Guide de traitement des victimes d’actes criminels: Application de la recherche à lapratique clinique (deuxième édition)

4.0 Les stratégies d’adaptation des victimes

Les intervenants doivent aussi s’intéresser aux stratégies d’adaptation des victimes. Les victimes doivent surmonter beaucoup de difficultés : le choc provoqué par l’acte criminel, les rapports avec la police et les tribunaux, les réactions des autres, le retour à la « normale », le sentiment d’insécurité, le blâme personnel, etc. Les chercheurs affirment que les victimes, même si elles parviennent à se tirer d’affaire relativement bien, ne semblent pas retrouver le même niveau de stress qu’elles éprouvaient avant le crime (Hagemann [1992]; Norris et coll. [1997]; Resick et coll. [2002]). Même si, avec le temps, la victime peut arriver à reprendre une vie « normale », la victimisation semble toutefois provoquer des effets qui s’avèrent durables (Gilboa-Schechtman et Foa [2001]; Norris et coll. [1997]). Grâce à bonne connaissance des diverses stratégies d’adaptation auxquelles les victimes peuvent recourir, les intervenants seront en mesure d’aider les victimes à examiner pendant ce temps les options possibles et adopter des stratégies nouvelles et plus efficaces. De plus, en surveillant chez les victimes la mise en application de ces stratégies, les intervenants pourront mieux évaluer les progrès de leurs clients, car les recherches montrent que les victimes ont tendance à délaisser les techniques d’adaptation à mesure que leur état s’améliore (Calhoun et Atkeson [1991]).

En outre, nous négligeons souvent le stress de la vie ordinaire lorsque nous portons tout l’intérêt à la détresse et aux stratégies d’adaptation des victimes. Les victimes d’actes criminels continuent de faire face au même stress que les autres dans leur famille, dans leurs relations et dans leur vie. Le stress que subit la victime d’un acte criminel s’ajoute donc aux autres facteurs de stress. Une étude récente a révélé que les victimes d’actes criminels qui ont un emploi courent un risque accru d’utiliser de piètres stratégies d’adaptation (Boccellari et coll. [2007]). Ces chercheurs soutiennent que ce phénomène s’explique par le fait que le stress au travail empêche de choisir efficacement des stratégies de guérison. Les intervenants doivent se rappeler qu’ils ne doivent pas se limiter à la détresse causée par le crime et à l’adaptation de la victime, mais tenir compte d’autres facteurs de stress dans la vie de celle-ci. Ils peuvent diriger les clients vers les services de soutien appropriés. Par exemple, une victime ayant de faibles aptitudes à la lecture qui ne peut pas lire les brochures d’instruction ou participer à part entière aux discussions des groupes de soutien pourrait être orientée vers des programmes d’alphabétisation communautaires.

Avant d’examiner les diverses stratégies d’adaptation, une précision importante s’impose. Les travaux de recherche font une nette distinction entre l’adaptation positive et l’adaptation négative. L’adaptation positive vise à nous transformer ou à attaquer le problème de front (par exemple le soutien social, la résolution des problèmes, la recherche d’information). L’adaptation négative, en règle générale, ne porte pas sur les agents stressants ou notre réaction (par exemple le blâme dirigé vers les autres, le retrait, la résignation, l’autocritique, l’agression, les idées chimériques, la consommation d’alcool ou de drogue). Dempsey (2002) a constaté que les stratégies d’adaptation négatives pouvaient aggraver l’état de l’individu.

Cette distinction entre l’adaptation positive et l’adaptation négative n’est pas simple. Certains chercheurs ont observé que certaines stratégies d’adaptation comme l’évitement ou la dissociation pouvaient aider l’individu à surmonter les effets du choc initial, mais aggravaient son état à mesure que le temps passait (Hagemann [1992]; Harvey et Bryant [2002]; Ullman [1999]). De plus, les normes culturelles peuvent entrer en ligne de compte, car les stratégies d’adaptation considérée comme négatives dans la société canadienne générale pourraient être considérées comme normales dans certaines sous-cultures (voir Nordanger [2007] pour un examen de l’évitement et du deuil).

Les intervenants doivent évaluer chaque personne pour décider si ses stratégies d’adaptation l’aident à survivre ou à faire des progrès ou si elles lui nuisent plutôt. Il faut considérer la victime comme quelqu’un qui se retient à une petite branche d’arbre pour éviter de tomber dans un précipice : sa situation est précaire, mais tant qu’elle n’aura pas d’autre option, elle ne lâchera pas prise! L’intervenant doit aider le client à remplacer les stratégies d’adaptation qui ne fonctionnent pas par des stratégies plus positives – et non simplement à supprimer les stratégies négatives. Il ne faut oublier que les victimes d’actes criminels sont un groupe diversifié; l’intervenant doit donc évaluer chaque individu afin de comprendre ses réactions personnelles. Le tableau 3 énumère les stratégies d’adaptation les plus courantes auxquelles peuvent recourir les victimes d’actes criminels. Nous commenterons chacune d’elles brièvement.

