Une estimation de l'incidence économique de la violence conjugale au Canada en 2009

4. Coûts subis par les victimes

La plupart des incidents de violence conjugale ne sont pas portés à l'attention du système de justice pénale, mais toute victimisation, qu'elle soit signalée aux autorités ou non, a une incidence sur la victime. Selon l'ESG, 336 000 personnes ont été victimes d'au moins un incident de violence conjugale en 2009, et 54 % de ces victimes étaient des femmes. Compte tenu des limites de l'ESG décrites dans la section sur la méthode, les estimations de coûts subis par les victimes sont très limitées parce qu'elles sont en grande partie fondées sur le nombre de victimes seulement, et non sur le nombre d'incidents. Les effets visibles et invisibles sur les victimes sont examinés dans la présente section. Le tableau 4.1 résume l'incidence économique de la violence conjugale sur les victimes.

Tableau 4.1 : Coûts subis par les victimes
  Violence faite aux femmes (en milliers de dollars) Violence faite aux hommes Total
Soins de santé 8 159 984 $ 12 765 853 $ 20 925 837 $
Visites chez le médecin 149 571 $ 39 640 $ 189 211 $
Visites aux services d'urgence 4 490 409 $ 1 459 282 $ 5 949 691 $
Hospitalisation en soins de santé de courte durée 3 520 004 $ 11 266 931 $ 14 786 935 $
Troubles de santé mentale 146 868 486 $ 32 613 453 $ 179 481 939 $
Services médicaux 38 013 972 $ 10 030 455 $ 48 044 427 $
Jours de travail perdus 98 178 631 $ 21 434 414 $ 119 613 045 $
Tentatives de suicideNote de tableau * (frais médicaux) 10 675 883 $ 1 148 584 $ 11 824 467 $
Pertes de productivité 37 125 687 $ 16 239 509 $ 53 365 196 $
Perte de rémunération 20 943 599 $ 12 728 087 $ 33 671 686 $
Perte de services ménagers 15 450 178 $ 3 451 422 $ 18 901 600 $
Perte de formation 259 081 $ 0 $ 259 081 $
Perte de services de garde des enfants 472 829 $ 60 000 $ 532 829 $
Autres coûts personnels 211 865 378 $ 59 396 907 $ 271 262 285 $
Biens endommagés ou détruits 62 915 576 $ 26 306 202 $ 89 221 778 $
Divorces et séparations (frais juridiques) 134 914 290 $ 31 646 562 $ 166 560 852 $
Fonctions spéciales pour le téléphone 1 791 358 $ 254 044 $ 2 045 402 $
Frais de déménagement 12 244 154 $ 1 190 099 $ 13 434 253 $
Coûts invisibles subis par la victime 3 290 719 565 $ 2 169 480 155 $ 5 460 199 720 $
Douleurs et souffrances 2 251 037 864 $ 1 736 911 856 $ 3 987 949 720 $
Perte de vie 1 039 681 701 $ 432 568 299 $ 1 472 250 000 $
Total – Coûts subis par les victimes 3 694 739 100 $ 2 290 495 877 $ 5 985 234 977 $

Remarque : Les chiffres ayant été arrondis, leur somme peut ne pas correspondre au total indiqué.

4.1 Soins de santé

Dans l'ESG, on demande aux victimes de violence conjugale de parler des soins médicaux qu'ils ont reçus à la suite des incidents. Selon l'étude, trois victimes sur dix ont subi des blessures physiques à l'occasion des incidents de violence conjugale survenus en 2009, 42 % des femmes et 18 % des hommes faisant état de blessures subies. L'information provenant de l'ESG, de l'Institut canadien d'information sur la santé (ICIS) et d'autres sources concernant le coût de l'administration des services médicaux au Canada permet d'estimer le coût des soins de santé liés aux blessures découlant de la violence conjugale dans trois domaines : les soins fournis par un médecin ou une infirmière, les visites aux services d'urgence d'un hôpital et l'hospitalisation en soins de courte durée. Les nombres de victimes sont tous tirés de l'ESG, et la plupart des données concernant le coût des services proviennent de l'ICIS (à l'exception du coût des services d'ambulance).

