Participation de la victime à la négociation de plaidoyer au Canada : Analyse de la recherche et de quatre modèles en vue d'une réforme éventuelle
6. La satisfaction de la victime, sa participation et la recherche empirique
Il est paradoxal de constater que les déclarations des victimes ont un effet limité sur la détermination de la peine parce que la plupart des affaires pénales sont réglées, le plus souvent, par la négociation du plaidoyer, opération dont les victimes sont exclues dans de nombreux pays (y compris au Canada) (Kennard, 1989, p. 218). Il a néanmoins été affirmé qu'il serait très avantageux de renforcer la participation des victimes aux instances judiciaires par le moyen des déclarations des victimes. Par exemple, ces déclarations peuvent être utiles parce qu'elles donnent aux victimes le moyen d'exprimer plus complètement comment un crime particulier les a touchés dans leur vie. Comme le juge en chef Rehnquist (de la Cour suprême des États-Unis) l'a déclaré, les déclarations des victimes peuvent «faire ressortir le caractère unique de celles-ci en tant
qu'être humain et permettre au jury de déterminer la perte qu'a subie la société»
(cité dans Donahoe, 1999, p. 14). En ce sens, la déclaration de la victime peut donner au juge des renseignements détaillés qui lui permettront d'être mieux informé pour choisir la peine appropriée.
Il a en outre été suggéré que les déclarations des victimes offrent à celles-ci «un meilleur contrôle sur la vie; ces déclarations répondent au désir de la victime de voir châtier le coupable; elles rendent le processus pénal plus équitable étant donné que les besoins de la victime influencent la détermination de la peine»
(Johnson, 1988, cité dans Platt et Kauffman, 2000, p. 632). De la même façon, certains soutiennent (p. ex., Young, 2001, p. 18) que le sentiment d'exercer un certain contrôle sur leur vie, qu'obtiennent les victimes en participant à l'enquête sur sentence, les aide beaucoup au cours du processus de guérison. Comme Sobieski (1993, cité dans National Center for Victims of Crime, 2002) l'a déclaré, «les déclarations des victimes et les autres mécanismes qui leur permettent d'exprimer leurs sentiments sont un
facteur qui facilite grandement le processus de guérison»
. Enfin, certains commentateurs ont émis l'idée que le renforcement de la participation de la victime au processus de détermination de la peine et d'octroi de la libération conditionnelle réduit les effets négatifs de la «victimisation secondaire» que les victimes ressentent souvent dans leurs rapports avec les policiers et les poursuivants (Fenwick, 1997, p. 320 et Kelly, 1987, cité dans Smith, Watkins et Morgan, 1997, p. 57).
Il n'existe guère d'études empiriques complètes et sophistiquées sur cet aspect mais il est utile de noter que, selon certaines études, le renforcement de la participation à la procédure (grâce à des mécanismes comme les déclarations des victimes) augmente le degré de satisfaction de la victime à l'égard du règlement de «leur» dossier (Fenwick, 1997, p. 320; Wemmers, 1999, p. 176; et Young, 2001, p. 18). Par exemple, les auteurs d'une étude (Kilpatrick, Beatty et Howley, 1998, p. 7 et 8) ont constaté ce qui suit :
- Les victimes qui étaient informées de leurs droits étaient plus satisfaites du système judiciaire que celles qui ne les connaissaient pas.
- Les victimes qui pensaient que leur participation avait un impact sur l'affaire qui les concernait étaient davantage satisfaites du système [35]. (soulignement ajouté).
Dans le même sens, une étude empirique de Sobieski [36] (1993, cité dans National Center for Victims of Crime: 2002) a permis de constater que les victimes étaient relativement insatisfaites du système de justice pénale, lorsqu'on leur refusait la possibilité de présenter de vive voix une déclaration en audience publique. Lorsque les victimes ne peuvent participer directement à l'enquête sur sentence, le niveau d'insatisfaction passe à 65 p. 100, alors que le chiffre correspondant est de 42 p. 100, lorsque cette possibilité est offerte aux victimes.
Satisfaction des victimes à l'égard du système de justice pènale lorsqu'elles n'ont pas la possibilité de presenter oralement une déclaration
Satisfaction des victimes à l'égard du système de justice pènale lorsqu'elles ont la possibilité de presenter oralement une déclaration
Source: National Center for Victims of Crime (2001).
On pourrait soutenir que la participation des victimes à la négociation du plaidoyer pourrait également augmenter sensiblement le niveau de satisfaction des victimes à l'égard du système de justice pénale. Cette pratique n'a toutefois pas encore fait l'objet de recherche empirique sérieuse. Une étude empirique - menée en Floride - a toutefois examiné le niveau de satisfaction des victimes dans un État qui les autorisait à participer activement à la négociation de plaidoyer. Il a été constaté que la satisfaction des victimes à l'égard de l'issue de leur affaire [37] (Kennard, 1989, p. 436) était proportionnelle à la participation des victimes aux étapes préalables au procès. Il est également bon de noter que, d'après cette étude, la participation des victimes a été
associée à une diminution de la sévérité de la peine [38] et, plus précisément, dans «le recours à l'incarcération»
, et non à une tendance à imposer des peines plus sévères (Kennard, 1989, p. 435).
