter un soutien temporaire mérite également notre attention.
L’approche du système anglais est aussi souhaitable : son bureau d’assistance financé par l’État guide les demandeurs de la CCRC en matière de prestations et de programmes de logement existants. Une étude auprès de plus de 60 demandeurs de la CCRC que le Bureau a conseillé a révélé que si les trois quarts des personnes condamnées à tort avaient un emploi avant leur condamnation injustifiée, seul un tiers d’entre elles en avaient un après leur libération. Le bureau a aidé 80 % des demandeurs de la CCRC à se trouver un logement, et 94 % d’entre eux à obtenir des prestations publiquesnote de fin d’ouvrage 398. Ce constat laisse entendre que le soutien aux personnes condamnées à tort se traduit souvent par un accès aux soutiens existants. Les personnes condamnées à tort peuvent également avoir besoin d’aide pour trouver les soutiens existants dans la communauté.
Nos conversations avec les personnes exonérées nous ont convaincus que seules les personnes qui ont vécu une erreur judiciaire peuvent réellement comprendre les défis uniques des personnes condamnées à tort. Les condamnations injustifiées engendrent sans contredit une méfiance profonde et des torts multigénérationnels. Il convient de tenir compte des torts distincts causés par les condamnations injustifiées et des défis linguistiques, éducatifs, de santé mentale et autres que les demandeurs doivent confronter. Une telle approche rejoint aussi, à notre avis, les recommandations de l’Association du Barreau canadien quant à la nécessité d’un soutien holistique pour les demandeurs.
La commission et l’indemnisation
Option 1 : La commission devrait prendre part au processus d’indemnisation des personnes condamnées à tort
On a soulevé certaines préoccupations quant au fait que même lorsque les victimes d’erreurs judiciaires obtiennent un recours de la commission, puis des tribunaux, elles ont souvent du mal à obtenir une indemnisation après leur sortie de prison et doivent entreprendre ou menacer d’entreprendre des poursuites contre les gouvernements.
Option 2 : La commission ne devrait pas prendre part au processus d’indemnisation des personnes condamnées à tort
Aucune des commissions étrangères ne joue un rôle dans l’indemnisation des personnes condamnées à tort.
Option 3 : Il devrait y avoir un cadre législatif distinct pour traiter des questions d’indemnisation
En tant que signataire du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), le Canada est tenu de respecter l’article 14(6), soit d’indemniser les victimes d’erreurs judiciaires qui ont reçu une condamnation lorsqu’un fait nouvellement découvert démontre de manière concluante qu’il y a eu erreur judiciaire ou qui voient leur condamnation annulée en appel grâce à de nouvelles preuves. En 2011, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a estimé que le Canada contrevenait à cette obligationnote de fin d’ouvrage 399. Le Canada n’a toutefois pas suivi l’exemple du Royaume-Uni ou de plusieurs états américains qui ont adopté un cadre législatif pour l’indemnisation.
Ce que nous avons entendu
Peu de personnes consultées voient un rôle pour la commission en ce qui a trait à l’indemnisation. Nigel Marshman du GRCC et James Lockyer, ont tous deux indiqué que la nouvelle commission ne devrait pas s’occuper de l’indemnisation puisque la prise en compte des conséquences financières pourrait être une source de distraction et avoir un impact négatif sur la décision concernant un renvoi. Le juge MacCallum, qui a mené l’enquête sur la condamnation injustifiée de David Milgaard, partage cet avis. Il a conclu [traduction]: « Il s’agit d’une erreur d’essayer d’utiliser un processus pénal comme véhicule pour obtenir des déclarations d’innocence factuelle afin de jeter les bases d’une demande d’indemnisation. Ni le souhait de la personne condamnée à tort de recevoir une indemnisation ni le souhait des autorités d’éviter le paiement ne doivent entraver le processus d’examen des condamnations[…] La préoccupation fondamentale du processus d’examen des condamnations doit demeurer le retour à la liberté d’une personne condamnée à tort et emprisonnée »note de fin d’ouvrage 400.