Tableau 3 – Stratégies d’adaptation habituelles

Stratégies positives

  • Recherche d’information 5
  • Autocomparaison et mise en évidence des éléments positifs de la victimisation 1, 5, 11, 19
  • Comparaison sociale 4, 5, 8, 19
  • Activités visant à reprendre sa situation personnelle en main 4, 5, 26
  • Activisme 5
  • Prendre du temps pour se rétablir 3, 5, 15, 17
  • Adaptation axée sur l’émotion 23, 24
  • Obtention d’un soutien 2, 4, 9, 14, 15, 23, 24

Stratégies négatives

  • Évitement des souvenirs du crime 2, 5, 13, 20, 21, 22, 25, 26, 27, 28
  • Évitement comportemental - Consommation de drogues ou d’alcool
  • Déni et automystification 13, 18, 19, 20, 26
  • Dissociation 6, 10, 15
  • Remémoration obsessionnelle du crime 4, 7
  • Automutilation 29, 30

Updated references

4.1  Positive Coping Strategies

Recherche d’information

Souvent, les victimes d’un acte criminel désirent simplement obtenir de l’information (Hagemann [1992]), par exemple sur le système de justice, les programmes offerts et les réactions courantes (Greenberg et Ruback [1992]). La victime peut aussi recueillir de l’information afin de faire un choix parmi différents traitements ou même de décider si elle veut obtenir de l’aide (Prochaska et coll. [1992]).

Recadrage cognitif de la victimisation : autocomparaison et mise en évidence des aspects positifs du fait d’avoir survécu

Dans son étude sur les victimes d’agression sexuelle, Hagemann [1992] constate que certaines victimes se sentent mieux du fait qu’elles se considèrent comme des survivantes. Thompson [2000] souligne pour sa part que les victimes d’agression sexuelle peuvent au départ accepter le terme « victime » parce qu’il démontre qu’elles n’étaient pas responsables de l’agression. Pendant qu’elles composent l’expérience vécue, ces victimes se voient plutôt comme « survivantes » parce que ce terme est associé à la force, au rétablissement et à un esprit combattif. Cette attitude semble avoir aidé certaines victimes à se reprendre en main. Dans les situations difficiles, les gens ont souvent besoin de trouver un sens à ce qui leur est arrivé, puis ils tentent d’en tirer quelque chose de positif, quelle que soit la gravité de l’événement (Davis et coll. [1998]).

En termes simples, cette stratégie revient à dire : « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort. » Le fait de se tirer avec succès d’une situation difficile semble inciter les victimes à s’estimer fortes (Thompson [2000]), et plus la situation est difficile, plus cet effet est considérable (McFarland et Alvaro [2000]). En fait, les gens ont souvent tendance à considérer qu’ils étaient beaucoup plus faibles avant l’événement, même si ce n’est pas le cas (McFarland et Alvaro [2000]). C’est peut-être là une façon de voir quelque chose de positif dans une situation qui est de toute évidence difficile (Davis et coll. [1998]). Tugade et Fredrickson [2007] examinent comment les personnes qui ont du ressort peuvent trouver un sens positif dans des événements négatifs.

Recadrage cognitif de la victimisation : comparaison sociale

Pour donner une signification à ce qu’elles ont vécu, les victimes se comparent souvent à d’autres victimes. L’exemple de victimes qui se sont bien remises peut inspirer la persévérance (Greenberg et Ruback [1992]). C’est toutefois une arme à double tranchant, car l’individu peut aussi se décourager s’il a l’impression qu’il ne fait pas les mêmes progrès. Les victimes peuvent aussi se comparer à d’autres victimes qui ne se sont pas vraiment remises de l’événement. L’individu peut alors s’estimer chanceux de ne pas être atteint aussi gravement que quelqu’un d’autre (Hagemann [1992]; Greenberg et Ruback [1992]; Thompson [2000]). Si l’individu ne peut pas se comparer à d’autres victimes dont l’état est plus grave que le sien, il s’invente un scénario où les choses auraient pu être bien pires pour lui. Dans ces scénarios imaginaires, l’individu revit le crime, mais en y ajoutant des dommages physiques, affectifs ou personnels encore plus graves (Greenberg et Ruback [1992]). Cette façon de faire semble aider la victime à mettre les choses en perspective et peut même l’inciter à s’intéresser aux éléments positifs de sa situation (Thompson [2000]).