Comme nous l'avons expliqué dans la section sur les limites, la structure de l'ESG engendre une sous-estimation du coût des soins de santé, parce que seul le nombre de victimes ayant eu besoin de soins médicaux est calculé, et non le nombre de fois que chacune des victimes a eu besoin de soins médicaux. Par exemple, si une victime a été hospitalisée à cinq reprises à la suite de multiples incidents de violence conjugale, l'ESG indique seulement qu'elle a été hospitalisée (une fois) à un moment donné au cours de l'année, et pas le nombre d'hospitalisations. Cette limite explique aussi en partie le fait que le coût de l'hospitalisation en soins de courte durée est plus élevé pour les hommes que pour les femmes, ce qui semble contredire les études menées dans le domaine. Tjaden et Thoennes (2000) utilisent le National Violence Against Women Survey mené aux États-Unis pour montrer que les femmes sont plus susceptibles que les hommes de subir des blessures, de recevoir des soins médicaux et de devoir être hospitalisées en raison d'incidents de violence conjugale survenus récemment. Comme l'ESG n'indique pas le besoin de soins médicaux à la suite de chacun des incidents, le nombre de fois qu'une victime a besoin d'un traitement médical est ramené à une seule fois. Autrement dit, les victimes qui ont été hospitalisées cinq fois et celles qui ne l'ont été qu'une seule fois ont simplement été hospitalisées d'après l'enquête, ce qui fait qu'on ne peut que présumer que chacune des victimes a été hospitalisée une seule fois. Ainsi, le coût estimatif des soins de santé est probablement sous-estimé, surtout dans le cas des femmes, puisque les femmes sont plus susceptibles que les hommes d'avoir besoin d'un traitement médical après un incident de violence conjugale (Tjaden et Thoennes 2000). En outre, comme l'échantillon de victimes qui ont obtenu des soins médicaux (surtout dans le cas de l'hospitalisation en soins de courte durée) est très petit, la population pondérée peut représenter faussement les besoins en soins de santé découlant de la violence conjugale au Canada.

4.1.1 Visites chez le médecin

Selon l'ESG, 2 719 victimes de sexe féminin et 721 victimes de sexe masculin ont reçu des soins de la part d'un médecin ou d'une infirmière à la suite d'un incident de violence conjugale survenu en 2009. D'après les données provenant de l'ICIS (2007), on estime qu'une visite ponctuelle chez un médecin de famille en 2009 coûtait environ 55 $. Si l'on multiple le nombre de victimes qui ont consulté un médecin par le coût d'une consultation, on peut estimer que l'incidence économique totale de la violence conjugale sur les visites chez le médecin était de 189 212 $ en 2009. Voir l'annexe B : Coûts subis par les victimes – B.1 Soins de santé pour les calculs détaillés et les sources.

Coût des visites chez le médecin – VC contre des femmes 149 571 $
Coût des visites chez le médecin – VC contre des hommes 39 640 $
Total – Coût des soins de santé, Visites chez le médecin 189 212 $

4.1.2 Visites aux services d'urgence

Le coût des visites aux services d'urgence inclut celui des services médicaux et des services d'ambulance.

Selon l'ESG, 7 245 femmes et 2 602 hommes ont obtenu des soins médicaux à un service d'urgence après avoir subi des blessures dans le cadre d'un incident de violence conjugale en 2009. Le coût moyen d'une visite aux services d'urgence d'un hôpital était de 266 $ en 2009, d'après les données de l'ICIS (2010). Le coût total des visites aux services d'urgence des hôpitaux est calculé de la façon suivante : on multiplie le nombre de victimes ayant besoin de ces services par le coût moyen d'une visite, et l'estimation qui découle de ce calcul est de 1 926 564 $ pour les victimes de sexe féminin et de 691 935 $ pour les victimes de sexe masculin.

Selon les données du Système national d'information sur les soins ambulatoires (SNISA) fournies par l'ICISNote de bas de la page 38,78 % des femmes et 69 % des hommes victimes d'infractions commises avec une arme à feu ayant subi une blessure par balle et ayant été transportées aux services d'urgence en 2008 l'ont été en ambulance. Ces chiffres servent de guides à l'examen des cas de violence conjugale, puisqu'aucune statistique n'est accessible concernant les victimes de violence conjugale en particulier. Compte tenu de la gravité des blessures par balles et de la variété plus grande des blessures subies dans les cas de violence conjugale, nous présumons qu'une proportion plus faible de victimes de violence conjugale ont eu besoin d'être transportées en ambulance aux services d'urgence : 60 % des victimes de sexe féminin (4 347 personnes) et 50 % des victimes de sexe masculin (1 301 personnes) qui ont fait appel aux services d'urgence ont été transportées en ambulance, d'après notre estimation. Le coût estimatif moyen du transport en ambulance était de 590 $ par trajet en 2009Note de bas de la page 39. Le coût total des services d'ambulance, obtenu par la multiplication du nombre de victimes qui y ont eu recours par le coût d'un trajet, serait de 2 563 845 $ pour les victimes de sexe féminin et de 767 347 $ pour les victimes de sexe masculin.