Robert Baltovich et d’autres personnes exonérées ont rapporté que les batailles longues et accusatoires en vue d’une indemnisation constituent pour elles une « nouvelle victimisation », un obstacle inutile et cruel à leur réinsertion dans la société. Les professeurs Kathryn Campbell et Myles McLellan ont tous deux avancé qu’il faudrait revoir les lignes directrices fédérales-provinciales émises en 1988 et les remplacer par un cadre législatifnote de fin d’ouvrage 401. Sean MacDonald et Ruth van Vierzen ont indiqué qu’il pourrait y avoir un régime qui répartit le fardeau de l’indemnisation entre les divers organismes responsables. Sean MacDonald et James Lockyer ont toutefois mis en garde qu’un nouveau régime d’indemnisation ne devrait pas exclure la possibilité d’intenter des procès en dommages-intérêts au civil ou en vertu de la Charte pour les victimes qui veulent s’engager dans un tel litigenote de fin d’ouvrage 402.
Michel Dumont et son épouse Solange Tremblay nous ont exhortés à ne pas ignorer la question de l’indemnisation. M. Dumont a passé 34 mois en prison avant que sa condamnation injustifiée pour agression sexuelle soit annulée et que la Cour d’appel du Québec l’acquitte en 2001. Il a ensuite entamé une procédure civile afin d’obtenir une indemnisation pour ce qu’il a subi. Il nous a confié avoir dépensé plus de 40 000 $ en frais juridiques, et avoir perdu son domicile en conséquence. Son litige civil en dommages et intérêts fut rejeté en 2009, une décision maintenue par la Cour d’appel du Québec en 2012. Les tribunaux ont estimé que M. Dumont n’avait pas établi la faute nécessaire à l’octroi de dommages et intérêts. Ils ont également conclu que la Charte n’intègre pas l’article 14(6) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP)note de fin d’ouvrage 403.
M. Dumont n’était naturellement pas satisfait de l’absence d’une indemnisation pour sa condamnation injustifiée. Les Nations Unies lui ont donné raison. En 2010, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a estimé que le Canada avait enfreint son droit à un recours efficace et son droit à une indemnisation en vertu de l’article 14(6) du PIDCPnote de fin d’ouvrage 404. Le Comité a conclu « qu’aucune procédure dans l’État partie ne permet en cas d’acquittement de la personne poursuivi de provoquer une nouvelle enquête en vue de réviser l’affaire et éventuellement identifier le vrai coupable »note de fin d’ouvrage 405. Le Comité des droits de l’homme a précisé que le Canada avait fait valoir que la preuve de l’innocence factuelle était nécessaire pour justifier une indemnisation, mais qu’il s’opposait à ce point de vue, précisant qu’il pouvait entrer en conflit avec la présomption d’innocencenote de fin d’ouvrage 406.
Michel Dumont et Solange Tremblay nous ont confirmé, onze ans plus tard, que le Canada ne leur avait toujours pas versé d’indemnisation ni adopté une mesure législative pour intégrer ses obligations en vertu de l’article 14(6) du PIDCP dans son droit interne. Il s’agit d’une situation honteuse et nous demandons au ministre de la rectifier.
Recommandation 51
Bien que la commission ne doive pas participer à l’indemnisation des personnes condamnées injustement pour les torts que l’État leur a fait subir, nous pensons qu’il faut adopter un régime d’indemnisation sans égard à la faute selon l’option 3. Nous pensons également qu’il faut exclure la preuve de l’innocence factuelle comme l’exigent les lignes directrices fédérales-provinciales-territoriales (FPT) de 1988. On a proposé un critère d’innocence factuelle lors de la rédaction du PIDCP, pour ensuite le rejeternote de fin d’ouvrage 407. L’article 14(6) du PIDCP se rapporte aux erreurs judiciaires qui comprennent, mais sans s’y restreindre, la condamnation de personnes innocentes dans les faits. Voilà une autre raison pour laquelle nous nous en sommes tenus aux erreurs judiciaires dans le présent rapport.