Activités permettant de reprendre le contrôle de soi

Les victimes peuvent aussi se livrer à des activités qui leur donnent l’impression de reprendre le contrôle de leur vie. Par exemple, une victime d’agression peut prendre des cours d’autodéfense, (Hagemann [1992]) tandis que la victime d’un autre acte criminel peut déposer des accusations et suivre les procédures devant les tribunaux (Greenberg et Ruback [1992]).

Activisme

Il semble que certaines victimes recouvrent leur équilibre en devenant activistes ou en prenant la défense des droits des victimes (Hagemann [1992]). Elles mettent ainsi leur expérience au service de la société et souhaitent la changer afin qu’il y ait moins de victimes ou que celles-ci reçoivent un traitement plus équitable.

Adaptation axée sur les émotions

L’adaptation axée sur les émotions consiste à entreprendre des activités qui visent à changer directement les sentiments de la victime (réflexion positive, relaxation, expression des émotions, distraction). Selon une étude récente, l’adaptation axée sur les émotions peut aider à réduire le stress et à améliorer l’auto-évaluation par la victime de sa stratégie d’adaptation (Green et Diaz [2007 et 2008]). Par ailleurs, ces chercheurs ont constaté que l’adaptation axée sur les problèmes (stratégies qui portent sur le changement des actions de la victime selon la situation) accroît le trouble émotionnel. Ce lien était plus solide chez les femmes que chez les hommes.

Soutien social

Les victimes d’actes criminels se sentent souvent mal (Casarez-Levison [1992]) et peuvent aller chercher le soutien des autres (Greenberg et Ruback [1992]; Leymann et Lindell [1992]; Norris et coll. [1997]; Steel et coll. [2004]). Les recherches montrent que les gens qui obtiennent un soutien social positif s’adaptent mieux (Nolen-Hoeksema et Davis [1999]; Steel et coll. [2004]). De plus, il semble même que la croyance de pouvoir obtenir du soutien aide parfois les victimes à se sentir mieux (Green et Diaz [2007]), surtout si elles sont prises de colère (Green et Pomeroy [2007]). Les aidants naturels (famille, amis, etc.) et les aidants professionnels (policiers, avocats, membres du clergé, personnel médical et spécialistes de la santé mentale) peuvent tous fournir une assistance aux victimes. Bien que la décision de choisir le type de soutien appartienne à la victime, celle qui a recours aux aidants naturels est aussi plus susceptible de recourir à l’assistance professionnelle, surtout si elle a l’impression d’être bien épaulée (Norris et coll. [1997]). Les gens qui viennent en aide aux victimes peuvent leur donner de l’information, leur tenir compagnie, leur faire accepter la réalité, leur offrir du soutien affectif et leur fournir de l’aide financière ou un logement sûr (Everly et coll. [2000]). Le soutien reçu semble également réduire l’anxiété de la victime (Green et Pomeroy [2007]). Selon un sondage récent mené au Canada, 60 p. 100 des victimes d’un crime de violence et 80 p. 100 des victimes d’un crime non violent cherchent à obtenir de l’aide auprès leur famille (AuCoin et Beauchamp [2007]).

Selon l’observation de Norris et coll. [1997], il est bon pour la victime de raconter son expérience à d’autres personnes et d’exprimer ses sentiments. Le fait de raconter ce qu’elle a vécu semble aider la victime à donner un sens à l’événement et à ses émotions (Greenberg et Ruback [1992]). Cela peut l’aider aussi à se débarrasser des sentiments qui la troublent et à accepter la réalité quant à ses pensées, ses actes et ses sentiments (Greenberg et Ruback [1992]; Leymann et Lindell [1992]; Nolen-Hoeksema et Davis [1999]; Norris et coll. [1997]). Les victimes sont souvent en mesure de définir elles-mêmes le type de soutien qu’elles veulent. Les renseignements présentés au tableau 4 ont pour but de permettre aux intervenants de réfléchir au genre de soutien à offrir à la victime pour répondre à ses besoins. Nous devons éviter d’offrir aux victimes le genre de soutien qui nous semble correspondre à leurs besoins au lieu de les consulter.

