Recueil de recherches sur les victimes d’actes criminels, no 11
Dossiers de tiers : Analyse de la jurisprudence de 2011 Ã 2017
Carly Jacuk et Hassan Rasmi Hassan
Depuis des dizaines d’années, le ministère de la Justice du Canada mène des recherches sur les agressions sexuelles, le système de justice pénale et les dossiers de tiers (Busby, 1997; 1998; 2000; McDonald, Wobick et Graham, 2006) ainsi que des études plus générales sur les survivants d’agression sexuelle et leur vécu dans le système de justice pénale (Hattem, 2000; McDonald et Tijerino, 2013; Lindsay, 2014; 2014). En décembre 2012, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a publié un rapport sur son examen du régime des dossiers de tiers au Canada.
Tel qu’il était recommandé dans le rapport sénatorial, Justice Canada continue de suivre les tendances de la jurisprudence à propos des demandes de dossiers de tiers. Il est possible de suivre ces demandes, et leurs résultats, au moyen d’examens de la jurisprudenceNote de bas de la page 26. McDonald, Pashang et Ndegwa (2014) ont mis à jour des études antérieures de la jurisprudence en se concentrant sur la période de 2003 à 2010. Le présent article met à jour l’étude de McDonald et coll. (2014) en examinant les décisions rendues de janvier 2011 à mai 2017. Nous y soulignons aussi les changements notables du paysage juridique, notamment le projet de loi C-32 (Loi édictant la Charte canadienne des droits des victimes et modifiant certaines lois) qui renferme les modifications que le législateur a apportées en 2015 au régime des demandes de dossiers de tiers et l’arrêt R. c. QuesnelleNote de bas de la page 27 de la Cour suprême du Canada (CSC).
Le présent article comporte quatre sections. La première fournit des renseignements généraux sur les demandes de dossiers de tiers, y compris des définitions des termes principaux et un historique du régime. Dans la deuxième section, nous décrivons la méthodologie employée pour examiner la jurisprudence pertinente tandis que dans les sections trois et quatre, nous présentons les résultats et les conclusions, respectivement.
1.0 Contexte
En décembre 1995, la Cour suprême du Canada (CSC) s’est prononcée sur les enjeux liés à la demande de communication de dossiers de tiers dans les arrêts R. c. O`ConnorNote de bas de la page 28 et A. (L.L.) c. B. (A.)Note de bas de la page 29. Par suite de cette décision, le législateur a modifié le Code criminel (par l’entremise du projet de loi C-46), ajoutant les articles 278.1 à 278.9Note de bas de la page 30 afin de codifier le processus en deux étapes énoncé dans l’arrêt de la Cour suprême. Le projet de loi C-46 (aussi connu sous le nom de régime Mills), entré en vigueur en 1997, a été contesté pour des motifs constitutionnels dans l’arrêt R. c. MillsNote de bas de la page 31. À terme, la Cour suprême a confirmé sa constitutionnalité.
Le régime législatif précise que, pour toutes les infractions de nature sexuelle, la défense n’a pas droit à la communication de dossiers de tiers. Toutefois, la défense peut demander à la cour d’obliger un tiers à communiquer certains dossiers. Ces dossiers incluent « toute forme de document contenant des renseignements personnels pour lesquels il existe une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée ». Le Code criminel fournit une liste non exhaustive des dossiers pour lesquels la défense doit présenter une demande : « le dossier médical, psychiatrique ou thérapeutique, le dossier tenu par les services d’aide à l’enfance, les services sociaux ou les services de consultation, le dossier relatif aux antécédents professionnels et à l’adoption, le journal intime et le document contenant des renseignements personnels et protégés par une autre loi » (art. 278.1). Notez que les dossiers créés pour l’enquête ou la poursuite ne peuvent faire l’objet d’une demande de communication de dossiers de tiers et que l’article 278.3 du Code criminel limite encore davantage la portée des demandes. Pour les infractions qui ne sont pas de nature sexuelle, les règles de la jurisprudence énoncées dans l’arrêt O’Connor s’appliquent.
Il est important de souligner que dans les auditions des demandes, le tiers et le plaignant ont tous deux compétence et peuvent être représentés par un avocat. Même si on les désigne du nom de « demande de dossiers de tiers », les dossiers peuvent aussi être en la possession du plaignant et constituer des « dossiers personnels », comme des journaux intimes.