Une nouvelle loi canadienne devrait également, à notre avis, faire abstraction des lignes directrices FPT de 1988 qui exigent soit un pardon absolu, soit un acquittement prononcé par une cour d’appel. Étant donné que le ministre de la Justice a ordonné un nouveau procès dans huit cas sur 20 depuis 2003, une telle exigence restreint l’accès à l’indemnisation d’une manière arbitraire, exagérée et grossièrement disproportionnée.
Nous pensons que la nouvelle loi devrait intégrer l’article 14(6) du PIDCP et lier le droit à l’indemnisation à des faits nouvellement découverts après qu’une personne ait été définitivement condamnée et qui démontrent de manière concluante qu’il y a eu erreur judiciaire. Ce critère repose sur des erreurs judiciaires qui mènent à des condamnations injustifiées.
L’article 14(6) stipule qu’il n’y a pas de droit à réparation si l’accusé ne divulgue pas des faits qui révèlent une erreur judiciaire. Nous pensons qu’il faut interpréter cette référence de manière restrictive étant donné nos connaissances croissantes sur les condamnations injustifiées qui reposent sur un plaidoyer de culpabilité et le principe général selon lequel ceux qui ont subi une erreur judiciaire ne devraient pas avoir à payer les erreurs de leurs avocats ou les erreurs qu’ils n’auraient raisonnablement pas pu éviternote de fin d’ouvrage 408. La Cour suprême du Royaume-Uni a d’ailleurs restreint l’interprétation d’une disposition similaire codifiée en droit interne : [traduction] « Bon nombre de personnes traduites en justice pénale sont illettrées, mal éduquées, souffrent d’une forme de handicap mental, ou ont des capacités intellectuelles limitées. Une personne condamnée à tort ne devrait pas être pénalisée si sa condamnation est imputable à l’un de ces éléments »note de fin d’ouvrage 409.
Les recherches indiquent que bien que l’on ait reconnu plus de 70 cas de condamnation injustifiée au Canada, seulement environ 45 % d’entre eux ont reçu une indemnisation. On estime à 37 millions de dollars le montant total des indemnisationsnote de fin d’ouvrage 410. Le ministère fédéral de la Justice paie sa part habituelle de 50 % de l’indemnisation des personnes condamnées à tort à partir de ses surplus de fins d’année; il n’a généralement pas à s’adresser au Conseil du Trésor pour obtenir des fonds supplémentaires. Il s’avère donc que le fardeau financier que représente la responsabilité de l’État pour l’indemnisation des victimes d’erreurs judiciaires, comme l’exige l’article 14(6), ne devrait pas être trop lourd. Le paiement d’une telle indemnisation sans égard à la faute ne devrait pas empêcher la victime d’une erreur judiciaire d’entamer des poursuites contre toute partie concernée en vertu des principes de la faute de la responsabilité civile ou délictuelle du droit civil ou en vertu de la Charte. De même, les tribunaux ne doivent pas permettre un double recouvrement lorsque les victimes d’erreurs judiciaires intentent un procès, comme elles en ont le droitnote de fin d’ouvrage 411.
L’honorable Sydney Robins a constaté qu’il n’existe pas de recours civils d’indemnisation pour les condamnations injustifiées au Canada. Il a fait remarquer que la plupart des paiements à titre gracieux que les gouvernements ont effectués s’écartent des lignes directrices FPT de 1988 sur l’indemnisation, restrictives et désuètes, et qui exigent une preuve d’innocence factuelle, qui plafonnent les dommages non monétaires et qui limitent l’indemnisation aux membres de la famille. Il a recommandé l’indemnisation de Steven Truscott et de son épouse, même si M. Truscott a dû faire face à « des obstacles insurmontables pour établir son innocence factuelle »note de fin d’ouvrage 412. Tout comme le cadre de révision ministérielle, le régime d’indemnisation canadien est de nature réactive, opaque et ne semble pouvoir répondre qu’aux cas les plus flagrants.
