COMITÉ FPT DES CHEFS DES POURSUITES PÉNALES
RAPPORT SUR LA PRÉVENTION DES ERREURS JUDICIAIRES
5. L'IDENTIFICATION PAR TÉMOIN OCULAIRE ET LES TÉMOIGNAGES CONNEXES
- Introduction
- Les commissions d'enquête canadiennes
- Le document de MacFarlane
- La jurisprudence
- Pratiques suggérées et recommandations
- Sommaire des recommendations
5. L'IDENTIFICATION PAR TÉMOIN OCULAIRE ET LES TÉMOIGNAGES CONNEXES
I. INTRODUCTION
Nul ne peut nier le profond impact qu'a dans un procès un témoin à charge qui déclare avec confiance et conviction que l'accusé est l'individu qu'il a vu commettre le crime dont il est question. L'expérience démontre toutefois qu'une erreur d'identification est bel et bien possible, et qu'elle donne lieu à la condamnation injustifiée d'une personne innocente sur le plan des faits. Le témoin oculaire le mieux intentionné, le plus honnête et le plus authentique peut se tromper, et cela est déjà arrivé[121].
Prenons l'exemple de Jennifer Thompson, une femme de la Caroline du Nord, violée à la pointe d'un couteau à l'âge de 22 ans, à l'époque où elle fréquentait le collège[122] :
[TRADUCTION] Durant cette épreuve, ma détermination s'est rapidement tournée, en partie, vers une nouvelle direction. J'ai étudié les moindres détails du visage du violeur. J'ai examiné la ligne de contour de sa chevelure; j'ai cherché une cicatrice, un tatouage, tout ce qui pourrait m'aider à l'identifier. Si je réussissais à survivre à l'agression, je ferais en sorte qu'il soit jeté en prison et qu'il y croupisse.
Lorsque je me suis présentée au service de police plus tard ce jour-là, je me suis efforcée, au mieux de mes capacités, de dresser un portrait-robot. J'ai examiné des centaines de nez, d'yeux, de sourcils, de lignes de contour de la chevelure, de narines et de lèvres. Plusieurs jours plus tard, en parcourant une série de photographies de la police, j'ai identifié mon agresseur. J'ai su que c'était lui. J'étais tout à fait confiante. J'étais sûre de moi.
J'ai identifié le même homme dans une parade d'identification. Là encore, j'étais sûre de moi. Je le savais. J'avais identifié le bon type, et celui-ci allait être jeté en prison. S'il était possible de le condamner à mort, je voulais qu'il meure. Je voulais que ce soit moi qui appuie sur le bouton.
Lorsque le procès a eu lieu, je me suis levée à la barre, j'ai posé la main sur la bible et j'ai juré de dire la vérité. Sur la foi de mon témoignage, Ronald Cotton a été condamné à une peine d'emprisonnement à perpétuité. Ce fut le jour le plus heureux de ma vie, car je pouvais enfin mettre une croix sur tout ce qui s'était passé.
Onze années plus tard, des analyses de nature génétique prouvèrent que Cotton n'était pas le violeur. Un autre homme plaida coupable plus tard. Selon l'Innocence Project de la ville de New York, sur les 130 premières disculpations après condamnation basées sur de nouvelles preuves de nature génétique, 101 (78 %) comportaient une erreur d'identification, ce qui en fait, de loin, le principal facteur[123]. Le danger que l'on associe à une identification faite en cour par un témoin oculaire est que cette preuve est trompeusement digne de foi, principalement parce qu'elle est honnête et sincère[124]. Si les moyens que l'on utilise pour obtenir une preuve d'identification comportent des actes quelconques qui pourraient raisonnablement porter préjudice à l'accusé, la « contamination » qui en résulte sera presque impossible à effacer, et la valeur de la preuve peut être partiellement ou totalement détruite[125].
L'identification positive d'un accusé est un aspect essentiel d'une infraction quelconque. Il s'agit d'un aspect fondamental du processus criminel. S'il est obtenu, préservé et présenté comme il faut, le témoignage d'un témoin oculaire qui lie directement l'accusé à la commission de l'infraction constitue probablement la preuve la plus importante de la partie poursuivante.
Les tribunaux reconnaissent les faiblesses des identifications par témoin oculaire, et cet aspect a donné lieu au fil des ans à de nombreuses décisions et opinions juridiques. Les récentes commissions d'enquête ont déterminé que les erreurs judiciaires sont principalement imputables à une identification erronée de la part de témoins oculaires. En outre, la façon dont on recueille les identifications par témoin oculaire est un facteur qui se répercute sur la validité de cette preuve. Le présent chapitre présente une série de suggestions, de lignes directrices et de recommandations pratiques à l'intention des organismes de police et des procureurs :
- pour servir de mesures de protection destinées à préserver l'intégrité, la qualité et la fiabilité des preuves d'identification;
- pour renforcer l'idée qu'il est possible d'engager avec confiance des poursuites fondées sur une identification par témoin oculaire;
- pour renforcer et préserver la crédibilité du processus d'enquête et d'instruction, tout en assurant et en préservant l'équité des procédures.
II. LES COMMISSIONS D'ENQUÊTE CANADIENNES
a) La Commission sur les poursuites contre Guy Paul Morin
Recommandation 101 - Les protocoles policiers en matière d'entrevue qui visent à rehausser la fiabilité
Le ministère du Solliciteur général devrait mettre en place des protocoles provinciaux écrits en matière de réalisation d'entrevues des suspects et des témoins par des policiers. Ces protocoles devraient être conçus pour rehausser la fiabilité du produit du processus d'entrevue et pour préserver fidèlement le contenu de l'entrevue.
Recommandation 102 - La formation en matière de protocoles d'entrevue
Tous les enquêteurs de l'Ontario devraient recevoir une formation complète sur les techniques qui rehaussent la fiabilité des déclarations des témoins et sur les techniques qui en diminuent la fiabilité. Cette formation devrait s'inspirer des leçons apprises dans le cadre de la présente enquête. Des ressources financières et autres doivent être fournies afin que cette formation puisse être dispensée.