Tableau 4 : Genres de soutien
(établis d’après Leymann et Lindell [1992]).
Genre de soutien Description
Émotionnel Estime, intérêt, écoute et attention portée surtout aux sentiments et aux réactions de la victime
Appréciatif Comparaison sociale, affirmation et rétroaction visant à aider la victime à donner un sens à son expérience
Informatif Conseils, suggestions, directives et information
Matériel Soutien matériel : argent, hébergement, temps ou effort

Soutien perçu et soutien réel

Les intervenants doivent se rappeler que le soutien réel (comme participer à un groupe de soutien ou rencontrer un conseiller) et le soutien perçu (savoir par exemple que l’aide est disponible en cas de besoin) sont tous deux utiles pour la victime. Le soutien perçu contribue à atténuer la peur, la dépression et les symptômes du stress post-traumatique (Norris et coll. [1997]; Ozer et coll. [2003], Steel et coll. [2004]). Cette constatation peut s’expliquer par le fait que les gens doivent savoir qu’ils peuvent obtenir de l’aide s’ils en ont besoin et que les autres se soucient de leur sort. En fait, il y a un lien entre une mauvaise réaction des aidants et l’accroissement de la détresse de la victime (Mueller et coll. [2008]). C’est pourquoi le simple fait de savoir qu’il y a un service d’aide aux victimes dans la collectivité peut aider bien des victimes sur la voie du rétablissement – même si elles n’ont pas recours à ce service. Évidemment, le recours à ce type de service est également profitable aux victimes (Norris et coll. [1997]; Ozer et coll. [2003]).

Aidants professionnels et aidants naturels

Certaines victimes affirment que leurs aidants naturels leur sont plus utiles que les aidants professionnels (Leymann et Lindell [1992]); toutefois, dans certains cas, elles peuvent préférer faire appel à des spécialistes. Une étude récente auprès de victimes de violence conjugale montre que les femmes victimes du « terrorisme intime » (violence continue fondée sur le pouvoir et le contrôle) étaient plus susceptibles de recourir à des services de soutien professionnel que les femmes victimes de la violence de leur partenaire à cause de conflits particuliers (Leahy et coll. [2004]). Selon d’autres études, les attitudes culturelles concernant la victimisation (p. ex. la honte associée au fait d’être victime d’une agression sexuelle) peuvent influer sur la décision de recourir à des aidants professionnels ou naturels (Yamawaki [2007]). Il est probable que la victime décide de la meilleure source de soutien en se fondant sur ses propres attitudes, attentes, besoins et antécédents.

Les intervenants et les victimes doivent savoir que les personnes qui font partie du réseau de soutien naturel d’une victime peuvent être moins préparées à faire face aux problèmes qu’éprouve la victime. Au départ, les aidants naturels peuvent s’avérer utiles, mais ils peuvent commettre des erreurs ou devenir dépassés par l’ampleur de la tâche (Mikulincer et coll. [1993]; Nolen-Hoeksema et Davis [1999]). Une étude récente sur la victimisation et le SSPT a révélé que les aidants naturels n’étaient pas aussi utiles aux personnes qui avaient été victimes de crimes à de multiples reprises (Scarpa et coll. [2006]). Dans le pire des cas, ces personnes peuvent ne pas croire la victime ou à avoir une réaction négative, aggravant ainsi sa détresse (Leahy et coll. [2003]; Mueller et coll. [2008]). Certaines victimes ont l’impression que leurs aidants habituels commencent à éviter le contact avec elles parce qu’ils ne savent pas quoi faire (DeValve [2005]). Dans tous les cas, il peut arriver que le réseau social de la victime « s’épuise » et que celle-ci se sente alors abandonnée, isolée et incomprise.

Regardez de nouveau le tableau 4 et imaginez qu’un ami tente d’apporter un soutien affectif à une victime alors que celle-ci souhaite seulement obtenir de l’information. À cause de cette divergence, la victime risque de ne plus s’adresser à cet ami (ni à d’autres) parce qu’elle se sent frustrée et incomprise. Chacun a sa propre façon de réagir à la victimisation. Si nous tentons d’inciter les autres à adopter notre façon de réagir, ceux-ci peuvent avoir l’impression qu’ils n’ont pas été écoutés (Nelson et coll. [2002]). Cela est important parce que le contact avec des personnes incapables de comprendre la victime risque d’aggraver le stress causé par une situation déjà difficile à supporter (Nolen-Hoeksema et Davis [1999].

Pour toutes ces raisons, certaines victimes peuvent juger préférable de s’adresser à des aidants professionnels. Dans un monde idéal, la plupart des spécialistes auraient appris à écouter, à manifester de l’empathie, à aplanir les difficultés et à offrir une gamme de services thérapeutiques. Ils devraient aussi être mieux préparés à écouter les récits et les histoires personnelles plusieurs fois répétés et plus en mesure de déterminer et d’offrir le type de soutien dont chaque victime a besoin. Enfin, la victime n’a pas à se soucier d’une possible rupture du lien interpersonnel, car la relation avec le spécialiste a pour seul but de traiter le traumatisme provoqué par le crime. Les spécialistes devraient aussi être moins susceptibles d’imposer leurs points de vue et s’efforcer de rencontrer la victime « là où elle vit ». Certains chercheurs ont fait une mise en garde aux spécialistes et aux intervenants paraprofessionnels qui ont leurs propres antécédents en matière de victimisation : ils peuvent promouvoir trop fortement certaines solutions parce que celles-ci leur ont déjà donné des résultats (Salston et Figley [2003]).