Le coût total des visites aux services d'urgence découlant de la violence conjugale, y compris le coût des soins médicaux et du transport en ambulance, serait donc de 5 949 691 $ pour 2009.

Coût des visites aux services d'urgence – VC contre des femmes 4 490 409 $
Coût des visites aux services d'urgence – VC contre des hommes 1 459 282 $
Total – Coût des soins de santé, Visites aux services d'urgence 5 949 691 $

4.1.3 Hospitalisation en soins de courte durée

L'hospitalisation en soins de courte durée est définie comme étant l'admission dans un hôpital pour un minimum d'une nuit. Les deux composantes du coût des hospitalisations en soins de courte durée sont les services hospitaliers et les services d'ambulance.

Selon l'ESG, 1 444 victimes de sexe féminin et 800 victimes de sexe masculin ont dû être hospitalisées en soins de courte durée à la suite de blessures subies dans le cadre d'incidents de violence conjugale en 2009. Le coût d'une hospitalisation en soins de courte durée dépend de l'état physique de la personne, des services précis qu'elle reçoit, de la durée de son séjour, du sexe et de l'âge du patient et de l'endroit où se trouve l'hôpital, mais le coût quotidien moyen peut être estimé à partir de deux rapports de l'ICIS. Le premier rapport (2008) fournit de l'information sur le coût des séjours en soins de courte durée, et le second (2009) en fournit sur la durée moyenne des séjours en soins de courte durée. Le coût estimatif de l'hospitalisation en soins de courte durée était de 1 044 $ par jour en 2009.

D'après l'ESG, la durée des séjours en soins de courte durée n'était pas la même chez les hommes que chez les femmes. Les hommes ayant subi des blessures aux mains de leur conjointe actuelle ont été hospitalisés en moyenne pendant 17 jours, tandis que les femmes l'ont été pendant en moyenne 2,4 jours. Cet écart pourrait s'expliquer par la prévalence plus élevée de l'utilisation d'armes dans le cadre des incidents de violence conjugale contre des hommes : 15 % des victimes de sexe masculin ont subi des blessures causées par une arme, tandis que c'était le cas de 5 % des victimes de sexe féminin. Ainsi, d'après le nombre de victimes hospitalisées et la durée moyenne du séjour, des victimes de sexe féminin ont été hospitalisées pendant un total de 2 882 jours, et les victimes de sexe masculin ont été hospitalisées pendant un total de 10 521 jours. Le coût des hospitalisations en soins de courte durée est calculé au moyen de la multiplication du nombre de jours passés en soins de courte durée par le coût quotidien moyen, et le coût total de la composante hospitalière est de 3 009 211 $ pour les victimes de sexe féminin et de 10 983 850 $ pour les victimes de sexe masculin.

La méthode utilisée pour calculer le coût des services de transport en ambulance vers les services d'urgence (ci-dessus) est utilisée dans la présente section aussi, quoiqu'avec rajustement : nous présumons que les victimes de sexe féminin et masculin qui ont été hospitalisées pendant au moins une nuit ont eu besoin des services d'ambulance dans une proportion de 60 %, vu la gravité des blessures qui exigent une hospitalisation en soins de courte durée. En appliquant le coût moyen de 590 $ par trajet en ambulance, on peut estimer que le coût total des services d'ambulance était de 793 873 $.

Le coût total des hospitalisations en soins de courte durée se calcule ainsi : on additionne le coût des services hospitaliers et celui des services d'ambulance. L'incidence économique totale de la violence conjugale sur l'hospitalisation en soins de courte durée serait donc de 14 786 935 $ pour 2009.

Coût des hospitalisations en soins de courte durée – VC contre des femmes 3 520 004 $
Coût des hospitalisations en soins de courte durée – VC contre des hommes 11 266 931 $
Total – Coût des soins de santé, Hospitalisation en soins de courte durée 14 786 935 $