Recommandation 103 - La prévention de la contamination des témoins par les renseignements transmis
Les policiers devraient recevoir des directives précises sur les dangers de communiquer inutilement des renseignements (qu'ils connaissent) à un témoin si de tels renseignements peuvent influencer sur le compte rendu des événements fait par les témoins.
Recommandation 104 - Prévention de la contamination des témoins par des observations au sujet de l'affaire ou de l'accusé
Les policiers devraient recevoir des directives précises sur les dangers de communiquer leur évaluation du poids de la preuve contre un suspect ou un accusé, leur avis concernant le caractère de l'accusé, ou des observations analogues à un témoin qui peuvent influer sur le compte rendu des événements fait par ce témoin.
Recommandation 106 - L'éducation de la Couronne concernant les pratiques en matière d'entrevues
Le ministère du Procureur général devra mettre en place un programme éducatif pour mieux former les procureurs de la Couronne aux méthodes d'entrevues qui rehaussent la fiabilité plutôt que d'y nuire. Le ministère peut également intégrer certaines des pratiques souhaitables et non souhaitables dans son Crown Policy Manual.
Recommandation 107 - La tenue d'entrevues par la Couronne
- En règle générale, les procureurs ne devraient pas discuter des éléments de preuve avec les témoins pris collectivement.
- Il faut se pencher sur l'ensemble des souvenirs d'un témoin, en le questionnant et en se servant notamment des déclarations du témoin ou de notes, avant qu'il soit fait mention (si cela se produit) de preuves contradictoires.
- Le procureur devrait consigner par écrit les souvenirs du témoin. Il est parfois souhaitable que l'entrevue soit menée en présence d'un agent ou d'une autre personne, selon les circonstances.
- Les questions posées au témoin devraient être des questions non suggestives.
- Les procureurs peuvent alors choisir d'informer le témoin des preuves contradictoires et l'inviter à formuler des commentaires.
- Ce faisant, les procureurs doivent être conscients des dangers de cette pratique.
- Il est sage d'informer le témoin que c'est son témoignage que l'on souhaite obtenir, que le témoin n'est pas là uniquement pour choisir la preuve contradictoire de préférence à ses propres souvenirs honnêtes et indépendants et qu'il est bien sûr libre de rejeter l'autre élément de preuve. Cette assertion n'est pas moins vraie si plusieurs autres témoins ont présenté des preuves contradictoires.
- Les procureurs ne devraient jamais dire au témoin qu'il a tort.
- Si le témoin modifie le témoignage qu'il avait prévu de faire, le nouveau témoignage devrait être consigné par écrit.
- Si un témoin est manifestement influençable ou très suggestible, les procureurs seraient bien inspirés de ne pas présenter de témoignages contradictoires au témoin lorsqu'ils exercent leur pouvoir discrétionnaire.
- On pourrait aborder d'une autre manière les faits qui sont de toute évidence incontestés ou incontestables. Il s'agit de faire preuve de bon sens.
b) L'Enquête concernant Thomas Sophonow
L'identification par des témoins oculaires
Séance d'identification
- Le troisième agent présent avec le témoin oculaire éventuel ne devrait rien connaître de l'affaire et ne devrait pas savoir si le suspect se trouve parmi les individus réunis au moment de la séance d'identification.
- L'agent se trouvant dans la pièce devrait informer le témoin qu'il ne sait pas si le suspect se trouve parmi les individus réunis ou, s'il se trouve parmi eux, qui il est. Par ailleurs, l'agent devrait signaler au témoin que le suspect ne se trouve peut-être pas parmi les individus en question.
- Tout ce qui se passe dans la salle où se trouve le témoin pendant la séance d'identification devrait être enregistré sur bande audio ou, préférablement, sur bande vidéo.
- Les déclarations que fait le témoin pendant la séance d'identification doivent à la fois être notées et consignées au complet, puis être signées par lui.
- À la fin de la séance d'identification, le témoin devrait être escorté hors des locaux de la police. Cette mesure aura pour effet d'empêcher que celui-ci soit influencé par d'autres agents, tout spécialement ceux qui enquêtent sur le crime.
- L'apparence des individus réunis pour la séance d'identification devrait correspondre autant que possible à la description que les témoins oculaires ont donnée au moment de l'événement. C'est seulement dans le cas où cela s'avère impossible que les individus devraient, autant que possible, ressembler au suspect.
- À la fin de la séance, si une personne a été identifiée, on devrait demander au témoin s'il est certain d'avoir identifié la bonne personne. La question et la réponse doivent être à la fois notées et consignées mot à mot, puis signées par le témoin. Il est important que ce rapport figure au dossier avant que le témoin puisse être influencé ou être renforcé dans son opinion.
- Au moins 10 individus devraient être réunis pour la séance d'identification. Plus le nombre d'individus réunis est élevé, moins il y a de risque d'erreur d'identification.
Séance d'identification à l'aide d'un groupe de photos
- Le portrait d'au moins 10 individus devrait se trouver dans le groupe de photos.
- L'apparence des individus qui ont été photographiés devrait correspondre autant que possible à la description que les témoins oculaires ont donnée. Si cela s'avère impossible, les individus devraient, autant que faire se peut, ressembler au suspect.
- Tout devrait être enregistré sur bande vidéo ou audio à partir du moment où l'agent rencontre le témoin, avant que les photographies soient montrées, jusqu'à la fin de l'interrogatoire. Une fois de plus, il est essentiel qu'un agent ne sachant pas qui est le suspect et ne participant pas à l'enquête dirige la séance d'identification.