Il faudrait éliminer l’exigence d’une preuve d’innocence factuelle pour l’indemnisation étant donné la difficulté d’établir l’innocence factuelle dans les cas sans analyses d’ADNnote de fin d’ouvrage 413. Nous pensons également que le gouvernement fédéral devrait abandonner le plafond des dommages non monétaires prévu dans les lignes directrices de 1988, de même que les restrictions à l’indemnisation des familles des victimes d’erreurs judiciaires. La grande chambre de la Cour européenne de justice a déclaré, dans son interprétation de l’article 3 du Protocole 7 de la Convention européenne des droits de l’homme que le fondement de l’article « n’est pas simplement de couvrir toute perte financière causée par une condamnation à tort, mais également de fournir à une personne condamnée à la suite d’une erreur judiciaire une réparation pour tout dommage moral subi, tel que le sentiment de détresse ou d’angoisse, les désagréments divers et la dégradation de la qualité de vie »note de fin d’ouvrage 414.
Myles Frederick McLellan a récemment incité le Canada à adopter un cadre juridique pour l’indemnisation qui n’exige pas la preuve de l’innocence factuelle et qui n’exclut pas les actions civiles. Il fait remarquer que les démocraties libérales comme le Canada se font un point d’honneur, même en l’absence d’un mandat constitutionnel, de prendre des dispositions pour l’indemnisation de l’innocence qui vont bien au-delà de la poursuite coûteuse des litiges contre l’État et de l’environnement « à titre gracieux » très secret et inadéquat qui exige l’exercice insaisissable de la prérogative royale de clémencenote de fin d’ouvrage 415.
Un sondage sur l’opinion publique mené en 1995 a rapporté que 90 % des Canadiens sont favorables à l’indemnisation des personnes condamnées à tortnote de fin d’ouvrage 416.
Un cadre juridique pour l’indemnisation ne devrait pas se limiter à verser de l’argent pour le nombre d’années passées en prison. Il pourrait également fournir des conseils et de l’aide en matière d’emploi et d’éducation, ainsi que d’autres éléments propices à la réinsertion socialenote de fin d’ouvrage 417. Cette approche fournirait un soutien à la réinsertion sociale à plus long terme que ceux fournis par la nouvelle commission comme envisagé dans la recommandation ci-dessus.
Compte tenu de ce que l’on nous a dit sur le coût relativement faible de l’indemnisation des personnes condamnées à tort et des obligations internationales du Canada, nous pensons que le gouvernement fédéral devrait prendre l’initiative sur cette question et ne plus insister sur les accords ou le partage des coûts avec les provinces. Cela éviterait également d’avoir à obtenir une entente ou le soutien des provinces pour un nouveau cadre juridique pour l’indemnisation sans égard à la faute pour les victimes d’erreurs judiciaires.
S’il survenait des problèmes à l’adoption d’un cadre juridique sur l’indemnisation sans égard à la faute de l’option 3 afin de mettre en œuvre l’article 14(6) du PIDCP, nous pensons qu’il faudrait établir sans tarder la nouvelle commission dotée de la capacité de soutenir les demandeurs pour aider à leur réinsertion sociale. En l’absence de réformes permettant le versement rapide d’indemnisations aux victimes d’erreurs judiciaires, le financement de la commission sera encore plus important pour offrir un soutien nécessaire et holistique à la réinsertion sociale.