4.2 Troubles de santé mentale

Les répercussions négatives de la violence conjugale sur la santé se manifestent à la fois sur le plan mental et sur le plan physique, et le lien entre la violence conjugale faite aux femmes et les troubles de santé mentale dont elles souffrent est bien documenté. D'après Weinbaum et coll. (2001), 48 % des femmes battues déclaraient avoir « voulu de l'aide en santé mentale au cours des 12 derniers mois ». Beaucoup d'études montrent que les femmes qui ont été agressées par leurs partenaires intimes sont plus à risque que les autres d'avoir certains troubles de santé mentale, notamment la dépression, le trouble du stress post-traumatique (TSPT), la toxicomanie et les comportements suicidaires. Les études réalisées aux États-Unis ou au Canada indiquent que les femmes qui reçoivent des services après avoir été victimes de violence conjugale souffrent de dépression dans une proportion allant de 17 % à 72 % et de TSPT dans une proportion allant de 33 % à 88 % (Arias et Pape 1999; Astin et coll. 1993; Astin et coll. 1995; Campbell et coll. 1995; Cascardi et O'Leary 1992; Humphreys 2003; Humphreys et coll. 2001; Kubany et coll. 1996; Sackett et Saunders 1999; Street et Arias 2001; Torres et Han 2000). Selon une méta-analyse des études sur les femmes battues réalisée par Golding (1999), la prévalence moyenne pondérée de la dépression serait de 48 % chez les victimes de sexe féminin, celle du TSPT serait de 64 % et celle du suicide serait de 18 %.

Il y a moins de données concernant les effets de la violence conjugale sur la santé mentale des hommes. Hines et Douglas (2010) ont mené une étude auprès de 302 hommes victimes de violence entre partenaires intimes (VPI) perpétrée par des femmes, ils concluent que 9,6 % des hommes ont reçu un diagnostic de trouble de santé mentale depuis qu'ils vivent une relation de violence. Les troubles de santé mentale les plus fréquents sont la dépression (64,8 % de l'échantillon d'hommes ayant une maladie mentale), l'anxiété (47,9 % de l'échantillon) et le TSPT (12,7 % de l'échantillon).

Ce qui rend complexe l'estimation du nombre de victimes qui ont un trouble de santé mentale à cause de la violence conjugale, c'est la vaste gamme des troubles de santé mentale qui existent, les critères utilisés pour déterminer la morbidité et la possibilité qu'une victime ait de multiples problèmes de santé. Ainsi, et vu le manque de données également, la dépression et l'anxiété sont utilisées comme mesure indirecte des autres troubles de santé mentale associés à la violence conjugale. La dépression est l'un des troubles de santé mentale les plus courants au CanadaNote de bas de la page 40, et l'ESG contient des données utiles à ce chapitre. Par conséquent, seulement trois éléments de coût liés aux troubles de santé mentale sont examinés dans la présente section, et seulement les coûts supplémentaires, c'est-à-dire les coûts qui sont assumés par les gens qui ont des troubles de santé mentale et qui ne le sont pas par les autres, sont inclus dans ces éléments de coût. Les trois éléments de coût sont les services médicaux, la perte de productivité et le coût des hospitalisations à la suite d'une tentative de suicide. Suivant l'exemple de Lim et coll. (2008 b), les troubles de santé mentale diagnostiqués ou non sont analysés.

4.2.1 Services médicaux 

Les services de soins de santé mentale sont offerts par une vaste gamme de fournisseurs de services au Canada. Les services qui concernent précisément le traitement des troubles de santé mentale sont notamment ceux de spécialistes, des programmes hospitaliers axés sur la santé mentale (y compris les soins externes et internes) et les centres communautaires de soins de santé mentale qui offrent du counseling et des traitements en santé mentale à domicile ou communautaires. Les personnes qui ont des troubles de santé mentale sont aussi plus susceptibles que les autres d'utiliser les services de santé en général; d'après Mai et coll. (2010), les usagers des services de soins de santé mentale consultent aussi des médecins généralistes plus souvent que les autres. Pour ce qui est des soins de santé primaires, les généralistes sont les professionnels de la santé les plus fréquemment consultés à l'égard de questions de santé mentale, et ce sont eux qui s'occupent en bonne partie du traitement de la maladie mentale (Santé Canada 2002).

Lim et coll. (2008 b) utilisent les données de l'Enquête sur la santé dans les collectivités de 2003 pour examiner l'utilisation accrue des services de soins de santé par les gens qui ont une maladie mentale. Ils classent les participants selon qu'ils ont une maladie mentale diagnostiquée, une maladie mentale non diagnostiquée ou aucune maladie mentale. Les participants à l'enquête sont placés dans la catégorie des gens qui ont une maladie mentale non diagnostiquée s'ils ont déclaré que leur santé mentale est mauvaise, s'ils ont consulté un professionnel de la santé mentale à au moins deux reprises, s'ils ont obtenu une certaine note minimale dans un module de dépistage de la dépression ou s'ils ont déclaré avoir envisagé sérieusement de se suicider.