- Avant le début de la séance d'identification, l'agent devrait confirmer qu'il ne sait pas qui est le suspect ou si la photo de celui-ci se trouve dans le groupe de photos. En outre, avant de montrer le groupe de photos à un témoin, l'agent devrait l'informer qu'il est tout aussi important de blanchir un innocent que d'identifier le suspect. Le groupe de photos devrait être montré à chaque témoin séparément.
- Le groupe de photos doit être présenté en ordre séquentiel et non pas comme un ensemble.
- En plus de l'enregistrement sur bande vidéo, si possible, ou, à tout le moins, sur bande audio, il devrait y avoir une formule que signeraient le témoin et l'agent dirigeant la séance d'identification et sur laquelle seraient consignés leurs commentaires. Les commentaires de chaque témoin seraient notés et consignés au complet, puis signés par lui.
- Après les séances d'identification, les agents de police ne devraient pas parler aux témoins oculaires de l'identification ou de la non-identification d'une personne par ceux-ci. Agir autrement ne pourrait que laisser planer un doute sur toute identification et faire craindre que les témoins n'aient été renforcés dans leur opinion.
- Étant donné l'importance de la preuve que fournissent les témoins oculaires et le risque élevé d'altération de cette preuve, on a suggéré qu'un autre corps de police que celui qui enquête sur le crime interroge ces témoins et dirige les séances d'identification auxquelles ils prennent part. Aussi idéale que cette solution puisse paraître, je suis d'avis qu'elle compliquerait indûment l'enquête et aurait pour effet d'accroître les frais et la durée de celle-ci. Il faut à un certain faire confiance à la police. Le corps de police qui enquête sur le crime peut également interroger les témoins oculaires et diriger les séances d'identification pour autant que les agents qui s'occupent de ces témoins ne participent pas à l'enquête et ne sachent pas qui est le suspect ni si sa photo figure dans le groupe de photos. Si ces conditions étaient remplies et si les autres recommandations étaient suivies, le processus serait protégé de façon convenable.
Directives données lors du procès
- Le juge de première instance doit donner au jury des directives fermes et claires qui mettent l'accent sur les faiblesses que comporte l'identification par des témoins oculaires. Le jury devrait également être informé que la confiance d'un témoin qui identifie un individu ne garantit pas l'exactitude de l'identification en question. (Dans la présente espèce, le témoignage de M. Janower démontre de façon classique qu'il croyait avec une certitude absolue, mais à tort, que Thomas Sophonow était l'homme qu'il avait vu dans la beignerie.)
- Le juge de première instance devrait insister sur le fait que des tragédies sont survenues en raison d'erreurs commises par des témoins oculaires honnêtes et sensés. On devrait expliquer au jury que la vaste majorité des condamnations injustifiées ont eu lieu à la suite d'erreurs d'identification commises par les témoins oculaires. Ces directives devraient s'ajouter aux directives qui sont habituellement données au sujet des difficultés inhérentes à l'identification par des témoins oculaires.
- Par ailleurs, je recommanderais que les juges examinent favorablement le témoignage d'experts dûment qualifiés concernant ce type d'identification et l'admettent d'emblée. Il ne s'agit assurément pas d'une science fondée sur le charlatanisme. On a procédé à des études sérieuses concernant la mémoire et ses effets sur l'identification par témoin oculaire. Les jurés profiteraient des études et du savoir d'experts dans ce domaine. Des études minutieuses sur la mémoire humaine et sur l'identification par témoin oculaire ont été effectuées. Des preuves empiriques ont été réunies. On a fait état des conséquences tragiques découlant d'erreurs d'identification; les jurés et les juges de première instance devraient donc pouvoir profiter de témoignages d'experts sur cette question importante. Le témoin expert est en mesure d'expliquer le processus mnémonique ainsi que ses faiblesses et de détruire les mythes, tels que celui voulant que l'exactitude de l'identification soit évaluée en fonction du niveau de certitude que manifeste un témoin. Le témoignage d'un expert dans ce domaine aiderait les juges des faits et faciliterait la tenue d'un procès impartial.
- Le juge de première instance doit donner des directives au jury en ce qui concerne toute identification qui semble être devenue certaine après n'avoir été que provisoire, le mettre en garde à ce sujet et lui demander d'examiner ce qui peut avoir entraîné ce changement.
- En donnant ses directives, le juge de première instance devrait indiquer au jury, tout en faisant peut-être référence à l'affaire Sophonow, que les condamnations injustifiées qui ont eu lieu tant aux États-unis qu'au Canada sont en grande partie attribuables à des erreurs d'identification commises par des témoins oculaires.
III. LE DOCUMENT DE MACFARLANE
Dans son document, Bruce MacFarlane, c.r., signale que les erreurs d'identification par témoin oculaire constituent [TRADUCTION] « le plus important facteur d'une condamnation injustifiée »[126]. Après avoir passé en revue les problèmes et les dangers inhérents à ce type de preuve ainsi que le risque d'entacher la preuve au stade de l'enquête, MacFarlane a formulé six règles de base qui permettent de réduire le risque qu'un témoin oculaire contribue à faire condamner un individu innocent sur le plan des faits[127].
[TRADUCTION] Un agent indépendant de l'enquête devrait être chargé de la parade d'identification ou de la série de photographies d'identification. Cet agent ne devrait pas savoir qui est le suspect - évitant ainsi la possibilité qu'une allusion ou une réaction faite par inadvertance ne donne un indice au témoin avant la séance d'identification proprement dite, ou ne rehausse son degré de confiance par la suite.
Il faudrait indiquer au témoin que l'auteur véritable du crime ne se trouve peut-être pas dans la parade d'identification ou dans la série de photographies, et qu'il ne devrait donc pas se sentir obligé d'effectuer une identification. Il faudrait aussi lui dire que la personne responsable de la parade d'identification ignore qui est le suspect.
