Participation de la victime à la négociation de plaidoyer au Canada : Analyse de la recherche et de quatre modèles en vue d'une réforme éventuelle

4. La règle fédérale 11 : Un cadre juridique viable pour la négociation de plaidoyer ? (suite)

4.3 La règle fédérale 11 et les lignes directrices fédérales en matière de peine

Il est essentiel de savoir que les dispositions relatives au plaidoyer de culpabilité, énoncées par la règle 11, doivent s'interpréter dans le contexte des Lignes directrices fédérales en matière de peine (Dick, 1997, p. 1030). Ces lignes directrices ont été adoptées aux termes du Sentencing Reform Act de 1984 (Loi sur la réforme des peines) (18 U.S.C. 3551-3585; Herman, 1997, p. 77). Cette Loi créait la United States Sentencing Commission (Commission des peines des États-Unis) à qui a été confiée la lourde tâche de rédiger les Lignes directrices. Ces Lignes directrices sont entrées en vigueur en novembre 1987 et ont eu pour effet de circonscrire grandement le pouvoir discrétionnaire qu'exerçaient les juges en matière de peine «en faisant étroitement correspondre les peines et les accusations dont les accusés sont déclarés coupables» (Taha, 2001, p. 251). Les Lignes directrices en matière de peine visaient principalement à mettre un terme à «la grande disparité des peines imposées» que favorisait un système de peine à durée indéterminée qui donnait aux juges et aux services des libérations conditionnelles un pouvoir discrétionnaire presque absolu (Karle et Sager, 1991, p. 396). Les Lignes directrices ont instauré un système de peine à durée déterminée et créé «une gamme limitée de peines d'emprisonnement, à l'intérieur de laquelle le juge pouvait choisir une peine» (Karle et Sager, 1991, p. 397). Le juge ne peut s'écarter de ces peines que s'il fournit «un motif juridique suffisant» pour le faire (décision susceptible d'être révisée par une cour d'appel) (Herman, 1997, p. 78; Karle et Sager, 1991, p. 397). En 1999, 64,9 p. 100 des peines imposées par les tribunaux fédéraux se situaient à l'intérieur de la fourchette prévue par les Lignes directrices. Dans 34,5 p. 100 des cas, la peine était inférieure aux peines prévues par les lignes directrices et dans seulement 0,6 p. 100, elle leur était supérieure. (U.S. Sentencing Commission, 1999 Datafile, OPAFY99, Tableau 4).

Tableau 4 - Pourcentage des délinquants ayant reçu une peine différente de la peine prévue par les lignes directrices

Pourcentage des délinquents ayant reu une peine différente de la peine prévue par les lignes directrices

[Description]

Les Lignes directrices en matière de peine reconnaissent sans équivoque la légitimité inhérente de la négociation de plaidoyer et contiennent des incitatifs qui visent à amener les accusés à plaider coupables. Par exemple, le §3E1.1 prévoit expressément une réduction de peine lorsque l'accusé «a clairement montré qu'il reconnaissait sa responsabilité» à l'égard de l'infraction concernée. Parallèlement, aux termes du §5K.1.1, l'accusé peut obtenir une réduction supplémentaire lorsqu'il a fournit «une aide importante» aux autorités (pour ce qui est de «'enquête ou de la poursuite d'une autre personne ayant commis une infraction»). En 1998, 18,7 p. 100 de toutes les peines infligées par les tribunaux fédéraux avaient été réduites de cette façon (voir le Tableau 4).

Néanmoins, si sur certains points, «les Lignes directrices favorisent la conclusion d'ententes relatives au plaidoyer», la Sentencing Commission était chargée d'élaborer des normes destinées à guider les juges en matière d'acceptation des ententes relatives au plaidoyer. Sur ce point, il est très utile de noter que le commentaire de la Commission qui accompagne les Lignes directrices en matière de peine (chapitre 6, partie B) montre que le Congrès souhaitait que les juges «examinent les ententes relatives au plaidoyer pour s'assurer que les poursuivants n'utilisent pas la négociation de plaidoyer pour contourner les Lignes directrices». Il est important que, conformément à ce mandat, le §6B1.2 des Lignes directrices en matière de peine fixe certaines normes pour l'acceptation des ententes relatives au plaidoyer. Ces normes ont pour but d'empêcher que les parties à une entente sur plaidoyer insèrent des clauses qui permettraient d'écarter la sentence prévue par les Lignes directrices (Dick, 1997, p. 1039 à 1041). Par exemple, l'énoncé de principe des lignes directrices précise que le tribunal peut accepter une entente relative au plaidoyer de «type B» ou de «type C», pourvu que la peine recommandée se situe à l'intérieur de la gamme des peines prévues par les lignes directrices ou «s'en écarte pour des motifs valables» (soulignement ajouté).