Le cadre législatif des demandes de dossiers de tiers
Comme nous l’avons vu, le régime Mills prévoit une procédure en deux étapes. Après réception d’une demande, un juge doit déterminer s’il doit obliger le tiers à communiquer les dossiers demandés aux fins d’examen. Le juge peut ordonner la communication lorsque trois critères sont remplis :
- la demande remplit les critères restrictifs prévus à l’article 278.3;
- le dossier est « probablement pertinent » pour l’enjeu d’un procès ou le témoignage d’un témoin;
- la communication est nécessaire « dans l’intérêt de la justice » (par. 278.5(2)).
Afin de déterminer si ces critères sont remplis, le juge soupèse les effets bénéfiques et préjudiciables d’une ordonnance potentielle sur le droit de l’accusé à une défense pleine et entière, ainsi que les effets bénéfiques et préjudiciables d’une ordonnance potentielle sur le droit d’un plaignant ou d’un témoin à la protection de sa vie privée et à l’égalité. Le juge doit prendre en compte huit facteurs (par. 278.5(2)) :
- la mesure dans laquelle le dossier est nécessaire pour permettre à l’accusé de présenter une défense pleine et entière;
- sa valeur probante;
- la nature et la portée de l’attente raisonnable au respect de son caractère privé;
- la question de savoir si sa communication reposerait sur une croyance ou un préjugé discriminatoire;
- le préjudice possible à la dignité ou à la vie privée de toute personne à laquelle il se rapporte;
- l’intérêt qu’a la société à ce que les infractions d’ordre sexuel soient signalées;
- l’intérêt qu’a la société à ce que les plaignants, dans les cas d’infraction d’ordre sexuel, suivent des traitements;
- l’effet de la décision sur l’intégrité du processus judiciaire.
Le juge franchit cette première étape en tenant une audience à huis clos (par. 278.4(1)). Si le juge ordonne la communication des dossiers, il les examine et détermine s’ils devraient être communiqués à la défense, en partie ou en totalité (art. 278.6-278.7). Dans l’arrêt R. c. Mills, la CSC a confirmé la constitutionnalité du nouveau régimeNote de bas de la page 32.
Projet de loi C-32 : Loi édictant la Charte canadienne des droits des victimes
Le régime législatif régissant les dossiers de tiers a été modifié en 2015 lorsque le législateur a promulgué la Loi sur la Charte des droits des victimesNote de bas de la page 33 qui renfermait la Charte canadienne des droits des victimes (CCDV)Note de bas de la page 34 et modifiait d’autres lois, dont le Code criminelNote de bas de la page 35. Le projet de loi C-32 a modifié le Code criminel afin d’établir les droits et les protections prévus dans la CCDV. Les modifications des paragraphes 278.4(2), 278.5(2), 278.7(2) et 278.7(3) du Code criminel ont établi le régime relatif aux dossiers de tiers.
La modification du paragraphe 278.4(2) ajoute le paragraphe 2.1 :
Le juge est tenu d’aviser dans les meilleurs délais toute personne visée au paragraphe (2) [qui a le dossier en sa possession ou sous son contrôle et toute autre personne à laquelle le dossier se rapporte] qui participe à l’audience de son droit d’être représentée par un conseiller juridique. [Non souligné dans l’original.]
Cela signifie que les victimes ont le droit non seulement à un avocat, mais aussi d’être avisées de ce droit.
Deuxièmement, le législateur a modifié les paragraphes 278.5(2) et 278.7(2) afin d’inclure la sécurité personnelle du plaignant ou du témoin parmi les facteurs généraux que le juge doit sous-peser afin de déterminer la pertinence d’ordonner la communication du ou des dossiers à la courNote de bas de la page 36 ou leur communication à la défenseNote de bas de la page 37, respectivement. Le paragraphe 278.5(2) est libellé comme suit :
Pour décider s’il doit rendre l’ordonnance prévue au paragraphe (1), le juge prend en considération les effets bénéfiques et préjudiciables qu’entraînera sa décision, d’une part, sur le droit de l’accusé à une défense pleine et entière et, d’autre part, sur le droit à la vie privée et à l’égalité du plaignant ou du témoin, selon le cas, et à la sécurité de leur personne, ainsi qu’à celui de toute autre personne à laquelle le dossier se rapporte et, en particulier, tient compte des facteurs suivants […] [Non souligné dans l’original.]