Le suspect ne devrait pas être mis en évidence par rapport aux autres individus faisant partie de la parade d'identification ou de la série de photos d'identification, d'après la description qu'en a faite auparavant le témoin oculaire ou d'après d'autres facteurs qui feraient ressortir de façon spéciale le suspect.
Il faudrait obtenir du témoin oculaire une déclaration explicite au moment de l'identification, ainsi qu'avant d'obtenir un commentaire quelconque, quant à sa conviction que l'individu identifié est bel et bien le coupable.
près avoir conclu le processus d'identification, il faudrait escorter le témoin jusqu'à la sortie des locaux de la police afin d'éviter que d'autres agents le « contaminent », notamment ceux qui prennent part à l'enquête en question.
Il ne faudrait recourir que dans de rares cas à une identification directe, par exemple lorsque le suspect est appréhendé près du lieu du crime, peu après l'incident.Il y a deux autres mesures qui peuvent s'avérer utiles, et qu'il faudrait prendre chaque fois qu'il est raisonnablement pratique de le faire :
- le processus d'identification, par parade d'identification, par photographies ou par une méthode mixte, devrait être enregistré du début jusqu'à la fin, de préférence sur une bande vidéo mais, sinon, sur une bande audio;
- la série de photographies d'identification devraient être présentées les unes à la suite des autres et non en bloc, ce qui éviterait ainsi les « jugements relatifs ».
Ces changements ne requièrent pas de nouvelles dispositions législatives, pas plus que des ressources particulièrement importantes. Ils peuvent être apportés par les autorités locales au moyen de changements de politique, dans le cadre d'une stratégie visant à lutter contre la criminalité et à s'assurer que l'on rend véritablement la justice.
IV. LA JURISPRUDENCE
Les tribunaux reconnaissent depuis longtemps les faiblesses des preuves d'identification qui émanent de témoins oculaires bien intentionnés, indépendants et honnêtes[128].
Voici ce qu'a déclaré à ce sujet la Cour suprême du Canada :[129]
La jurisprudence regorge de mises en garde contre l'acceptation fortuite d'une preuve d'identification, même lorsque cette identification est faite par confrontation visuelle directe de l'accusé. En raison de l'existence de nombreux cas où l'identification s'est révélée erronée, le juge des faits doit être conscient des [TRADUCTION] « faiblesses inhérentes de la preuve d'identification qui découlent de la réalité psychologique selon laquelle l'observation et la mémoire humaines ne sont pas fiables ».
Lorsque la preuve du poursuivant dépend dans une large mesure de la justesse d'une identification par témoin oculaire, le juge du procès est tenu de fournir au jury des instructions précises sur la nécessité de prendre garde à ce genre de preuve[130], compte tenu de son manque notoire de fiabilité. L'exposé doit traiter non seulement des questions de crédibilité, mais aussi des faiblesses inhérentes des preuves d'identification en raison du manque de fiabilité de l'observation et de la mémoire humaines[131]. Le juge devrait également donner au jury des instructions sur les divers facteurs qui peuvent avoir une incidence sur la fiabilité d'une preuve d'identification par témoin oculaire et lui rappeler que des erreurs d'identification ont été la cause d'erreurs judiciaires par suite de la condamnation injustifiée de personnes qu'un ou plusieurs témoins de bonne foi avait identifiées par erreur.[132].
Il est clair qu'un accusé peut être reconnu coupable sur la foi d'une preuve non corroborée d'identification par témoin oculaire[133]. En fait, malgré tous les dangers possibles, il est possible qu'un accusé soit déclaré coupable sur la foi du témoignage d'un seul témoin oculaire[134]. Une première identification au banc des accusés, bien que cette preuve soit admissible[135], a peu de valeur probante, et elle présente des faiblesses particulières qui s'ajoutent à celles que l'on associe habituellement aux preuves d'identification[136]. Il faudrait faire au jury une mise en garde particulière au moment de considérer l'effet de cette forme de preuve[137]. Lorsque la preuve d'un témoin oculaire s'affermit à mesure que le procès se déroule, cela peut sous-entendre que l'identification constitue en fait une « reconstitution a posteriori », ce qui en mine la fiabilité[138].
Quel que soit le nombre des caractéristiques similaires dont un témoin oculaire fait état au sujet d'un accusé particulier, s'il existe une seule caractéristique dissemblable, il ne peut pas y avoir d'identification sans une autre source de confirmation[139]. Toutefois, une erreur minime à propos d'une caractéristique de l'aspect de l'accusé ne prive peut-être pas la preuve d'identification de la totalité de sa valeur probante[140]. Une preuve d'identification faible peut être affermie par d'autres preuves circonstancielles qui permettent de rendre un verdict raisonnable[141].
Le fait que les procédures policières comportent des irrégularités n'a pas nécessairement pour effet de détruire la preuve d'identification ou de rendre cette dernière irrecevable[142]. Lorsque la police a recours à des procédures irrégulières pour obtenir des preuves d'identification, ces dernières peuvent être soumises au jury. Le juge du procès doit toutefois mettre en garde ce dernier au sujet des circonstances dans lesquelles les preuves en question ont été obtenues[143].
Il est tout à fait loisible et utile que le juge des faits présente en preuve les descriptions que des témoins ont faites à des agents de police peu après le crime. Ces preuves sont une exception à la règle de common law qui interdit les déclarations antérieures compatibles[144].Dans l'arrêt R. c. Tat[145], la Cour d'appel de l'Ontario énumère deux conditions auxquelles il est nécessaire de satisfaire avant de pouvoir utiliser une description enregistrée antérieurement :
- Les déclarations antérieures qui identifient ou décrivent l'accusé sont admissibles lorsque le témoin identifie l'accusé au procès, de sorte que le juge des faits peut évaluer de manière éclairée la valeur probante de l'identification présumée.
