Mesures de soutien au témoignage d'adultes vulnérables (projet de loi C-2) : Revue de la jurisprudence (2009 à 2012)

5. Empêcher le contre-interrogatoire par l'accusé se représentant seul : article 486.3

La première disposition visant à protéger les témoins âgés de moins de 14 ans contre le risque d'être contre-interrogés par un accusé se représentant seul a été promulguée en 1993. Elle s'appliquait aux instances relatives à des infractions de nature sexuelle, aux infractions prévues aux articles 271 et 272 du Code criminel ou aux actes criminels perpétrés avec usage, tentative ou menace de violence. La modification reconnaissait le fait que beaucoup d'enfants victimes de mauvais traitements demeurent terrorisés à l'idée de voir l'accusé et que permettre à ce dernier de contre-interroger lui-même l'enfant peut engendrer une nouvelle victimisation et compromettre la capacité de l'enfant de témoigner (Barrett, 2008, p. 3 à 87, citant Bala, 1993, p. 368-69)Note de bas de la page 2.

En 1999, l'article 486 a été modifié de nouveau afin d'étendre la protection aux témoins âgés de moins de 18 ans au moment du procès ou de l'enquête préliminaire pour certaines infractions désignées. La modification renforçait la protection accordée aux jeunes témoins, mais elle comportait des lacunes évidentes, notamment le défaut d'inclure l'infraction de harcèlement criminel et l'absence de protection des témoins adultes vulnérables, en particulier des victimes de violence sexuelle ou conjugale (voir Barrett, 2008, p. 3 à 87).

L'article a été modifié de nouveau en 2005 afin de combler ces lacunes, au moyen du projet de loi C‑2. Le législateur a élargi de nouveau la protection, cette fois de façon à inclure toutes les procédures sans égard à la nature de l'infraction et, dans certains cas, aux témoins adultes. L'article 486.3 se lit désormais comme suit :

486.3(1) Dans les procédures dirigées contre l'accusé, sur demande du poursuivant ou d'un témoin âgé de moins de dix-huit ans, l'accusé ne peut procéder lui-même au contre-interrogatoire du témoin, sauf si le juge ou le juge de paix est d'avis que la bonne administration de la justice l'exige. Le cas échéant, le juge ou le juge de paix nomme un avocat pour procéder au contre-interrogatoire.

(2) L'accusé ne peut non plus, sur demande du poursuivant ou d'un témoin, procéder lui-même au contre-interrogatoire de ce dernier, si le juge ou le juge de paix est d'avis que cela est nécessaire pour obtenir de celui-ci un récit complet et franc des faits sur lesquels est fondée l'accusation. Le cas échéant, le juge ou le juge de paix nomme un avocat pour procéder au contre-interrogatoire.

(3) Pour décider s'il est nécessaire de nommer un avocat aux termes du paragraphe (2), le juge ou le juge de paix prend en compte les facteurs énumérés au paragraphe 486.1(3

(4) Dans les procédures engagées à l'égard d'une infraction prévue à l'article 264, sur demande du poursuivant ou de la victime, l'accusé ne peut procéder lui-même au contre-interrogatoire de cette dernière, sauf si le juge ou le juge de paix est d'avis que la bonne administration de la justice l'exige. Le cas échéant, le juge ou le juge de paix nomme un avocat pour procéder au contre-interrogatoire. [Nous soulignons.]

(4.1) Les demandes peuvent être présentées soit au cours de l'instance au juge ou au juge de paix qui la préside, soit avant l'instance au juge ou au juge de paix qui la présidera.

(5) Le fait que le juge nomme ou non un avocat pour procéder au contre-interrogatoire en conformité avec le présent article ne peut donner lieu à des conclusions défavorables.

Une fois encore, il convient de consulter le tableau à l'annexe A dans lequel sont citées quelques décisions pertinentes interprétant cet article. On y trouve aussi une brève description des motifs invoqués pour accueillir ou rejeter la demande et des éléments de preuve introduits à l'appui de la demande.

Ainsi, un avocat est nommé par présomption sur demande dans certaines situations : lorsqu'un témoin a moins de 18 ans ou est un adulte qui allègue être victime de harcèlement criminel. Le juge conserve son pouvoir discrétionnaire de refuser d'ordonner la nomination d'un avocat pour mener le contre-interrogatoire, mais seulement s'il est d'avis que la bonne administration de la justice exige que l'accusé s'en charge personnellement. Autrement dit, le fardeau incombe à l'accusé de montrer pourquoi l'ordonnance porterait atteinte à son droit à un procès équitable. Dans la Revue de la jurisprudence relative au projet de loi C‑2, 2010, les auteurs font remarquer que « [l]a jurisprudence ne traite pas de la question des circonstances qui justifieraient la décision selon laquelle «la bonne administration de la justice» «exige» que l'accusé procède lui-même au contre-interrogatoire » et « qu'il serait difficile pour l'accusé de satisfaire au critère » (Bala et coll., 2010, p. 24). Aucun arrêt faisant jurisprudence dans lequel un accusé a satisfait à ce critère n'a été publié jusqu'à présent, mais dans une décision non publiée, le juge a autorisé l'accusé à mener le contre-interrogatoire, vu le désistement de l'avocat désigné le jour même du procès (R. c. Agar, 2007 BCPC #26636).

Un avocat sera aussi nommé à la discrétion de la cour si le juge ou le juge de paix est d'avis qu'afin d'obtenir du témoin un récit complet et franc des faits sur lesquels est fondée l'accusation, l'accusé ne devrait pas contre-interroger lui-même le témoin. En cas d'opposition à l'ordonnance, le ministère public doit montrer comment une telle ordonnance aiderait le témoin adulte à donner un récit complet et franc des faits. Le juge devrait prendre en compte les facteurs énumérés au paragraphe 486.1(3), en l'occurrence l'âge du témoin, les déficiences physiques ou mentales du témoin, la nature de l'infraction, la nature de la relation avec l'accusé (par exemple l'existence d'un déséquilibre de pouvoir; voir R. c. Jones, 2011 NSPC 3, aux par. [38], [40] et [42]) et les autres circonstances pertinentes.

Une circonstance pertinente dont la cour tient souvent compte est le fait que l'accusé consente ou non à l'ordonnance, puisqu'un avocat pourrait avoir de la difficulté à contre-interroger un témoin sans recevoir d'instruction de l'accusé. De fait, la possibilité de donner des instructions à l'avocat est souvent citée à titre de justification de l'ordonnance (voir R. c. S.(P.N.), [2010] O.J. No. 2782 (C.J. Ont.), au par. [20]). Une autre circonstance pertinente citée est la qualité probable du contre-interrogatoire si l'accusé devait le mener lui-même (discours organisé ou décousu?) (voir Jones, aux par. [41] et [42]; R. c. Predie, [2009] O.J. No. 2723 (C.S.J. Ont.), au par. [25]; R. c. Fazekas, 2010 ONSC 6603, aux par. [22] et [23] (où l'accusé est décrit comme ayant de la difficulté à rester concentré et ayant tendance à s'exciter)).

