Étude sur la violence envers les femmes en milieu rural ontarien (ORWAS) rapport final
6. RÉSULTATS DE LA RECHERCHE ET ORIENTATIONS FUTURES
- 6.1 Principaux enjeux
- 6.2 Constatations: propres au milieu rural
- 6.3 Contributions de la recherche
- 6.4 Domaines de recherches ultérieures
- 6.5 Plan de diffusion et de communication
6. RÉSULTATS DE LA RECHERCHE ET ORIENTATIONS FUTURES
Au dernier atelier du mois de décembre 1998, les chercheures se sont rencontrées pour discuter ensemble des principaux enjeux recensés par la recherche, des constatations propres au milieu rural, des contributions de la recherche au domaine de la violence familiale et pour réfléchir au processus de la recherche et discuter de domaines de recherche pertinents. Voici un résumé de ces discussions.
6.1 Principaux enjeux
Les principaux enjeux ressortis de la recherche sont les suivants:
- La peur est permanente – pendant la relation et après que la victime en soit sortie.
- Il faut coordonner la réponse à la violence conjugale à tous les niveaux.
- Les femmes doivent avoir plus facilement accès à l’information clé.
- L’expérience des femmes face au système de justice pénale est frustrante à tous les niveaux.
- Les refuges et les intervenants ont été la bouée de sauvetage de nombreuses femmes. Dans les régions rurales, les intervenantes des services d’approche jouent un rôle essentiel parce qu’elles rejoignent les femmes.
- Ironiquement, les enfants étaient souvent la raison pour laquelle les femmes quittaient leur relation de violence ou y restaient.
- Il faut faire de l’éducation publique permanente au niveau local afin d’accroître la mobilisation et la prise en charge de la collectivité face à la violence conjugale.
- Pour mettre fin à la violence, il faut fournir plus de soutien aux hommes.
- Les femmes vivent avec la peur et la menace constantes que leur conjoint utilise des armes à feu contre elles-mêmes ou leurs enfants.
Bon nombre des problèmes ne sont pas particuliers aux femmes victimes de violence dans les régions rurales, mais les conditions du milieu rural peuvent exacerber ces problèmes.
6.2 Constatations: propres au milieu rural
Six grandes constatations distinguent la violence conjugale dans les régions rurales de la violence conjugale en général.
- Géographie
- isolement physique que les femmes vivent en raison de l’endroit où elles habitent.
- Éthique et caractère ruraux
- les femmes hésitent à demander de l’aide, en partie à cause des valeurs traditionnelles concernant les rôles masculins et féminins.
- Complaisance de la collectivité
- beaucoup de membres de la collectivité étaient au courant de la violence mais peu d’entre eux ont fait quelque chose à ce sujet. La violence faisait souvent l’objet de commérages.
- Accès limité à des services et à l’information
- la distance et l’absence de moyens de transport limitent l’accès des femmes aux services et à l’information.
- Manque d’anonymat
- tout le monde se connaît.
- Problèmes de sécurité
- le long délai de réponse, la distance et l’emplacement peuvent tous influer sur la sécurité de la femme.
La complexité des régions rurales montre qu’il faut adapter les réponses à la violence urbaine dans une perspective rurale.
6.3 Contributions de la recherche
Les recherches axées sur le renforcement de l’autonomie, comme l’ORWAS, permettent d’utiliser une méthodologie de recherche plus englobante qui facilite l’action localisée, renforce les capacités de recherche locales et améliore les chances de changement. On estime que l’exécution de recherches analogues à l’ORWAS offre les avantages particuliers suivants:
- elle constitue une démarche englobante et respectueuse;
- les femmes victimes étaient les expertes et les voix tout au long de la recherche;
- des chercheurs locaux ont pris part à la conception du projet et ont participé à l’analyse des données;
- les compétences acquises en recherche dans le cadre du projet ORWAS sont restées dans les collectivités après la fin du projet;
- les collectivités ont participé aux groupes de discussion;
- les rapports spécifiques aux collectivités ont permis de fournir une rétroaction opportune;
- le processus de recherche a facilité la possibilité d’intervention localisée;
- le projet a eu pour résultat des réponses communautaires permanentes;
- le processus et les conclusions de la recherche ont facilité la création de liens entre les paliers locaux, provinciaux et fédéraux de gouvernement et ont contribué à des initiatives et politiques fédérales permanentes, comme le Dialogue rural.
