Aperçu de la consommation à des fins non médicales des médicaments sur ordonnance et des questions de justice pénale au Canada

6. Quelles sont les conséquences sur la société de l’augmentation de la consommation à des fins non médicales de médicaments sur ordonnance?

6.1. Introduction

Il existe deux domaines principaux dans lesquels l’occurrence de la consommation de substances psychoactives ou l’augmentation d’une telle consommation a une incidence très forte sur la société : la santé ou le fardeau des maladies (p. ex., la mortalité prématurée, la morbidité et l’invalidité) ainsi que la criminalité liée à la consommation. La criminalité liée à la drogue, à son tour, peut être associée, du point de vue comportemental, avec la consommation de la substance respective ou être associée avec son usage, p. ex., sous la forme des crimes d’approvisionnement (voir ci‑après). Ces deux domaines, ainsi que les coûts ayant trait au lieu de travail ou à la productivité, sont aussi très importants, car ils constituent les facteurs primaires qui déterminent les « incidences » sur les « coûts pour la société » de la consommation des substances. Pour illustrer concrètement cela : Bimbaum et ses collègues (2006) ont procédé à une évaluation des coûts pour la société de la consommation d’OO aux É.‑U. en 2001. Les coûts totaux ont été estimés à 8,6 milliards de dollars, dont 2,6 milliards pour les coûts de soins de santé, 1,4 milliard pour les coûts de justice pénale et 4,6 milliards pour les coûts ayant trait au lieu de travail (leur méthodologie particulière d’analyse des coûts ne comprenait pas les coûts sociaux de la victimisation liée au crime) (Birnbaum et al., 2006). Comme ces coûts ont été estimés pour 2001 et qu’ils reposaient sur une méthodologie prudente, et que les niveaux de consommation d’OOFNM sont plus importants aujourd’hui, on peut supposer que ces coûts sont nettement plus élevés aujourd’hui. Étant donné la rareté ou l’absence de données pertinentes, de données épidémiologiques systématiques ou de données sur les services de santé ou sur la criminalité ayant trait à la consommation des médicaments sur ordonnance à des fins non médicales au Canada, nous n’avons pu présenter de calculs et d’estimations empiriques pour ces incidences potentielles. Cette situation persiste aujourd’hui comme en font foi les lacunes de la version la plus récente de l’étude intitulée « Economic Costs of Substance in Canada » (Rehm et al., 2006), laquelle ne contenait aucune donnée sur les médicaments sur ordonnance à des fins non médicales du fait que les indicateurs de données pertinents n’existaient pas et le tableau des coûts économiques présenté par l’étude serait probablement fort différent s’il y était tenu compte des médicaments sur ordonnance. Le mieux que l’on puisse faire au présent stade est de présenter certaines « conjectures éclairées » sur les questions du point de vue social qui ont trait à la consommation de médicaments sur ordonnance à des fins non médicales, l’examen de ces questions étant soutenu par l’analyse des données limitées actuelles qui proviennent du Canada et des autres pays (p. ex., les É.‑U.).