Conclusion
Au cours des 30 dernières années, la sensibilisation au danger des erreurs judiciaires s’est accrue au Canada et dans le monde. Lors de nos consultations, bon nombre de personnes condamnées à tort nous ont demandé de nous souvenir de Donald Marshall, fils. Le regretté M. Marshall, fils, fut condamné à tort pour un meurtre et placé au pénitencier Dorchester à niveau de sécurité maximale alors qu’il était un jeune Mi’kmaq de 17 ans. Il a purgé 11 ans pour un meurtre qu’il n’avait pas commis. Sa libération et son éventuelle exonération servent toujours de lueur d’espoir et de source d’inspiration pour les personnes condamnées à tort, même si la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a pris, en 1982, la décision déraisonnable de tenter de faire porter le blâme à M. Marshall pour sa propre condamnation injustifiée. Tout comme le phénix représenté sur notre logo, Donald Marshall, fils, s’est relevé de sa condamnation injustifiée. Il a par la suite remporté une cause historique sur les droits de pêche issus de traités pour son peuple, les Mi’kmaqnote de fin d’ouvrage 418.
Aucune des nombreuses personnes consultées – victimes d’actes criminels, intervenants du système de justice pénale, dont des représentants des corps policiers, des procureurs, des avocats de la défense, de la magistrature, des Projets Innocence et des personnes exonérées – ne s’oppose à la création d’un nouvel organisme indépendant du gouvernement qui remplacerait le ministre fédéral de la Justice afin d’évaluer les demandes de recours pour des condamnations injustifiées.
Parallèlement, le groupe FTP des chefs des poursuites pénales et quelques autres groupes favorisent une commission réactive qui répond à ceux qui sont en mesure de faire une demande fondée sur l’innocence factuelle dans des affaires graves. On nous a prévenus qu’un mandat plus large et une démarche plus proactive mettraient à rude épreuve les ressources de la police et des procureurs, et nuirait aux victimes d’actes criminels.
S’il est dangereux de demander à la commission d’en faire trop, il est encore plus dangereux de lui demander d’en faire trop peu. Le fait que le ministre de la Justice ait accordé 20 renvois depuis 2003, tous à des hommes (dont un seul homme autochtone et un seul homme noir), ne reflète pas la population à risque de condamnations injustifiées compte tenu de la surreprésentation des autochtones et des noirs dans les prisons canadiennes.
Si nous voulons que la nouvelle commission constitue une amélioration, nous pensons qu’elle doit adopter une approche différente et plus proactive que le système réactif actuel, qui repose toujours sur la prérogative royale de clémence. Les commissions et les tribunaux canadiens ont documenté les limites du système réactif actuel au cours des trois dernières décennies. Nous pensons que le ministre de la Justice a pris la bonne décision en abandonnant le système de révision ministérielle souvent critiqué.
Nos consultations nous ont convaincus que le gouvernement doit effectuer trois choix politiques fondamentaux : 1) la nouvelle commission doit être proactive et systémique, et ne pas poursuivre une approche réactive aux erreurs judiciaires; 2) la commission doit se préoccuper de la correction et de la prévention de toutes les erreurs judiciaires, y compris, mais sans s’y restreindre, la condamnation de personnes innocentes dans les faits; et 3) la commission indépendante doit avoir un financement adéquat et être traitée avec respect par le gouvernement et sans lien de dépendance, comme c’est le cas avec la magistrature.
La nouvelle commission devait avoir une orientation proactive avec vue d’ensemble sur le système, et ne pas être réactive, détachée ou ne pas offrir de soutien aux demandeurs. Elle devrait se livrer à des activités de proximité auprès des demandeurs potentiels et soutenir les demandeurs. Nous ne pensons pas que cette démarche soit incompatible avec le rôle indépendant et impartial de la commission, dans ses décisions de renvoyer ou non devant les tribunaux une affaire où une erreur judiciaire a pu se produire.
Il faudrait intégrer un souci d’égalité important dans le cadre juridique qui établit la commission par le biais de principes juridiques d’égalité et de non-discrimination. Il faudrait également imposer une exigence de publication, dans un rapport annuel, des caractéristiques personnelles des demandeurs et de ceux qui reçoivent un recours de la commission, comparées aux données disponibles concernant ces mêmes caractéristiques dans la population générale et dans la population carcérale.