Cette disposition peut être très utile dans les poursuites dans lesquelles un témoin témoigne en tant que victime de violence conjugale ou sexuelle. Ces demandes discrétionnaires font généralement l'objet de la jurisprudence citée, et souvent sur des aspects pratiques de la nomination (la rémunération, par exemple); (voir Tableau : art. 486.3). Dans une affaire, le juge a fait remarquer que [Traduction] « le critère n'est pas rempli simplement parce qu'un témoin exprime un souhait. Il doit y avoir un motif de croire en la nécessité réelle de l'ordonnance demandée. La justification n'est pas d'épargner au témoin certains désagréments, mais d'éviter l'injustice qui surviendrait s'il était incapable de dire toute la vérité » (R. c. Canning, [2010] N.S.J. No. 497 (C.P.)) – un témoin a dit que le fait d'être contre-interrogé par l'accusé ne modifierait pas ses réponses; voir également R. c. Tehrankari, 2008 CarswellOnt 8750, (2008), 246 C.C.C. (3d) 70 (C.J. Ont.), au par. [19].

Dans Tehrankari, le juge définit le critère applicable pour ordonner la nomination d'un avocat chargé de mener le contre-interrogatoire :

[19] En pesant le droit absolu de l'accusé de se défendre contre l'ordonnance discrétionnaire que je pourrais rendre pour accommoder un témoin, je crois que je dois être convaincu que selon la prépondérance des probabilités, il serait impossible d'obtenir un récit complet et franc si l'accusé devait contre-interroger un témoin particulier. La preuve fondée sur un voir-dire doit établir la « nécessité » de rendre une telle ordonnance.

L'objet de cette disposition a été décrit récemment dans Jones (voir également R. c. S.(P.N.), [2010] O.J. No. 2782 (C.J. Ont.) aux par. [11] et [13]; et R. c. Fazekas, 2010 ONSC 6603, au par. [17]) :

[traduction]
[27]  Dans ces arrêts, la cour fait remarquer que le paragraphe 486.3(1) se trouve dans la partie du Code criminel qui prévoit certains dispositifs pour aider des témoins à donner leur témoignage en cour, par exemple des écrans et des personnes de confiance. L'objectif est d'aider un témoin à donner un récit complet et franc des faits. Dans les demandes telles que celle dont je suis saisi, l'expression « écran juridique » a été utilisée pour saisir l'intention du législateur : charger un avocat de mener le contre-interrogatoire d'un témoin vulnérable à la place d'un accusé (R. c. S.(P.N.), 2010 ONCJ 244 (CanLII), 2010 ONCJ 244, au par. 11). Il est important pour la société et pour l'administration de la justice de protéger des témoins vulnérables afin de les aider à livrer leur témoignage à la cour.

Dans R. c. S.(P.N.), le juge souligne l'absence d'indications sur le déroulement du processus (au par. [14]) et mentionne les points à considérer ci-dessous :

  1. l'accusé peut-il exprimer un choix, voire une préférence, en vue de la nomination de l'avocat;
  2. la cour a-t-elle un rôle à jouer à l'égard de la nomination d'un avocat en particulier, ou se contente-t-elle de rendre l'ordonnance relative à la nomination d'un avocat;
  3. le rôle de l'avocat nommé se limite-t-il à contre-interroger le témoin admissible, ou plus précisément, le contre-interrogatoire consiste-t-il simplement à répéter les questions que l'accusé communique à l'avocat ou comporte-t-il un élément de préparation et, le cas échéant, dans quelle mesure;
  4. en quoi consiste la relation entre l'avocat nommé et l'accusé; l'avocat doit-il donner des avis juridiques à l'accusé, l'accusé peut-il donner des instructions à l'avocat nommé; le secret professionnel de l'avocat envers son client s'applique-t-il;
  5. au profit de qui l'avocat est-il nommé;
  6. l'avocat nommé est-il rémunéré et, le cas échéant, de quelle façon devrait-on calculer les honoraires et d'où doit provenir le paiement;
  7. le juge président ou le juge de paix a-t-il compétence pour ordonner à l'État de payer les honoraires de l'avocat, soit aux termes de l'article 486.3 ou d'un autre fondement légal, si le ministère public conteste le mode de rémunération, ou le ministère public a-t-il compétence pour fixer des limites à la rémunération et au temps de préparation de l'avocat nommé.

Se penchant sur ces questions, le juge de l'instance fait les observations ci-dessous aux paragraphes [68] à [74].

[Traduction]

68.  Afin d'éviter des délais, surtout si le ministère public souhaite présenter des arguments, le représentant du ministère public doit présenter la demande dès que la date du procès est fixée, ce qui permettrait au juge de l'instance d'assurer la gestion de la demande.

69.  L'accusé devrait être informé de la possibilité de suggérer un avocat. Une responsabilité incombe clairement à l'accusé de ne pas retarder cette décision.

70.  Si l'accusé n'exprime aucune préférence pour un avocat, une possibilité de rencontrer l'avocat proposé par l'Aide juridique semble offrir un minimum d'assurance que les deux peuvent travailler ensemble. Le temps le permettrait seulement si la demande aux termes de l'article 486.3 est présentée sans délai dès que la date du procès est fixée.

71.  L'ordonnance initiale de la cour devrait se limiter à la nomination de l'avocat choisi, sans préjuger de la rémunération. L'avocat nommé et le procureur général devraient avoir la possibilité de négocier la rémunération et le temps de préparation convenables dans le contexte de l'affaire en question. Certaines affaires peuvent être plus complexes que d'autres, ou certains accusés peuvent être plus difficiles que d'autres.

72.  En cas de refus de négocier de la part du procureur général, tel qu'il en a décidé en l'espèce, la question peut être renvoyée au juge de l'instance. La cour choisira alors entre une suspension conditionnelle des procédures ou l'établissement des taux de rémunération.

73.  Si une suspension conditionnelle des procédures respectait mieux le pouvoir du Parlement d'accorder la priorité aux dépenses publiques, l'intérêt de la société dans des affaires mettant en cause des témoins vulnérables (en général, des victimes) justifie souvent que la cour fixe les taux de rémunération pour garantir que le procès se poursuit sans délai.

74.  À mon avis, je déduis du libellé que l'article 486.3 est inhérent au processus consistant à retenir les services d'un avocat. Si je me trompe, le pouvoir d'ordonner la rémunération découle de la compétence de la cour d'exercer un contrôle sur son propre processus, par exemple la nomination d'un ami de la cour. À mon avis, l'autre possibilité serait la suspension conditionnelle des procédures ce qui compromettrait l'intérêt public considérable à l'égard de la tenue d'un procès au fond et jetterait de fait le discrédit sur l'administration de la justice. La suspension des procédures devrait constituer une solution de dernier recours.

