Participation de la victime à la négociation de plaidoyer au Canada : Analyse de la recherche et de quatre modèles en vue d'une réforme éventuelle

7. Conclusion : Quatre modèles de participation de la victime à la négociation de plaidoyer

7. Conclusion : Quatre modèles de participation de la victime à la négociation de plaidoyer

Pour l'avenir prévisible, les efforts de réforme vont probablement consister à amener davantage de pays, provinces et territoires à accorder aux victimes le droit de participer activement à la négociation de plaidoyer. Au Canada, la première étape consisterait, pour la plupart des provinces et des territoires, à informer - et en temps utile - les victimes de la progression de la négociation de plaidoyer (mesure qui a déjà été prise en Ontario et au Manitoba) et à leur reconnaïtre le droit d'être consultées par le procureur de la Couronne (progrès qui est déjà réalisé au Manitoba grâce à l'adoption de la Déclaration des droits de la victime (2000).

L'étape suivante dans l'expansion des droits des victimes à l'égard de la négociation de plaidoyer serait l'adoption d'un modèle inspiré du modèle de l'Arizona dans lequel les victimes ont le droit de présenter des observations écrites ou orales au cours d'une audience qui est expressément tenue pour décider d'entériner ou non un projet d'entente relative au plaidoyer. Cette deuxième mesure exigerait sans aucun doute que l'on mette de côté la pratique actuelle qui consiste à ne pas réglementer la négociation de plaidoyer. On peut certes soutenir que la participation des victimes à la négociation de plaidoyer n'aura «véritablement» de sens que si elle comprend leur participation à une audience publique présidée par un juge. Cette audience aurait pour but de fournir au tribunal les renseignements nécessaires pour qu'il puisse décider si le projet de plaidoyer est acceptable, parce qu'il est dans l'intérêt de l'administration de la justice pénale. Les facteurs essentiels dont s'inspirerait cette décision discrétionnaire engloberaient, nécessairement, non seulement le point de vue des victimes sur le caractère approprié du projet de règlement de «leur» affaire mais également les renseignements généraux que pourraient fournir les victimes (renseignements qui pourraient éventuellement corriger les erreurs contenues dans la version des faits présentée par la Couronne et la défense). Sur ce dernier point, il est intéressant de noter que McGillivray (1997-1998) a fourni une base solide au point de vue selon lequel les pratiques actuelles en matière de négociation de plaidoyer sont susceptibles de déformer sensiblement la relation des «faits de l'affaire» présentée par la Couronne et la défense et peut déboucher sur une peine qui ne reflète pas la véritable gravité de l'infraction :

La négociation de plaidoyer joue un rôle tellement important dans l'administration de la justice qu'elle ne peut être remise en cause. Par contre, lorsque cette pratique entraïne la suppression de renseignements pertinents et potentiellement déterminants, et l'infliction d'une peine inappropriée, cela risque de jeter le discrédit sur l'administration de la justice. Le tribunal sait qu'il y a eu entente pour la seule raison qu'un plaidoyer de culpabilité a été enregistré; il existe entre les avocats une convention qui interdit de révéler au tribunal l'existence de l'entente et son contenu. Lorsque des accusations sont retirées ou suspendues, les faits à l'origine de ces accusations sont également dissimulés. C'est un domaine incertain et délicat. (par. 20)

Il serait utile d'analyser les réformes qui pourraient être apportées au droit et à la pratique en matière de négociation de plaidoyer en construisant divers modèles analytiques applicables à la participation des victimes à la négociation de plaidoyer. Le présent rapport a analysé la jurisprudence canadienne entourant la pratique de la négociation de plaidoyer et l'a comparée avec le système très réglementé de négociation de plaidoyer qui est apparu devant les tribunaux fédéraux et étatiques aux États-Unis. À la lumière de cette analyse, il est possible de définir quatre modèles distincts de participation des victimes à la négociation de plaidoyer. Les deux premiers modèles sont fondés sur les tendances actuelles de la jurisprudence canadienne, tandis que les deux autres s'inspirent du droit et de la pratique appliqués actuellement aux États-Unis. Les quatre modèles sont cumulatifs dans la mesure où le modèle numéro deux reprend les principaux éléments du modèle numéro un, tandis que le modèle numéro trois reprend les principaux éléments du modèle numéro deux et que le modèle quatre reprend les principaux éléments des trois autres modèles. Les modèles un et deux accordent aux victimes un rôle relativement passif en matière de négociation de plaidoyer, alors que les modèles trois et quatre prévoient une participation plus active de la victime.