Nous avons énuméré plus tôt (alinéas a-h) les facteurs à prendre en compte en fonction du droit à la protection de la vie privée, à la sécurité de sa personne et à l’égalité du plaignant ou du témoin.
De même, le paragraphe 278.7(2) est désormais libellé comme suit :
Pour décider s’il doit rendre l’ordonnance prévue au paragraphe (1), le juge prend en considération les effets bénéfiques et préjudiciables qu’entraînera sa décision, d’une part, sur le droit de l’accusé à une défense pleine et entière et, d’autre part, sur le droit à la vie privée et à l’égalité du plaignant ou du témoin, selon le cas, et à la sécurité de leur personne, ainsi qu’à celui de toute autre personne à laquelle le dossier se rapporte et, en particulier, tient compte des facteurs mentionnés aux alinéas 278.5(2)a) à h).
Un juge doit désormais prendre en compte le droit de l’accusé à une défense pleine et entière, le droit à la vie privée et à l’égalité du plaignant ou du témoin et la sécurité de leur personne.
Le législateur a aussi modifié le paragraphe 278.7(3) afin d’inclure la sécurité de la personne parmi les facteurs que le juge doit soupeser pour déterminer la pertinence d’assortir la communication de conditions de façon à ce que les intérêts de la justice, en plus du droit à la vie privée, à l’égalité et à la sécurité de leur personne du plaignant ou du témoin, soient protégésNote de bas de la page 38. Le paragraphe 278.7(3) est désormais libellé comme suit :
Le juge peut assortir l’ordonnance de communication des conditions qu’il estime indiquées pour protéger l’intérêt de la justice et, dans la mesure du possible, les intérêts en matière de droit à la vie privée et d’égalité du plaignant ou du témoin, selon le cas, et de sécurité de leur personne, ainsi que ceux de toute autre personne à laquelle le dossier se rapporte, notamment :
- établissement, selon ses instructions, d’une version révisée du dossier;
- produire une copie, plutôt que l’original, du dossier;
- interdiction pour l’accusé et son avocat de divulguer le contenu du dossier à quiconque, sauf avec l’autorisation du tribunal;
- interdiction d’examiner le contenu du dossier en dehors du greffe du tribunal;
- interdiction de la production d’une copie du dossier ou restriction quant au nombre de copies qui peuvent en être faites;
- suppression de renseignements sur toute personne dont le nom figure dans le dossier, tels que l’adresse, le numéro de téléphone et le lieu de travail.
Dans son rapport de décembre 2014, le Comité sénatorial recommandait plusieurs de ces modifications en s’inspirant de ce qu’il avait entendu de la part de témoins (Comité sénatorial permanent, 2012). Plus particulièrement, il recommandait les modifications apportées aux paragraphes 278.5(2) et 278.7(3), ajoutant « le droit à la sécurité personnelle du plaignant » aux facteurs dont le juge doit tenir compte pour déterminer si la communication ou la divulgation des dossiers de tiers s’impose. En outre, le Sénat fait état de l’importance de la présence d’un conseil indépendant pour le plaignant dans sa discussion de la recommandation 8, qui visait à garantir que les plaignants sachent qu’ils peuvent présenter des observations lors d’une audience. Les modifications que le législateur a apportées au paragraphe 278.4(2), en ajoutant le paragraphe (2.1), ont eu cet effet.
Jurisprudence notable après 2011
Depuis 2011, la CSC a rendu deux décisions notables se rapportant au régime des demandes de dossiers de tiers : R. c. QuesnelleNote de bas de la page 39 et R. c. GrantNote de bas de la page 40.