6.2. La santé

6.2.1. La morbidité

Il existe plusieurs catégories importantes d’impacts sur la santé, consécutifs à la consommation des OOFNM, pour lesquels on dispose de données au fil du temps, soit les données sur les admissions à des programmes de désintoxication ayant trait à la consommation d’OO, ainsi que celles sur les admissions ayant trait à la consommation d’OO dans les salles d’urgence. Les deux indicateurs – dans le contexte de la consommation croissante d’OO à des fins médicales et d’OOFNM aux É.‑U. – ont nettement augmenté depuis les années 1990 (Fischer et al., 2008b). Par exemple, dans la période de 1997 à 2002, les visites dans les salles d’urgence ayant trait aux OO aux É.‑U. ont augmenté de 120 %, soit à un taux beaucoup plus élevé que les visites dans les salles d’urgence ayant trait à l’alcool ou aux drogues illégales (Gilson et al., 2004). De nouvelles augmentations ont été notées pour la période de 2004 à 2006, années pendant lesquelles les admissions ayant trait aux OO dans les salles d’urgence ont augmenté de 172 726 à 247 669, soit de 43 % dans une période de deux ans (ces chiffres reposent sur une méthodologie différente de celle utilisée pour la période précédente et ils ne sont donc pas entièrement comparables (Substance Abuse et Mental Health Administration (SAMHSA), 2008a). Au Canada, on ne dispose d’aucune donnée sur les admissions dans les salles d’urgence, car de telles données ne sont pas recueillies régulièrement ou systématiquement. Certaines données sur les admissions à des programmes de traitement relatifs à la consommation d’OO sont récemment devenues disponibles. En Ontario, la province la plus populeuse du Canada, le DASIT recueille des données de presque tous les organismes, services et programmes de désintoxication financés par des fonds publics dans la province. Les données les plus récentes indiquent que les admissions ayant trait aux OO dans les organismes de désintoxication financés par des fonds publics en Ontario ont approximativement doublé dans la période de 2004‑2005 à 2008‑2009 (les exercices financiers), soit dans une période de 5 ans, seulement. Plus précisément, les admissions à des traitements relatifs à la consommation d’OO ont augmenté au total de 60 %; la proportion des admissions aux programmes de traitement ayant trait aux OO par rapport à la totalité des admissions à des programmes de traitement a augmenté de 9,4 % à 15,7 % durant la période ((Fischer et al., 2009c) soumis au JAMC). Ces données suivent des tendances encore plus prononcées aux É.‑U., où les admissions à des programmes de désintoxication ayant trait aux OO – selon la base de données nationale intitulée « Treatment Episode Data Set » – ont augmenté de 16 605, en 1997, à 74 750, en 2007, ce qui constitue un quadruplement dans environ une décennie (Department of Health and Human Services, 2009). Les augmentations du nombre de personnes admises à des traitements ayant trait aux OO qui ont été consignées pour l’Ontario sont probablement des sous-estimations, puisque le DASIT ne tient pas compte des admissions aux programmes de traitement d’entretien (p. ex., à la méthadone ou à la buprénorphine) relativement à la consommation d’opioïdes, programmes qui constituent une forme normale de traitement pour toute forme de dépendance aux opioïdes ((Fischer et al., 2009c) soumis au JAMC). En fait, ces dernières années, en Ontario, les programmes locaux de traitement d’entretien à la méthadone ainsi que les programmes de désintoxication ayant trait aux opioïdes ont noté de nettes augmentations des admissions ayant trait aux problèmes de consommation d’OO. Par exemple, dans un échantillon de 178 personnes admises à des programmes de traitement d’entretien à la méthadone au CAMH (Toronto) entre 1997 et 1999, 83 % des personnes admises ont déclaré consommer soit des OO uniquement, soit des OO en combinaison avec de l’héroïne (Brands et al., 2004). Pour les 571 personnes admises au programme de désintoxication ayant trait aux opioïdes entre 2000 et 2004 au CAMH, la proportion annuelle de la consommation déclarée d’Oxycontin a augmenté de 3,8 %, en 2000, à 55,4 %, en 2004 (Sproule et al., 2009). Évidemment, toute forme de morbidité (p. ex., la dépendance) ayant trait à la consommation à des fins non médicales de médicaments sur ordonnance peut conduire à des pertes de productivité sociale ou économique (p. ex., en conséquence d’une invalidité à court ou à long terme et de l’incapacité de travailler) et conduire ainsi – d’une manière semblable à ce qui se produit pour la consommation abusive de drogue et d’alcool – à des impacts sociaux négatifs (voir Birnbaum et al., 2006; Wall et al., 2000; Rehm et al., 2006). Cependant, nous ne disposons, pour le Canada, d’aucune donnée qui permettrait d’estimer de façon même très lointaine de tels impacts potentiels d’une manière complète.