7.1 Modèle nº 1

Le premier modèle se fonde sur le cadre législatif qui existe dans la plupart des provinces et des territoires canadiens. Dans ce modèle, les victimes ont le droit d'obtenir des renseignements généraux au sujet du déroulement de la poursuite concernant «leur» accusé, même si elles doivent en faire la demande. En outre, les policiers et la Couronne sont obligés de tenir compte du point de vue des victimes, lorsqu'ils l'estiment approprié. Il n'est pas obligatoire d'informer la victime du déroulement des discussions relatives au plaidoyer. Le modèle nº 1 accorde donc un rôle nettement passif aux victimes dans la poursuite de «leur» accusé et ne contient aucune disposition prévoyant la transmission par le procureur de la Couronne des renseignements concernant les négociations relatives au plaidoyer susceptibles d'être menées avec la défense.

Modèle nº 1

7.2 Modèle nº 2

Le deuxième modèle accorde aux victimes le droit d'obtenir des renseignements généraux sur le déroulement de la poursuite, élément qui constitue le principal aspect du modèle nº 1. Cependant, le modèle nº 2 renforce sensiblement ces droits en fournissant aux victimes la possibilité de demander des renseignements particuliers concernant le déroulement des discussions relatives au plaidoyer (une obligation légale qui existe actuellement au Manitoba et en Ontario). Aspect plus important, le modèle nº 2 impose également au procureur de la Couronne l'obligation de consulter les victimes au sujet des clauses d'un projet d'entente relative au plaidoyer. À l'heure actuelle, seul le Manitoba a adopté des dispositions incorporant cet élément particulier du modèle nº 2. Le modèle nº 2 introduit l'obligation pour la poursuite de consulter les victimes, mais il n'accorde pas à celles-ci le pouvoir de participer activement au processus de négociation de plaidoyer qui peut être engagé entre le procureur de la Couronne et l'avocat de la défense : par conséquent, le modèle nº 2 attribue aux victimes un rôle relativement passif dans la négociation de plaidoyer et leur accorde - au mieux - une influence limitée sur l'issue du processus.

Modèle nº 2

7.3 Modèle nº 3

Le modèle nº 3 reprend le droit d'être informé et consulté que l'on retrouve dans les modèles un et deux. Cependant, le modèle nº 3 est fondé sur l'idée que les ententes relatives au plaidoyer doivent être approuvées par un juge au cours d'une audience publique (comme c'est le cas devant les tribunaux fédéraux américains, aux termes de la «règle 11»). En outre, le modèle nº 3 exige qu'en général, le tribunal obtienne des renseignements indépendants par le biais d'un rapport présentenciel (préparé par un organisme indépendant) avant de décider d'entériner un projet d'entente relative au plaidoyer (obligation qui s'impose actuellement aux tribunaux fédéraux américains, par l'effet combiné de la «règle 11» et des Lignes directrices en matière de peine des É.-U.). L'élément central du modèle nº 3 est qu'il offre à la victime la possibilité de présenter des observations orales ou écrites au tribunal au cours de l'audience consacrée au projet d'entente relative au plaidoyer. Cette obligation ne s'applique pas aux audiences relatives aux ententes sur le plaidoyer tenues par les tribunaux fédéraux aux États-Unis mais constitue un élément essentiel du système d'audiences créé par les lois de l'Arizona. Le modèle nº 3 associe à cet élément l'obligation pour la poursuite d'indiquer au tribunal les efforts qui ont été déployés pour informer la victime de son droit en matière de participer à l'enquête relative à l'entente sur le plaidoyer et de transmettre le point de vue de la victime (s'il est connu), lorsque celle-ci n'assiste pas à cette enquête (ce sont là les modalités législatives applicables actuellement en Arizona). Le modèle nº 3 autorise les victimes d'actes criminels à participer aux audiences relatives aux ententes sur le plaidoyer selon une procédure comparable à celle qui est utilisée pour les enquêtes sur sentence. Il est clair que le modèle nº 3 donne aux victimes d'actes criminels la possibilité de participer activement à la négociation d'un plaidoyer et leur fournit également le moyen de se faire entendre par les juges qui ont le pouvoir d'entériner le projet d'entente relative au plaidoyer envisagé [43].