6.4 Domaines de recherches ultérieures
L’ORWAS a révélé que des recherches étaient nécessaires dans d’autres domaines de la violence conjugale:
- l’accès à la justice dans les régions rurales;
- l’éducation publique – après 20 ans de vulgarisation et d’information juridiques sur la question de la violence conjugale, on souligne encore que l’éducation est inadéquate et nécessaire. La question demeure: quels sont les meilleurs moyens de diffuser l’information?
- considérations culturelles – les femmes autochtones, immigrantes et appartenant à une minorité ont des besoins particuliers;
- questions relatives à la garde des enfants et aux droits de visite;
- questions relatives à la responsabilisation; par exemple, qu’entendons-nous par responsabilisation? Quel sort convient-il de réserver aux personnes trouvées coupables de violence conjugale?
- l’ampleur des menaces d’utilisation d’armes à feu dans la violence conjugale;
- l’accès à l’aide juridique;
- l’utilisation du programme d’indemnisation des victimes d’actes criminels;
- l’inefficacité des obligations de garder la paix et des ordonnances de non-communication;
- le processus de recherche et plus particulièrement, quelle incidence l’étude a-t-elle eue sur les participantes: chercheures, victimes et collectivités?
6.5 Plan de diffusion et de communication
La diffusion de l’information et les communications avec les participantes ont été des points clés tout au long de l’étude. Toutes les participantes à la recherche ont vérifié les transcriptions. Elles avaient la possibilité de conserver l’enregistrement de l’entretien et elles ont reçu la version finale des rapports spécifiques sur les collectivités. Les résultats de la recherche ont été présentés dans de nombreuses tribunes publiques.
- En plus de la conférence du CAPRO, la plupart des chercheures au niveau local ont présenté des communications à des organismes locaux (p. ex., le club Rotary, Kiwanis, assemblées annuelles de refuges, réunions d’instituts féminins locaux).
- On a parlé de plusieurs chercheures dans des articles de journaux locaux portant sur l’étude.
- Au niveau fédéral, on a présenté plusieurs communications sur la recherche. Au mois d’octobre 1998, les chercheurs principaux, la coordonnatrice du CAPRO, deux chercheures au niveau local et une des victimes interviewées ont présenté une communication à des décideurs et universitaires au colloque du gouvernement fédéral sur la cohésion sociale intitulé «La recherche sur les politiques: créer des liens». On a aussi présenté des communications au Groupe de travail interministériel fédéral sur les questions rurales et à plusieurs colloques universitaires.
On a transmis aux agents des politiques et de la recherche compétents les conclusions se rapportant à des dossiers du ministère de la Justice du Canada. Plus particulièrement, on a transmis au Centre canadien des armes à feu du ministère de la Justice les constatations portant sur la menace de l’utilisation d’armes à feu. Elles ont été intégrées dans un projet de recherche mené en collaboration avec des refuges urbains et ruraux de l’Alberta qui examinera l’utilisation des armes à feu dans la violence familiale, notamment les menaces. Comme nous l’avons signalé, le ministère de la Justice du Canada a aussi fait appel à un centre de recherche communautaire axé sur l’action en Colombie-Britannique pour mettre en œuvre la méthodologie de recherche de l’ORWAS dans deux collectivités rurales de cette province. Santé Canada et Justice Canada mènent actuellement un projet conjoint qui examine l’incidence de l’ORWAS à titre de projet de recherche communautaire. Ce projet a été entrepris et est dirigé par l’une des chercheures au niveau local.
La méthodologie de recherche employée dans le présente étude constitue une contribution au développement des méthodes différentes employées dans la recherche axée sur le renforcement de l’autonomie. Elle avait pour objectif principal de prendre comme point de départ le vécu de femmes et de fournir un endroit et une voix à un groupe de femmes dont le rôle dans le système de justice pénale et d’autres systèmes sociaux est mal compris en raison de l’endroit où elle vivent. Ces mêmes femmes sont souvent celles qui sont les plus victimisées et, en même temps, les plus invisibles dans un mouvement qui ne vise rien d’autre que lutter contre la violence faite aux femmes.