4.2 Stratégies d’adaptation négatives

Comportement d’évitement actif

L’évitement peut revêtir la forme de comportements d’évitement particuliers, comme s’enfermer chez soi ou s’absenter du travail (Hagemann [1992]), ou encore éviter les travailleurs des services d’aide aux victimes ou les thérapeutes (Gorde et coll. [2004]), etc. En général, les chercheurs s’accordent pour dire que l’évitement est au mieux une solution à court terme et, au pire, inefficace et préjudiciable (Scarpa et coll. [2006]). Selon une étude sur les femmes victimes d’une agression (sexuelle ou physique), celles qui connaissaient leur agresseur et qui se sont écartées des aidants immédiatement après le crime risquaient plus de souffrir du SSPT (Gutner et coll. [2006]). Par conséquent, les victimes qui évitent au début les contacts sociaux peuvent éprouver des problèmes plus graves (voir les avantages du soutien social décrits plus haut). Une étude des survivants de la violence conjugale a révélé que l’évitement de l’aide peut être associé à la stabilité du lieu de résidence : les victimes qui sont logées dans les refuges ou les maisons de transition étaient plus susceptibles de recourir à l’évitement que celles qui habitent dans la collectivité (Gorde et coll. [2004]). Dans certains cas, l’évitement initial des situations difficiles peut permettre à la victime de se fonder sur de petits succès et lui laisser le temps de « panser ses plaies », de reprendre des forces afin de réorganiser sa vie et d’affronter d’autres difficultés, comme le système de justice pénale. En suivant un traitement destiné à maîtriser sa peur, la victime a des chances de se rétablir.

Déni et aveuglement

Le déni et l’aveuglement sont une forme d’évitement psychologique qui aide les victimes à effacer temporairement les souvenirs de leur mémoire. Thompson [2000] s’est intéressé au blocage actif des souvenirs et des sentiments comme moyen de maîtriser des émotions envahissantes. Stillwell et Baumeister [1997] soulignent que les gens ont tendance à déformer leurs souvenirs dans le but de se rendre plus sympathiques. Dans une étude sur le traumatisme associé à la vie dans une zone de guerre, Mikulincer et coll. [1993] ont observé que les gens qui recourent à l’évitement sont plus susceptibles de nier ou de minimiser leur sentiment de détresse. Bien que ces attitudes puissent empêcher le sujet de solliciter de l’aide, elles peuvent aussi avoir pour effet d’atténuer la détresse initiale (Hagemann [1992]). Ullman [1999] arrive à la même conclusion et indique que même si les stratégies d’évitement sont habituellement liées à une aggravation des problèmes, elles peuvent aussi avoir un caractère adaptatif, car elles aident la victime à surmonter le traumatisme initial.

Dissociation

La dissociation est un terme clinique qui décrit une rupture dans le mode de pensée normal d’un individu, dans ses souvenirs, son identité ou la manière dont il perçoit son environnement. Cette notion s’apparente à ce que la plupart des gens appellent un « choc ». Même si nous dissocions tous à divers degrés, le recours à la dissociation comme mécanisme d’adaptation semble plus courant chez les individus qui ont vécu plusieurs expériences traumatisantes graves (Martínez-Taboas et Bernal [2000]). Les intervenants doivent se rappeler que la dissociation est une méthode normale d’adaptation au traumatisme. Selon Harvey et Bryant [2002], la dissociation peut aider la victime à surmonter le traumatisme initial en s’opposant à la mémorisation des événements vécus pendant le crime. Ce changement cognitif permet ainsi à la victime d’oublier les éléments pénibles du traumatisme ou du crime et peut donc atténuer sa détresse. Toutefois, les données de plus en plus nombreuses sur la dissociation initiale et les problèmes ultérieurs jettent un doute sur cette théorie (Bromberg [2003]; Elklit et Brink [2004]; Halligan et coll. [2003]; Ozer et coll. [2003]).

Utilisée trop longtemps, la dissociation peut toutefois devenir une stratégie d’adaptation négative. Selon Halligan et coll. [2003], certains éléments particuliers de la dissociation, comme l’indifférence affective, la confusion, l’altération de la perception du temps, l’instabilité émotive et l’impulsivité sont davantage liés au SSPT. Ils ont constaté que l’indifférence affective et la confusion étaient le plus susceptibles de nuire au traitement du traumatisme. Elklit et Brink [2004] ont noté que le choc initial, la dissociation et l’indifférence affective étaient associés au SSPT qui suit six mois plus tard. Selon Ozer et coll. [2003], ceux qui vivent la dissociation pendant ou immédiatement après un traumatisme sont plus susceptibles de développer le SSPT; ce lien est surtout évident chez ceux qui font appel plus tard aux services de santé mentale. D’autres chercheurs ont aussi observé que la dissociation prolongée pouvait entraver la thérapie ou le processus de rétablissement (Bromberg [2003]). Par conséquent, la dissociation peut être une arme à double tranchant : à court terme, elle peut aider la victime, mais elle peut aussi l’exposer à un risque accru d’éprouver des problèmes plus graves ultérieurement.

