Participation de la victime à la négociation de plaidoyer au Canada : Analyse de la recherche et de quatre modèles en vue d'une réforme éventuelle
4. La règle fédérale 11 : Un cadre juridique viable pour la négociation de plaidoyer? (suite)
4.4 La recherche empirique : la négociation de plaidoyer et les Lignes directrices en matière de peine dans l'appareil judiciaire fédéral des États-Unis
Il n'est pas facile de déterminer avec exactitude quel a été l'effet des Lignes directrices en matière de peine sur les peines prononcées par les tribunaux fédéraux. Certains ont déclaré qu'«en faisant correspondre étroitement les peines aux accusations dont les accusés sont déclarés coupables, les Lignes directrices ont gravement limité le pouvoir discrétionnaire des tribunaux en matière de peine»
(Taha, 2001, p. 251). D'après une étude empirique de Karle et Sager (1991), les Lignes directrices en matière de peine ont effectivement réduit la disparité des peines prononcées par les tribunaux fédéraux : en fait, les juges ont réagi positivement à l'introduction des Lignes directrices en «réduisant la gamme des peines»
imposées aux accusés (p. 420). Selon cette étude, l'application judiciaire des Lignes
directrices a effectivement permis de réaliser l'objectif recherché par le Congrès qui consistait à augmenter la sévérité des peines imposées en matière d'infraction sur les stupéfiants (Karle et Sager, 1991, p. 420). Cependant, Karle et Sager (1991, p. 420) ont également constaté que s'il y a bien eu dans l'ensemble une réduction de la disparité des peines, il demeurait néanmoins des variations importantes dans les peines imposées par les différents juges et par les District Courts des différentes régions. La plupart des disparités individuelles et régionales viennent du fait que certains juges utilisent leur pouvoir de s'écarter de la gamme des peines prévues par les Lignes directrices (Karle et Sager, 1991, p. 433).
Pour les fins actuelles, la question qui nous paraït la plus importante est de savoir quel effet ces Lignes directrices ont eu sur les pratiques en matière de négociation de plaidoyer avec le mécanisme établi par la règle fédérale 11 ? Certains pensent que les Lignes directrices ont imposé des règles strictes en matière de peine sans tenir compte de la dynamique du processus de négociation de plaidoyer [25] (Bibas, 2001). Certains avaient également prévu que les Lignes directrices nuiraient gravement à la négociation de plaidoyer en réduisant les moyens susceptibles d'être utilisés par les tribunaux pour amener les accusés à plaider coupables (Bibas, 2001; Karle et Sager, 1991, p. 394). Par exemple, avant l'entrée en vigueur des Lignes directrices, les accusés condamnés après avoir plaidé
coupables bénéficiaient d'une réduction de 30 à 40 p. 100 de leurs peines; avec les Lignes directrices, les délinquants qui concluent une entente relative au plaidoyer n'obtiennent habituellement qu'une réduction de 20 p. 100 de leur peine (Karle et Sager, 1991, p. 404 et 405). En outre, les pouvoirs discrétionnaires des juges ont été encore restreints par l'introduction dans les Lignes directrices de peines minimales obligatoires pour certaines infractions. Il n'est pas surprenant que certains juges aient publiquement déploré «les restrictions absolues apportées à leur pouvoir discrétionnaire parce qu'incompatibles avec la justice»
(Karler et Sager, 1991, p. 429). En plus de fixer des peines minimales obligatoires, les Lignes directrices utilisent une grille sentencielle [26] qui est basée sur la gravité de l'infraction et sur les
antécédents judiciaires de l'accusé, ce qui laisse aux juges peu de latitude pour tenir compte des caractéristiques personnelles du délinquant (Karle et Sager, 1991, p. 400 et 430). Bref, en limitant rigoureusement le pouvoir discrétionnaire des juges en matière de peine, on peut soutenir que les Lignes directrices «ont pour effet de restreindre la capacité des juges à récompenser les plaidoyers de culpabilité en accordant une réduction de la peine»
(Taha, 2001, p. 252).
Malgré les restrictions importantes du pouvoir discrétionnaire des juges en matière de peine qu'a entraïné l'entrée en vigueur des Lignes directrices, il est significatif que Karle et Sager (1991, p. 420) aient néanmoins constaté que le taux des négociations de plaidoyer «n'a pas été sensiblement affecté»
par l'application des lignes directrices par les tribunaux fédéraux (voir également des résultats semblables dans Dunworth et Weisselberg, 1992; Heaney, 1991; Parent, et. al., 1996). Ceci ne veut toutefois pas dire que les Lignes directrices n'ont eu aucun effet sur la pratique de la négociation de plaidoyer établie par la règle 11. Il est possible que les Lignes directrices aient en fait modifié la nature de la négociation de plaidoyer. Comme le note Taha (2001, p. 251), les restrictions apportées par les Lignes directrices à la
discrétion judiciaire ont peut-être transféré une bonne partie de ce pouvoir au poursuivant, parce que celui-ci est en mesure de choisir les accusations qu'il souhaite porter contre l'accusé :
En théorie, les poursuivants peuvent utiliser ce pouvoir au cours de la négociation de plaidoyer en acceptant de ne pas porter certaines accusations ou de les retirer, pourvu que l'accusé accepte de plaider coupable à une accusation moindre ou à des accusations moins nombreuses. Ce type de négociation de plaidoyer revient en fait à négocier l'accusation. Si la négociation des accusations n'était pas encadrée, cela pourrait avoir pour effet de substituer au pouvoir discrétionnaire des juges le pouvoir discrétionnaire des poursuivants, ce qui saperait l'objectif des lignes directrices qui consiste à veiller à ce que des contrevenants se trouvant dans des situations comparables reçoivent des peines comparables.