D'après Lim et coll. (2008 b), le nombre de consultations d'un médecin généraliste par année est en moyenne de 6,7 chez les gens qui ont une maladie mentale diagnostiquée, de 4,8 chez les gens qui ont une maladie mentale non diagnostiquée et de 2,9 chez les gens qui n'ont aucune maladie mentale. Des tendances similaires s'observent dans l'utilisation d'autres services de soins de santé comme la consultation d'un spécialiste et le nombre de jours d'hospitalisation (voir le tableau 4.2). L'exhaustivité des données de Lim et coll. (2008 b) est limitée par ce qui suit : la méthode diagnostique, qui exige que des symptômes prédéfinis soient observés pour qu'un diagnostic soit posé, ce qui peut exclure les personnes qui ont des symptômes inhabituels pour un trouble de santé mentale, ainsi que le choix que peut faire une personne ayant un trouble de santé mentale de ne pas consulter, ce qui fait qu'il n'y a pas de diagnostic ni de recours aux services médicaux même si la personne a un trouble.

Tableau 4.2 : Utilisation des services médicaux en fonction de l'état de santé mentale au Canada
Service médical Pas de maladie mentale Maladie mentale diagnostiquée Maladie mentale non diagnostiquée
Consultations d'un médecin généraliste 2,9 6,7 4,8
Consultations d'un spécialiste 0,7 2,5 1,7
Nombre de jours d'hospitalisation 0,5 2,2 1,2

L'estimation faite dans la présente section inclut le coût supplémentaire des services médicaux pour les gens qui ont un trouble de santé mentale, mais, en raison du manque de données, les services communautaires de santé mentale et les dépenses pour l'achat de médicaments ne sont pas inclus. L'ESG est utilisée pour déterminer le nombre de Canadiens qui ont un trouble de santé mentale à cause de la violence conjugale. Plus précisément, selon cette enquête, 38 332 femmes et 10 320 hommes ont déclaré souffrir de dépression et d'anxiété au cours de l'année suivant le moment où ils ont été victimes de violence conjugale, ce qui représente 21,3 % des victimes de sexe féminin et 6,6 % des victimes de sexe masculin de violence conjugale au cours de l'année. La proportion de femmes d'après l'ESG est incluse dans la fourchette de 17 % à 72 % délimitée par les résultats des études canadiennes et américaines citées plus haut, ce qui porte à croire que cette proportion est une estimation raisonnable.

Toujours selon l'ESG, 30,9 % des femmes et 19,5 % des hommes victimes de violence conjugale qui souffraient de dépression ou d'anxiété ont pris des médicaments dans le cadre de leur traitement (médicaments sur ordonnance ou en vente libre). Ce groupe de victimes (13 848 femmes et hommes) est classé parmi les gens qui ont des troubles de santé mentale diagnostiqués. Les autres, qui ont déclaré souffrir de dépression ou d'anxiété, mais qui n'ont pas déclaré prendre des médicaments pour leur traitement, sont placés dans la catégorie des gens qui ont un trouble de santé mentale non diagnostiqué (34 804 femmes et hommes).

Lim et coll. (2008 b) fournissent le coût supplémentaire des soins de santé pour les gens qui avaient des troubles de santé mentale diagnostiqués ou non, par rapport aux gens qui n'avaient aucun trouble de santé mentale. Chacune des catégories est ensuite subdivisée en cinq groupes d'âge, et l'ESG permet les mêmes regroupements par tranche d'âge. Par exemple, d'après Lim et coll. (2008 b), le coût supplémentaire des services médicaux pour les gens qui avaient un trouble de santé mentale diagnostiqué et qui étaient âgés de 20 à 34 ans était de 1 246 $, et ce coût était de 382 $ pour les gens qui avaient un trouble de santé mentale non diagnostiqué. Chacune des estimations de coût supplémentaire pour un groupe d'âge d'après Lim et coll. (2008b) est multipliée par le nombre de victimes ayant un trouble de santé mentale et appartenant à la même tranche d'âge d'après l'ESG. L'incidence économique totale de la violence conjugale sur les services de soins de santé mentale serait donc de 48 044 427 $ pour 2009.

