Participation de la victime à la négociation de plaidoyer au Canada : Analyse de la recherche et de quatre modèles en vue d'une réforme éventuelle
5. La participation de la victime au processus pénal : Le précédent de la déclaration de la victime à l'étape de la détermination de la peine (suite)
5.2 L'influence des déclarations de la victime sur la détermination de la peine : la nouvelle jurisprudence canadienne
En Amérique du Nord et en Europe, de nombreux États ont introduit les déclarations de la victime dans le processus de détermination de la peine, mais il est difficile de savoir si ces déclarations ont une influence sensible sur la sévérité des peines infligées [30]. D'une façon générale, les tribunaux canadiens ont pris bien soin de préciser que si les déclarations des victimes fournissent des renseignements utiles, il ne faudrait pas y voir un moyen permettant à la victime de jouer un rôle direct dans la détermination de la nature - ou de la durée - de la peine prononcée par le juge.
Dans R. v. Labbe (2001), le juge Bouck de la Cour suprême de la C.-B. a exprimé l'idée que la déclaration de la victime joue deux rôles essentiels :
Premièrement, le tribunal connaït mieux, grâce à elle, le préjudice qu'a causé le délinqunat à la victime et comprend donc mieux la gravité de l'infraction. Deuxièmement, les déclarations montrent aux victimes qu'elles participent au processus de détermination de la peine en montrant qu'elles n'en sont pas exclues, ni oubliées (par. 51, citant le juge Paradis, C.P. dans R. v. J.A.F. (1997)).
Cependant, dans Labbe, une affaire d'homicide involontaire coupable, le juge Bouck a exprimé ses craintes au sujet de la mesure dans laquelle les déclarations de la victime devraient avoir une influence directe sur la peine effectivement retenue :
Il est difficile de savoir si le législateur voulait que les juges imposent une peine plus sévère qu'ils ne l'auraient fait autrement pour ce crime lorsqu'il y a une déclaration de la victime ou une peine moins sévère lorsqu'il n'y en a pas. Il est également difficile de savoir si la sévérité de la peine doit correspondre à la gravité du préjudice subi par la victime ou par la famille qui lui survit. (par. 47)
D'après le juge Bouck, «le principe central du droit pénal est que l'infraction criminelle n'est pas une infraction commise contre la personne qui en est la victime, mais plutôt une infraction commise contre l'ensemble de la société»
(par. 48). Les déclarations des victimes fournissent souvent des renseignements utiles qui sont directement pertinents aux objectifs des peines telles qu'énoncées dans le Code criminel, mais la sévérité de la peine imposée au délinquant ne devrait pas dépendre directement de la façon dont la victime a qualifié subjectivement sa souffrance :
… À mon avis, il importe peu que la personne décédée soit jeune, pleine d'avenir et très aimée ou vieille, qu'elle ait l'esprit dérangé et soit méprisée par ceux qui la connaissent. Le droit n'a pas à tenir compte de la valeur de la vie qui a été prise, parce que s'il le faisait, il porterait atteinte au droit de tout citoyen de vivre sa vie jusqu'à son terme (par. 52).
Dans Bremner (2000), la Cour d'appel de la C.-B. a clairement exprimé l'idée que la victime d'un acte criminel ne doit jouer aucun rôle dans la détermination du type de peine ou de la durée de la peine qui doit être infligée au délinquant [31]. Pour reprendre les paroles du juge Proudfoot (avec lequel le juge Huddart était d'accord),
Le Code ne contient aucune disposition qui autorise la victime à suggérer le type ou la durée de la peine qui doit être infligée… Je ne veux aucunement circonscrire le droit des victimes de faire connaïtre au tribunal «le préjudice qui a été causé» ou «le préjudice physique ou émotif qu'a entraïné l'acte criminel» mais le Code ne prévoit pas d'instance tripartite pour ce qui est des recommandations en matière de peine. À cette étape, les parties sont les mêmes qu'au procès (par. 23).