En outre, dans le cas d'une entente relative au plaidoyer de «type A» (une entente relative à l'inculpation), l'énoncé de principe indique que le tribunal peut accepter l'entente si, «pour des motifs figurant au dossier», il estime que «les accusations retenues reflètent la gravité du comportement délictueux et que l'acceptation de l'entente ne sapera pas les objectifs légaux de la peine ni les lignes directrices en matière de peine» [22]. Autrement dit, le tribunal doit déterminer si les inculpations portées par la poursuite reflètent équitablement ce qui s'est véritablement produit dans cette affaire (Dick, 1997, p. 1040; Taha, 2001, p. 251). Par exemple, les juges sont tenus d'examiner soigneusement les ententes relatives au plaidoyer concernant des infractions reliées aux drogues de façon à déterminer si l'accusation portée par la poursuite est appropriée, compte tenu de la quantité de stupéfiants qui était en possession de l'accusé au moment de son arrestation (Karle et Sager, 1991, p. 404). C'est ce qui s'est passé dans l'affaire U.S. v. Eirby (2001) dans laquelle l'accusé - qui avait volontairement conclu une entente relative au plaidoyer de «type B» - avait plaidé coupable à une accusation de complot en vue de distribuer de la cocaïne base. Le rapport d'enquête présentenciel indiquait cependant que l'accusé se trouvait en possession d'une quantité de crack qui était supérieure à celle que mentionnait l'acte d'accusation et l'entente relative au plaidoyer. La possession de cette quantité de stupéfiants aurait pu entraïner la déclaration de culpabilité de l'accusé pour une infraction plus grave, assortie d'une peine plus sévère. Le juge a offert à l'accusé la possibilité de retirer son plaidoyer de culpabilité mais celui-ci s'y est refusé et a reçu une peine d'emprisonnement plus longue que celle qui avait été envisagée dans l'entente initiale de «type B» [23]. La Court of Appeals for the First Circuit a rejeté l'appel de Eirby, en notant (par. 23) que le juge de première instance avait averti l'accusé que la peine mentionnée dans l'entente relative au plaidoyer n'était pas acceptable, compte tenu de la quantité de stupéfiants qui se trouvait en sa possession et du fait que Eirby avait refusé de retirer son plaidoyer de culpabilité. Les arrêts comme Eirby montrent de façon frappante comment les Lignes directrices en matière de peine incitent les tribunaux à examiner en détail le contenu des ententes relatives au plaidoyer conclues entre la poursuite et l'avocat de la défense.

Le §6B1.4 des Lignes directrices qui prévoit que l'entente relative au plaidoyer doit être accompagnée d'un énoncé des faits se rapportant à la peine facilite la tâche du tribunal qui doit s'assurer que la teneur de l'entente relative au plaidoyer est compatible avec les faits établis. L'énoncé préparé conformément à cette disposition doit :

  1. mentionner les circonstances et les faits pertinents concernant le comportement délictueux et les caractéristiques personnelles du délinquant;
  2. ne pas contenir des faits erronés;
  3. mentionner avec suffisamment de précision les raisons montrant que la peine recommandée dans le projet d'entente est appropriée.

Lorsque l'énoncé des faits indique que l'accusé a commis des infractions plus graves que celles dont il a été en fait déclaré coupable, le juge doit se baser sur les Lignes directrices applicables aux infractions les plus graves (§1B1.2a)) [24]. L'application de cette disposition comporte toutefois une limite : comme l'indique le commentaire relatif à cette ligne directrice (par. 1), le tribunal ne peut imposer une peine supérieure «au maximum autorisé par la loi en vertu de laquelle l'accusé est déclaré coupable».

