Participation de la victime à la négociation de plaidoyer au Canada : Analyse de la recherche et de quatre modèles en vue d'une réforme éventuelle
4. La règle fédérale 11 : Un cadre juridique viable pour la négociation de plaidoyer? (suite)
4.5 Règle fédérale 11 : Conclusions provisoires
Il est incontestable que la règle fédérale 11 a créé un mécanisme juridique qui assure l'encadrement judiciaire de la négociation de plaidoyer, tout en favorisant cette pratique. Selon la règle 11, les juges ne sont pas autorisés à participer directement à la négociation de plaidoyer : ils ont par contre le pouvoir discrétionnaire d'accepter ou de rejeter l'entente relative au plaidoyer conclue par le ministère public et l'avocat de la défense. Bien appliquées, les dispositions de la règle 11 devraient faire en sorte que les accusés ne puissent plaider coupables que volontairement et en pleine connaissance de cause. En outre, les rapports présentenciels indépendants limitent la mesure dans laquelle la poursuite et la défense peuvent déformer ou dissimuler les renseignements dont le tribunal a besoin pour bien comprendre tous les aspects qui déterminent l'entérinement de l'entente relative au plaidoyer.
Il est cependant manifeste que la règle fédérale 11 ne peut être évaluée qu'en tenant compte de l'application par les tribunaux fédéraux des Lignes directrices en matière de peine des États-Unis. Il est indubitable que les Lignes directrices limitent l'étendue du pouvoir discrétionnaire des tribunaux en matière de peine et qu'elles réduisent sensiblement les avantages qui peuvent être accordés aux accusés pour les amener à plaider coupables. Il existe encore des disparités entre les juges et les différents districts judiciaires sur le plan des peines mais il semble que, dans l'ensemble, on ait constaté une réduction des disparités entre les peines prononcées par les tribunaux fédéraux depuis l'entrée en vigueur des Lignes directrices. Il faudrait évidemment effectuer des recherches empiriques supplémentaires dans ce domaine mais il semble que les Lignes directrices en matière de peine n'aient pas entraïné une variation sensible du taux des ententes relatives au plaidoyer dans l'appareil judiciaire fédéral. Il existe toutefois certaines preuves empiriques qui montrent que la nature des ententes relatives au plaidoyer a peut-être - dans une certaine mesure - changé et que les poursuivants et les avocats de la défense ont commencé à élaborer des stratégies en vue d'éviter l'application intégrale des lignes directrices aux accusés qui plaident coupables. L'apparition de la pratique consistant à conclure des ententes relatives au plaidoyer avant le dépôt des accusations est inquiétante parce qu'elle est très difficile à détecter et qu'elle échappe, par conséquent, à tout encadrement judiciaire.
La règle fédérale 11 ne prévoit pas la participation de la victime à l'enquête tenue par le juge qui reçoit le plaidoyer de culpabilité de l'accusé. Dans l'appareil judiciaire fédéral, les victimes peuvent se faire entendre directement en lisant une déclaration, ou de façon indirecte par le biais du rapport présentenciel : elles demeurent toutefois muettes au cours de l'enquête prévue par la règle 11. On peut toutefois penser qu'avec la participation des victimes à cette enquête, les poursuivants et les avocats de la défense ne pourront contourner les Lignes directrices en matière de peine en utilisant la pratique secrète de la négociation de plaidoyer avant le dépôt des accusations.
En bref, la règle fédérale 11 a créé un modèle efficace et solide d'encadrement judiciaire de la négociation de plaidoyer devant les tribunaux fédéraux. Cette règle ne prévoit toutefois pas la participation des victimes au processus décisionnel judiciaire par lequel les tribunaux décident d'accepter ou non les ententes relatives à un plaidoyer. En ce sens, l'encadrement judiciaire de la négociation de plaidoyer devant les tribunaux fédéraux est en retard par rapport aux dispositions législatives équivalentes qui existent dans de nombreux États.
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