Dans l'arrêt Bremner, l'accusé avait été déclaré coupable de quatre accusations d'actions indécentes contre des garçons âgés de 13 à 16 ans. Il a reçu une peine de 18 mois d'emprisonnement. L'accusé a interjeté appel de la sentence et la Cour d'appel y a substitué une peine avec sursis. Le juge Proudfoot a déclaré ce qui suit au sujet de l'idée que le désir de vengeance de la victime ne doit pas influencer le juge :
Il était manifestement inapproprié de présenter à l'enquête sur sentence des déclarations de la victime (y compris celles de A.H.) qui invitaient le tribunal à prononcer certaines peines. En outre, plusieurs de ces déclarations avaient été faites pour satisfaire un désir de vengeance, ce qui n'a pas sa place en matière de détermination de la peine (par. 28).
Dans le même sens, l'arrêt Thornton (2000) montre que les tribunaux répugnent à montrer que la peine a été choisie en se fondant sur la teneur de la déclaration de la victime - même si celle−ci montre que la victime a subi de graves souffrances. Les conséquences de l'infraction commise par Thornton avaient été qualifiées de «catastrophiques», mais le juge ne semble pas avoir accordé une grande valeur à la déclaration de la victime. L'accusé avait été déclaré coupable de conduite dangereuse ayant causé la mort et la mère de la personne décédée avait déposé une déclaration - à partir de laquelle le juge a conclu : «il est évident que cette personne a été traumatisée par la mort de son fils»
(par. 39). Le juge Romilly de la Cour suprême de la C.-B. a prononcé une
condamnation à l'emprisonnement avec sursis et a simplement mentionné que la déclaration de la victime n'était qu'un des nombreux facteurs dont il avait tenu compte. Cette approche a été illustrée de façon frappante lorsque le juge s'est directement adressé à la mère du défunt :
… Je tiens à vous dire que le tribunal comprend toute la douleur et la souffrance que vous avez ressenties à la suite de cet accident tragique. Rien ne pourra faire revivre votre fils. Le tribunal ne peut que suivre la jurisprudence et tenter de mettre un terme final à ce triste événement (par. 43).
Si les juges ont insisté à plusieurs reprises sur l'idée que les victimes n'ont aucun rôle direct à jouer sur le choix de la sentence qui doit être infligée à «leur» délinquant, les cours d'appel ont néanmoins pris l'initiative d'annuler les peines imposées lorsque le juge n'avait pas tenu compte de renseignements importants contenus dans la déclaration de la victime. Par exemple, dans l'arrêt Kennedy (1999), la Cour d'appel de l'Ontario a annulé la sentence parce que le juge n'avait pas tenu compte de toutes les conséquences qu'avait eues l'agression sexuelle sur la plaignante, qui avait présenté une déclaration [32]. Comme le juge Feldman l'a déclaré (par. 21), en prononçant le jugement de la Cour, «le tribunal doit toujours avoir à l'esprit que rien ne peut effacer ce qui est
arrivé à la victime, alors que le système peut tenter de répondre aux besoins de l'auteur du crime et aux besoins de la société en essayant d'aider l'accusé à devenir un citoyen productif et actif»
. La Cour a toutefois poursuivi en insistant sur l'idée que «le choix de la peine est un processus délicat»
et qu'en l'espèce, … le crime avait été particulièrement horrible pour la victime. Tout comme la suite… Contrairement à ce qu'a estimé le juge qui a fixé la peine, dans de telles circonstances, la dissuasion générale joue un rôle particulièrement important pour le choix de la peine. L'omission de tenir compte de ce facteur a été une erreur, tout comme le fait de penser qu'il était possible dans cette affaire de concilier les différents principes applicables en matière de détermination de la peine en prononçant une
peine situé dans la partie inférieure de la gamme des peines prévues pour les infractions de ce type (par. 22).