Coût de traitement des troubles de santé mentale – VC contre des femmes 38 013 972 $
Coût de traitement des troubles de santé mentale – VC contre des hommes 10 030 455 $
Total – Coût des troubles de santé mentale, Services médicaux 48 044 427 $

4.2.2 Jours de travail perdus

La présente section porte sur les jours de travail perdus à cause de l'absentéisme découlant des troubles de santé mentale; les pertes de productivité liées à l'absentéisme causé par les blessures physiques sont estimées dans la présente section également, à la rubrique Perte de productivité. D'après Lim et coll. (2008 b), le nombre moyen de jours de travail perdus en raison d'une invalidité à court terme est de 33 chez les gens qui ont des troubles de santé mentale diagnostiqués, de 27 chez les gens qui ont des troubles de santé mentale non diagnostiqués et de 10 chez les gens qui n'ont aucun trouble de santé mentale (voir la section sur les services médicaux pour une description des catégories des troubles de santé mentale diagnostiqués et non diagnostiqués). Ainsi, la perte de travail supplémentaire subie par les gens qui ont des troubles de santé mentale diagnostiqués est de 23 jours, et celle subie par les gens qui ont des troubles de santé mentale non diagnostiqués est de 17 jours. La perte de travail à long terme (chômage) attribuable à des troubles de santé mentale n'est pas examinée en raison du manque de données à ce chapitre.

Le nombre de jours de travail perdus à cause de troubles de santé mentale est utilisé par Lim et coll. (2008b) pour calculer le coût supplémentaire découlant de la perte de travail, les catégories des personnes ayant des troubles de santé mentale diagnostiqués et non diagnostiqués étant subdivisées par tranches d'âge. Par exemple, le coût supplémentaire de la perte de travail subie par les personnes qui ont un trouble de santé mentale diagnostiqué et qui étaient âgées de 20 à 34 ans en 2009 était de 3 454 $, et il était de 2 023 $ pour les personnes de la même tranche d'âge qui avaient un trouble de santé mentale non diagnostiqué.

On estime que 13 848 victimes ont reçu un diagnostic de trouble de santé mentale et que 34 804 victimes ont souffert d'un trouble de santé mentale non diagnostiqué à cause de la violence conjugale. Ces groupes de victimes sont subdivisés en groupes d'âge qui sont les mêmes que pour les estimations du coût de la perte de travail faites ci-dessus. La perte de travail des victimes de violence conjugale est donc calculée au moyen de la multiplication du nombre de victimes dans chaque tranche d'âge par le coût estimatif de la perte de travail correspondant. L'incidence économique totale de la violence conjugale sur la perte de travail découlant de l'état de santé mentale serait donc de 119 613 045 $ pour 2009.

Perte de travail à court terme – VC contre des femmes 98 178 631 $
Perte de travail à court terme – VC contre des hommes 21 434 414 $
Total – Coût des troubles de santé mentale, Perte de travail à court terme 119 613 045 $

4.2.3 Tentatives de suicide (frais médicaux)

Dans la présente section, les auteurs s'appuient sur de nombreuses sources pour estimer le nombre de tentatives de suicide (y compris tous les cas d'automutilation) causées par la violence conjugale et donnant lieu à un traitement médical en milieu hospitalier, ainsi que les coûts associés à ce traitement. Les deux éléments des soins de santé qui font partie du traitement de l'automutilation sont les hospitalisations en soins de courte durée (pendant au moins une nuit) et les visites aux services d'urgence. Tous les frais médicaux relatifs au suicide sont inclus dans la présente section (les suicides et les tentatives de suicide), mais la valeur des vies perdues à cause du suicide sera examinée dans une section ultérieure portant sur ce thème.

Les travaux de recherche ont montré que le taux de suicide et de tentative de suicide est plus élevé chez les victimes de violence conjugale que chez les autres personnes. Les études réalisées dans de nombreux pays (notamment les États-Unis, le Royaume-Uni, les îles Fidji, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, le Pérou, l'Inde, le Bangladesh et le Sri Lanka) montrent une corrélation positive entre la violence conjugale et le suicide. Une étude réalisée par les Nations Unies (Nations Unies 1989) conclut que le suicide est 12 fois plus probable lorsqu'une femme a été victime de violence que lorsqu'elle ne l'a pas été. Golding (1999) effectue une métaanalyse de 13 études et conclut que le taux de prévalence du suicide chez les femmes battues va de 4,6 % à 77 %, et il estime que le taux moyen pondéré de tendance suicidaire est de 17,9 %. Singleton et coll. (2002) examinent un échantillon de femmes britanniques ayant fait une tentative de suicide à un moment donné au cours de leur vie et concluent que 34 % de ces femmes ont été victimes de violence conjugale. Stark et Flitcraft (1996) affirment que la violence conjugale pourrait être la cause la plus importante et la plus fréquente des tendances suicidaires chez les femmes.