6.2.2. La mortalité

Plusieurs études provenant des É.‑U. font état de la nette augmentation des décès accidentels par empoisonnement (soit, des décès par surdose) liés à la consommation d’OO au cours des dernières années. Selon une étude pionnière de Paulozzi et al., les décès accidentels par empoisonnement liés aux OO aux É.‑U. ont augmenté à un taux de 91,2 % entre 1999 et 2002, c’est‑à‑dire qu’ils ont doublé dans une période de seulement 3 ans jusqu’à un total de 5 528 décès causés par les OO en 2002 (Paulozzi et al., 2006). De plus, en 2002, le nombre déclaré de décès accidentels liés aux OO a excédé celui des décès accidentels liés à l’héroïne ou à la cocaïne, soit les deux principales drogues illicites associées à des conséquences de mortalité (Paulozzi et al., 2006). Plusieurs études des É.‑U. font en outre état de fortes augmentations des décès liés aux OO aux niveaux locaux et régionaux (p. ex., au niveau des États) (p. ex., en Virginie‑Occidentale, voir (Paulozzi et al., 2009)). Au Canada, on en sait beaucoup moins sur l’évolution de la situation en ce qui a trait à la mortalité liée aux OO. Ces lacunes dans les données s’expliquent en partie par le fait que le Canada ne dispose pas d’une base de données centrale sur les décès accidentels liés à la consommation de médicaments psychoactifs et qu’il n’existe aucun dépôt national de données pertinentes, car ces données relèvent de la compétence des services des coroners provinciaux. D’autres problèmes méthodologiques et pratiques proviennent du fait que les normes de classification et d’analyse ainsi que les procédures de gestion des données (p. ex., l’utilisation de dossiers électroniques plutôt que de papier) des coroners provinciaux diffèrent beaucoup et que bon nombre d’instances ne séparent pas automatiquement les décès liés à la consommation d’OO de ceux liés à la consommation d’autres substances. Quoiqu’on ne dispose pas de données systématiques sur la mortalité liée aux OO au Canada, on dispose de certaines informations locales et sporadiques ou préliminaires, qui semblent au moins indiquer que les décès liés à la consommation d’OO jouent un rôle non négligeable et probablement d’importance croissante dans la mortalité liée à la consommation de substances psychoactives. Une analyse récente de Dhalla et ses collègues donne à penser que les taux de mortalité liés à la consommation d’OO dans la population de l’Ontario ont presque doublé, passant de 14 par million de résidents en 1991, à 27 par million de résidents en 2004 (Dhalla et al., 2009). Également en Ontario, on rapporte que l’Oxycontin a joué un rôle dans un total de 464 décès liés à la drogue dans la période de 2004 à 2008, ce qui représente une proportion approximative de 20 à 25 % de tous les décès liés à la drogue consignés par le bureau du coroner provincial durant cette période – et ce qui constitue une mortalité totale approximative dix fois plus élevée que le nombre de décès liés à l’héroïne (Silversides, 2009). Une évaluation préliminaire des données limitées récentes sur les surdoses liées aux drogues, provenant de provinces choisies (p. ex., la C.‑B. et le Québec) donne à penser qu’il est même possible que les OO jouent un rôle dans 30 à 40 % des décès liés à la drogue dans ces provinces. Une étude de Martin et al. a examiné 112 cas de décès par surdose de fentanyl ayant eu lieu dans la province de l’Ontario entre 2002 et 2004; ces cas représentaient à eux seuls une proportion de ~8 % de tous les décès par surdose de drogue s’étant produit en Ontario durant cette période (Martin et al., 2006).

6.3. Le crime

Une autre considération clé en ce qui concerne l’impact sur la société de la consommation à des fins non médicales des médicaments sur ordonnance est l’impact éventuel sur la criminalité et le fardeau qui s’ensuit pour le système de justice pénale. En particulier en ce qui a trait aux coûts sociaux liés à la toxicomanie, les impacts ayant trait à la criminalité et au système de justice pénale sont très pertinents, puisqu’ils sont généralement responsables de la part du lion – soit, jusqu’à 80 % – des coûts sociaux liés à la toxicomanie, surtout du fait que les ressources pour les victimes éventuelles et pour le système de justice pénale (p. ex., les ressources pour l’application de la loi et le système correctionnel) sont extrêmement dispendieuses comparativement aux autres sources de coûts potentiels (Wall et al., 2000; Fischer, 2003).

