Participation de la victime à la négociation de plaidoyer au Canada : Analyse de la recherche et de quatre modèles en vue d'une réforme éventuelle

INTRODUCTION

Depuis quelques années, la nécessité de renforcer la nature et la portée de la participation des victimes au processus pénal canadien suscite un intérêt considérable (Roach, 1999; Young, 2001). En ce qui touche la participation des victimes au procès pénal, cet intérêt s'est principalement porté sur les questions entourant la présentation des déclarations des victimes à l'étape de la fixation de la peine. Le Code criminel a été radicalement modifié en 1999 pour permettre aux victimes de faire une déclaration au cours d'une audience publique : des dispositions semblables sont applicables aux audiences de la Commission des libérations conditionnelles, aux termes de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (L.C. 1992, ch. 20). L'utilisation fréquente de ces déclarations a sensiblement renforcé le rôle des victimes dans le processus judiciaire et a suscité un débat considérable au sujet de l'influence de ces déclarations sur les peines imposées (Schmalleger, MacAlister, McKenna et Winterdyk, 2000, p. 388).

Il existe cependant des raisons sérieuses de se demander s'il ne conviendrait pas d'accorder aux victimes un rôle plus structuré dès le début du processus pénal. En particulier, il faut examiner s'il n'existe pas de bonnes raisons d'accorder aux victimes un rôle plus important dans la négociation de plaidoyer. Cette question est d'une importance considérable si l'on tient compte du fait que, dans des pays comme le Canada, les États-Unis et l'Australie, près de 90 p. 100 des affaires sont résolues par des plaidoyers de culpabilité qui, bien souvent, découlent directement de négociations entre le poursuivant et l'avocat de la défense (Commission canadienne sur la détermination de la peine, 1987, p. 406; Dick, 1997, p. 1035; Colquitt, 2001, p. 700; Klein, 1997, p. 19; Rules of Criminal Procedure, 2000, p. 385, et Seifman et Freidberg, 2001, p. 64). Il est utile de signaler que dans ces négociations, le devoir de l'avocat de la défense consiste uniquement à défendre les intérêts de son client et, comme Chartrand (1995) l'a fait remarquer, ce devoir consiste pour l'essentiel à obtenir le plus d'avantages possibles en échange du plaidoyer de culpabilité de son client. De la même façon, le procureur de la Couronne agit officiellement en qualité d'« officier de justice » (Mitchell, 2001), mais il ne représente pas la victime, il représente l'État.

Il est incontestable que la négociation de plaidoyer a, au sein du système de justice pénale, des répercussions et des ramifications très complexes. En fait, étant donné que la teneur de l'entente relative au plaidoyer détermine souvent la nature des accusations portées contre l'accusé, il en résulte nécessairement que la négociation d'une telle entente permet aux parties d'exercer une grande influence sur le type de peine qui sera finalement infligée par le tribunal, et sur sa sévérité [1] . De la même façon, le contenu de l'entente relative au plaidoyer dicte bien souvent la procédure qui sera utilisée contre l'accusé (par exemple, déclaration sommaire de culpabilité et non acte d'accusation) et les parties sont ainsi en mesure, grâce à ce choix, de déterminer la nature et la gamme des peines susceptibles d'être prononcées par le juge [2] . En outre, la négociation de plaidoyer peut fort bien amener le procureur de la Couronne et l'avocat de la défense à s'entendre sur les faits qui seront présentés au juge à l'étape du prononcé de la peine : c'est là une autre stratégie de négociation qui permet aux parties à l'entente d'exercer une influence importante sur la peine finalement choisie par le juge (Cousineau et Verdun-Jones, 1979 et 1982; Griffiths et Verdun-Jones, 1994; Verdun-Jones et Hatch, 1988 et 1987).

Enfin, il est évident que la victime d'un acte criminel risque d'être touchée - d'une façon particulièrement directe et personnelle - par le fait que le poursuivant et l'avocat de la défense ont la possibilité de recourir à la négociation de plaidoyer et que ce processus leur donne le pouvoir de fixer la nature des accusations qui seront éventuellement portées contre l'accusé. Par exemple, il peut être extrêmement important pour la victime d'une agression sexuelle de savoir que l'accusation portée va véritablement refléter ce qui s'est réellement produit et non pas une version édulcorée des faits qui nie la réalité de l'expérience qu'elle a vécue.

Il est par conséquent clair que l'enquête sur sentence n'est pas la seule étape de la procédure pénale qui touche directement la nature, et la sévérité, de la peine infligée par le tribunal : on pourrait en fait soutenir que la négociation de plaidoyer détermine en grande partie la peine finalement infligée. Cependant, le rôle qui a été accordé jusqu'ici aux victimes ne concerne que l'enquête sur sentence et la question de savoir s'il serait souhaitable - et conforme à l'intérêt de la société - de leur accorder le droit de participer à la négociation de plaidoyer n'a guère suscité d'attention.

En 1987, la Commission canadienne sur la détermination de la peine a présenté un certain nombre de recommandations qui touchaient les aspects de la négociation de plaidoyer qui intéressent les victimes. Malheureusement, la plupart de ces recommandations n'ont pas été mises en œuvre formellement - même si elles ont peut-être grandement amélioré le statut des victimes au cours des étapes antérieures au procès pénal (Brodeur, 1999). Il serait cependant utile, pour les fins qui nous occupent, de revoir les principales recommandations qu'a présentées la Commission en matière de négociation de plaidoyer - en particulier, celles qui touchent la participation de la victime.