- Une preuve d'identification extrajudiciaire antérieure est elle aussi admissible lorsque le témoin n'est pas en mesure d'identifier l'accusé au procès, mais peut déclarer qu'il a donné une description précise ou fait une identification antérieurement. Lorsque le témoin déclare qu'il a identifié antérieurement l'auteur du crime, la preuve d'une déclaration extrajudiciaire est admissible à titre de preuve originale afin de montrer qui était l'individu que le témoin a identifié[146].
Il faudrait aussi envisager de recourir à une demande de type K.G.B. quand les circonstances s'y prêtent, lorsqu'un témoin refuse de collaborer ou lorsqu'il est incapable de le faire conformément à une déclaration antérieure.
L'admissibilité et la pertinence d'une preuve d'expert dans le domaine des erreurs d'identification par témoin oculaire demeurent un problème épineux. Même si des commissions d'enquête ont demandé que l'on recoure davantage à cette forme de preuve d'opinion[147], les juges continuent de résister à l'introduction d'un expert dans un secteur qui, en réalité, se situe dans le champ des connaissances du juge des faits.
Les principes qui régissent l'admission d'une preuve d'expert sont énoncés dans la décision de la Cour suprême du Canada R. c. Mohan[148]. Dans cette affaire, l'admission de la preuve d'expert dépendait de l'application des quatre critères suivants :
- la pertinence;
- la nécessité d'aider le juge des faits;
- l'absence de toute règle d'exclusion;
- la qualification suffisante de l'expert.
Une preuve d'expert est admissible s'il existe des questions de nature exceptionnelle qui requièrent des connaissances spéciales qui débordent du champ d'expérience du juge des faits. Il a été dit qu'une preuve d'expert, dans le domaine de l'identification par témoin oculaire, ne revêt pas une nature spéciale qui se situe en dehors du champ des connaissances des jurés, mais qu'il s'agit plutôt d'une reconfirmation de leur expérience ordinaire. Les jurés n'ont pas besoin du témoignage de l'expert pour faire leur travail - un exposé et une mise en garde appropriés sont la meilleure façon de régler les dangers inhérents d'une preuve d'identification[149].
Le juge d'un procès ou un jury peuvent se servir d'une bande vidéo pour évaluer eux-mêmes si la personne apparaissant sur la bande est l'accusé. Ils ont aussi le droit d'utiliser n'importe quelle identification qu'ils ont faite de cette façon comme seul motif de condamnation, mais le juge est tenu d'indiquer au jury de faire preuve de circonspection lorsqu'il tente d'identifier un accusé à partir d'une bande vidéo[150]. Il n'est pas nécessaire ou pertinent que des agents de police fassent part de leur propre opinion de profane au sujet de la personne apparaissant sur la bande vidéo, car le juge des faits peut faire sa propre évaluation et tirer sa propre conclusion[151].
V. PRATIQUES SUGGÉRÉES ET RECOMMANDATIONS
Il ressort clairement de la jurisprudence et des recommandations des commissions d'enquête que ce ne sont pas l'honnêteté et la sincérité du témoin oculaire qui déterminent la qualité de l'identification. Il est plutôt nécessaire de procéder à un examen minutieux et détaillé en vue de déterminer si celle-ci est fiable. Les indices de fiabilité comprennent, notamment, ce qui suit :
- Le suspect était-il un pur étranger, ou le témoin le connaissait-il?
- Le témoin n'a-t-il entrevu qu'un bref instant le suspect, ou l'a-t-il vu plus longuement?
- Quelles étaient les conditions d'éclairage et les autres conditions ambiantes au moment de l'observation?
- La description a-t-elle été simplement mise par écrit, ou a-t-elle été relatée en détail en temps opportun?
- La description est-elle générale et vague, ou comporte-t-elle des détails, dont les caractéristiques distinctives du suspect et ses vêtements?
- Y avait-il un risque que l'identification soit entachée ou contaminée?
- Le témoin a-t-il décrit une caractéristique distinctive du suspect, ou a-t-il omis d'en mentionner une?
- L'identification faite par le témoin oculaire a-t-elle été confirmée d'une certaine façon?
Il est essentiel que les agents de police et les procureurs recourent à des procédures et à des techniques d'entrevue appropriées afin de garantir la fiabilité de la preuve d'identification et de réduire ou d'éliminer le risque de contamination.
Les six règles de base que MacFarlane a énoncées représentent un bon point de départ pour établir des normes de pratique raisonnables que tous les organismes de police devraient mettre en œuvre et intégrer. Collectivement, les règles de base ont pour objet d'amoindrir le risque que des influences externes contaminent, même par accident, la preuve d'identification. Cependant, les lignes directrices doivent être conçues de manière à tenir compte des réalités des enquêtes policières ordinaires, ainsi que de l'effet qu'elles auront sur les ressources et le personnel. Il est donc proposé que les règles de base soient nuancées comme suit :
- Dans la mesure du possible, un agent indépendant de l'enquête devrait être chargé de la parade d'identification ou de la série de photographies d'identification. Cet agent ne devrait pas savoir qui est le suspect - ce qui évite le risque qu'une allusion ou une réaction faite par inadvertance ne donne un indice au témoin avant la séance d'identification proprement dite, ou ne rehausse son degré de confiance par la suite.
- Il faudrait dire au témoin que l'auteur véritable du crime ne se trouve peut-être pas dans la parade d'identification ou dans la série de photographies, et qu'il ne devrait donc pas se sentir obligé d'effectuer une identification.
- Le suspect ne devrait pas être mis en évidence par rapport aux autres individus faisant partie de la parade d'identification ou de la série de photos d'identification, d'après la description qu'en a faite auparavant le témoin oculaire ou d'après d'autres facteurs qui feraient ressortir de façon spéciale le suspect.
- Tous les commentaires et toutes les déclarations que fait le témoin lors de la parade d'identification ou de l'examen de la série de photographies d'identification devraient être enregistrés textuellement, soit par écrit, soit, s'il est possible et pratique de le faire, sur bande audio ou vidéo.