Quoiqu’il n’existe actuellement aucune évaluation empirique spécifique des impacts de la consommation à des fins non médicales de médicaments sur ordonnance sur le crime et le système de justice pénale au Canada, nous présenterons un certain nombre de considérations clés relativement à la nature potentielle et à l’ampleur de tels impacts et nous illustrerons ces considérations au moyen de données empiriques correspondantes lorsque cela sera possible. En tout premier lieu, selon le modèle tripartite de Paul Goldstein sur les catégories fondamentales de crimes liés aux drogues, il existe trois catégories fondamentales de formes de crimes liées à la toxicomanie : a) la criminalité pharmacologique/comportementale (p. ex., la criminalité résultant des effets sur le comportement de la pharmacologie des substances consommées, p. ex., la violence interpersonnelle), 2) les crimes d’acquisition (p. ex., les crimes perpétrés aux fins d’obtenir des drogues, soit par l’achat illégal ou le trafic, ou les crimes commis pour obtenir les fonds ou les ressources nécessaires pour obtenir les drogues), 3) la violence systémique (p. ex., les crimes liés à la distribution illégale et aux marchés des drogues (Goldstein, 1985). Comme les OO de même que les benzodiazépines sont des médicaments de la catégorie des narcotiques et des sédatifs et qu’ils ne produisent pas d’effets de stimulation et d’agressivité, les effets potentiels de type pharmacologique ou comportemental, p. ex., sous la forme de violence – contrairement aux effets de cette sorte qui sont bien documentés pour l’alcool ou la cocaïne et le crack – sont probablement négligeables et nous n’en traiterons pas davantage ici (Brands et al., 1998).