Abus d’alcool et d’autres drogues

L’abus d’alcool et d’autres drogues (l’automédication au moyen de drogues illégales ou l’abus de médicaments d’ordonnance) est souvent mentionné dans les ouvrages comme un facteur qui complique la situation chez les victimes (Casarez-Levison [1992]; Everly et coll. [2000]; Hagemann [1992]; Mezy [1988]; Wolkenstein et Sterman [1998]). Ceux qui ont recours à l’automédication pour soulager leur douleur et autres maux sont susceptibles de faire face à des difficultés encore plus grandes, car la consommation d’alcool ou de drogues peut souvent nuire à la prise de décision et à l’adaptation (Kilpatrick et coll. [2003]). Une étude sur la victimisation et la consommation d’alcool chez les adolescentes a montré que le fait de commencer à boire à un âge précoce et la consommation occasionnelle abusive d’alcool accroissent la possibilité de victimisation (Champion et coll. [2004]). Les chercheurs notent également que les personnes qui abusent de l’alcool ou d’autres drogues courent un risque accru de victimisation. En particulier, elles peuvent se placer dans des situations dangereuses, être incapables d’évaluer correctement les situations ou les personnes dangereuses et être plus vulnérables aux agresseurs. Par conséquent, l’abus d’alcool ou d’autres drogues pourrait être une stratégie d’adaptation qui accroît le risque de victimisation future (Champion et coll. [2004]). Morrison et Doucet [2008] ont récemment effectué une étude documentaire sur la victimisation et l’abus d’alcool ou d’autres drogues, dans laquelle ils soulignaient l’importance de la formation, du dépistage, d’une meilleure gestion des cas améliorée et des stratégies de traitement pour mieux assister ce groupe.

Confrontation : réduction cognitive de l’intérêt

D’après Holman et Silver [1998], les stimulus complexes affaiblissent la capacité de l’individu de traiter l’information. Celui-ci voudra alors ralentir dans sa tête le passage du temps afin de pouvoir comprendre tout ce qui produit autour de lui. Les chercheurs soutienent que cette stratégie est censée aider l’individu à s’adapter, mais certaines personnes se fixent excessivement sur l’événement traumatisant et mettent tout le reste de côté (Holman et Silver [1998]). Cette modification du degré de conscience s’apparente à la dissociation (Bromberg [2003]), sauf que l’individu s’efforce de gérer l’agent stressant au lieu de le chasser de son esprit. De plus, Greenberg et Ruback [1992] ont constaté que les stimulus, et plus particulièrement la colère, avaient pour effet d’éveiller davantage les souvenirs. Les stimulus ciblés pourraient donc amener la victime à porter une plus grande attention aux détails de l’acte criminel. Cependant, une étude récente corrobore la conclusion selon laquelle cette polarisation peut toutefois causer des problèmes si l’individu s’efforce de transcender l’expérience de la victimisation, parce qu’il sera incapable de se consacrer entièrement aux autres aspects de sa vie (Orth et coll. [2008]; Orth et coll. [2006]).

Automutilation (non suicidaire)

L’automutilation ou l’automutilation non suicidaire consiste à s’infliger des blessures. On entend souvent parler de personnes qui s’automutilent, par exemple en se faisant des entailles ou en se brûlant, mais d’autres soutiennent que des comportements autodestructeurs comme la prostitution, l’alcoolisme et la toxicomanie, les troubles alimentaires, etc., se classent aussi dans la catégorie (Cyr et coll. [2005]; Dell [2008]). Dans une étude sur les femmes traitées pour l’anxiété et la dépression, Peleikis et coll. [2004] ont observé que les femmes qui avaient été victimes d’agression sexuelle pendant leur enfance étaient plus susceptibles de s’automutiler. Une étude réalisée au Québec sur des adolescentes victimes d’agression sexuelle a montré que 62,1 p. 100 s’étaient mutilées (Cyr et coll. [2005]). Ces chercheurs ont également constaté que les problèmes de dépression et de dissociation étaient plus fréquents parmi le groupe d’adolescentes où les gestes d’automutilation étaient plus réguliers. Selon des études sur les patientes en psychiatrie, il existe un lien entre la violence conjugale et les comportements autodestructeurs, ce qui indique qu’il peut être important de dépister ce problème chez ces victimes (Sansone et coll. [2007]).