- Si le processus d'identification a lieu dans les locaux de la police, il faudrait prendre des mesures raisonnables pour faire éloigner le témoin lorsque la parade d'identification est terminée, de manière à éviter tout risque de commentaires de la part d'autres agents participant à l'enquête et toute contamination croisée par contact avec d'autres témoins.
- Il ne faudrait recourir[152] à une identification directe que dans de rares cas, par exemple lorsque le suspect est appréhendé près du lieu du crime, peu après l'incident.
- La série de photographies d'identification devraient être présentées les unes à la suite des autres et non en bloc, ce qui éviterait ainsi les « jugements relatifs ».
Nous sommes entrés en contact avec dix services de police du pays afin de déterminer quelles étaient leurs pratiques et leurs politiques à l'égard des parades d'identification et des séries de photographies d'identification. À l'heure actuelle, quatre services se servent de séries de photographies présentées les unes à la suite des autres, tandis que quatre autres étudient des propositions visant à intégrer cette pratique. Cinq services utilisent des séries présentées sur une feuille, tandis que les autres se servent de huit à douze photographies distinctes. Trois des services exigent que des agents ne participant pas à l'enquête exécutent la séance d'examen des photographies en compagnie du témoin. Tous les services se servent de photographies d'appoint qui reflètent les caractéristiques du suspect, et aucun n'empêche de discuter du choix du témoin. Tous les services exigent que les commentaires du témoin soient enregistrés, tandis que deux d'entre eux préfèrent les enregistrer sur bande vidéo.
Ces règles représentent des pratiques exemplaires que les enquêteurs de la police devraient adopter. En éliminant toutes les suggestions ou tous les soupçons d'une contamination éventuelle, on rehaussera considérablement l'intégrité des enquêteurs et le degré de confiance que suscite l'enquête.
Des préoccupations ont également été soulevées au sujet du risque que les médias s'immiscent dans le processus d'enquête. Malgré la meilleure des intentions, l'accès quasi illimité des médias à l'information crée des difficultés de taille pour les services de police. Des journalistes interrogent des témoins avant que les enquêteurs n'interviennent; les images et les noms de suspects, ainsi que des détails précis sur les actes criminels faisant l'objet d'une enquête, sont régulièrement publiés ou diffusés. Cela présente le risque sérieux d'entacher des preuves d'identification. Bien que le rôle des médias déborde du cadre du mandat du Groupe de travail, nous ne saurions trop insister sur l'importance d'obtenir la version des faits d'un témoin le plus rapidement et le plus complètement possible au cours de l'enquête avant que les médias n'aient un effet de contamination.
Le risque de contamination et d'utilisation à mauvais escient peut également se poser au stade de la poursuite. Il serait bon que les procureurs examinent les suggestions pratiques qui suivent :
- Présumer que l'identité de l'accusé est toujours mise en doute à moins que la défense ne l'admette expressément au dossier. Il est nécessaire de préparer en temps opportun et d'examiner d'un œil critique la totalité des preuves d'identification disponibles, y compris la façon dont ces dernières ont été obtenues, car cela aura une incidence sur la conduite et la qualité du procès.
- Offrir au témoin une possibilité raisonnable d'examiner la totalité des déclarations faites antérieurement et confirmer que ces dernières étaient exactes et reflètent véritablement les observations qu'il a faites à ce moment-là. Passer soigneusement en revue la gamme complète des indices de l'identification, y compris toutes les caractéristiques distinctives qui renforceront cette preuve. Se souvenir que c'est l'effet cumulatif de tous les éléments de preuve qui sera pris en considération à l'appui d'une condamnation. Il est possible de combler les lacunes que présente l'identification d'un témoin en examinant d'autres éléments de preuve.
- Ne jamais interroger collectivement des témoins. Ne jamais « mettre sur la piste » un témoin en donnant des indices ou en faisant des suggestions à propos de l'identité de l'accusé en cour. Ne jamais critiquer une « identification directe » ou y participer. Ne jamais montrer à un témoin une photographie ou une image isolée d'un accusé au cours de l'entrevue.
- Au moment de rencontrer des témoins dans une affaire grave, il est avisé de s'assurer, dans la mesure où il est possible et pratique de le faire, qu'une tierce partie soit présente afin de garantir qu'il n'y ait pas plus tard de désaccord au sujet de ce qui s'est passé à la réunion.
- Ne jamais dire à un témoin que son identification est juste ou erronée.
- Se souvenir que la divulgation d'une preuve est une obligation permanente. Toutes les preuves inculpatoires et disculpatoires doivent être divulguées à la défense en temps opportun. Si un témoin change radicalement sa déclaration initiale, en donnant plus de renseignements ou en relatant des renseignements antérieurement donnés lors d'une entrevue, il faut le dire à la défense. Dans ces circonstances, il serait avisé de recourir aux services d'un agent de police pour enregistrer par écrit une déclaration secondaire où figurent ces changements importants.
- Toujours présenter une preuve des éléments qui entourent l'identification. Il est indispensable de faire part au juge des faits non seulement de l'identification, mais aussi de toutes les circonstances dans lesquelles celle-ci a été obtenue, par exemple la composition de la série de photographies d'identification.
- Prendre garde aux poursuites fondées sur une identification faible faite par un témoin oculaire unique. Bien que la loi ne l'exige pas pour obtenir une condamnation, s'assurer qu'il est possible de corroborer de quelque manière l'identification faite par un témoin oculaire afin de combler toutes les lacunes que présente la qualité de cette preuve.
Comme on peut le voir, il est important que la police et les procureurs utilisent des techniques d'entrevue appropriées. Le fait de savoir quelles questions poser, quels renseignements chercher et, par-dessus tout, comment poser les questions est essentiel si l'on veut que la preuve éventuelle soit exempte de toute contamination. Il est donc recommandé que les séances de formation régulières et continues qui sont destinées aux agents de police et aux procureurs comportent des ateliers sur les techniques d'entrevue appropriées de manière à rehausser la fiabilité et la justesse du processus de collecte et de production de preuves.