La pertinence de l’analyse de l’impact sur la criminalité liée à la consommation à des fins non médicales de médicaments sur ordonnance est probablement applicable à la seconde catégorie de crimes éventuels, soit les crimes d’acquisition. Plusieurs considérations distinctes et prudentes sont nécessaires ici. En tout premier lieu, étant donné des augmentations éventuelles de la consommation à des fins non médicales de médicaments sur ordonnance dans la population en général (soit, une population non marginalisée), il est tout à fait possible que de telles augmentations donnent lieu à des augmentations considérables des crimes d’acquisition connexes, puisque ces médicaments sont consommés à des fins non médicales et qu’ils doivent donc être obtenus illégalement. Illustrons ce point : l’équivalent du taux des consommateurs d’OOFNM relativement à la population aux É.‑U. (5,0 %) se traduirait par environ >1 million de consommateurs canadiens d’OOFNM, ce qui impliquerait un nombre important de crimes liés aux OO. Quoique la plupart des consommateurs d’autres drogues illégales qu’il est impossible de fabriquer à la maison ou que le consommateur ne peut fabriquer lui‑même (alors que cela est possible, par exemple, pour le cannabis) sont fréquemment impliqués dans les crimes courants d’acquisition, lesquels visent surtout à s’approvisionner en drogues, une considération importante est que les voies d’approvisionnement et les sources des médicaments sur ordonnance consommés à des fins non médicales sont différentes de celles d’autres drogues illégales et hétérogènes par rapport à celles-ci, même si ces voies et sources n’ont pas été déterminées avec tous les détails nécessaires au Canada (Fischer et al., 2008b; Inciardi et al., 2007; Fischer et al., 2009a). Comme cela est montré dans la partie 3, la majorité des consommateurs de médicaments sur ordonnance à des fins non médicales aux É.‑U. déclarent obtenir principalement leurs médicaments de manière informelle par l’intermédiaire de la famille ou d’amis et, par conséquent, cela ne nécessite aucun crime lié à la drogue comme on l’entend habituellement (voir p. ex. (McCabe et Boyd, 2005; Inciardi et al., 2007; Gilson et al., 2004)). Selon certaines données provenant des É.‑U. ou d’ailleurs, une importante proportion des médicaments sur ordonnance consommés à des fins non médicales sont obtenus au moyen des méthodes suivantes : « l’obtention d’ordonnances multiples » comme il est convenu d’appeler cette méthode (soit, la présentation de problèmes de santé faux ou réels à divers fournisseurs de soins médicaux ou à des pharmacies) pour obtenir des ordonnances multiples; la contrefaçon d’ordonnances ou la fraude; les vols de pharmacie; les vols de produits pharmaceutiques; les entrées par effraction ou les cambriolages de maisons dans lesquelles des médicaments sur ordonnance sont détenus par des patients légitimes (Inciardi et al., 2007; Hurwitz, 2005; Martyres et al., 2004; Inciardi et al., 2009). Les répondants à l’enquête canadienne OPICAN sur les consommateurs habituels d’opioïdes illicites ont déclaré qu’ils obtenaient leurs médicaments de revendeurs ainsi que de médecins, les personnes qui consommaient surtout des OO déclarant dans une plus grande proportion [traduction] « avoir un docteur habituel » et donnant ainsi à penser qu’ils avaient potentiellement un meilleur accès aux OO au moyen de l’approvisionnement médical (Fischer et al., 2009a). Dans une étude canadienne plus ancienne sur les toxicomanes en traitement, 39 % des répondants ont déclaré qu’ils obtenaient leurs médicaments de plus d’un médecin et, donc, qu’ils avaient utilisé la méthode de l’obtention de multiples ordonnances (Goldman, 2002). De plus, une proportion importante des médicaments sur ordonnance – consommées ou non à des fins médicales – peuvent être obtenus au moyen de ventes dans l’Internet, lesquelles ne constituent pas non plus des actes criminels liés à la drogue, comme on l’entend habituellement (Forman, 2006; Inciardi et al., 2007). Pourtant, il ressort de certaines études faites aux É.‑U. de même que des travaux de recherche limités menés au Canada que des médicaments sur ordonnance sont offerts dans les marchés noirs au Canada et que des activités commerciales portant sur des produits de médicaments sur ordonnance existent manifestement au Canada. Il y a plus d’une décennie, Sajan et ses collègues ont démontré, dans une étude portant sur les marchés de drogues de la rue, que les médicaments sur ordonnance, notamment les OO et les benzodiazépines, étaient facilement disponibles dans les marchés de drogues de la rue à Vancouver (Sajan et al., 1998). Dans une étude récente portant sur deux sites, menée à Toronto et à Victoria, Fisher et al. ont conclu que les OO étaient disponibles dans les marchés de drogues de la rue, mais qu’on pouvait couramment se les procurer auprès de revendeurs autres que ceux offrant des drogues illicites et qu’ils étaient vendus au moyen de mécanismes de vente ou de commerce différents (Fisher et al., 2009a). Quoique les récents rapports de la GRC intitulés « Rapports sur la situation des drogues illicites » ne traitent que de manière très incidente de la disponibilité sur le plan national des médicaments sur ordonnance ici étudiés ainsi que des activités commerciales ayant trait à ces drogues sur les marchés noirs (soit, en en traitant sous la catégorie des « autres drogues »; (Renseignements criminels de la GRC, 2008)), l’ampleur des crimes liés aux médicaments sur ordonnance, en particulier en ce qui a trait à la consommation de ces médicaments dans la population en général, n’est nullement suffisamment évaluée pour permettre une forme quelconque de quantification, mais on devrait considérer comme un objectif prioritaire de la recherche d’évaluer cette importance.