La Cour d'appel de l'Ontario a adopté une approche semblable dans l'affaire Bates (2000), dans laquelle elle a jugé que la peine prononcée en première instance devait être annulée parce que le juge n'avait pas tenu compte des effets permanents qu'avaient eus sur la victime les actes criminels commis par l'accusé. La Cour d'appel a substitué une peine d'emprisonnement dans un pénitencier à la condamnation à l'emprisonnement avec sursis qu'avait prononcé initialement le juge. L'accusé avait été déclaré coupable d'harcèlement criminel, d'avoir émis des menaces de mort, de trois chefs de voies de fait et de six chefs d'omission de respecter les conditions de plusieurs ordonnances de mise en liberté. La Cour a noté (par. 30) que les actes criminels reliés à la violence familiale «sont particulièrement odieux parce que ce ne sont pas des
événements isolés dans la vie de la victime»
et elle a noté qu'en plus de subir continuellement des mauvais traitements, la victime avait également vécu «dans la peur perpétuelle du délinquant »
. Il est important de noter que la Cour a souligné que les déclarations de la victime qui avaient été préparées dans cette affaire décrivaient en détail la peur qu'avait suscité la campagne de harcèlement de l'accusé :
Outre la nécessité de prendre en considération la sécurité des victimes, le tribunal devait tenir compte des déclarations de la victime et des effets permanents que causait aux victimes le comportement de l'intimé. Le juge qui a fixé la peine ne l'a pas fait (par. 46).
Il est également bon de noter que les cours d'appel ont pris soin de souligner que le tribunal a le droit d'accorder une valeur considérable aux renseignements contenus dans la déclaration de la victime, pourvu qu'il établisse que ces renseignements sont pertinents aux objectifs de la peine qui ont été énoncés par le Parlement et les cours d'appel. Par exemple, dans R. v. Jackson, (2000), l'accusé était un agent de police qui avait été déclaré coupable d'un chef de voie de fait contre sa femme et d'un chef d'entreposage négligent d'armes à feu et de munitions. Le juge a prononcé une peine de condamnation à l'emprisonnement avec sursis et une ordonnance de probation. Le juge a justifié sa décision en indiquant clairement qu'il avait été influencé par certains renseignements contenus dans la déclaration de la victime :
À mon avis, la décision qui convient en l'espèce est une condamnation à l'emprisonnement avec sursis et la probation. Je suis inquiet de ce que contient la déclaration de la victime au sujet de la colère qui semble habiter l'accusé et l'animer dans ses rapports avec son ex-conjointe. Je l'ai ressenti dans les témoignages que j'ai entendus au cours du procès et cela m'inquiète (par. 7).
L'accusé a interjeté appel devant la Cour suprême de la C.-B. et a soutenu qu'il aurait dû recevoir une absolution sous condition. Le juge Cowan a toutefois maintenu la peine initiale, en concluant (par. 11) que le «juge était parfaitement au courant des différents aspects dont il devait tenir compte pour choisir la peine appropriée»
.
De la même façon, dans Tran (1999), l'accusé avait plaidé coupable à une accusation d'homicide involontaire coupable et il avait été condamné à une peine de sept ans de prison. La femme et la fille du défunt avaient produit une déclaration de la victime à l'enquête sur sentence. Le juge avait qualifié cette déclaration «d'extrêmement touchante et convaincante»
(par. 3). Le juge a tenu compte de la déclaration de la victime lorsqu'il a déclaré que le fait que le décès du défunt «ait laissé sa veuve et quatre enfants mineurs dans un pays étranger et dans une situation précaire»
(par. 5) constituait une circonstance aggravante. Le juge Braidwood de la Cour d'appel de la C.-B. a confirmé le jugement et déclaré que «rien n'indiquait qu'une importance trop grande ait été accordée à la
déclaration de la victime»
. À son avis,
… constitue une circonstance aggravante en l'espèce le fait que l'appelant et le défunt étaient amis et que l'appelant savait fort bien que sa victime avait charge de famille avant qu'il le tue à coups de couteau en présence de la jeune fille (par. 18).