Les poursuivants sont en mesure de contourner les Lignes directrices pour la raison que la U.S. Sentencing Commission «a décidé de fonder la gamme des peines applicables non pas sur l'infraction réellement commise par le délinquant mais sur les accusations pour lesquelles il a été condamné»
(Starkweather, 1992, p. 862). Cependant, comme nous l'avons noté ci-dessus, l'effet conjugué de la règle fédérale 11 et des Lignes directrices en matière de peine oblige les juges à veiller à ce que les accusations portées contre l'accusé reflète équitablement ce qui s'est véritablement passé dans le dossier. En outre, lorsque les faits à l'origine d'un dossier montrent que l'accusé a commis une infraction plus grave que celle pour laquelle il a été inculpé ou que des chefs supplémentaires auraient dû être ajoutés à
l'inculpation portée, le tribunal doit alors en tenir compte et infliger une peine plus sévère. Le rapport présentenciel indépendant, l'obligation pour le tribunal de reporter sa décision au sujet de l'acceptation de l'entente relative au plaidoyer en attendant d'avoir reçu le rapport présentenciel et les dispositions concernant les énoncés de faits qui doivent être insérés dans les ententes relatives au plaidoyer sont des éléments qui permettent aux tribunaux d'exercer un contrôle sur les ententes relatives aux accusations conclues par la poursuite et la défense.
Malheureusement, il existe certaines preuves empiriques qui montrent que les poursuivants ont réussi à se soustraire au contrôle judiciaire de la négociation des accusations en ayant recours à ce qu'on a appelé la négociation des accusations préalable au dépôt des accusations (Taha, 2001; Yellen, 1992). Comme Taha (2001, p. 252) l'a noté,
… il est plus facile pour les poursuivants et les avocats de la défense de dissimuler aux juges, aux agents de probation et aux superviseurs des poursuivants les ententes irrégulières en matière d'accusation, si ces ententes sont conclues avant que des accusations ne soient portées. Une fois que les accusations ont été portées, le risque est plus grand que l'on s'aperçoive que les accusations ont été réduites dans le cadre de la négociation de plaidoyer plutôt que pour un motif légitime, comme l'insuffisance de preuves.
Il est effectivement très difficile de s'apercevoir qu'il y a eu une entente au sujet des accusations, lorsque l'entente est antérieure au dépôt des accusations (Taha, 2001, p. 253) et l'impossibilité pour les tribunaux d'exercer un contrôle sur ce type d'entente ouvre la porte à des types de négociations qui risquent d'être coercitives, voire illégales (Colquitt, 2001). L'étude empirique de Taha a toutefois confirmé qu'après l'introduction des Lignes directrices en matière de peine pour les tribunaux fédéraux, les poursuivants ont effectivement utilisé plus souvent la négociation des accusations avant le dépôt des accusations (Taha, 2001, p. 252). Taha (2001, p. 266) mentionne deux éléments qui appuient cette conclusion :
Premièrement, le nombre des accusés ayant plaidé coupable à des accusations plus proches des accusations effectivement portées par les poursuivants a augmenté. Deuxièmement, les poursuivants ont porté des accusations moins graves contre les accusés.
Malheureusement, les données de Taha proviennent toutes de dossiers antérieurs à mai 1990 : il est donc difficile de savoir si les juges fédéraux et les agents de probation ont réussi par la suite à élaborer des stratégies pour combattre le recours à la négociation des accusations avant le dépôt des accusations par les poursuivants dans le but de contourner et de saper les Lignes directrices fédérales en matière de peine. On pourrait réduire l'efficacité de ces stratégies en autorisant les victimes à présenter des commentaires sur les projets d'entente relative au plaidoyer au cours de l'enquête prévue par la règle fédérale 11. Avec la participation des victimes, les parties à une entente relative au plaidoyer auraient plus de mal à dissimuler des renseignements essentiels au tribunal chargé de prononcer la peine.
Il y a lieu de faire une mise en garde au sujet de l'administration des Lignes directrices américaines en matière de peine : plus précisément, il est important de savoir que le profil des délinquants visés par les peines prononcées par les tribunaux fédéraux est largement influencé par la nature des infractions de compétence fédérale - par opposition à celle qui relève des États. Comme le Tableau 5 l'indique (U.S. Sentencing Commission, 2001), la majorité des délinquants fédéraux sont condamnés pour des infractions relatives aux drogues ou à l'immigration - un profil qui est très différent de celui que l'on retrouve dans un État «typique»
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Source: U.S. Sentencing Commission, 1999 Datafile, OPAFY 99.
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