En outre, les Lignes directrices ((§1B1.2c)) énoncent que, lorsque l'entente relative au plaidoyer contient un énoncé qui démontre que l'accusé a commis d'autres infractions, le tribunal doit alors fixer la peine «comme si l'accusé avait été déclaré coupable d'autres chefs d'accusation concernant ces infractions».

Les Lignes directrices placent une limite particulièrement importante à l'application de la règle fédérale 11; cette restriction concerne l'utilisation par les tribunaux des rapports présentenciels, qui sont préparés par un organisme indépendant - le U.S. Probation Office (Service de probation des É.-U.). Les Lignes directrices en matière de peine (§6A1.1) énoncent que, dans la plupart des cas, un agent de probation doit «faire une enquête présentencielle et présenter un rapport au tribunal avant le prononcé de la peine» (italiques ajoutés). En pratique, ce genre de rapport est préparé et présenté aux tribunaux «dans l'immense majorité des cas» (Herman, 1997, p. 158). Rappelons que la règle fédérale 11e)(2) précise que, lorsque le poursuivant et l'avocat de la défense informent le tribunal que les parties ont conclu une entente relative au plaidoyer de «type A» ou de «type C», «le tribunal peut accepter ou rejeter l'entente, ou reporter sa décision jusqu'à ce qu'il ait eu la possibilité d'examiner le rapport présentenciel» ( italiques ajoutés). Cela indique que le tribunal possède un pouvoir discrétionnaire inhérent de reporter l'acceptation ou le refus de l'entente relative au plaidoyer jusqu'à ce qu'il ait pu examiner le rapport présentenciel.

Les Lignes directrices en matière de peine (§6B1.1c)) énoncent toutefois expressément que le tribunal est tenu de reporter cette décision jusqu'à ce qu'il ait eu la possibilité d'examiner le rapport présentenciel. Le fait qu'un rapport présentenciel indépendant soit transmis au juge avant que celui-ci examine l'entente relative au plaidoyer proposée montre que le poursuivant et l'avocat de la défense aurait beaucoup de mal à déformer, ou à supprimer, des renseignements pertinents et d'empêcher ainsi le tribunal d'en prendre connaissance.

Il convient de noter qu'aux termes de la règle 11, le tribunal peut accepter le plaidoyer de culpabilité de l'accusé tout en reportant sa décision au sujet de l'acceptation du projet d'entente relative au plaidoyer. Si le tribunal décide, après avoir lu le rapport présentenciel, de rejeter l'entente relative au plaidoyer, la règle 11e)(4) dispose clairement que l'accusé doit automatiquement avoir la possibilité de retirer son plaidoyer de culpabilité et que le tribunal doit l'avertir que, s'il maintenait son plaidoyer de culpabilité, «la peine imposée pourrait être plus sévère que celle qui était envisagée dans l'entente». L'accusé n'a toutefois pas le droit de retirer son plaidoyer de culpabilité une fois que le tribunal a reporté sa décision relative à l'acceptation de l'entente relative au plaidoyer : en fait, l'accusé ne peut retirer son plaidoyer que s'il montre qu'il existe «une raison juste et équitable pour le faire» (comme le prévoit la règle fédérale 32e)).

L'arrêt United States v. Hyde (1997), dans lequel l'accusé avait conclu une entente relative au plaidoyer de «type A» (entente relative à l'accusation) avec le poursuivant illustre fort bien les conséquences que peut avoir cet aspect particulier de l'application de la règle 11. Après avoir conclu que l'accusé avait «plaidé coupable, sciemment, volontairement et en connaissance de cause» et qu'«il existait une base factuelle pour le plaidoyer», la District Court a accepté le plaidoyer de culpabilité mais a reporté sa décision au sujet de l'acceptation de l'entente relative au plaidoyer en attendant que le rapport présentenciel soit achevé. Avant que le tribunal se soit prononcé sur l'acceptation de cette entente, l'accusé a tenté de retirer son plaidoyer de culpabilité. Le tribunal a jugé qu'il n'y avait pas de «motif valable et équitable» de retirer ce plaidoyer, et il a ensuite accepté l'entente relative au plaidoyer et prononcé la peine. La Cour suprême des États-Unis a jugé que la District Court avait eu raison de déclarer que l'accusé n'avait pas le droit absolu de retirer son plaidoyer de culpabilité, parce qu'il n'avait pas montré qu'il existait «un motif valable et équitable» de le faire (conformément à la règle 32e)).