Dans l’arrêt Quesnelle, la question était de savoir si les rapports de police devaient être divulgués à la défense s’ils n’avaient aucun lien avec l’infraction dont le tribunal était saisi, mais se rapportaient au même témoin. La Cour a déterminé que ces rapports (c.-à -d. ceux se rapportant à d’autres infractions) sont privés et protégés par la définition de « dossier » selon le régime Mills. Autrement dit, les rapports de police pour d’autres infractions ne sont pas assujettis à l’exclusion prévue à l’article 278.1 du Code criminel. Les exclusions se limitent plutôt aux rapports de police relatifs à l’infraction qui fait l’objet de la procédure (article 278.1), lesquels sont assujettis aux règles énoncées dans l’arrêt Stinchcombe concernant la divulgationNote de bas de la page 41.
Dans l’arrêt Grant, la CSC confirme la décision qu’elle a rendue dans l’arrêt Quesnelle en disant : « les mesures législatives qui limitent la communication pour protéger les intérêts en matière de vie privée des personnes impliquées dans des affaires criminelles continuent de s’appliquer »Note de bas de la page 42. Cet énoncé de la CSC peut aussi être interprété comme la confirmation des modifications apportées au régime Mills en vertu de la Loi sur la Charte des droits des victimes.
Il y a eu d’autres décisions notables à l’échelon provincial. Dans l’affaire BatteNote de bas de la page 43 déjà ancienne, la Cour d’appel de l’Ontario s’est prononcée sur le sens de « vraisemblablement pertinent » à l’alinéa 278.5(1)b) du Code criminel, libellé comme suit : « l’accusé a démontré que le dossier est vraisemblablement pertinent quant à un point en litige ou à l’habileté d’un témoin à témoigner ». C’est l’un des trois critères que la défense doit remplir pour qu’un juge envisage d’ordonner la production des dossiers. Dans son rapport de 2012, le Comité sénatorial recommandait que l’interprétation de la Cour d’appel de l’Ontario soit codifiée et devienne exécutoire pour tous les tribunaux canadiens (Comité sénatorial permanent, 2012). Cependant, le législateur n’a pas encore codifié une interprétation de « vraisemblablement pertinent » dans cet article.
2.0 Méthodologie
Nous avons récupéré des décisions rendues en anglais du 1er janvier 2011 au 12 mai 2017 de cinq bases de données : Westlaw, CanLII, Quicklaw, The Canadian Abridgment Digest and The Canadian Encyclopedic Digest. Nous avons effectué des recherches larges et étroites à l’aide des termes : « application /p record /p 278 ». Les recherches ont produit toutes les décisions (n=144) dans lesquelles les mots « application », « record » et le chiffre 278 apparaissaient dans le même paragraphe. D’autres options de recherche, notamment en incluant les noms des infractions mentionnées explicitement à l’article 278, ont produit des résultats plus circonscrits.
Sur les 144 décisions en anglais analysées, 91 étaient pertinentes pour les demandes dossiers de tiers (soit 63,2 % de toutes les affaires). Pour chaque affaire, nous avons recueilli des renseignements sur :
- la juridiction pertinente
- l’échelon du système judiciaire
- le défendeur
- le plaignant
- la relation entre le plaignant et la défenderesse
- la représentation du plaignant
- l’issue de la demande
- les motifs énoncés pour rejeter ou accueillir la demande.
Nous n’avons pris en compte dans l’étude que les affaires qui mettaient en cause des infractions de nature sexuelle et qui s’inscrivaient dans le régime prévu à l’article 278.
Nous avons aussi fait des recherches dans la base de données en français, la référence, en utilisant les termes suivants : « L.C.R. ET (1985) ET ch. ET C-46 » pour les lois citées; « 278 » pour l’article du Code; et « entre 01/01/2011 ET 12/05/2017 » pour la période. Cette recherche a produit six affaires en français, mais aucune ne concernait des demandes de dossiers de tiersNote de bas de la page 44.
3.0 Résultats
a. Affaires par administration et par échelon du système judiciaire
Des études antérieures avaient révélé que l’Ontario représentait la majorité des affaires, les autres étant réparties également entre les autres provinces (McDonald, Wobick et Graham, 2004; McDonald, Pashang et Ndegwa, 2014). Ces études antérieures comptabilisaient les affaires comportant plusieurs décisions comme une seule affaire.