L'étude de Stark et Flitcraft (1996) contient des résultats qui peuvent être utilisés dans le cadre de nos estimations. Les auteurs concluent que 29,5 % des 176 femmes américaines constituant l'échantillon à l'étude et s'étant rendues aux services d'urgence après une tentative de suicide avaient été battues. à partir de ce résultat, nous présumons que 29,5 % des suicides et des tentatives de suicide par des femmes en 2009 ont été commis par les victimes de violence conjugale, mais cela ne signifie pas nécessairement que la violence conjugale était le principal motif de la tentative de suicide. Par conséquent, un autre résultat de l'étude menée par Stark et Flitcraft (1996) est utilisé pour garantir que seules les tentatives de suicide découlant de la violence conjugale sont incluses dans l'estimation. Selon l'étude, 36,5 % des femmes battues qui avaient tenté de se suicider s'étaient rendues à l'hôpital pour une blessure causée par la violence conjugale le jour de leur tentative de suicide, mais avant de passer à l'acte. Nous présumons donc que la violence conjugale était la principale cause de la tentative de suicide de ces 36,5 % des victimes qui se sont fait du mal. Ensemble, ces deux hypothèses mènent à la conclusion que 10,8 % (= 29,5 %*36,5 %) des tentatives de suicide et des suicides par des femmes ont été principalement causées par la violence conjugale.

S'il y a beaucoup de travaux de recherche concernant le lien entre la violence conjugale faite aux femmes et les tentatives de suicide, il y en a très peu au sujet des hommes. D'après les rares études qui existent (Ansara et Hindin 2011; Ansara et Hindin 2010), les conséquences physiques et affectives de la violence conjugale sont plus graves chez les femmes que les hommes. Ces conclusions sont appuyées par l'ESG, d'après laquelle les victimes de sexe féminin vivent davantage d'incidents que les victimes de sexe masculin en moyenne (4,3 incidents contre 2,7 incidents), une proportion plus élevée de victimes de sexe féminin se rendent à l'hôpital (5,5 % contre 1,9 %) et une proportion plus élevée de victimes de sexe féminin est affectée par les incidents sur le plan mental ou sur le plan affectif (87 % contre 65 %).

Il est clair que la proportion à laquelle nous arrivons pour les tentatives de suicide faites par des femmes victimes de violence conjugale ne peut s'appliquer directement aux hommes. Toutefois, il n'existe aucune donnée concernant les tentatives de suicide faites par les hommes et la violence conjugale, ce qui fait que les résultats de l'analyse concernant les femmes sont utilisés comme base pour estimer le nombre de tentatives de suicide faites par des hommes à cause de la violence conjugale. Pour bien tenir compte de l'incidence accrue de la violence sur les femmes, nous utilisons les résultats obtenus par Graham-Kevan et Archer (2003) concernant la proportion d'actes de terrorisme intime (TI) commis par des hommes et des femmes. Nous présumons que le TI, qui est la forme la plus grave de violence conjugale, est la forme de violence conjugale à l'origine de presque toutes les tentatives de suicide causées par la violence conjugale. Nous présumons aussi que la probabilité que des femmes et des hommes victimes de TI fassent une tentative de suicide est la même, et donc que le rapport entre les tentatives de suicide faites par des femmes et celles faites par les hommes sera équivalent au rapport entre les actes de TI subis par des femmes et les actes de TI subis par des hommes. Comme 87 % des victimes de TI sont des femmes et que 13 % sont des hommes d'après Graham-Kevan et Archer (2003), les femmes sont 6,69 fois plus susceptibles que les hommes d'être victimes de TI (= 87 %/13 %). Ce ratio est appliqué au pourcentage de tentatives de suicide faites par des femmes victimes de violence conjugale (10,8 %) pour obtenir une estimation du pourcentage des tentatives de suicide faites par les hommes principalement à cause de la violence conjugale, c'est-à-dire 1,6 % (= 10,8 %/6,69).