Il y a lieu de soutenir que le qualificatif qui convient le mieux pour décrire ces lignes directrices est celui de « convaincantes ». Voir aussi R. c. Lloyd, 2011 ONCJ 15, aux par. [37] à [39]; R. c. S.(B.) (2007), 240 C.C.C. (3d) 375 (C.A. Qué.), 2007 CAQ 1756 et les affaires citées dans la Revue de la jurisprudence, 2010 à 2.2.3, p. 23.

La jurisprudence donne à penser que dans bien des cas, les détails mêmes de la nomination, par exemple qui devrait être retenu et à quel taux de rémunération, sont réglés ou négociés par les bureaux du substitut du procureur général et de l'aide juridique provinciaux, le juge de l'instance n'en étant saisi que s'il est impossible d'en arriver à une entente.

La demande peut être présentée avant ou pendant l'instruction. La présente revue de la jurisprudence révèle que la plupart des demandes sont soumises avant l'instruction ce qui permettrait à l'avocat de préparer le contre-interrogatoire. Le témoin n'est pas tenu de comparaître à l'appui de la demande et, de fait, contraindre le témoin à le faire irait à l'encontre de l'objet de l'article (R. c. C.M., 2012 ABPC 128, au par. [26]). Le fondement probatoire de l'ordonnance peut être basé sur le ouï-dire ou sur un témoignage de vive voix d'un enquêteur, par exemple, ou même sur les arguments des avocats ou l'examen de la transcription de l'enquête préliminaire (Jones, au par. [7]; Predie, aux par. [12] à [17]; R. c. Tehrankari, aux par. [17] et [19]).

6. Déposition enregistrée sur vidéo : article 715.2

715.2(1)  Dans les procédures dirigées contre l'accusé, dans le cas où une victime ou un témoin est capable de communiquer les faits dans son témoignage mais éprouve de la difficulté à le faire en raison d'une déficience mentale ou physique, l'enregistrement vidéo réalisé dans un délai raisonnable après la perpétration de l'infraction reprochée et montrant la victime ou le témoin en train de décrire les faits à l'origine de l'accusation est, sauf si le juge ou le juge de paix qui préside est d'avis que cela nuirait à la bonne administration de la justice, admissible en preuve si la victime ou le témoin confirme dans son témoignage le contenu de l'enregistrement. [Nous soulignons.]

Cet article prévoit qu'un enregistrement vidéo fait dans un délai raisonnable après la perpétration de l'infraction reprochée et montrant le témoin en train de décrire les faits à l'origine de l'accusation est admissible en preuve si le témoin confirme dans son témoignage le contenu de l'enregistrement et si le témoin éprouverait de la difficulté à communiquer les faits en raison d'une déficience mentale ou physique. Cet accommodement a été disponible pour la première fois après que le Code criminel a été modifié en 1988 pour autoriser l'admission en preuve d'une déposition enregistrée sur vidéo d'un plaignant qui était âgé de moins de 18 ans lors de la perpétration de l'infraction, une déposition prise sous certaines conditions et par rapport à certaines infractions. Le Code a été modifié en 1997 de façon à autoriser l'admission en preuve d'une déposition enregistrée sur vidéo de n'importe quel témoin âgé de moins de 18 ans qui remplit les conditions préalables prévues par la loi. Le 30 juin 1998, l'application de cette disposition relative aux mesures d'aide au témoignage a été de nouveau élargie à tous les plaignants ou témoins adultes qui éprouveraient de la difficulté à communiquer les faits en raison d'une déficience mentale ou physique (voir Barrett, 2008, p. 3 à 56).

En plus des caractéristiques du témoin qui justifient la demande (moins de 18 ans ou adulte ayant une déficience et des difficultés à communiquer), les critères d'admissibilité étaient les suivants :

  1. l'infraction visée était l'une des infractions de nature sexuelle ou violente visées;
  2. la déposition enregistrée sur vidéo avait été faite dans un délai raisonnable après l'infraction alléguée;
  3. la déposition contenait une description des actes sur lesquels était fondée l'accusation;
  4. le témoin confirme le contenu de l'enregistrement dans son témoignage.

Le projet de loi C‑2 a modifié de nouveau cette disposition afin qu'elle puisse être invoquée dans n'importe quelle instance, peu importe l'accusation. Le critère demeure que l'admission en preuve de dépositions d'adultes enregistrées sur vidéo est limitée aux adultes éprouvant de la difficulté à communiquer les faits dans leur témoignage à cause d'une déficience physique ou mentale. Cet accommodement n'est donc pas disponible pour les témoins vulnérables de façon générale, mais seulement pour ceux qui éprouvent une « difficulté à témoigner » lorsqu'ils témoignent devant un juge des faits. Il faut aussi souligner que l'article 715.1 prévoit l'admission en preuve d'une déposition enregistrée sur vidéo d'un témoin mineur peu importe que ce dernier éprouve de la « difficulté » à communiquer les faits dans son témoignage.

L'enregistrement vidéo est un élément de preuve indépendant recevable pour établir la véracité de son contenu lorsque le témoin le confirme dans son témoignage. La déclaration devient le témoignage du plaignant et est prise en compte avec le témoignage de vive voix qu'il donne. Les deux sont considérés « comme un tout ». L'enregistrement vidéo complète le témoignage du témoin et il est donc disponible même si le témoin est capable de fournir les mêmes détails en cour. La déclaration antérieure, conjuguée au témoignage donné en cour, fournit une version plus complète de la description des faits donnée par le témoin : R. c. T.(W.P).) (1993), 83 C.C.C. (3d) 5 (C.A. Ont.), p. 28.

Le représentant du ministère public doit établir que l'enregistrement a été fait dans un « délai raisonnable » après l'infraction alléguée. Cet élément est évalué en tenant compte de « l'ensemble des circonstances », notamment l'âge du témoin, la nature de l'infraction, les efforts déployés pour obtenir une déclaration antérieure, le temps que le témoin a pris pour dénoncer ou signaler l'infraction, les installations disponibles pour réaliser l'enregistrement dans la collectivité et la nécessité de mener une enquête avant de réaliser l'enregistrement. R. c. L. (D.O.), [1993] 4 R.C.S. 419.

Un juge ne peut utiliser l'enregistrement vidéo en guise de corroboration, au sens où le témoin fait preuve de « cohérence » et est donc plus susceptible de dire la vérité, bien que le juge puisse tenir compte des incohérences entre l'enregistrement vidéo et le témoignage donné en cour (R. c. Aksidan (2006), 209 C.C.C. (3d) 423 (C.A. C.-B.), aux par. [43] et [44]; R. c. S.(K.P.) (2007), 224 C.C.C. (3d) 62, aux par. [23], [25] et [29]). Le témoin est quand même contre-interrogé. 