Les résultats de la présente étude sont similaires. En particulier, les affaires de l’Ontario représentaient plus des deux tiers de toutes les affaires (66 sur 91, soit 72,5 %)Note de bas de la page 45, le reste émanant des autres provinces (27,4 %). Aucune des quatre affaires entendues en appel ne comportait une décision publiée en première instance et, en conséquence, chaque décision incluse dans le présent examen a été comptabilisée comme une affaire. Le tableau 1 renferme les constatations selon l’administration et l’échelon du système judiciaire.
Province/Territoire | Première instance | Niveau d’appel | Total |
---|---|---|---|
Île-du-Prince-Édouard |
0 |
0 |
0 |
Québec |
0 |
0 |
0 |
Nunavut |
1 |
0 |
1 |
Nouvelle-Écosse |
2 (1 CP; 1 CS) |
0 |
2 |
Saskatchewan |
2 |
0 |
2 |
Nouveau-Brunswick |
3 (2 CP; 1 Cour du Banc de la Reine) |
0 |
3 |
Terre-Neuve et Labrador |
2 |
1 |
3 |
Colombie-Britannique |
4 |
0 |
4 |
Manitoba |
4 |
0 |
4 |
Alberta |
8 (2 CP; 6 Cour du Banc de la Reine) |
1 |
9 |
Ontario |
61 (6 CP; 55 CS) |
221 |
63 |
Total |
87 |
4 |
91 |
b. Infractions commises
Toutes les affaires analysées comportent des infractions alléguées aux termes de l’article 278.2 du Code criminelNote de bas de la page 47. Même si toutes les affaires comportaient des accusations de nature sexuelle, les accusations d’agression sexuelle (art. 271 à 273 du Code criminel) étaient les plus courantes. Parmi les autres infractions courantes, mentionnons « contacts sexuels », « incitation à des contacts sexuels » et « exploitation sexuelle ». Aucune affaire ne comportait des accusations pour traite de personnesNote de bas de la page 48. En général, les délinquants étaient accusés de plus d’une infraction.
c. Dossiers
Comme dans les examens précédents, l’étude a révélé que le type de dossier demandé le plus souvent était les revues de dossiers de counseling (42 sur 91 demandes) (McDonald, Wobick et Graham, 2004; McDonald, Pashang et Ndegwa, 2014). Dans plusieurs cas, la défense a demandé plusieurs dossiers, portant le total à 127 dossiers étudiés. Plus de la moitié des demandes visaient soit les dossiers des services de counseling ou médicaux du plaignant (64/127). Le tableau 2 renferme le nombre de demandes pour chaque type de dossier.
Type de dossiers | Nombre d’affaires |
---|---|
Rapports sur la garde d’enfants |
2 |
Témoignages |
3 |
Rapports d’assurance (régimes publics et privés) |
4 |
Dossiers scolaires |
7 |
Dossiers personnels (journaux intimes, relevés de téléphonie cellulaire, antécédents sexuels, clavardages sur Internet) |
9 |
Autres dossiers de services sociaux |
11 |
Rapports de police |
12 |
Dossiers des services de protection de l’enfance24 |
15 |
Dossiers médicaux, notamment de services de désintoxication |
22 |
Dossiers de services de counseling/thérapies, notamment de psychiatres |
42 |
n=127 parce que dans plusieurs affaires, la défense demandait plusieurs dossiers.
d. Emplacement des dossiers
En général, les dossiers demandés étaient en la possession d’une seule partie. Toutefois, dans certaines affaires, plusieurs parties avaient la possession des dossiers demandés. Dans d’autres affaires, la défense avait déjà les dossiers en sa possession et n’était pas assujettie au régime de divulgation prévu à l’article 278 en conséquenceNote de bas de la page 50. La CSC a toutefois établi une distinction entre les dossiers visés par une « communication forcée » et ceux qui ne le sont pas. Par conséquent, les dossiers assujettis à une « communication forcée » (p. ex. les dossiers de la Société d’aide à l’enfance, mais pas les journaux intimes) sont quand même soumis à une ordonnance judiciaire aux termes de l’article 278.2, même si elles sont déjà en la possession (licite ou illicite) de la défenseNote de bas de la page 51. Sans ordonnance judiciaire en vertu de ce régime, les dossiers ne peuvent pas être utilisés au tribunal. Le tableau 3 présente l’emplacement des dossiers demandés. Veuillez noter que les dossiers personnels de plusieurs plaignants sont dans la catégorie « emplacement non précisé ».