Le processus de l’ORWAS a permis de combler quelques-unes des lacunes relevées dans les écrits spécialisés.
- Le fait que les chercheures travaillaient au sein des collectivités a contribué à respecter et comprendre la culture d’une collectivité donnée.
- En s’adressant directement aux femmes, on a fait l’effort de réintégrer le vécu des femmes dans le mouvement.
- Le récit du vécu des femmes a expliqué comment elles s’y prennent pour quitter des relations de violence et obtenir de l’aide dans les régions rurales et les difficultés auxquelles elles font face à cette occasion.
- Le rôle que la distance joue pour avoir accès à un milieu sûr et dans les délais de réponse de la police et des autorités.
- Le manque d’anonymat dans les régions rurales et l’incidence que les valeurs traditionnelles et le culte de l’autosuffisance ont sur l’accès des femmes à la sécurité.
La nature de la méthodologie de recherche a permis de repérer et rassembler des réponses et de les replacer en contexte dans une perspective rurale.
De plus, l’ORWAS est le premier projet de recherche que la Division de la recherche et de la statistique du ministère de la Justice du Canada ait entrepris avec une méthodologie communautaire qualitative englobante qui utilise une analyse comparative entre les sexes. Des liens stratégiques sont apparus à trois niveaux.
- D’abord, au niveau communautaire, le projet a pu faciliter l’existence d’un projet communautaire qui a validé le problème de la violence faite aux femmes dans les six endroits. On a ainsi renforcé l’importance des stratégies mises au point localement, appuyant les refuges locaux, faisant participer les femmes à la recherche de solutions, de même que la nécessité d’une orientation communautaire éclairée face à la violence conjugale.
- Ensuite, au niveau provincial, les liens stratégiques se répercutent le plus directement sur les services, par exemple la police, les services de santé et les services sociaux, l’éducation, les programmes destinés aux femmes, etc.
- Enfin, du point de vue de l’élaboration de politiques au ministère de la Justice du Canada, les conclusions de la recherche ont permis d’amorcer un dialogue sur la violence conjugale dans les régions rurales sur quatre plans:
- premièrement, les constatations de la recherche fournissent des renseignements immédiats sur la façon dont les politiques relatives à la justice pénale se répercutent sur les femmes dans les régions rurales, p. ex. l’accès à la justice, les armes à feu, l’aide juridique et les questions relatives à la garde des enfants et aux droits de visite;
- deuxièmement, la recherche tenait compte de la façon dont les enjeux en matière de justice pénale sont mêlés étroitement à des enjeux sociaux, politiques et économiques plus vastes et sont donc difficiles à isoler. Par conséquent, les constatations peuvent être prises en compte de façon plus concrète dans l’élaboration de la politique officielle;
- troisièmement, les constatations de la recherche ont eu une incidence sur d’autres ministères: l’établissement de partenariats et la communication des résultats entre ministères fédéraux (p. ex. Santé Canada; Agriculture Canada) facilitent la prise de décisions et l’élaboration de politiques éclairées;
- quatrièmement, l’utilisation d’une approche originale a contribué à une compréhension plus étendue de la violence conjugale dans les régions rurales de façon plus générale, tout en anticipant les implications futures en matière de politiques et les prochaines questions de recherche. Dans l’ensemble, la communication de l’expérience, de la méthodologie et des constatations de la recherche contribue à faire avancer nos connaissances comme chercheures et praticiennes des services sociaux.
En conclusion, le choix des méthodes de recherche influe directement sur la nature des constatations qui en découlent. Une méthode plus structurée peut produire une approche moins souple ou malléable en cours de route. Toutefois, l’exécution d’un plan de recherche fondé sur une analyse comparative entre les sexes, comme l’ORWAS, encourage des façons différentes de recueillir l’information. Un tel plan de recherche «prend pour point de départ le vécu des femmes comme elles le voient elles-mêmes»
et il «rejoint les femmes là où elles en sont»
. Ce n’est pas une stratégie facile. Elle nécessite beaucoup de temps, de souplesse, d’énergie, de détermination, de concertation et de ressources (équipement et transcripteurs de qualité). Les fruits consistent cependant en une démarche englobante et respectueuse qui offre le potentiel, idéalement, de déboucher sur certains éléments d’intervention et de changement communautaires.
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