La commission doit étendre l’accès à la justice aux personnes condamnées à tort de manière non discriminatoire. À cette fin, la loi devrait prévoir un minimum de neuf commissaires, dont un tiers détient une formation juridique, un tiers possède une expertise dans les causes et les conséquences des erreurs judiciaires, et un tiers provient de groupes qui sont surreprésentés en milieu carcéral et désavantagés lorsqu’il s’agit d’obtenir réparation d’une erreur judiciaire. Il devrait y avoir au moins une personne autochtone et une personne noire, ainsi qu’une représentation équitable de femmes au sein de la commission.
Un autre choix politique fondamental est que la commission doit s’intéresser à toutes les erreurs judiciaires, y compris, mais sans s’y restreindre, à la condamnation de personnes innocentes dans les faits. Le système actuel de révision ministérielle a le mandat d’examiner toutes les erreurs judiciaires, y compris les cas où il y a d’importantes raisons de douter de la validité d’une condamnation même s’il est impossible d’établir l’innocence factuelle. Le système actuel permet également au ministre de la Justice d’examiner de nouvelles questions d’importance qui soulèvent des préoccupations au sujet des désignations de délinquants dangereux et de délinquants à contrôler. Nous pensons que la nouvelle commission devrait continuer à avoir compétence sur ces cas, de même que sur les verdicts de non-responsabilité criminelle. Nous pensons également que la commission devrait être en mesure de renvoyer les peines devant les tribunaux (comme le font la plupart des autres commissions), mais uniquement lorsque de nouveaux éléments d’importance indiquent que la peine qu’un demandeur purge toujours peut provenir d’une erreur judiciaire.
Le fait de mettre l’accent sur les erreurs judiciaires a l’avantage d’harmoniser les préoccupations de la nouvelle commission aux motifs d’appel existants. Mais, à notre avis, la commission doit se faire son propre jugement sur la question à savoir si une erreur judiciaire a pu se produire contrairement au critère actuel qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite. Le critère de renvoi que nous recommandons, soit qu’une erreur judiciaire a pu se produire, correspond mieux aux pratiques de commissions étrangères similaires. Cette approche devrait permettre de s’assurer que la nouvelle commission, contrairement au ministre de la Justice, n’adopte pas une pratique d’aversion au risque consistant à ne renvoyer que des affaires qui sont presque toujours annulées par les cours d’appel ou qui ne font pas l’objet d’une nouvelle poursuite lors de l’ordonnance d’un nouveau procès. La nouvelle commission, tout comme le ministre de la Justice dans le système actuel, ne devrait pas tenter de prédire ce que les tribunaux feront dans les affaires qu’elle leur renvoie. Nous ajoutons que notre compréhension même de ce qui constitue une erreur judiciaire peut évoluer à mesure que l’on découvre de nouvelles injustices qui entachent les condamnations et les peines.
Nous croyons également que la nouvelle commission, à l’instar du ministre de la Justice à l’heure actuelle, devrait avoir l’option d’ordonner un nouveau procès, d’ordonner un nouvel appel et de renvoyer les affaires devant une cour d’appel. Les cours d’appel auraient également la possibilité de demander à la commission, le cas échéant, de mener une enquête pour l’aider à résoudre certains appels. La Cour d’appel anglaise utilise des pouvoirs semblables dans le cadre de la loi qui a créé sa commission. Nous pensons que les enquêtes de la nouvelle commission pourraient contribuer à prévenir les erreurs judiciaires et améliorer la résolution des appels grâce à des enquêtes impartiales et indépendantes pour pallier les vulnérabilités d’un système accusatoire, notamment celles engendrées par une diminution de l’aide juridique.
