Étude sur la violence envers les femmes en milieu rural ontarien (ORWAS) rapport final
4. RÉSULTATS : LA VIOLENCE ENVERS LES FEMMES EN MILIEU RURAL ONTARIEN (suite)
4. RÉSULTATS : LA VIOLENCE ENVERS LES FEMMES EN MILIEU RURAL ONTARIEN (suite)
4.2 Marginalisation et isolement (suite)
4.2.2 Isolement financier
Dépendance et contrôle
La majorité des femmes ayant participé à l’étude subissaient des abus financiers qui ajoutaient à leur isolement. La plupart du temps, le mari tenait les cordons de la bourse et ne laissait la femme toucher ni au compte bancaire ni aux cartes de crédit; tout au plus lui laissait-il une «allocation» pour les besoins de la famille, mais insuffisante pour payer les factures selon les dires de la plupart des femmes. Les femmes exerçant une profession ont expliqué que même si elles avaient un bon travail à l’extérieur, elles étaient obligées de remettre tout ce qu’elles gagnaient à leur mari. Cette exploitation et cette dépendance constituaient des facteurs déterminants dans l’inaptitude de la femme à rompre la relation abusive.
Perspectives d’emploi
Pour certaines femmes, il est difficile, voire impossible de réintégrer le marché du travail. C’est un tour de force de trouver un emploi dans un milieu rural, surtout dans une ville mono-industrielle. Si une femme associée avec son mari dans une exploitation agricole abandonne tout, sa situation financière sera précaire. Les membres des groupes de discussion ont indiqué que pour la plupart des femmes, le fait de travailler dans une ferme procure des habiletés pour la vie quotidienne mais non une expérience de travail utile sur le marché. Il semble que ces femmes ne puissent aspirer qu’au salaire minimum, quoique la plupart conviennent que le simple fait d’avoir un emploi leur a redonné beaucoup de confiance.
Formation et recyclage
Beaucoup de femmes ont tenté de se recycler après avoir abandonné leur mari. Ce faisant, elles ont éprouvé divers problèmes. Certaines ont appris qu’elles n’étaient pas admissibles aux programmes de recyclage à cause de leur âge. D’autres ont eu du mal à s’informer sur les cours qu’elles pouvaient suivre. Certaines femmes ont parlé de leur intention de finir leur cours secondaire ou collégial et de l’importance d’avoir une aide financière pour se remettre sur pied. L’absence de moyen de transport peut constituer un obstacle sérieux au recyclage ou à la réintégration du marché du travail. Presque toutes les femmes ont indiqué qu’elles préféreraient avoir un emploi plutôt que de vivre de l’aide sociale.
Information
Certaines femmes ont eu du mal à s’informer des possibilités en matière d’emploi ou de recyclage. La plupart ont déclaré que le refuge avait constitué une bonne source d’information, mais la plupart n’ont pu en profiter avant de quitter leur mari. Les résidents et résidentes de la collectivité croient que bien des femmes ne savent même pas où se trouve le refuge. D’autres ont précisé qu’il était très important de faire connaître leurs droits aux femmes, parce que certaines considèrent peut-être que la violence est normale dans leur relation de couple.
«Certaines femmes croient, surtout si leur mère était battue, que c’est ça, le mariage.» (résidents et résidentes de Vermilion Bay)
4.2.3 Isolement culturel
Immigrantes
Certains facteurs culturels peuvent aussi faire hésiter les femmes à demander de l’aide. Les idées concernant la domination de l’homme dans certaines cultures peuvent amener la femme à ne pas considérer le comportement de leur mari comme abusif. Les services offerts ne sont pas toujours sensibles aux différences culturelles. Pour une femme dont l’anglais est la langue seconde, il peut être particulièrement compliqué de savoir à qui s’adresser. Une femme a aussi parlé du sentiment d’isolement qu’elle a vécu parce qu’elle était la seule à ne pas parler français dans une collectivité francophone.
«Dans certaines cultures, c’est normal. L’homme est le chef de famille, il dirige tout dans la société, et il est probablement normal que la femme soit mise à sa place.» (groupe de discussion de Stormont, Dundas et Glengarry)
Autochtones
Les femmes autochtones ont fait savoir qu’elles avaient du mal à se prévaloir des services offerts. Celles du Nord ontarien estiment particulièrement difficile de trouver un refuge, puisqu’elles doivent alors s’éloigner beaucoup de leur collectivité et de la culture où elles sont à l’aise. Les femmes autochtones ayant participé à l’ORWAS sont peu nombreuses, mais elles ont parlé des obstacles culturels.