Modèle nº 3

7.4 Modèle nº 4

Le modèle nº 4 ajoute un droit essentiel aux éléments fondamentaux du modèle nº 3 - à savoir le droit de la victime de s'opposer à un projet d'entente relative au plaidoyer. Ce droit donnerait à la victime une influence considérable sur l'issue des poursuites pénales. Cependant, à l'heure actuelle, le modèle nº 4 n'est qu'un modèle hypothétique, étant donné qu'aucun État nord−américain ne l'a encore mis en œuvre dans le contexte de la négociation de plaidoyer. En fait, même en Arizona (qui accorde à l'heure actuelle aux victimes la participation la plus complète en matière de négociation de plaidoyer), les dispositions pertinentes n'accordent pas aux victimes le droit de s'opposer à un projet d'entente relative au plaidoyer. Néanmoins, le modèle nº 4 est une option que les décideurs et les législateurs pourraient envisager s'ils souhaitaient renforcer les droits des victimes dans le processus pénal et, sur le plan des principes, il représente incontestablement la forme de participation de la victime la plus active que l'on puisse envisager actuellement dans ce domaine.

Modèle nº 4

Ces quatre modèles de participation de la victime à la négociation de plaidoyer peuvent être utilisés non seulement pour analyser la jurisprudence et la pratique contemporaines au Canada mais également pour préciser les orientations que pourrait prendre la réforme de ces domaines. Il est évident que la participation active des victimes à la négociation de plaidoyer obligerait le gouvernement fédéral et les provinces à introduire des réformes législatives de grande envergure. Nous espérons que les modèles trois et quatre fourniront aux décideurs et aux législateurs des indications utiles lorsqu'ils emprunteront la longue route qui les amènera vers une réforme.

Il est recommandé que les étapes nécessaires soient entreprises pour la mise en œuvre du modèle nº 3 au Canada. Une telle initiative exigerait une intervention du Parlement du Canada pour modifier le Code criminel de façon à aménager l'encadrement judiciaire de la négociation de plaidoyer dans une instance publique, pour garantir le droit des victimes de présenter des observations écrites ou orales au tribunal au cours de l'enquête relative à une entente sur le plaidoyer et pour imposer aux juges l'obligation de reporter la décision d'entériner ou non un projet d'entente relative au plaidoyer jusqu'à ce qu'ils aient reçu un rapport présentenciel préparé par un organisme indépendant. La mise en œuvre du modèle nº 3 exigerait également l'adoption de mesures législatives par les provinces et les territoires. Plus précisément, les assemblées législatives des provinces et des territoires devraient imposer aux procureurs de la Couronne l'obligation de fournir aux victimes les renseignements se rapportant au déroulement de la poursuite et celle de consulter les victimes sur des sujets comme la négociation de plaidoyer. En outre, les provinces et les territoires devraient fournir aux victimes des services pour les aider à préparer leur déclaration en vue des audiences relatives aux ententes sur le plaidoyer et à bien comprendre les solutions qui s'offrent à elles dans ce processus complexe et bien souvent incompris.


[43] Dans un rapport récent, le U.S. Ministère de la Justice's Office for Victims of Crime (2001) souligne l'importance du droit des victimes d'être présentes durant les procédures de justice pénale. Le rapport indique que 39 États ont accordé aux victimes le droit d'assister à de telles procédures, y compris aux audiences. Selon les termes du rapport, «pour les victimes d'actes criminels et pour leur famille, le droit d'être présentes durant les procédures de justice pénale est très important. Les victimes veulent voir la justice au travail.» (p.1).