Outre la consommation éventuelle de médicaments sur ordonnance à des fins non médicales dans la population en général, certaines considérations spécifiques doivent porter sur les populations de consommateurs de drogues de la rue, pour lesquelles il a été noté que la consommation de médicaments sur ordonnance à des fins non médicales était élevée et croissante. L’étude canadienne OPICAN menée dans plusieurs villes a évalué un échantillon de n = 671 consommateurs habituels d’opioïdes illicites (héroïne et OO) et d’autres drogues (Fisher et al., 2005; Fischer et al., 2006b)). Quoique la majorité des personnes de l’échantillon aient commis des crimes (surtout des crimes contre les biens) dans le but de gagner un revenu, une analyse des déterminants de l’implication dans des crimes contre les biens de l’échantillon étudié, évaluée à la valeur de référence, n’a pas donné lieu à la conclusion que l’implication dans la consommation d’OOFNM constituait un prédicteur significatif de niveaux distincts d’implication dans les crimes contre les biens, même s’il est important de noter que la présente analyse n’a pas examiné des sous-échantillons clairement définis selon la consommation de drogues spécifiques, mais elle prenait principalement en compte les répondants présentant des profils de consommation simultanée ou en chevauchement (Manzoni et al., 2006). Une analyse plus récente et détaillée de l’échantillon de suivi de la cohorte de l’étude canadienne OPICAN, qui faisait la distinction entre les consommateurs d’héroïne uniquement, d’OO uniquement et d’une combinaison d’héroïne et d’OO, a conclu que les consommateurs d’OO uniquement présentaient une prévalence de revenus tirés d’un travail légal rémunéré nettement plus élevée que les deux autres catégories de consommateurs (bien que l’analyse n’ait pas traité spécifiquement de l’implication dans les crimes liés à la drogue (Fisher et al., 2008a). Ces conclusions reprennent ce qui a été documenté dans plusieurs études américaines récentes sur les consommateurs d’OO, soit que les personnes qui consomment surtout des médicaments sur ordonnance – p. ex., des OO – dans les populations de consommateurs de drogues de la rue semblent être mieux intégrées socialement (p. ex., moins susceptibles d’être sans domicile ou plus susceptibles de tirer des revenus d’un emploi légal) et moins impliquées dans des crimes (p. ex., en ce qui a trait aux crimes contre les biens, au travail sexuel pour gagner un revenu ou au trafic de drogue) que – par exemple – les consommateurs de drogues de la rue consistant surtout en héroïne ou en cocaïne et en crack (Rosenblum et al., 2007; Davis et Johnson, 2008; Sigmon, 2006; Surratt et al., 2006; Miller et al., 2004). Ces observations tendent à démontrer que les personnes qui consomment principalement des médicaments sur ordonnance obtenus dans la rue constituent une population de consommateurs d’opioïdes illégaux quelque peu différente – mieux socialement intégrée et moins criminogène – dans laquelle les profils prédominants de consommation de médicaments sur ordonnance peuvent réduire la probabilité ou la nécessité d’une implication dans la criminalité. Plus précisément, il est tout à fait possible que les voies disponibles différentes pour obtenir des médicaments sur ordonnance (p. ex., l’obtention de multiples ordonnances, les échanges de médicaments sur ordonnance) puissent diminuer l’ampleur de l’implication dans des crimes contre les biens, ayant trait à l’acquisition de drogues (Fischer et al., 2009a). Une fois encore, ces détails n’ont nullement été évalués de manière empirique et systématique au Canada, même si cela doit être considéré comme un objectif prioritaire urgent de la recherche.

Un autre aspect important des « méfaits sur le plan social » liés à la consommation à des fins non médicales des médicaments sur ordonnance est l’ensemble des coûts éventuellement engendrés pour le système médical ainsi que pour les régimes d’assurance médicament privés (assurances) ou publics. En 2007, les dépenses totales pour les médicaments sur ordonnance au Canada se sont élevées à 485 millions de dollars pour les OO, et à 247 millions de dollars pour les benzodiazépines (Morgan et al. 2008). Quoique les dépenses pour les benzodiazépines soient demeurées relativement stables depuis 1998, les dépenses pour les OO ont approximativement doublé durant cette période (Morgan et al., 2008). Actuellement, la question n’est nullement claire de savoir quelles proportions de ces médicaments ont été administrées ou ont été finalement consommées à des fins non médicales. Même si seulement 1 % – probablement une sous‑estimation – de la quantité déclarée totale des médicaments a été administrée ou obtenue pour faciliter leur consommation à des fins non médicales, les incidences négatives sur le plan économique pour les régimes d’assurance médicament privés ou publics seraient déjà de plusieurs millions de dollars.