Tout au long de nos consultations, nous avons entendu des préoccupations relatives au financement insuffisant d’une nouvelle commission et des mises en garde selon lesquelles elle ne devrait donc pas être surchargée. Les inquiétudes concernant le financement insuffisant sont bien fondées, compte tenu de l’expérience de sous-financement de la commission anglaise et du fait que la commission néo-zélandaise a reçu le double du nombre de demandes qu’elle avait anticipées.
Les préoccupations relatives au financement insuffisant ne supposent pas la mauvaise foi des gouvernements. Elles reflètent simplement la difficulté de prévoir le nombre et la complexité des demandes et des autres requêtes de service que la nouvelle commission recevra au cours d’une année. Nous avons appris que le GRCC actuel a pu faire face aux récentes augmentations du nombre de demandes grâce à l’embauche d’avocats supplémentaires et à la délégation des enquêtes à des agents embauchés à cette fin parce qu’il a accès à un budget de fonds renouvelable. Nous croyons que cette approche du financement est appropriée et nécessaire, mais nous craignons qu’une nouvelle commission indépendante soit, de manière perverse, plus vulnérable au sous-financement que l’actuelle révision ministérielle du GRCC.
Le gouvernent ne devrait pas traiter la nouvelle commission indépendante comme une petite agence administrative; elle devrait plutôt être soumise au même traitement que la magistrature indépendante. La nouvelle commission doit disposer de financement adéquat. Comme le GRCC, la nouvelle commission devrait avoir accès à un budget de fonds renouvelable que le Service administratif des tribunaux judiciaires, qui obtient et administre le budget des tribunaux fédéraux, administrerait.
La commission détiendrait le pouvoir unique de renvoyer des affaires devant les tribunaux. À notre avis, il faudrait fixer le salaire des commissaires selon le même processus exigé par la Constitution dont fait l’objet le salaire des juges des cours supérieures. De plus, il devrait y avoir au moins neuf commissaires dotés d’un personnel adéquat. Le personnel devrait être composé d’avocats, d’enquêteurs, d’experts en sciences médicolégaleset de personnes qualifiées pour aider les demandeurs et les victimes d’actes criminels.
En outre, la commission devrait avoir le pouvoir d’établir ses propres politiques et priorités eu égard aux demandes qu’elle reçoit. La commission devrait faire l’objet d’examens parlementaires périodiques précédés d’évaluations indépendantes de la suffisance de son budget. La commission devrait disposer d’un comité consultatif pour l’aider à réaliser son mandat axé sur les problèmes systémiques et pour éviter le sous-financement. Toutefois, ce comité consultatif n’aurait pas pour rôle de décider des demandes individuelles.
La nouvelle commission devrait être aussi indépendante que possible du gouvernement, mais elle ne devrait pas pousser son indépendance au point où elle est détachée et ne soutient plus les demandeurs ou les demandeurs éventuels. Elle ne devrait pas rester neutre sur des questions systémiques dont les réponses pourraient éviter les dommages dévastateurs qui changent la vie d’une personne confrontée à une erreur judiciaire. Lorsque la commission dispose de preuves ou du pouvoir d’agir pour aider à prévenir les erreurs judiciaires, elle doit agir sans hésiter. Elle ne doit pas rester silencieuse.
La commission doit reconnaître que les demandeurs et les demandeurs potentiels peuvent avoir de bonnes raisons de se méfier du système judiciaire. Elle doit tenir compte de cette méfiance et des désavantages qui se chevauchent souvent et dont souffrent les victimes d’erreurs judiciaires.
La commission doit apporter son soutien à la fois aux demandeurs et aux victimes d’actes criminels aux prises avec une erreur judiciaire. Elle doit être ouverte, bienveillante, courageuse et engagée en faveur de la justice. Elle ne doit pas être fermée, défensive, bureaucratique ou avoir une aversion au risque. Elle doit être financée adéquatement. Comme David Milgaard nous l’a dit, lorsque le système de justice a échoué et a fait du tort à des personnes, il n’est « pas négociable » qu’il échoue à nouveau et fasse plus de tort aux mêmes personnes.
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