Les intervenants doivent également prendre note que l’automutilation n’est pas une tentative de suicide, mais plutôt un comportement visant à réduire le trouble émotionnel (Dell [2008]). Toutefois, une grande confusion découle du fait que l’automutilation non suicidaire peut être confondue avec un comportement suicidaire (Dell [2008]). Une étude sur les antécédents en matière de violence chez les personnes qui voulaient vraiment se suicider a révélé que celles qui avaient fait plusieurs tentatives de suicide et qui avaient été victimes d’agressions sexuelles ou physiques pendant leur enfance avaient aussi déclaré des niveaux plus élevés de comportements autodestructeurs (Ystgaard et coll. [2004]). 

4.3 Résilience, autoefficacité et croissance post-traumatique

L’examen des stratégies d’adaptation des victimes d’actes criminels révèle qu’il y a de plus en plus d’études sur la façon dont les gens réussissent à faire face aux difficultés. La résilience, l’autoefficacité et la croissance post-traumatique sont trois façons légèrement différentes d’examiner comment les personnes utilisent leurs points forts pour surmonter un traumatisme. Les intervenants peuvent voir dans ces concepts des outils pour mieux comprendre les méthodes que les gens emploient pour remonter la pente.

La résilience a trait à la capacité d’une personne de maintenir un équilibre malgré les difficultés (Bonanno [2004]). Il ne s’agit pas simplement de l’absence de problèmes, mais de la capacité de ne pas être touché et en fait de garder un esprit sain en dépit des difficultés. Ce n’est pas non plus la même chose que le rétablissement, qui comprend un élément de « rebondissement » après un traumatisme (Bonanno [2005]). La résilience est courante (Bonanno [2004]; Westphal et Bonanno [2007]); comme nous l’avons mentionné précédemment, la plupart des victimes d’actes criminels n’éprouvent pas des problèmes de santé mentale (Ozer et coll. [2003]).

Les patients vraiment résilients sont rares dans la pratique clinique, mais les intervenants peuvent en rencontrer parmi leurs clients qui se préparent à témoigner devant les tribunaux. Ces victimes peuvent avoir encore besoin d’un soutien, mais elles sont susceptibles de bien résister au stress. En pratique clinique, les intervenants auront probablement à traiter plutôt des cas d’autoefficacité et de croissance post-traumatique.

L’autoefficacité concerne la personne qui croit posséder les outils et les ressources nécessaires pour relever un défi ou accomplir une tâche (Bandura [1997]). Selon les chercheurs, l’autoefficacité est une caractéristique semblable à la résilience qui peut réduire chez l’individu la probabilité d’une réaction grave à la victimisation (Thompson, et coll. [2002]). L’autoefficacité est la fusion de l’estime de soi et de la certitude que l’on peut exercer une influence sur son milieu. Selon Thompson et coll. [2002], en aidant les femmes à atteindre un degré élevé d’autoefficacité au chapitre des aptitudes à la vie quotidienne, elles seraient plus en mesure de décider d’abandonner une relation violente. Cela remet en question le facteur d’« isolement » qu’on observe souvent dans les cas de violence familiale.

Chaque victime a un niveau différent d’autoefficacité avant le crime. Les succès accumulé au cours d’une vie renforceront l’autoefficacité et la confiance en soi; par contre l’incapacité de s’adapter affaiblira l’autoefficacité de l’individu. Ces degrés d’autoefficacité préalables ainsi que l’incidence du crime influent sur le mode d’adaptation de la victime. Par exemple, les gens qui pensent qu’ils recevront de l’aide s’ils en demandent se sentent souvent mieux (Mikulincer et coll. [1993]). Par conséquent l’autoefficacité peut aider dans une grande mesure une personne à faire face au traumatisme et à demander de l’aide. De plus, ces individus peuvent posséder des capacités d’adaptation supérieures. D’autres victimes peuvent devoir acquérir des compétences et compter sur l’autoefficacité pour surmonter le stress. Beaucoup de traitements efficaces pour les victimes comprennent des activités qui les obligent à confronter les souvenirs et les émotions difficiles ou à acquérir et à mettre en pratique de nouvelles compétences, qui finissent par renforcer leur sentiment d’autoefficacité (Amstadter et coll. [2007]; Nishith et coll. [2002]; Resick et coll. [2002]).