Il n'est pas recommandé de présenter au procès une preuve d'expert sur les faiblesses d'une identification par témoin oculaire. Cette mesure est superflue et usurpe la fonction et le rôle du juge des faits. Il ne s'agit pas d'une information dont le jury n'a pas connaissance, et cette mesure présente le risque de déformer le processus de détermination des faits. Les dangers inhérents à une identification par témoin oculaire sont bien documentés et la meilleure façon d'y faire face est que le tribunal formule une mise en garde appropriée. Cependant, les agents de police et les procureurs pourraient tirer avantage de cette expertise afin de mettre en lumière et de mieux saisir les dangers que représentent les erreurs d'identification par témoin oculaire. Il est donc recommandé que ces exposés soient intégrés aux séances de formation régulières et continues.
L'équité procédurale est la pierre angulaire du processus judiciaire. Si l'on fait preuve de diligence au moment de la collecte, du catalogage et de la présentation des preuves d'identification par témoin oculaire, tout en étant conscient des faiblesses inhérentes qui y sont associées, on réduira de beaucoup le risque de commettre une erreur judiciaire.
VI. SOMMAIRE DES RECOMMENDATIONS
- Voici des normes et des pratiques raisonnables que tous les services de police devraient mettre en œuvre et intégrer :
- Dans la mesure du possible, un agent indépendant de l'enquête devrait être chargé de la parade d'identification ou de la série de photographies d'identification. Cet agent ne devrait pas savoir qui est le suspect - ce qui évite le risque qu'une allusion ou une réaction faite par inadvertance ne donne un indice au témoin avant la séance d'identification proprement dite, ou ne rehausse son degré de confiance par la suite.
- Il faudrait dire au témoin que l'auteur véritable du crime ne se trouve peut-être pas dans la parade d'identification ou dans la série de photographies, et qu'il ne devrait donc pas se sentir obligé d'effectuer une identification.
- Le suspect ne devrait pas être mis en évidence par rapport aux autres individus faisant partie de la parade d'identification ou de la série de photos d'identification, d'après la description qu'en a faite auparavant le témoin oculaire ou d'après d'autres facteurs qui feraient ressortir de façon spéciale le suspect.
- Tous les commentaires et toutes les déclarations que fait le témoin lors de la parade d'identification ou de l'examen de la série de photographies d'identification devraient être enregistrés textuellement, soit par écrit, soit, s'il est possible et pratique de le faire, sur bande audio ou vidéo.
- Si le processus d'identification a lieu dans les locaux de la police, il faudrait prendre des mesures raisonnables pour faire éloigner le témoin lorsque la parade d'identification est terminée, de manière à éviter tout risque de commentaires de la part d'autres agents participant à l'enquête et toute contamination croisée par contact avec d'autres témoins.
- Il ne faudrait recourir à une identification directe que dans de rares cas, par exemple lorsque le suspect est appréhendé près du lieu du crime, peu après l'incident.
- La série de photographies d'identification devraient être présentées les unes à la suite des autres et non en bloc, ce qui éviterait ainsi les « jugements relatifs ».
- Les procureurs devraient prendre en considération les suggestions pratiques qui suivent :
- Présumer que l'identité de l'accusé est toujours en doute à moins que la défense ne l'admette expressément au dossier. Il est nécessaire de préparer en temps opportun et d'examiner d'un œil critique la totalité des preuves d'identification disponibles, y compris la façon dont ces dernières ont été obtenues, car cela aura une incidence sur la conduite et la qualité du procès.
- Offrir au témoin une possibilité raisonnable d'examiner la totalité des déclarations faites antérieurement et confirmer que ces dernières étaient exactes et reflètent véritablement les observations qu'il a faites à ce moment-là. Passer soigneusement en revue la gamme complète des indices de l'identification, y compris toutes les caractéristiques distinctives qui renforceront cette preuve. Se souvenir que c'est l'effet cumulatif de tous les éléments de preuve qui sera pris en considération à l'appui d'une condamnation. Il est possible de combler les lacunes que présente l'identification d'un témoin en examinant d'autres éléments de preuve.
- Ne jamais interroger collectivement des témoins. Ne jamais « mettre sur la piste » un témoin en donnant des indices ou en faisant des suggestions à propos de l'identité de l'accusé en cour. Ne jamais critiquer une « identification directe » ou y participer. Ne jamais montrer à un témoin une photographie ou une image isolée d'un accusé ou cours de l'entrevue.
- Au moment de rencontrer des témoins dans une affaire grave, il est avisé de s'assurer, dans la mesure où il est possible et pratique de le faire, qu'une tierce partie est présente afin de garantir qu'il n'y aura pas plus tard de désaccord au sujet de ce qui s'est passé à la réunion.
- Ne jamais dire à un témoin que son identification est juste ou erronée.
- Se souvenir que la divulgation d'une preuve est une obligation permanente. Toutes les preuves inculpatoires et disculpatoires doivent être divulguées à la défense en temps opportun. Si un témoin change radicalement sa déclaration initiale, en donnant plus de renseignements ou en relatant des renseignements antérieurement donnés lors d'une entrevue, il faut le dire à la défense. Dans ces circonstances, il serait avisé de recourir aux services d'un agent de police pour enregistrer par écrit une déclaration secondaire où figurent ces changements importants.
- Toujours présenter une preuve des éléments qui entourent l'identification. Il est indispensable de faire part au juge des faits non seulement de l'identification, mais aussi de toutes les circonstances dans lesquelles celle-ci a été obtenue, par exemple la composition de la série de photographies d'identification.
