Participation de la victime à la négociation de plaidoyer au Canada : Analyse de la recherche et de quatre modèles en vue d'une réforme éventuelle

3. La négociation de plaidoyer au Canada (suite)

3.3 Absence d'un mécanisme structuré de négociation de plaidoyer au Canada

Il est incontestable que les juges acceptent aujourd'hui le fait que la négociation de plaidoyer joue un rôle important dans le fonctionnement de la justice et qu'ils ont appuyé cette pratique en adoptant des politiques en matière de peine qui donnent indirectement effet aux ententes conclues par la Couronne et l'avocat de la défense. Cependant, malgré les recommandations de la Commission canadienne sur la détermination de la peine (1987) et de la Commission de réforme du droit du Canada (1989), il n'existe toujours pas de mécanisme structuré obligeant les juridictions à examiner la teneur des ententes relatives au plaidoyer et à veiller à ce que les droits et les intérêts de toutes les parties concernées - la Couronne, l'accusé, la ou les victimes et la population en général - soient protégés (Verdun-Jones et Hatch, 1988). [15] Le Code criminel (article 625.1) prévoit la tenue d'une conférence préparatoire formelle par un juge « … en vue de favoriser une audition rapide et équitable, … afin de discuter des questions qui peuvent être résolues plus efficacement avant le début des procédures et de toute autre question semblable, et des mesures utiles en l'espèce ». [16] Toutefois, le Code criminel n'exige pas que l'existence d'une entente relative au plaidoyer soit portée à la connaissance du tribunal au cours de cette conférence préparatoire; il n'exige pas non plus que le tribunal examine les circonstances à l'origine de l'entente sur le plaidoyer s'il apprend qu'une telle entente a en fait été conclue par le procureur de la Couronne et l'avocat de la défense. [17]

Il n'existe aucune mécanisme formel obligeant les procureurs à révéler l'existence d'une entente relative au plaidoyer mais une modification récente du Code criminel a pour effet d'obliger le tribunal à examiner si l'accusé a conclu une telle entente de façon volontaire et en pleine connaissance des répercussions possibles. [18] Demeure toutefois la possibilité que l'avocat de la défense omette d'informer le juge de l'existence d'une entente relative au plaidoyer et que l'accusé ait respecté ses engagements mais qu'il ne reçoive pas une peine qui reflète correctement les promesses faites par la Couronne pour obtenir un plaidoyer de culpabilité (Verdun-Jones et Cousineau, 1979, p. 245). C'est effectivement ce qui s'est produit dans l'affaire R. v. Neale (2000). Dans cette affaire, l'accusé avait accepté de plaider coupable à une accusation de vol qualifié pourvu que la Couronne s'engage à recommander une peine d'emprisonnement de cinq ans, dont devait être déduit le temps déjà passé en détention. Les avocats ont malheureusement omis d'informer le juge de l'existence d'une telle entente. Le juge a finalement infligé une peine de sept ans d'emprisonnement à l'accusé. L'accusé a interjeté appel de la sentence et le juge Lambert a noté (par. 12) les graves conséquences qu'avait entraïné ce manque de communication :

Si le procureur de la Couronne ou celui de la défense avait informé le juge en temps utile de l'existence d'une entente selon laquelle l'accusé acceptait de plaider coupable si la Couronne recommandait une peine de cinq ans moins le temps passé en détention, alors, selon la jurisprudence, le juge aurait été tenu d'examiner soigneusement cette recommandation et de lui attacher une grande importance. Je suis convaincu que c'est ce que le juge aurait fait. D'autant plus qu'il s'agissait d'une recommandation présentée conjointement par le procureur de la Couronne et l'avocat de la défense.