4.3 Enfants
4.3.1 Garde, droit de visite, pensions alimentaires
On a demandé aux victimes de parler de leur expérience concernant la garde des enfants, le droit de visite et les pensions alimentaires. La plupart des femmes ont eu la garde de leurs enfants, quoique les enfants plus âgés, surtout de sexe masculin, aient parfois décidé de rester avec leur père. La question du droit de visite suscite des réactions variées. Certaines femmes craignent pour la sécurité de leurs enfants lorsqu’ils vont chez leur père. D’autres ont raconté que les enfants étaient pris entre deux feux et revenaient chez elles en répétant les propos négatifs qu’ils avaient entendus au sujet de leur mère. Certaines mères souhaitent que leurs enfants gardent un lien avec leur père, mais s’inquiètent du fait que l’enfant soit battu à son tour.
Les pensions alimentaires pour les enfants sont rarement suffisantes. Beaucoup de femmes ont déclaré qu’elles devaient travailler à l’extérieur et/ou toucher de l’aide sociale puisque leur ex-conjoint ne leur donne rien. Certaines femmes ont expliqué que les menaces proférées par leur mari à propos d’elles-mêmes et des enfants les empêchaient de demander de l’argent.
«En fait, pour le moment, je n’ai pas encore réclamé la garde et la pension alimentaire devant le tribunal, parce que dès que je vais le faire, [...] il va réclamer un droit de visite.» (victime d’Espanola)
4.3.2 Problèmes concernant l’existence d’un ex-conjoint violent
Les victimes ont parlé de leur peur à l’égard de leur ex-conjoint violent, et du problème que représente le fait de vivre dans la même petite collectivité que cet ex-conjoint. Plus d’une femme a exprimé son inquiétude au sujet de la sécurité de ses enfants pendant les visites en raison des armes à feu non enregistrées. Beaucoup de femmes ont décrit en quoi le comportement violent de leur ex-conjoint avait eu une influence sur leurs enfants, et révélé leur réticence à laisser les enfants être encore témoins d’un tel comportement.
4.3.3 Décision de rester ou de partir
Les enfants sont souvent la principale motivation des femmes pour endurer la relation, mais aussi la principale motivation du départ. Parmi les raisons invoquées pour rester : «Pour qu’ils soient élevés par leurs deux parents»
, «C’était un bon père»
, «Pour qu’ils aient une famille»
, «Ce n’était pas de leur faute si on ne s’entendait pas»
.Parmi les raisons invoquées pour partir:«Je ne voulais pas qu’ils deviennent comme leur père en grandissant»
, «Il s’est mis à s’en prendre à notre fille»
, «Je ne pouvais pas en tolérer davantage»
(victimes de Vermilion Bay). D’autres femmes ont indiqué qu’elles sont parties lorsque les enfants ont accepté de partir. Plusieurs femmes nous ont dit que les premiers actes de violence de leur mari envers leurs enfants ont été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
À mesure que les enfants grandissent, la plupart des femmes constatent que la situation s’aggrave et que les enfants sont touchés par ce qui se passe. Beaucoup de femmes ont déclaré qu’elles ont pris la décision de partir lorsque leurs enfants leur ont dit qu’il leur fallait s’en aller.
«Lorsque mon plus vieux, à treize ans, est entré dans la maison et m’a vue assise par terre en train de pleurer [...] il m’a regardé et m’a dit:
“Combien de temps tu vas vivre comme ça?”C’est là que j’ai compris qu’il fallait que je fasse quelque chose.» (victime de Cochrane)
4.3.4 Effets sur les enfants témoins de la violence
« Les enfants voyaient tout. Les enfants le voyaient me battre, crier après moi, et ils savaient ce qui se passait. Mon plus jeune avait presque six ans, et mon plus vieux presque huit, et ils se tenaient devant moi et entre moi et mon mari en lui disant d’arrêter, et lui les écartait violemment. » (victime de Cochrane)
Lorsqu’on les interroge sur les séquelles que ces scènes pourraient laisser chez les enfants, la plupart des femmes affichent une grande inquiétude. Beaucoup leur font voir un psychologue, d’autres ont parlé du mal qu’ils ont à vivre avec des adolescents agressifs qui blâment encore leur mère. Beaucoup indiquent que leurs enfants vont mal à l’école et que les fils adoptent souvent des comportements semblables à celui de leur père. Plusieurs femmes ont déclaré avoir été agressées par leurs enfants adolescents. Une femme a déclaré qu’elle aurait aimé savoir, il y a dix ans, ce que cette relation allait faire de ses enfants. Toutes espèrent que le cycle de la violence ne se transmette pas à la génération suivante.
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