L'admission en preuve d'une déclaration enregistrée sur vidéo est une exception à la règle habituelle de la preuve selon laquelle la déclaration antérieure d'un témoin n'est pas recevable pour prouver la véracité de son contenu (ouï-dire). La Cour suprême s'est penchée sur la justification de l'utilisation d'une telle déclaration d'un témoin âgé de moins de 18 ans (R. c. L. (D.O.), [1993] 4 R.C.S 419; R. c. F. (C.C.), [1997] 3 R.C.S. 1183. Voir aussi R. c. Toten (1993), 83 C.C.C. (3d) 5 (C.A. Ont.); et R. c.Meddoui (1990), 61 C.C.C. (3d) 345 (C.A. Alb.), demande d'autorisation d'appel rejetée [1991] 3 R.C.S. ix (Bala et coll., 2001).

L'admission en preuve de l'enregistrement renforce la fonction de recherche de la vérité de la cour vu qu'il s'agit souvent du « meilleur » témoignage de l'enfant puisque l'enregistrement est réalisé alors que le souvenir de l'incident est frais, avant que le souvenir de l'incident puisse être modifié par des suggestions et parce que l'enfant peut donner la déposition dans un environnement où il est à l'aise. En plus de renforcer l'objectif de recherche de la vérité de la cour, l'enregistrement vidéo réduit donc aussi le traumatisme pour l'enfant ou le témoin.

Comme le libellé de l'article 715.2 est pratiquement identique à celui de l'article 715.1, il est habituellement interprété dans la jurisprudence relative à des demandes d'admission en preuve de la déposition enregistrée sur vidéo d'un enfant ou d'un jeune témoin. De nos jours, il est pratique courante pour les enquêteurs de prendre les dépositions de témoins mineurs afin de créer un enregistrement qu'il est possible d'introduire en preuve au procès et la recevabilité de ces dépositions enregistrées est analysée dans de nombreuses causes. Par contraste, les enquêteurs peuvent enregistrer sur vidéo les dépositions de témoins adultes, mais celles-ci sont rarement utilisées comme preuve au procès.

L'enregistrement est limité aux actes reprochés et il peut comprendre :

Il peut être nécessaire de faire un montage de la déclaration afin de supprimer des parties qui ne portent pas sur « les actes sur lesquels est fondée l'accusation ».

Le témoin doit « confirmer » la déclaration. Cela signifie qu'il doit se souvenir avoir fait la déclaration et témoigner qu'il a été honnête et sincère lors de l'enregistrement.

La cour jouit du pouvoir discrétionnaire de refuser d'admettre en preuve l'enregistrement si cela nuit à la bonne administration de la justice. Ce pouvoir discrétionnaire résiduel d'exclure l'enregistrement a été ajouté par la modification apportée par le projet de loi C‑2 en 2005, bien qu'il a toujours existé en common law. Ce pouvoir est exercé lorsque l'effet préjudiciable du récit des faits l'emporte sur sa valeur probante, de telle sorte que l'admission en preuve serait inéquitable pour l'accusé ou entraverait la recherche de la vérité. On pensait que ce pouvoir discrétionnaire serait rarement exercé : R. c. F. (C.C.), aux par. [51] et [52]. Le juge de l'instance tient un voir-dire pour déterminer la pertinence d'admettre en preuve l'enregistrement vidéo. Voir R. c. Mulder, [2008] O.J. No. 345 (C.S.J. Ont.), aux par. [20] à [22] pour obtenir une description des facteurs pertinents dont un juge doit tenir compte pour statuer sur la pertinence d'admettre en preuve l'enregistrement d'une déclaration. Comme principe général, la déclaration devrait être conforme aux règles de la preuve.

Le jury devrait être informé qu'un témoin est mineur et que le Code criminel l'autorise à confirmer dans son témoignage sa déclaration enregistrée sur vidéo au préalable et le poids qu'il convient d'accorder à cet enregistrement. (Modèle de directives au jury dans CRIMJI, 4.68, Ontario Specimen Jury Instructions, « Final Charge 29-C ». (et R. c. F. (C.C.),au par. [47]).

Une jurisprudence considérable s'est développée sur la recevabilité de déclarations d'enfants témoins enregistrées sur vidéo et l'utilisation qu'on peut en faire. L'utilisation de déclarations enregistrées de témoins adultes aux termes de l'article 715.2 a été beaucoup moins analysée. Voici quelques cas dans lesquels il en a été question.

Dans R. c. Anderson, [2005] Q.J. No. 17488 (C.S.), le plaignant a été autorisé à témoigner à l'extérieur de la salle d'audience et sa déclaration enregistrée sur vidéo a été admise en preuve. La nature de l'accusation n'est pas claire. Les éléments de preuve examinés lors du voir-dire étaient le témoignage de l'enquêteur et l'enregistrement vidéo qu'on a fait jouer. Le plaignant est décrit comme un homme âgé de 33 ans ayant des « problèmes mentaux ». La nature de ces problèmes n'a pas été analysée ni traitée par un médecin, mais dès la maternelle, il avait été reconnu comme ayant besoin d'attention particulière et dès lors, il a fréquenté des écoles spécialisées qui étaient outillées pour satisfaire à ses besoins particuliers. Son niveau intellectuel est décrit comme celui d'un enfant de 10 ans. Il a été capable de s'exprimer et de communiquer les faits, mais manifestement pas comme un homme de 33 ans le ferait. Il est décrit comme étant très agité, ayant de la difficulté à garder sa concentration, très redondant; il dérive parfois pour parler de ses préoccupations qui ne sont pas tout à fait adaptées à la situation dans laquelle il se trouve. La juge de l'instance a conclu que l'enregistrement devait être admis en preuve puisqu'il ne renfermait pas de questions orientées, qu'aucune partie de celui-ci n'était irrecevable, que l'enregistrement avait été fait moins de deux semaines après l'infraction alléguée et que l'accusé ne s'y oppose pas.

Dans R. c. C.C., [2013] O.J. No. 24 (C.S.J.), 2013 ONSC 72, l'accusé était inculpé d'agression sexuelle sur une femme de 20 ans ayant des troubles du développement dont le fonctionnement correspondait à un âge mental d'une enfant de trois à cinq ans. La plaignante a confirmé dans son témoignage que la déclaration qu'elle a donnée aux policiers était vraie ([2]). La défense ne s'est pas opposée à son admission en preuve ([125]). Elle a témoigné en présence d'une personne de confiance et derrière un écran ([124]). Le juge a fait remarquer qu'au cours de son interrogatoire lors du procès, la plaignante n'a fourni que très peu de renseignements ([126]). Le juge a conclu que la déclaration qu'elle avait faite aux policiers semblait plus fiable que le témoignage qu'elle avait livré au procès.