L'accusé n'a pas obtenu la peine qu'avait recommandée la Couronne, mais la Cour d'appel a néanmoins rejeté l'appel sur la sentence, même si le juge de première instance n'avait jamais eu connaissance de l'existence d'une entente relative au plaidoyer. Comme le juge Lambert l'a noté (par. 14),

J'estime que dans cette affaire, l'appelant n'a subi aucune injustice en raison de ce qui s'est passé devant le juge chargé de prononcer la peine. La sentence est correcte et s'inscrit dans la fourchette appropriée et les circonstances du prononcé de la peine n'ont pas eu pour effet de créer une injustice…

On peut vraiment se demander si l'accusé a considéré que cette peine était juste mais il est certain que cette situation ne se serait jamais produite s'il existait un mécanisme formel qui obligeait la Couronne et l'avocat de la défense à révéler l'existence d'une entente relative au plaidoyer et à demander au juge d'en approuver la teneur.

L'absence d'un mécanisme obligatoire prévoyant l'examen judiciaire des ententes relatives au plaidoyer soulève de graves questions concernant la protection des droits des accusés mais il est également important de reconnaïtre que la procédure pénale n'oblige aucunement le juge à tenir compte de l'intérêt légitime de la victime dans l'issue d'une affaire qui a finalement été résolue grâce à une entente sur le plaidoyer. Les victimes ont maintenant le droit de présenter des déclarations à l'étape de la détermination de la peine mais l'issue de l'affaire est souvent déterminée par l'entente relative au plaidoyer qui a été conclue bien avant que les victimes puissent se faire entendre devant le tribunal : par exemple, le choix des accusations portées contre l'accusé à la suite de l'entente relative au plaidoyer est une décision qui influence incontestablement la nature et la sévérité de la peine susceptible d'être imposée par le tribunal et constitue également une reconnaissance officielle de ce qui est arrivé à la victime de l'infraction. Une fois qu'une accusation a été portée contre l'accusé, la victime n'est plus vraiment en mesure de participer utilement au processus pénal.

À l'heure actuelle, les seules provinces canadiennes qui ont adopté des dispositions législatives relatives au rôle de la victime dans la négociation de plaidoyer sont le Manitoba et l'Ontario. La loi ontarienne prévoit cependant uniquement que les victimes « doivent avoir accès aux renseignements relatifs… [aux] dispositions préparatoires au procès qui sont prises à l'égard d'un plaidoyer pouvant être inscrit par le prévenu au procès » (Déclaration des droits des victimes, 1995, ch. 6., al. 2(x)). Il est intéressant de noter que le rapport du Groupe de travail Martin qui a été publié deux ans avant l'adoption de la Déclaration des droits des victimes de l'Ontario reconnaissait que les victimes devaient être consultées au sujet des ententes relatives au plaidoyer « lorsque cela est approprié et possible ». Cependant, comme Roach (1999, p. 99) le fait remarquer, les recommandations du Groupe de travail Martin n'avaient pas pour but de renforcer la participation directe des victimes au processus pénal en Ontario et elles indiquaient clairement que les victimes n'avaient pas le droit de s'opposer à une entente qu'elles jugeaient inacceptables. D'après Roach (1999, p. 99), les auteurs du rapport tenaient pour acquis que seuls les professionnels du système de justice pénale pouvaient exercer un pouvoir en matière de négociation de plaidoyer en Ontario et leur principal objectif, lorsqu'ils recommandaient une acceptation plus large des ententes relatives au plaidoyer n'était pas de renforcer le rôle des victimes mais plutôt l'efficacité d'un système judiciaire qui s'effondrerait si la plupart des accusés décidaient d'exercer leur droit à subir un procès.

De façon très différente, la Déclaration des droits des victimes du Manitoba (2000) accorde aux victimes le droit d'être consultées sur les divers aspects des poursuites intentées contre « leur » accusé. Reste à savoir si les autres provinces et territoires suivront le Manitoba sur ce point. Il est clair que la loi manitobaine accorde à la victime un rôle en matière de négociation de plaidoyer qui est entièrement nouveau au Canada.