Actuellement, au Canada, peu de données, ou aucune, ne sont disponibles pour déterminer si les médicaments sur ordonnance jouent un rôle dans les activités du crime organisé (les « gangs ») ayant trait aux drogues et à la violence qui y est liée (p. ex., les tirs d’arme à feu) et d’autres méfaits au Canada; de telles données existent pour l’héroïne, la cocaïne ou le cannabis.

7. Quelles questions stratégiques en matière de justice pénale la consommation à des fins non médicales de médicaments sur ordonnance pose-t-elle?

Plusieurs questions clés doivent être considérées en ce qui a trait aux politiques de justice pénale relatives à la consommation à des fins non médicales des médicaments sur ordonnance, questions qui sont particulièrement importantes et cruciales dans le climat actuel où le domaine de la consommation à des fins non médicales des médicaments sur ordonnance se trouve dans les premiers stades de l’élaboration de politiques ou de la formulation, durant lesquels les meilleures politiques possibles devraient être élaborées et les mauvaises, évitées. Les points qui seront discutés ci-après ne seront pas présentés dans un ordre particulier.

Premièrement, soit sur la base de modifications aux lois applicables pour le contrôle des drogues (p. ex., LRCDAS/LAD), soit sur celle d’un nouveau ciblage ou d’une réorientation des ressources et de la pratique de l’application des lois existantes (en matière de drogues), des tentatives pourraient être faites pour s’attaquer au problème actuellement grandissant de la consommation à des fins non médicales de médicaments sur ordonnance au moyen de mesures d’application de la loi actives et renforcées. Il ressort des données statistiques disponibles que relativement peu d’incidents de consommation à des fins non médicales de médicaments sur ordonnance donnent lieu à des mesures d’application de la loi en vertu des lois actuelles en matière de drogue. Seulement environ 15 % du total de 100 675 infractions en matière de drogues qui ont été rapportées par la police en 2007 au Canada concernaient les « autres drogues », la moitié environ de celles-ci étant des infractions de possession, quoique cette catégorie générale, outre qu’elle comprenait éventuellement les OO, portait sur des drogues comme les méthamphétamines, le LSD, l’ecstasy, etc. (les données ne comportent pas de détails sur les mesures d’application de la loi ayant trait aux OO; (Dauvergne, 2009)). Notamment, il convient de penser que, au vu des estimations actuelles de la prévalence de la consommation à des fins non médicales des médicaments sur ordonnance, un grand nombre de personnes dans la population générale canadienne, et encore plus d’incidents réels de consommation à des fins non médicales, pourraient – en théorie – faire l’objet de mesures d’application de la loi pénale en matière de drogue en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (LRCDAS) pour la possession de drogues ayant trait à la consommation abusive de médicaments sur ordonnance qui ne leur appartiennent pas ou qui ne sont pas consommés aux fins médicales prescrites. Pour être plus précis, si on applique les taux de la population générale des É.‑U., quelque >1 million d’adultes canadiens et environ un étudiant des écoles secondaires sur cinq selon les sondages seraient des consommateurs actifs d’OOFNM et pourraient donc faire l’objet de poursuites criminelles pour possession illégale. En même temps, de nombreuses infractions ont lieu lors de l’obtention des médicaments sur ordonnance – qui ne tombent pas sous le coup de lois criminelles formelles, comme les cambriolages, les vols, les contrefaçons d’ordonnances, etc. – qui sont perpétrées en vue de la consommation à des fins non médicales et qui pourraient être perçues et interprétées en vertu de la législation actuelle sur le contrôle des drogues comme constituant des actes de commerce ou de trafic illégaux du point de vue de l’application de la loi et donner lieu par conséquent, de manière stricte, à des poursuites et des peines au niveau pénal.