Dans R. c. Charbonneau, 2012 O.J. No. 2112 (C.A.), 2012 ONCA 314, la Cour d'appel mentionne que la plaignante en l'espèce avait 49 ans lorsqu'elle a été agressée sexuellement. Elle souffre de schizophrénie paranoïde. Elle a signalé l'agression alléguée à la police environ trois semaines après les faits. Sa déclaration aux policiers enregistrée sur vidéo a été admise en preuve au procès, sur consentement, en application de l'article 715.2 du Code criminel. La plaignante a aussi témoigné de vive voix. La cour n'a pas parlé de la déclaration enregistrée sur vidéo puisque la principale question en appel était la pertinence des directives au jury.

Dans R. c. Gomes, [2010] O.J. No. 4337 (C.S.J.), 2010 ONCJ 461, l'accusé était inculpé d'agression sexuelle sur une femme de 20 ans ayant une déficience auditive. Le ministère public a demandé que son témoignage en interrogatoire principal soit introduit en preuve sous la forme d'une déclaration à la police enregistrée sur vidéo, étant donné sa déficience auditive. La plaignante a aussi témoigné au procès. Après avoir visionné la vidéo, elle en a confirmé le contenu et affirmé avoir dit la vérité aux policiers du mieux qu'elle le pouvait ([6]). Il semble qu'elle ait été assez longuement contre-interrogée sur les incohérences entre le contenu de cet enregistrement et le témoignage qu'elle a donné en cour.

Dans R. c. Land, [2012] O.J. No. 6006, l'accusé était inculpé de meurtre et le ministère public a demandé que soient admis en preuve deux enregistrements vidéo d'entretiens menés avec un témoin mineur ainsi que des dépositions de témoins adultes ayant une déficience mentale. Le fait que les déclarations avaient été faites dans un délai raisonnable après la mort de la victime n'était pas contesté. La défense s'est opposée à la demande du ministère public parce qu'il n'avait pas été établi que les témoins seraient incapables de communiquer les faits à cause d'une déficience mentale, que ces déclarations ne portaient pas sur les actes sur lesquels était fondée l'accusation et que l'agent avait posé des questions orientées au cours de l'entretien.

Le juge de l'instance a conclu que l'une des témoins adultes n'éprouverait pas de difficulté à communiquer les faits dans son témoignage :  

[traduction]
[26]En outre, je ne peux conclure que Mme G. aurait de la difficulté à communiquer les faits dans son témoignage en raison d'une déficience mentale. Elle n'a pas été appelée à témoigner sur cette requête. Dans la première décision préalable relative au témoignage de vive voix sur la demande fondée sur l'arrêt KGB, j'ai examiné les vulnérabilités de Mme G. et son fonctionnement à l'enquête préliminaire, malgré les difficultés qu'elle éprouve. J'ai conclu que Mme G. pourrait se prêter à une nouvelle comparution préalable au procès concernant une demande fondée sur l'arrêt KGB proposée, pourvu qu'elle soit accompagnée d'une personne de confiance comme elle le sera lorsqu'elle témoignera au procès. Nous ne disposons pas d'éléments de preuve suffisants pour affirmer que Mme G. aura de la difficulté à communiquer les faits dans son témoignage si, comme il serait normal de le faire, on lui donnait la possibilité avant le procès de revoir la déposition qu'elle a donnée au détective. Mme G. fonctionnait bien - tant au cours de son entretien avec le détective qu'au cours de son témoignage à l'enquête préliminaire. Bien que le passage du temps puisse faire en sorte qu'il lui soit plus difficile de se souvenir de certains faits dans son témoignage, le procureur aura le loisir de lui rafraîchir la mémoire dans le cours normal de l'interrogatoire. Sinon, il n'y a aucune raison de croire qu'au procès, Mme G. fonctionnerait différemment qu'elle l'a fait à l'enquête préliminaire.

Par rapport à l'autre témoin adulte, le juge de l'instance a dit : [traduction] « Mme H. n'a pas témoigné sur cette requête et par conséquent, je n'ai pas eu l'avantage de l'observer à la barre. Cependant, l'examen de son entretien avec le détective et son témoignage à l'enquête préliminaire révèlent qu'elle n'a pas de troubles de mémoire et qu'elle n'éprouve pas de difficulté à bien communiquer. Elle a tendance à convenir d'à peu près tout ce qu'on lui soumet, même si cela contredit ce qu'elle vient de dire quelques instants auparavant. Le ministère public a rempli cette condition préalable pour invoquer le paragraphe 715.2(1) du Code » (au par. [30]).

Dans R. c. Osborne, [2011] O.J. No. 6279 (C.S.J.), 2011 ONSC 4289, l'accusé était inculpé du meurtre au premier degré d'une femme de 31 ans ayant la capacité mentale d'une enfant de 11 ans. L'accusé avait aussi un trouble du développement et vivait dans une maison en rangée avec d'autres personnes handicapées. Le ministère public voulait introduire en preuve la déclaration enregistrée sur vidéo de l'un de ses colocataires, un homme de 24 ans atteint d'une forme d'autisme. La transcription de l'enquête préliminaire a été examinée lors du voir-dire, au cours duquel le père du témoin a affirmé que son fils avait la capacité mentale d'un enfant de sept ans et demi. Le témoin avait aussi témoigné à l'enquête préliminaire et il avait confirmé le contenu de l'enregistrement.

L'accusé a convenu que le témoin éprouverait de la difficulté à communiquer les faits dans son témoignage en raison d'une déficience mentale ou physique, mais il a contesté la recevabilité de la déclaration parce que l'enregistrement n'avait pas été fait dans un délai raisonnable, le témoin était susceptible de ne pas en confirmer le contenu et cela nuirait à la bonne administration de la justice. Le juge a fait remarquer que les dépositions ont été prises dans les heures suivant l'acte criminel et que les incohérences n'étaient pas le fruit d'un défaut de mémoire, mais bien révélatrices de la déficience mentale du témoin. L'exigence que la déposition ait été prise dans un délai raisonnable a été imposée parce qu'elle renforce la fiabilité de la déposition et constitue un gage de confiance circonstanciel.