La Commission a affirmé que les victimes avaient le droit d'être tenues au courant de la négociation de plaidoyer et que le procureur de la Couronne devait « représenter leurs points de vue ». De la même façon, la Commission a recommandé qu'« avant d'accepter le résultat d'une négociation de plaidoyer, le procureur de la Couronne soit, dans la mesure du possible, tenu d'obtenir et de prendre en considération la version des faits de la victime et la description des conséquences que l'infraction entraïne pour elle ». Néanmoins, la recommandation la plus importante qu'a faite la Commission (1987, p. 467) visait à accroïtre la transparence de la négociation de plaidoyer et à la soumettre à un contrôle judiciaire :

La Commission recommande l'instauration d'une procédure obligeant le procureur de la Couronne à justifier devant le tribunal, en audience publique, le résultat de la négociation de plaidoyer menée en privé par les parties, à moins que l'intérêt public n'exige que la justification soit donnée privément en chambre.

Cette dernière recommandation semble être inspirée du modèle qui a été élaborée par les juridictions fédérales des États-Unis d'Amérique - à savoir, la règle 11 des Federal Rules of Criminal Procedure (Règles fédérales de procédure pénale). Verdun-Jones et Hatch (1988) ont attiré l'attention de la Commission sur ce modèle qui constitue manifestement un excellent point de départ pour élaborer des projets de réforme susceptibles d'être mis en œuvre dans le contexte canadien. Mais surtout, ce modèle fait appel à un mécanisme que, s'il était élargi, permettrait aux victimes de participer à la négociation de plaidoyer devant l'instance la plus transparente, c'est-à-dire, devant un tribunal.

La règle 11 s'applique dans un système complexe qui comprend des lignes directrices fédérales en matière de peine - un type de réglementation qui n'existe pas au Canada. Il demeure qu'un modèle axé sur l'encadrement judiciaire de la négociation de plaidoyer qui est à la base des régimes combinés découlant de la règle 11 et des Lignes directrices fédérales en matière de peine, constitue un modèle qui pourrait utilement inspirer la réforme éventuelle de la procédure pénale au Canada. C'est pourquoi le présent rapport examine en détail l'expérience américaine en matière d'encadrement judiciaire de la négociation de plaidoyer et explore les moyens qui permettraient de s'inspirer de cette expérience pour élaborer un projet de réforme qui donnerait aux victimes d'actes criminels un rôle constructif dans la négociation de plaidoyer au sein du système canadien de justice pénale.

Nous examinons la question de la participation de la victime à la négociation de plaidoyer à la lumière de l'évolution des mouvements de défense des droits des victimes dans un certain nombre de pays. Plus précisément, notre analyse s'intéresse principalement à la nouvelle tendance qui accorde aux victimes d'actes criminels certains droits à l'égard des poursuites exercées contre « leur » délinquant. Cette tendance s'est manifestée tant aux niveaux international que national et a débouché sur l'adoption de déclarations internationales et de mesures législatives particulières dans divers États. Nous tournons ensuite notre attention sur les dispositions des lois fédérales, provinciales et territoriales qui touchent les droits des victimes dans les poursuites intentées devant les juridictions pénales.

Au Canada, les victimes se sont vues accorder très peu de droits en matière de négociation de plaidoyer. Cette situation vient du fait que la négociation de plaidoyer constitue un élément essentiel de la justice pénale au Canada, mais que cette pratique ne possède aucun statut juridique officiel et n'est pas soumise à un encadrement judiciaire direct. Le présent rapport examine la réponse qu'apportent actuellement les tribunaux à la négociation de plaidoyer au Canada et signale les conséquences négatives qu'ont pour les victimes d'actes criminels l'absence de mécanisme formel de contrôle de ce phénomène largement répandu dans notre système pénal.

Le rapport traite ensuite de la question de savoir si la règle 11 des Règles de procédure pénale fédérales des États-Unis pourrait servir de point de départ pour l'élaboration d'un modèle de contrôle judiciaire de la négociation de plaidoyer au Canada. L'application de la règle 11 est examinée dans le contexte du régime des lignes directrices en matière de peine qu'appliquent les tribunaux fédéraux aux États-Unis. La règle 11 constitue manifestement un modèle pour l'encadrement de la négociation de plaidoyer par les tribunaux mais elle ne prévoit pas la participation directe des victimes du crime à ce processus. C'est pourquoi le rapport étudie les dispositions législatives de l'État de l'Arizona qui accordent sans équivoque aux victimes d'actes criminels le droit de présenter des observations écrites ou orales au tribunal qui est chargé d'entériner un projet d'entente relative au plaidoyer. Nous pensons que l'on pourrait élaborer un modèle viable assurant la participation des victimes à la négociation de plaidoyer au Canada en combinant certains éléments de la règle fédérale 11 et certaines dispositions législatives de l'Arizona.

Si on envisage d'accorder aux victimes d'actes criminels un rôle direct au cours d'une audience formelle de négociation de plaidoyer, il est impératif d'examiner sérieusement l'effet que pourrait avoir une modification aussi profonde de la procédure pénale. Le rapport examine donc la jurisprudence et la recherche empirique qui a suivi l'introduction des déclarations des victimes à l'étape de l'infliction de la peine. Nous avons évalué les répercussions des déclarations de la victime sur la nature et la sévérité de la peine ainsi que sur le niveau de satisfaction des victimes à l'égard du processus judiciaire pour tenter de donner une idée des conséquences que pourrait avoir le fait d'accorder aux victimes d'actes criminels le droit de participer utilement à une audience judiciaire formelle visant à réglementer la pratique de la négociation de plaidoyer.

Le rapport se termine par l'examen de quatre modèles de participation des victimes à la négociation de plaidoyer et recommande l'adoption d'un modèle qui permet aux victimes de participer directement à une audience formelle relative à la négociation de plaidoyer et présidée par un juge - sans toutefois leur accorder un droit de veto.