- Prendre garde aux poursuites fondées sur une identification faible faite par un témoin oculaire unique. Bien que la loi ne l'exige pas pour obtenir une condamnation, s'assurer qu'il est possible de corroborer de quelque manière l'identification faite par un témoin oculaire afin de combler toutes les lacunes que présente la qualité de cette preuve.
- Il est superflu et inutile d'utiliser une preuve d'expert sur les faiblesses d'une preuve d'identification par témoin oculaire dans le cadre du processus de détermination des faits. Un exposé et une mise en garde appropriés de la part du juge des faits sont la meilleure façon de faire face aux dangers inhérents que pose une preuve d'identification.
- Il serait bon d'intégrer aux séances de formation régulières et continues destinées aux agents de police et aux procureurs des ateliers sur les techniques d'entrevue appropriées.
- Il faudrait intégrer des exposés sur les dangers posés par les erreurs d'identification par témoin oculaire aux séances de formation régulières et continues destinées aux agents de police et aux procureurs.
- [121] L’affaire d’Adolph Beck, de l’Angleterre, est l’une des causes d’identification erronée les plus notoires. Reconnu coupable de fraude à deux reprises - en 1896 et en 1904 - sur la foi de la déposition d’au moins 10 témoins qui l’avait identifié positivement comme étant l’auteur du crime, Beck fut condamné à la prison, avant de se voir gracié plus tard après que l’on eut trouvé le vrai coupable.
- [122] ‘I was Certain, but I Was Wrong’, New York Times, le 18 juin 2000.
- [123] Actual Innocence, à la p. 365.
- [124] R. c. Hibbert,[2002] 2 R.C.S. 445.
- [125] Rex c. Smierciak (1946), 87 C.C.C. 175 (C.A. Ont.) à la p. 177; R. c. Miaponoose (1996), 110 C.C.C. (3d) 445 (C.A. Ont.).
- [126] À la p. 47.
- [127] Aux p. 80 et 81.
- [128] R. c. Nikolovski, [1996] 1 R.C.S. 474, à la p. 1 210.
- [129] R. c. Burke,[1996] 1 R.C.S. 474, à la p. 498.
- [130]Voir aussi Bardales c. La Reine, [1996] 2 R.C.S. 461; R. c. Fengstad (1994), 27 C.R. (4th) 383 (C.A.C.-B.); R. c. Sophonow (no. 2) (1986), 25 C.C.C. (3d) 415 (C.A. Man); R. c. Wristen (1999), 47 O.R. (3d) 66 (C.A.), au par. 32.
- [131] R. c. Sutton, [1970] 2 O.R. 358, [1970] 3 C.C.C. 152 (C.A.); R. c. Miaponoose (1996), 30 O.R. (3d) 419, 110 C.C.C. (3d) 445 (C.A.); R. c. Mezzo, [1986] 1 R.C.S. 802; R. c.. Turnbull, [1976] 3 All E.R. 549, 63 Cr. App. R. 132 (C.A.).
- [132] R. c. Sutton, précité.
- [133]R. c. Lussier (1980) , 57 C.C.C. (2d) 536, à la p. 538 (C.A. Ont.).
- [134]R. c. Nikolovski [1996], 3 R.C.S. 1197, à la p. 1210; R. c. Hutton (1980), 43 N.S.R. (2d) 541 (C.A.N.-É.).
- [135] R. c. Hibbert, [2002] 2 R.C.S. 445.
- [136] R. c. Izzard (1990), 54 C.C.C. (3d) 252 (C.A. Ont.).
- [137] R. c. Tebo (2003), 175 C.C.C. (3d) 116 (C.A. Ont.); R. c.. Walsh, [1997] O.J. No. 149 (C.A.).
- [138] R. c. Lussier, [1998] B.C.J. No. 2678 (C.A.).
- [139] Chartier c. Québec (Procureur général), [1979] 2 R.C.S. 474; R. c. Tomasetti, [2002] M.J. No. 486 (C.A.).
- [140] R. c. Malone (1984), 11 C.C.C. (3d) 34 (C.A. Ont.).
- [141] R. c. Robinson, [1998] O.J. No. 2081 (C.A.).
- [142] R. c. Mezzo, précité.
- [143] R. c. D’Amico (1993), 16 O.R. (3d) 125 (C.A.) à la p. 129; voir aussi R. c. Miaponoose (1996), 110 C.C.C. (3d) 445 (C.A. Ont.).
- [144] R. c. Langille (1990), 59 C.C.C. (3d) 544 (C.A. Ont.).
- [145] (1997), 117 C.C.C. (3d) 481 (C.A. Ont.).
- [146] Ibidem, aux p. 498 et 499; voir aussi R. c. Starr [2000], 2 R.C.S. 144.
- [147] Voir l’Enquête Sophonow.
- [148] [1994] 2 R.C.S. 9.
- [149] R. c. McIntosh (1997), 117 C.C.C. (3d) 385 (C.A. Ont.); R. c. Maragh, [2003] O.J. No. 3575 (C.S.J.); R. c. D.D.,[2000] 2 R.C.S. 275. Il convient de noter toutefois que, dans la décision R. c. Miaponoose (1996), 110 C.C.C. (3d) 445 (C.A. Ont.), la Cour d’appel de l’Ontario a semblé laisser entendre qu’une preuve d’expert peut être valable lorsque la preuve de la Couronne est fondée sur la présence d’un seul témoin oculaire au moment de l’incident; cela signifie donc que la question demeure sérieuse.
- [150] R. c. Nikolovski, [1996] 3 R.C.S. 1197.
- [151] R. c. Cuming (2001), 158 C.C.C. (3d) 433 (C.A. Ont.).
- [152] Une « identification directe » consiste à présenter au témoin un suspect solitaire, à un moment quelconque au cours de l’enquête préalable au procès, pour fins d’identification – par exemple, inviter un témoin à assister à une audience de la cour où l’accusé comparaît en personne et lui demander ensuite s’il reconnaît l’individu.
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