Quant à la confirmation du contenu de la déposition, le témoin l'a donnée à l'enquête préliminaire. Comme le témoin a une capacité d'attention limitée, on lui a fait jouer l'enregistrement par segments. Après chaque segment, il a dit se souvenir avoir fait les déclarations et qu'il essayait de dire la vérité. Le juge de l'instance a rejeté l'argument de l'accusé selon lequel le critère à appliquer à l'égard de la confirmation du contenu devrait être différent pour les enfants témoins (article 715.1) et pour les témoins adultes (article 715.2) :

[traduction]
[39] Étant donné la similitude du libellé des articles 715.1 et 715.2, il est évident que le législateur a choisi de traiter ces deux groupes de la même façon aux fins de l'admission en preuve de déclarations enregistrées sur vidéo. Ce faisant, le législateur devait connaître le critère que la Cour suprême du Canada avait déjà établi dans R. c. C.C.F. à l'égard de la confirmation du contenu de tels enregistrements. Par conséquent, je suis d'avis qu'en promulguant l'article 715.2 dans un libellé pratiquement identique à celui de l'article 715.1, le législateur indiquait que le mot « confirme » devait prendre le même sens dans les deux articles. Le législateur aurait pu opter pour préciser un critère différent à cet égard dans l'article 715.2, mais il ne l'a pas fait. J'en conclus que le critère applicable à la confirmation est le même dans les deux articles.

Le juge a conclu que les déclarations enregistrées sur vidéo devaient être admises en preuve et qu'il revenait au jury de prendre en compte les questions relatives aux incohérences qu'elles renfermaient.

7. Article 16 de la Loi sur la preuve au Canada

Avant le 2 janvier 2006, la Loi sur la preuve au Canada exigeait qu'un juge détermine si un témoin de moins de 14 ans ou une personne dont la capacité mentale était mise en question était habile à témoigner. Le projet de loi C‑2 a modifié la Loi sur la preuve au Canada en ce qui concerne les enfants témoins. Un enfant est désormais présumé habile à témoigner, ce qui représente un changement fondamental des règles de la preuve.

Le législateur avait de nombreuses bonnes raisons de modifier l'examen de l'habilité à témoigner pour les enfants. En particulier, cette modification a été promulguée pour faciliter le témoignage d'enfants, les tribunaux ayant reconnu que des éléments de preuve fiables étaient exclus lorsque des enfants n'étaient pas autorisés à témoigner simplement parce qu'ils ne pouvaient pas répondre à la question abstraite de ce qu'on entend par « dire la vérité ». Pour prendre connaissance d'une description plus détaillée de la raison d'être de cette modification législative et de son interprétation, et une discussion générale des modifications touchant la façon dont le témoignage d'enfants est reçu en cour criminelle, veuillez vous reporter à l'arrêt R. c. J.Z.S., 2008 BCCA 401, confirmé par 2010 CSC 1, une question abordée dans la Revue de la jurisprudence relative au projet de loi C‑2, 2010 auxpages 4 à 15.

Le projet de loi C‑2 n'a pas modifié l'examen de l'habilité à témoigner en ce qui concerne les témoins dont la capacité mentale est mise en question. Pour ce groupe de témoins, l'article 16 se lit encore comme suit :

Témoin dont la capacité mentale est mise en question

16. (1) Avant de permettre le témoignage d'une personne âgée d'au moins quatorze ans dont la capacité mentale est mise en question, le tribunal procède à une enquête visant à décider si :

  1. d'une part, celle-ci comprend la nature du serment ou de l'affirmation solennelle;
  2. d'autre part, celle-ci est capable de communiquer les faits dans son témoignage.

Témoignage sous serment :(2) La personne visée au paragraphe (1) qui comprend la nature du serment ou de l'affirmation solennelle et qui est capable de communiquer les faits dans son témoignage témoigne sous serment ou sous affirmation solennelle.

Témoignage sur promesse de dire la vérité :(3) La personne visée au paragraphe (1) qui, sans comprendre la nature du serment ou de l'affirmation solennelle, est capable de communiquer les faits dans son témoignage peut, malgré qu'une disposition d'une loi exige le serment ou l'affirmation, témoigner en promettant de dire la vérité.

Inaptitude à témoigner :(4) La personne visée au paragraphe (1) qui ne comprend pas la nature du serment ou de l'affirmation solennelle et qui n'est pas capable de communiquer les faits dans son témoignage ne peut témoigner.

Charge de la preuve :(5) La partie qui met en question la capacité mentale d'un éventuel témoin âgé d'au moins quatorze ans doit convaincre le tribunal qu'il existe des motifs de douter de la capacité de ce témoin de comprendre la nature du serment ou de l'affirmation solennelle.

Par contraste, les enfants témoins de moins de 14 ans bénéficient de cette présomption de leur habilité à témoigner, qu'il est intéressant de mettre en contraste avec l'article 16 :

Témoin âgé de moins de quatorze ans

16.1 (1) Toute personne âgée de moins de quatorze ans est présumée habile à témoigner.

Témoin non assermenté :(2) Malgré toute disposition d'une loi exigeant le serment ou l'affirmation solennelle, une telle personne ne peut être assermentée ni faire d'affirmation solennelle.

Témoignage admis en preuve :(3) Son témoignage ne peut toutefois être reçu que si elle a la capacité de comprendre les questions et d'y répondre.

Charge de la preuve :(4) La partie qui met cette capacité en question doit convaincre le tribunal qu'il existe des motifs d'en douter.

Enquête du tribunal :(5)  Le tribunal qui estime que de tels motifs existent procède, avant de permettre le témoignage, à une enquête pour vérifier si le témoin a la capacité de comprendre les questions et d'y répondre.

Promesse du témoin :(6) Avant de recevoir le témoignage, le tribunal fait promettre au témoin de dire la vérité.

Question sur la nature de la promesse :(7) Aucune question sur la compréhension de la nature de la promesse ne peut être posée au témoin en vue de vérifier si son témoignage peut être reçu par le tribunal.

Effet :(8) Il est entendu que le témoignage reçu a le même effet que si le témoin avait prêté serment.

Le paragraphe 16(1) précise ce qu'un juge doit faire lorsque l'habilité à témoigner est mise en question. Il doit d'abord déterminer si le témoin « comprend la nature du serment ou de l'affirmation solennelle » et s'il est « capable de communiquer les faits dans son témoignage » (par. 16(1)). Si ces exigences sont remplies, le témoin témoigne sous serment ou sous affirmation solennelle, comme d'autres témoins le font (par. 16(2)). Dans le cas contraire, le juge passe au par. 16(3), lequel prévoit que le témoin qui « sans comprendre la nature du serment ou de l'affirmation solennelle, est capable de communiquer les faits dans son témoignage peut, malgré qu'une disposition d'une loi exige le serment ou l'affirmation, témoigner en promettant de dire la vérité ».