Néanmoins, les résultats obtenus grâce aux recherches portant sur cette question sont loin d'être uniformes. En fait, certains chercheurs ont publié des conclusions qui contredisent l'idée que la participation de la victime - par la communication de renseignements à celle-ci, la présentation d'une déclaration et la participation à la négociation de plaidoyer - augmente toujours le niveau de satisfaction des victimes à l'égard du système de justice pénale. Par exemple, d'après certaines études, le fait de fournir davantage de renseignements à la victime ne semble pas influencer le niveau global de satisfaction des victimes à l'égard de l'issue de leur affaire ni d'atténuer le sentiment de détresse ressenti par de nombreuses victimes (Toboslowski, 1999, p. 47) [39]. D'autres études indiquent que certaines victimes qui avaient préparé une déclaration déclaraient effectivement que cela avait été pour elles une expérience très positive mais cette forme de participation au processus judiciaire n'a pas véritablement augmenté le niveau de satisfaction à l'égard de l'issue de l'affaire les concernant (Giliberti, 1990, p. 1). De plus, il a été noté que l'effet de la participation de la victime sur le niveau général de satisfaction est quelquefois limité par la constatation, faite par certaines victimes, que leur participation n'a pas eu en pratique grand effet sur la nature et la durée de la peine qui a été finalement infligée à «leur» délinquant (Erez et Rogers [40] , 1999, p. 223 et Kennard, 1989, p. 435). Il arrive aussi que les victimes soient très sceptiques quant à l'importance de leur participation lorsqu'elles sont informées du fait que les Lignes directrices en matière de peine limitent grandement l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge : certains ont été jusqu'à affirmer que les lignes directrices en matière de peine ont pour effet de transformer la participation des victimes en un simple «rituel» (Erez et Rogers, 1999, p. 235).
Si les preuves empiriques sont - au mieux - quelque peu équivoques, de nombreux commentateurs ont reconnu la nécessité urgente de renforcer la nature et l'étendue de la participation de la victime au processus pénal. Ces universitaires estiment généralement que le renforcement de cette participation est directement relié à une augmentation du niveau de satisfaction des victimes, tant à l'égard du système de justice pénale en général qu'à l'issue de leur propre affaire, en particulier (Sanders, Hoyle, Morgan et Cape [41], 2001, p. 457; Erez et Tontodonato, 1990, cité dans Smith, Watkins et Morgan, 1997, p. 58; et Wemmers [42] , 1999, p. 176). De plus, de nombreux auteurs soutiennent qu'une mesure simple - comme celle qui consiste à fournir aux victimes des renseignements précis au sujet de leur dossier - peut finalement les aider à mieux vivre leur stress et à augmenter leur degré de satisfaction à l'égard du système de justice pénale (Fenwick, 1997, p. 320; et Wemmers, 1999, p. 176).
Sanders, Hoyle, Morgan et Cape (2001, p. 448-449) ont très bien résumé les avantages susceptibles de découler de la participation de la victime au processus pénal dans le tableau suivant :
Avantages découlant de la participation des victims au processus pénal
- donner aux victims une "voix" à des fins thérapeutiques;
- permettre la prise en compte dans le processus décisionnel des souhaits et du point de vue des victimes ;
- assurer aux victimes un traitment respectueux de la part des organismes de la justice pénale;
- réduire le stress cause aux victimes par les poursuites pénales;
- augmenter la satisfaction des victimes à l'égard du système de justice pénale;
- renforcer la collaboration des victimes, à cause des elements décrits ci-dessus.
L'idée que la victime qui est satisfaite du système de justice pénale risque davantage de collaborer avec la justice pénale et de l'appuyer a été présentée à plusieurs reprises (Kennard, 1989, p. 417; et Hall, 1975, cité dans Smith, Watkins et Morgan, 1997, p. 60). Dans ce domaine, il a été affirmé que le «droit ultime» qui pourrait être attribué aux victimes d'actes criminels serait le droit d'opposer un veto aux ententes relatives au plaidoyer qui ne leur paraissent pas équitables (Kennard, 1989, p. 418). Jusqu'ici, cette suggestion n'a reçu aucun appui dans aucun État de l'Amérique du Nord : en fait, même en Arizona, un État qui assure aux victimes une participation active dans la négociation de plaidoyer, les dispositions législatives précisent clairement que la victime n'a pas le droit de prendre seule des décisions qui relèvent traditionnellement du pouvoir discrétionnaire de la poursuite.
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