L'estimation concernant l'hospitalisation en soins de courte durée qui est faite dans la présente section ne tient compte que des victimes âgées de 15 à 69 ans, mais cette méthode n'exclut que très peu de coûts, puisque le nombre d'hospitalisations découlant d'une tentative de suicide diminue de façon marquée chez les gens de 50 ans et plus (ICIS 2011). Un aspect de l'estimation concernant les hospitalisations qui accroît son exactitude, c'est le fait qu'elle est fondée sur le nombre d'hospitalisations, et non sur le nombre de victimes, comme c'est le cas dans la plupart des autres sections du rapport. L'estimation tiendra donc compte de toutes les hospitalisations dans les cas où les patients peuvent être hospitalisés plusieurs fois. D'après l'ICIS 2011, 6 % des patients admis à l'hôpital pour une tentative de suicide en 2009-2010 avaient été hospitalisés deux fois, et 1 % de ces patients ont été hospitalisés trois fois ou plus. Toujours d'après l'ICIS (2011), il y a eu 16 930 hospitalisations pour tentative de suicide ou automutilation en 2009 dans la tranche d'âge de 15 à 69 ans, et il s'agissait de femmes dans 9 843 cas. à partir du taux de tentatives de suicide causées principalement par la violence conjugale que nous avons établi plus haut (10,8 % pour les femmes et 1,6 % pour les hommes), nous estimons que 1 060 hospitalisations pour une tentative de suicide ont été causées par la violence conjugale subie par des femmes et que 114 hospitalisations ont été causées par la violence conjugale subie par des hommes. La durée moyenne d'une hospitalisation en soins de courte durée à la suite d'incidents d'automutilation était de 7,74 jours en 2010-2011 (ICIS 2011), et le nombre total de jours passés à l'hôpital par des victimes de violence conjugale qui ont tenté de se suicider serait donc de 9 086. Le coût moyen d'une hospitalisation d'une journée au Canada est de 1 044 $, ce qui fait que le coût total des hospitalisations pour tentative de suicide était de 9 485 530 $.

Les gens qui s'automutilent sont souvent aussi traités aux services d'urgence. D'après les données de l'Ontario, de l'Alberta et du Yukon, les patients qui doivent être hospitalisés pendant au moins une nuit après s'être automutilés se rendent aux services d'urgence de deux à trois fois. Nous présumons donc que chaque hospitalisation en soins de courte durée s'assortit de 2,5 visites aux services d'urgence, et nous estimons, à partir des données concernant l'hospitalisation en soins de courte durée obtenues ci-dessus (1 060 hospitalisations de femmes et 114 hospitalisations d'hommes), que le nombre total de visites aux services d'urgence après une tentative de suicide causée par la violence conjugale était de 2 935 dans l'ensemble du Canada en 2009. Nous présumons que les personnes qui tentent de se suicider et qui sont hospitalisées pour des blessures liées à leur tentative de suicide ont probablement besoin d'être transportées en ambulance vers les services d'urgence, puisqu'elles sont peu susceptibles de demander des soins médicaux de leur propre chef, même si elles en ont besoin. Nous présumons donc que le transport en ambulance était nécessaire dans 90 % des cas de visites aux services d'urgence. Comme une visite aux services d'urgence coûtait 266 $ en 2009 et qu'un trajet en ambulance coûtait 590 $, le coût total lié aux visites aux services d'urgence pour tentatives de suicide causées par la violence conjugale était de 2 338 937 $.

En additionnant le coût des hospitalisations en soins de courte durée et des visites aux services d'urgence, nous obtenons une estimation de l'incidence économique de la violence conjugale sur les traitements à l'hôpital pour tentatives de suicide, soit 11 824 467 $ pour 2009. Encore une fois, nous prions le lecteur de consulter l'annexe B : Coûts subis par les victimes – 4.2 Troubles de santé mentale – B.2.3 Tentatives de suicide pour les calculs détaillés et les sources.

Frais médicaux engendrés par les tentatives de suicide – VC contre des femmes 10 675 883 $
Frais médicaux engendrés par les tentatives de suicide – VC contre des hommes 1 148 584 $
Total – Coût des troubles de santé mentale, Tentatives de suicide 11 824 467 $

Pour ce qui est des suicides réussis qui ont été causés par la violence conjugale, nous multiplions le total des suicides réussis par la proportion des suicides qui sont causés par la violence conjugale. Comme les données concernant les suicides n'étaient pas accessibles pour 2009, nous avons utilisé la moyenne des suicides réussis des trois dernières années pour lesquelles l'information est accessible. De 2005 à 2007, il y a eu en moyenne 3 254 suicides de personnes âgées de 15 à 69 ans au Canada, dont 2 488 suicides commis par des hommes. D'après les estimations que nous avons faites ci-dessus, la proportion des suicides causés par la violence conjugale était de 10,8 % pour les femmes et de 1,6 % pour les hommes. La multiplication de ces taux par le nombre total de suicides permet d'estimer le nombre de suicides causés par la violence conjugale, qui serait de 82 chez les femmes et de 40 chez les hommes. La valeur des vies humaines perdues sera examinée à la section 4.5 – Coûts invisibles.