Emplacement | Nombre d’affaires |
---|---|
Services sociaux, y compris la Société d’aide |
36 |
Médecin/centre de soins de santé |
24 |
Police/GRC |
22 |
Autres : assurance (régime public/privé), gouvernement, agent/établissement correctionnel, tribunal, défense |
21 |
Conseiller |
15 |
Non précisé |
12 |
École/garderie |
9 |
Couronne |
8 |
e. Caractéristiques de la partie
Comme dans les études antérieures, la plupart des plaignants étaient des femmes, la plupart des défendeurs étaient des hommes et les deux parties avaient une relation antérieure. En outre, près de la moitié (55/118) des plaignants étaient mineurs à l’époque des infractions alléguées.
i) Renseignements sur les défendeurs
Les renseignements collectés sur les défendeurs comprennent le genre, l’âge et la profession. Des renseignements sur le genre du défendeur étaient disponibles pour 78 des 91 affaires analysées; dans toutes ces affaires, sauf une, le défendeur était un homme. La seule affaire impliquant une femme comme partie défenderesse est R c. Lavigne. Dans 58 des 63 affaires dans lesquelles l’âge est fourni, le défendeur est adulte. Dans cinq affaires, le défendeur est mineur. L’âge du défendeur n’est pas fourni dans 30 affaires. La profession du défendeur est précisée dans seulement 12 affaires sur 91, soit deux enseignants, deux étudiants et un médecin, un vendeur de drogue, un éleveur de chevaux, un ambulancier, un couvreur, un prêtre catholique romain, un instructeur de natation et un membre allégué des Hell’s Angels. Voir les tableaux 4 et 5 ci-dessous.
Genre | Nombre de défendeurs |
---|---|
Hommes |
77 |
Femmes |
1 |
Non précisé |
13 |
n=91
Âge | Nombre de défendeurs |
---|---|
Adulte |
58 |
Mineur |
5 |
Non précisé |
28 |
n=91
ii) Renseignements sur les plaignants
Les renseignements collectés sur les plaignants comprennent le genre, l’âge et la mention d’une maladie mentale ou d’une invalidité physique ou mentale. Sur les 80 affaires dans lesquelles le genre du plaignant est précisé, 69 mettent en cause au moins une plaignante et seulement 13 mettent en cause au moins un plaignantNote de bas de la page 52. Sur les 69 affaires mettant en cause une plaignante, 12 mettaient en cause plusieurs plaignantes. En tout, il y avait 82 plaignantes et 14 plaignants. Le genre du plaignant n’était pas précisé dans 11 affaires qui mettaient en cause en tout au moins 22 plaignantsNote de bas de la page 53. Voir le tableau 6.
 Genre | Nombre de plaignants |
---|---|
Femmes |
82 |
Hommes |
14 |
Non précisé |
22 |
n=118 parce que plusieurs affaires mettaient en cause plusieurs plaignants.
L’âge était précisé dans 56 affaires et non précisé dans 35. En tout, il y avait 57 plaignants mineurs et 14 plaignants adultes. L’âge de 47 plaignants n’était pas précisé. Parmi des affaires dans lesquelles l’âge était précisé, 43 plaignants étaient mineurs et 8 étaient adultes; dans deux affaires, les infractions alléguées avaient commencé alors que les plaignants étaient mineurs et s’étaient poursuivies jusqu’à ce qu’ils soient adultes. Trois affaires mettaient en cause à la fois un plaignant adulte et un plaignant mineur. Voir le tableau 7.
Âge | Nombre de plaignants |
---|---|
Mineur |
57 |
Adulte |
14 |
Non précisé |
47 |
n=118 parce que plusieurs affaires mettaient en cause plusieurs plaignants.