La Cour suprême du Canada a récemment eu l'occasion de se pencher sur la façon dont un juge devrait évaluer l'habilité à témoigner d'une personne dont la capacité mentale est mise en question et quelle incidence, si incidence il y a, les modifications apportées par le projet de loi C‑2 ont-elles eue sur le critère applicable à l'habilité d'enfants à témoigner (R. c. D.A.I., [2012] 1 R.C.S. 149, 2012 CSC 5). La plaignante était une femme de 22 ans ayant l'âge mental d'un enfant de 3 à 6 ans. Le juge de l'instance a tenu un voir-dire afin d'établir si elle était habile à témoigner. Il a conclu qu'elle ne l'était pas parce qu'elle n'avait pas pu montrer qu'elle comprend l'obligation de dire la vérité. L'interrogatoire du témoin par le ministère public a démontré qu'elle comprenait la différence entre la vérité et le mensonge dans des situations concrètes. Cependant, le juge du procès est allé plus loin en l'interrogeant afin d'établir si elle comprenait la nature de la vérité et du mensonge, des obligations morales et religieuses, et des conséquences juridiques liées au fait de mentir au tribunal.  Elle n'a pas pu répondre adéquatement à ces questions plus abstraites, répétant à plusieurs reprises : « Je ne sais pas ». ([9]).

S'exprimant pour la majorité, la juge en chef McLachlin a souligné l'importance fondamentale d'éviter de créer des obstacles inutiles (et artificiels) à l'admissibilité du témoignage de personnes vulnérables :

[27]  [...]  l'historique de l'art. 16 étaye le point de vue selon lequel le législateur voulait éliminer les obstacles qui, avant les modifications apportées en 1987 (L.C. 1987, ch. 24), avaient empêché des adultes ayant une déficience mentale de témoigner. Les modifications ont changé la règle de common law en vertu de laquelle seules les personnes ayant prêté serment pouvaient témoigner. Pour prêter serment ou faire une affirmation solennelle, une personne doit comprendre l'obligation de dire la vérité : R. c. Brasier (1779), 1 Leach 199, 168 E.R. 202. Des adultes ayant une déficience mentale pourraient ne pas avoir cette faculté.  Afin d'écarter cet obstacle, le législateur a prévu à l'égard des personnes de cette catégorie un autre fondement de l'habilité à témoigner. Le paragraphe 16(1) de la disposition de 1987 conservait encore le serment ou l'affirmation solennelle comme première possibilité dans le cas des adultes ayant une déficience mentale, mais le par. 16(3) prévoyait que ces personnes étaient habiles à témoigner si elles étaient simplement capables de communiquer les faits dans un témoignage et si elles promettaient de dire la vérité.

[30]     Le contexte historique dans lequel le par. 16(3) a été adopté explique pourquoi le législateur a pu souhaiter, en 1987, assouplir les conditions relatives à l'habilité à témoigner imposées aux adultes ayant une déficience mentale qui sont néanmoins capables de communiquer les faits dans leur témoignage. Bien qu'on ait accordé peu d'importance aux adultes ayant une déficience mentale dans la jurisprudence antérieure à 1987, on avait souligné qu'il ne convenait pas de poser à des enfants des questions sur la compréhension qu'ils avaient, dans l'abstrait, de la vérité. Dans R. c. Bannerman (1966), 48 C.R. 110 (C.A. Man.), le juge Dickson ad hoc (plus tard Juge en chef du Canada) a rejeté la pratique consistant à poser à des enfants des questions sur leurs croyances religieuses et sur le sens philosophique de la vérité. Entre‑temps, on prenait de plus en plus conscience de la violence sexuelle envers les enfants et les adultes ayant une déficience mentale. En raison de l'exclusion, à l'étape de l'examen de l'habilité à témoigner, des dépositions des enfants et des adultes ayant une déficience mentale — la conséquence de l'obligation, pour ces derniers, de démontrer une compréhension abstraite de la nature de l'obligation de dire la vérité — ils ne pouvaient jamais faire le récit de leur expérience et aucune poursuite n'était entreprise. C'est en raison de ces problèmes que le législateur a simplifié le critère relatif à l'habilité à témoigner des personnes adultes ayant une déficience mentale. [Nous soulignons.]

La majorité de la cour a conclu que l'interprétation correcte de l'article 16 n'exige rien de plus que le témoin (1) soit capable de communiquer les faits dans son témoignage et (2) promette de dire la vérité. Selon ces critères, le témoin aurait dû être autorisé à témoigner. Le législateur voulait éliminer la compréhension de la nature abstraite du serment ou de l'affirmation solennelle comme condition préalable de l'aptitude à témoigner. Le témoin n'était pas tenu de démontrer sa compréhension de l'obligation de dire la vérité.

L'un des arguments soumis à la cour portait sur l'interprétation qu'il convient de donner au fait que le législateur avait modifié les dispositions relatives à l'habilité à témoigner pour les enfants, mais non pour les adultes. La cour a rejeté l'argument selon lequel les témoins vulnérables devaient être interrogés sur leur compréhension d'une promesse de la même façon abstraite et, au bout du compte, superflue :

[40]     L'intimé plaide que si le législateur avait voulu que les adultes ayant une déficience mentale soient habiles à témoigner tout simplement s'ils sont capables de communiquer les faits dans leur témoignage en promettant de dire la vérité, il aurait interdit expressément qu'ils soient interrogés sur leur compréhension de la nature de l'obligation de dire la vérité, comme il l'a fait pour les enfants au par. 16.1(7). L'absence d'une telle disposition, prétend‑on, nous oblige à déduire que le législateur voulait que les adultes ayant une déficience mentale soient inévitablement interrogés sur l'obligation de dire la vérité.

* * * *

[48]  Quatrièmement, l'argument selon lequel l'absence, au par. 16(3), d'une disposition équivalente au par. 16.1(7) signifie que les adultes ayant une déficience mentale doivent démontrer qu'ils comprennent la nature de l'obligation de dire la vérité n'est pas logique. Cet argument repose sur l'hypothèse selon laquelle le par. 16(3), s'il n'est pas modifié, exige que l'on vérifie si la personne comprend l'obligation de dire la vérité. Sur ce fondement, on fait valoir que les adultes doivent être interrogés à moins que l'interdiction de poser des questions aux enfants qui figure au par. 16.1(7) ne soit considérée comme incluse au par. 16(3). Ainsi, selon mon collègue le juge Binnie, « [l]e ministère public nous invite, en réalité, à appliquer aux adultes dont la capacité mentale est mise en question la règle interdisant de poser des questions aux enfants » (par. 127).