La « croissance post-traumatique » a trait aux situations où une personne qui a été touchée par un traumatisme apprend de nouvelles stratégies d’adaptation ou acquiert un nouveau point de vue en affrontant le problème. Les personnes qui sont animées d’une force morale trop grande peuvent rater cette possibilité, car les difficultés ne les ébranlent pas (Pat-Horenczyk et Brom [2007]; Tedeschi et Calhoun [2004]). Il importe de noter que la croissance post-traumatique ne signifie pas qu’un traumatisme constitue une expérience positive dans la vie de ces personnes. Même les personnes qui signalent une croissance post-traumatique élevée éprouvent aussi de nombreux problèmes et difficultés liés au traumatisme (Calhoun et Tedeschi [2006]). En d’autres termes, la plupart des gens auraient préféré éviter le traumatisme, mais peuvent reconnaître à quel point ils ont grandi dans l’épreuve.

Il conviendrait d’examiner les victimes en observant les différents genres de croissance post-traumatique qui pourraient se produire chez elles. Calhoun et Tedeschi [2006] ont étudié la matière sous l’angle statistique et ont relevé trois grandes catégories :

  1. Le changement dans la perception de la personne à son propre sujet
    1. Force personnelle : Je peux survivre à tout
    2. Nouvelles possibilités : Je veux explorer de nouveaux intérêts ou m’adonner à de nouvelles activités
  2. Le changement dans ses rapports avec les autres : lien et compassion
  3. Le changement de la philosophie de vie
    1. Appréciation de la vie (jouir des petites choses de la vie)
    2. Changement spirituel

Il est possible pour les intervenants de constater les processus de croissance chez une partie ou l’ensemble de leurs clients. Les victimes possédant peu de compétences et de ressources sont susceptibles d’être rapidement dépassées par le traumatisme. Un gros effort devra être engagé pour que la personne parvienne à confronter les difficultés causées par le crime. Bon nombre de gens possèdent certaines aptitudes pour faire face aux problèmes, mais elles doivent en acquérir d’autres (croissance post-traumatique). Enfin, certains sont à l’extrême opposé et ne sont pas ébranlées par le traumatisme (résilience). De nombreuses études révèlent que les victimes sont secouées au début, mais qu’elles utilisent leurs ressources personnelles et sociales (autoefficacité) pour « rebondir » – c’est cela qui constitue la croissance post-traumatique.

Les intervenants voudront peut-être donner une définition plus générale de la résilience et y incorporer le point de vue de la croissance post-traumatique selon lequel nombreuses sont les victimes d’actes criminels qui reprennent néanmoins une vie normale et apprennent de nouvelles stratégies d’adaptation. Cela dit, quelles sont certaines des principales conclusions des recherches sur la résilience et comment les intervenants peuvent-ils encourager la croissance et la résilience chez leurs clients? Selon Bonanno [2005], bon nombre des activités que nous considérerions comme de saines habitudes de vie (ressources personnelles, bon réseau de soutien, pragmatisme) favorisent également la résilience. Des chercheurs ont défini plusieurs facteurs permettant de réussir à faire face aux difficultés :

Pour accroître la résilience, l’autoefficacité et les possibilités de la CPT, les victimes doivent s’appuyer sur leurs ressources. Elles peuvent tirer parti de leurs points forts et apprendre à déterminer les aspects positifs, profiter des bonnes journées ou des soutiens positifs, apprendre à se détendre et à penser aux bienfaits ou même s’assurer de prendre le temps de savourer vraiment un compliment. Les intervenants doivent soutenir et renforcer ces choix sains. Cela ne veut pas dire que la tâche sera facile, surtout dans le cas des victimes en deuil ou éprouvée par une perte. En s’adonnant à des activités qui les renforcent, les victimes d’actes criminels prendront l’habitude de confronter efficacement les rechutes (Tugade et Fredrickson [2007]).

4.4 Notions de base

Stratégies d’adaptation

Tableau 3 – Stratégies d’adaptation habituelles

Stratégies positives

  • Recherche d’information 5
  • Autocomparaison et mise en évidence des éléments positifs de la victimisation 1, 5, 11, 19
  • Comparaison sociale 4, 5, 8, 19
  • Activités visant à reprendre sa situation personnelle en main 4, 5, 26
  • Activisme 5
  • Prendre du temps pour se rétablir 3, 5, 15, 17
  • Adaptation axée sur l’émotion 23, 24
  • Obtention d’un soutien 2, 4, 9, 14, 15, 23, 24

Stratégies négatives

  • Évitement des souvenirs du crime 2, 5, 13, 20, 21, 22, 25, 26, 27, 28
  • Évitement comportemental - Consommation de drogues ou d’alcool
  • Déni et automystification 13, 18, 19, 20, 26
  • Dissociation 6, 10, 15
  • Remémoration obsessionnelle du crime 4, 7
  • Automutilation 29, 30

Updated references

Stratégie d’adaptation positive : soutien social

Stratégie d’adaptation négative : évitement

Résilience, autoefficacité et croissance post-traumatique