Dix affaires faisaient état de maladie mentaleNote de bas de la page 54 du plaignant ou d’une invalidité mentale ou physique.
iii) Relation entre le défendeur et le plaignant
Dans 60 affaires sur 91, nous avons pu déterminer avec certitude la relation entre le ou les plaignants et le défendeur. Comme dans les études antérieures (McDonald, Wobick et Graham, 2004; McDonald, Pashang et Ndegwa, 2014), nous avons constaté dans le présent examen que la plupart des affaires (n=54) mettaient en jeu des relations antérieures. De ce nombre, près des trois quarts (37/54) mettaient en cause des relations familialesNote de bas de la page 55, 12 étaient des amis, des connaissances ou une relation amoureuse; et 5 affaires mettaient en cause des relations professionnelles. Les parties étaient des étrangers dans six affaires.
Type de relation | Nombre d’affaires |
---|---|
Famille |
37 |
Ami, connaissance ou relation romantique |
12 |
Étranger |
6 |
Relation professionnelle |
5 |
n=60
f. Représentation du plaignant
La représentation du plaignant était claire dans toutes les 91 affaires : dans 51 affaires, le plaignant était représenté et dans 39 affaires, il ne l’était pas. Dans une affaire, le plaignant était représenté à la première étape de l’enquête, mais non à la deuxième étape et, par conséquent, nous avons exclu cette affaire du tableau 9 ci-dessous. Vu la taille relativement petite de l’échantillon (n=90), nous n’avons pu déterminer s’il y avait un lien significatif du point de vue statistique entre le plaignant, la représentation et l’issue de la demande.
Le tableau 9 renferme des détails sur l’issue des demandes pour les demandeurs représentés et non représentés. Les chiffres concernant l’issue de la demande ne concernent que les affaires qui portent sur la divulgation et la deuxième étape de l’enquête et les décisions dans lesquelles la communication a été refusée à la première étape (77 affaires). Nous avons exclu de l’étude 14 affaires : 12 parce que les demandes avaient été accueillies à la première étape de l’enquête, mais l’issue de la deuxième étape n’était pas claire, tandis que dans une affaire, le tribunal a ajourné et dans une autre, le plaignant n’était représenté qu’à la première étape. Cela crée des disparités entre les nombres totaux d’affaires.
Représenté | Non représenté |
---|---|
51 |
39 |
Demande accueillie | Demande rejetée | Demande accueillie | Demande rejetée |
---|---|---|---|
16 |
 24 |
 15 |
 22 |
g. Issue des demandes et motifs fournis
Un juge peut ordonner la communication de la totalité ou d’une partie des dossiers de tiers, refuser la divulgation des dossiers dans leur intégralité ou ordonner que les dossiers soient communiqués aux fins d’examen afin de décider s’ils seront divulgués à la défense en totalité, en partie ou pas du tout.
Dans les affaires que nous avons analysées, 14 dossiers de tiers ont été intégralement divulgués, 13 dossiers ont été divulgués en partie et 45 demandes ont été refusées en entier (autrement dit, aucun des dossiers demandés n’a été divulgué). Six juges ont ordonné la communication des dossiers aux fins d’examen, mais l’issue de la deuxième étape de l’enquête sur la divulgation n’a pas été communiquée. Le tableau 10 présente ces constatations. Nous avons comptabilisé les affaires dans lesquelles le tribunal n’a pas précisé si certains dossiers devaient être caviardés ou exclus comme des dossiers entièrement divulgués.
Accueillie | Refusée | ||
---|---|---|---|
En totalité | En partie | Première étape seulement | |
14 |
13 |
6 |
45 |
Le tableau 10 comprend l’affaire dans laquelle le plaignant n’était représenté qu’à une étape.
h. Motifs
Le paragraphe 278.5(2) du Code criminel oblige les juges à prendre en compte huit facteurs précis. Le tableau 11 montre les facteurs que les juges ont évoqués dans leurs décisions. Veuillez noter que dans la plupart des affaires que nous avons analysées aux fins de la présente étude, les juges ont évoqué plusieurs facteurs. Dans certaines affaires, les juges ont cité des facteurs différents pour justifier la divulgation d’une partie seulement des dossiers. Dans R. c. FiddlerNote de bas de la page 56, par exemple, le juge a pris en compte certains facteurs pour un dossier et aucun facteur pour un autre dossier.