L'affaire Miclash (2001), dans laquelle l'accusé avait été déclaré coupable d'avoir causé des lésions corporelles et d'agression sexuelle sur un bébé de trois ans constitue un dernier exemple de l'approche adoptée par les cours d'appel pour ce qui est de l'utilisation faite par le juge de première instance des déclarations de la victime. L'accusé avait été condamné à cinq ans de prison et la Cour d'appel de la C.-B. a par la suite confirmé la condamnation. Le juge Saunders a noté que «le choc émotif et le grave préjudice physique qui a été causé constitue un autre facteur aggravant»
(par. 11). Ces conséquences avaient été soulignées dans la déclaration de la victime qui «avait montré l'ampleur du préjudice et des souffrances causées par l'accusé à l'appelante, sa sœur et sa
mère»
(par. 12). Cependant, le juge Saunders (par. 7) a souligné que la Cour d'appel avait «répété à plusieurs reprises que les infractions de ce type devaient être sévèrement punies de façon à protéger les enfants, et en particulier les filles et les belles-filles et pour exprimer la réprobation de la collectivité à l'égard de ce genre de comportement»
. En fin de compte, la Cour a noté que le juge de première instance avait eu raison d'insister sur les objectifs de dissuasion et de dénonciation et il semble que la déclaration de la victime ait uniquement fourni des renseignements se rapportant à l'application de ces notions.
Dans l'ensemble, il semble que la jurisprudence qui prend corps au sujet de l'utilisation des déclarations des victimes dans la détermination de la peine repose sur le principe fondamental selon lequel la victime ne doit pas jouer un rôle direct dans le choix de la nature et de la durée de la peine finalement infligée par le tribunal. Toutefois, les cours d'appel ont modifié certaines sentences, lorsque le juge de première instance avait omis de tenir compte de renseignements essentiels contenus dans les déclarations des victimes et qui étaient jugés pertinents pour l'application des principes fondamentaux de la détermination de la peine. En outre, les cours d'appel se sont montrées très réticentes à annuler la peine imposée parce que le juge de première instance a accordé une valeur trop grande au contenu de la déclaration de la victime : un tel résultat ne se produirait que si le juge de première instance n'avait pas montré dans ses motifs qu'il avait effectivement tenu compte de tous les autres facteurs pertinents avant de fixer la peine.
En ce qui concerne la participation de la victime à la négociation de plaidoyer, l'expérience judiciaire canadienne en matière de déclaration de la victime indique que l'idée que la victime devrait avoir le droit de s'opposer à un projet d'entente relative au plaidoyer, ou d'en dicter les termes, ne jouirait ici d'aucun appui. Cependant, si l'on confiait aux tribunaux la tâche d'entériner les projets d'entente relative au plaidoyer, nous pensons que l'expérience qu'ils ont acquise à l'égard des déclarations de la victime dans le contexte de la détermination de la peine s'avèrerait sans doute particulièrement utile pour cette nouvelle situation. Plus précisément, cette expérience semble indiquer que les tribunaux qui seront appelés à décider si un projet d'entente relative au plaidoyer doit être entériné devraient tenir compte des renseignements fournis
par la victime - pourvu que ces renseignements se rapportent aux principes généraux qui seront formulés pour guider les juges dans l'exécution de cette nouvelle tâche. En outre, comme Renke (1996, p. 115) l'a signalé à l'égard des déclarations des victimes, accorder aux victimes le droit de participer activement aux étapes essentielles du processus pénal reflète leur droit de «se faire entendre»
, et de veiller à ce que «les effets concrets de l'acte criminel ne disparaissent pas une fois traduits dans le jargon professionnel»
et «de ne pas être oubliées»
.
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