Enfin, et pour conclure, la cour a récapitulé : le paragraphe 16(3) de la Loi sur la preuve au Canada impose deux conditions relativement à l'habilité à témoigner d'un adulte ayant une déficience mentale : 1. la capacité de communiquer les faits dans son témoignage et 2. une promesse de dire la vérité. Il n'est ni nécessaire ni opportun de vérifier si la personne comprend la nature de l'obligation que cette promesse comporte. Il convient de poser à la personne des questions sur son aptitude à dire la vérité dans des circonstances factuelles concrètes, afin de déterminer si elle peut communiquer les faits dans son témoignage. Il convient également de demander à la personne si elle promet de dire la vérité. Toutefois, le paragraphe 16(3) n'exige pas qu'un adulte ayant une déficience mentale démontre qu'il comprend la nature de la vérité in abstracto ou qu'il comprend les concepts moraux et religieux liés au devoir de dire la vérité. En ce qui concerne la procédure, la cour mentionne, aux paragraphes [75] à [83] :

  1. le voir‑dire relatif à l'habilité à témoigner d'un témoin éventuel constitue une enquête indépendante : il ne peut [p. 187] être combiné à un voir‑dire relatif à d'autres questions, comme celui de l'admissibilité des déclarations extrajudiciaires du témoin éventuel;
  2. un voir‑dire devrait être bref, mais il est préférable d'entendre toute la preuve pertinente disponible pouvant raisonnablement être prise en considération avant d'empêcher une personne de témoigner. Il ne faut pas conclure trop rapidement à l'inhabilité d'une personne à témoigner;
  3. la source principale de preuve lorsqu'il s'agit de déterminer si une personne est habile à témoigner est la personne elle‑même. Son interrogatoire devrait être autorisé. Pour interroger un adulte ayant une déficience mentale, il faut tenir compte de ses besoins particuliers et prendre les mesures d'adaptation qui s'imposent; les questions devraient être formulées patiemment, de façon claire et simple;
  4. les personnes de l'entourage qui connaissent personnellement le témoin éventuel sont les mieux placées pour comprendre son état quotidien. Elles peuvent être appelées, à titre de témoins des faits, à témoigner sur son développement;
  5. une preuve d'expert peut être produite si elle satisfait aux critères d'admissibilité; on préfère cependant toujours le témoignage d'experts ayant eu un contact personnel et régulier avec le témoin éventuel;
  6. le juge du procès doit répondre à deux questions durant le voir‑dire relatif à l'habilité à témoigner : a) le témoin éventuel comprend-il la nature du serment ou de l'affirmation solennelle, et b) est‑il capable de communiquer les faits dans son témoignage?
  7. pour répondre à la deuxième question relative à la capacité de la personne de communiquer les faits dans son témoignage, le juge du procès doit vérifier de façon générale si la personne est capable de relater des faits concrets en comprenant les questions qui lui sont posées et en y répondant. Il peut être utile de se demander si la personne est en mesure de différencier entre de vraies et de fausses affirmations factuelles de tous les jours;
  8. la personne peut témoigner sous serment ou affirmation solennelle si elle satisfait aux deux volets du critère. Si elle satisfait uniquement au deuxième volet du critère, elle peut témoigner en promettant de dire la vérité.

La Cour suprême du Canada a fait plusieurs déclarations importantes sur le traitement des témoins adultes vulnérables dans le système de la justice pénale, des déclarations qui devraient nous venir immédiatement à l'esprit lorsque nous envisageons la nécessité de prendre des mesures d'accommodement pour ces témoins :

[65]     L'analyse relative à l'interprétation correcte du par. 16(3) de la Loi sur la preuve au Canada ne serait toutefois pas complète sans que soient abordées les considérations de politique générale qui sous‑tendent cette question. Deux principes susceptibles de s'opposer entrent en jeu. Le premier est le besoin social de traduire en justice ceux qui agressent sexuellement des personnes ayant des capacités mentales limitées — un groupe vulnérable trop facilement exploité. Le deuxième est la nécessité de garantir la tenue d'un procès équitable pour l'accusé et de prévenir les déclarations de culpabilité injustifiées.

[66]      La première considération de politique générale va de soi et demande peu de précision. Les personnes ayant une déficience mentale sont des proies faciles pour les agresseurs sexuels. Dans le passé, les victimes d'agressions sexuelles ayant une déficience mentale ont souvent été empêchées de témoigner, non pas parce qu'elles ne pouvaient pas relater ce qui s'était passé, mais parce qu'elles n'étaient pas capables d'exprimer en termes abstraits la différence entre la vérité et le mensonge et la nature de l'obligation qu'impose la promesse de dire la vérité. Comme je l'ai déjà expliqué, ces personnes sont peut‑être capables de dire la vérité et, en fait, de comprendre que lorsqu'elles promettent de dire la vérité, elles doivent dire la vérité. Rejeter leur témoignage au motif qu'elles ne peuvent pas expliquer en termes philosophiques la nature de l'obligation de dire la vérité, ce que même les personnes ayant une intelligence normale peuvent avoir de la difficulté à faire, équivaut à écarter des témoignages fiables et pertinents et à empêcher que soient traduits en justice des auteurs de crimes contre des personnes ayant une déficience mentale.

[67]       L'incapacité d'intenter des poursuites relativement à ces crimes afin que justice soit faite, quelle que soit l'issue de la cause, peut avoir un effet dévastateur pour la famille de la victime, et pour la victime elle-même. Mais le préjudice ne s'arrête pas là. En fixant des critères trop exigeants relativement à l'habilité à témoigner des adultes ayant une déficience mentale, on permet à des contrevenants d'agresser sexuellement ces personnes presque impunément, ce qui compromet l'un des desiderata fondamentaux de la règle de droit, à savoir que la loi doit être susceptible d'application. Ainsi, une catégorie entière de contrevenants se trouvent dégagés de toute responsabilité criminelle relativement à leurs actes et l'on marginalise davantage les victimes déjà vulnérables des prédateurs sexuels. À défaut de véritables possibilités que des poursuites soient intentées, ces victimes sont laissées sans défense face à leurs agresseurs.  [Nous soulignons.]  

8. Résumé

En faisant fond sur la jurisprudence analysée aux fins de la Revue sur la jurisprudence, 2010 (Bala et coll., 2010), nous analysons dans le présent rapport des décisions relatives aux dispositifs d'aide au témoignage de témoins adultes vulnérables rendues du 1er juillet 2009 au 31 décembre 2012. Il semble que les demandes de tels dispositifs pour les adultes vulnérables sont relativement rares, surtout les demandes « discrétionnaires », du moins comparativement aux demandes présentées pour des enfants, bien que les demandes soient généralement accueillies. Les tribunaux supérieurs ont interprété les différentes dispositions législatives de façon généralement favorable, pour ce qui est d'accueillir les demandes et d'éliminer les obstacles inutiles au témoignage en cour. Il semble également que les professionnels du système de justice pénale sont de plus en plus sensibilisés aux déficiences mentales et physiques et à d'autres vulnérabilités (relation entre le témoin et l'accusé, nature de l'infraction, etc.) qui pourraient faire en sorte qu'un témoin éprouve des difficultés à donner un récit complet et franc des faits dans son témoignage. L'un des obstacles résiduels est celui des ressources, c'est-à-dire la disponibilité d'écrans et d'équipement de télévision en circuit fermé et la familiarité de toutes les parties avec les différentes technologies. 

Références