Facteurs précisés au paragraphe 278.5(2) | Nombre d’affaires |
---|---|
a. la mesure dans laquelle le dossier est nécessaire |
21 |
b. sa valeur probante; |
15 |
c. la nature et la portée de l’attente raisonnable au respect |
21 |
d. la question de savoir si sa communication reposerait |
2 |
e. le préjudice possible à la dignité ou à la vie privée |
17 |
f. l’intérêt qu’a la société à ce que les infractions d’ordre |
4 |
g. l’intérêt qu’a la société à ce que les plaignants, dans les |
1 |
h. l’effet de la décision sur l’intégrité du processus judiciaire |
6 |
Renvoi général |
5 |
Autres : expédition de pêche, pertinence pour la question en litige, nécessaire |
23 |
Autres : intérêt de la justice, fiabilité et crédibilité du plaignant |
19 |
Autres : égalité |
3 |
Nombre de renvois à des facteurs énoncés au paragraphe 278.5(2) |
13 |
4.0 Conclusion
Le présent examen a porté sur 144 affaires datant du 1er janvier 2011 au 12 mai 2017; 91 de ces affaires comportaient des demandes de dossiers de tiers, que nous avons analysées plus à fond. Même si les examens de la jurisprudence ont des limites en ce qui concerne leur capacité de déterminer le fonctionnement des demandes en première instance, ils peuvent aider à cerner des tendances dans la jurisprudence canadienne.
Les constatations du présent examen concordent avec celles d’études antérieures : les défendeurs et les plaignants avaient généralement une relation antérieure; la plupart des plaignants étaient des femmes mineures tandis que la plupart des défendeurs étaient des hommes adultes.
Parmi les affaires retenues aux fins de la présente étude, 33 demandes ont été accueillies au moins en partie et 45 ont été rejetées (n=78). Lorsque nous ajoutons les affaires exclues (c.-à -d. 12 affaires dans lesquelles la demande de communication a été accueillie à la première étape, mais l’issue de la deuxième étape n’était pas précisée; et l’affaire dans laquelle le plaignant était représenté à une seule étape) à la catégorie des demandes accueillies, les totaux des demandes accueillies et rejetées sont presque égaux (46 demandes accueillies, 45 demandes rejetées).
Références
- Busby, Karen, 2000, Third Party Records Cases Since O’Connor, Revue de droit manitobaine, 27, p. 335-390.
- Busby, Karen, 1998, Third Party Records Cases since R. v. O’Connor: A Preliminary Analysis, ministère de la Justice, Ottawa.
- Busby, Karen, 1997, Discriminatory Uses of Personal Records in Sexual Violence Cases, Revue juridique la femme et le droit, 9, p. 148-177.
- Hattem, Tina, 2000, Enquête auprès des femmes qui ont survécu à une agression sexuelle, ministère de la Justice, Ottawa.
- Lindsay, Melissa, 2014, Enquête menée auprès des survivantes de violence sexuelle dans trois villes canadiennes, ministère de la Justice, Ottawa. Consulté le 24 novembre 2017.
- Lindsay, Melissa, 2014, Enquête menée auprès des survivants de violence sexuelle dans les Territoires du Nord-Ouest, ministère de la Justice, Ottawa. Consulté le 24 novembre 2017.
- McDonald, Susan et Adamira Tijerino, 2013, Survivants masculins de violence sexuelle : leurs expériences, ministère de la Justice, Ottawa. Consulté le 24 novembre 2017.
- McDonald, Susan, Siavosh Pashang et Anna Ndegwa, 2014, Les dossiers de tiers : jurisprudence de 2003 à 2010, dans Recueil des recherches sur les victimes d’actes criminels, no 7, p. 27-37. Consulté le 17 janvier 2018.
- McDonald, Susan, Andrea Wobick et Janet Graham, 2006, Projet de loi C-46 : demandes de communication de dossiers à la suite de l’arrêt Mills, examen de la jurisprudence, Ottawa, ministère de la Justice Canada.
- Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 2012, Examen législatif des dispositions et de l’application de la Loi modifiant le Code criminel (communication de dossiers dans les cas d’infraction d’ordre sexuel) Rapport final, Ottawa, Sénat du Canada. Consulté le 29 mai 2017.
Carly Jacuk est étudiante en droit au sein du Programme de common law de l’Université d’Ottawa.
Hassan Rasmi Hassan a obtenu son diplôme de la faculté de droit de l’Université d’Ottawa en 2018.
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