Rien de cela ne semble recommandable comme mesures ou objectifs prioritaires, sur le fondement de plusieurs sortes d’observations et de renseignements. Premièrement, la plus grande partie de la consommation à des fins non médicales des médicaments sur ordonnance, ainsi que les formes prédominantes des pratiques d’approvisionnement des consommateurs de médicaments à des fins non médicales, soit l’approvisionnement informel auprès des amis et de la famille, l’approvisionnement par l’utilisation de fournitures médicales en trop, etc. (voir ci-dessus) ne peuvent probablement pas – sauf pour les populations marginalisées, p. ex., les populations de la rue ou les incidents de consommation/approvisionnement se produisant dans les endroits publics – faire l’objet de mesures de façon réaliste, équitable ou efficace. Deuxièmement, au stade actuel, il existe peu ou pas de données exhaustives disponibles – en particulier pour le Canada – pour évaluer la proportion réelle de la consommation prétendument « à des fins non médicales » qui n’est pas sous une forme liée à des états pathologiques ou à des problèmes de santé (p. ex., sous la forme d’automédication dans le contexte de soins inadéquats, interrompus, inabordables ou inaccessibles pour la douleur, etc. (Fischer et al., 2008b)) et qui en réalité satisferait fort probablement au critère fondamental pour l’abus « criminel » de médicaments. Par exemple, dans une enquête représentative de la population des É.‑U., Novak et al. sont parvenus à la conclusion qu’il existait une association significative entre la consommation d’OOFNM, régulière de même qu’incidente, et la présence de la douleur physique et de symptômes de troubles psychiatriques (Novak et al., 2009). Dans un échantillon d’adolescents dépendants consommateurs d’OOFNM évalués dans un centre de traitement à Baltimore, plus de 75 % présentaient un trouble de l’axe 1, la moitié souffrant de 2 troubles ou plus et 68 % présentant des antécédents de traitements psychiatriques (Subramaniam et Stitzer, 2009). Cette dynamique – soit, la possibilité que, de par sa nature, la prise de mesures d’application de la loi relativement à la consommation de substances illicites soit remise en question comme constituant un crime contre des gens qui sont gravement malades, c’est‑à‑dire qui consomment probablement des substances illicites en raison de leur dépendance ou de besoins d’automédication (voir aussi (Fischer et al., 2005; Fischer et al., 2008b; Khantzian, 1997) – est bien entendu présente dans les débats actuels sur le contrôle des drogues illicites et n’est ainsi pas nouvelle lorsqu’on l’applique à la question de savoir quelles mesures et approches seraient appropriées en ce qui a trait au contrôle des médicaments sur ordonnance.

Cependant, le domaine du contrôle des médicaments sur ordonnance – en particulier du point de vue de la justice criminelle – en est à une première étape de formulation de politiques et, par conséquent, est dans un état où il est, dans une grande mesure, encore possible d’éviter des erreurs ou des orientations contreproductives à cet égard. Deuxièmement, comme les personnes qui consomment actuellement des médicaments sur ordonnance à des fins non médicales au Canada sont souvent des jeunes, la criminalisation éventuelle de ces personnes pourrait faire plus de mal que de bien, p. ex., par la stigmatisation ou l’étiquetage de ces personnes comme des criminels, par la déviance secondaire, par l’abolition de possibilités sociales, professionnelles et éducatives, etc., ce qui pourrait être beaucoup plus grave que les avantages réellement obtenus grâce à de telles mesures d’application de la loi aux consommateurs (Fischer et al., 1998; Lenton et Heale, 2000; Lenton et al., 2000). Ces effets ont été très bien étudiés pour d’autres groupes de consommateurs de substances psychoactives (p. ex., les consommateurs de cannabis) qui font actuellement l’objet de mesures d’application de la loi et pour lesquels – dans l’intérêt de politiques sensées, saines et orientées vers la santé publique – la non-application de la loi ou l’élimination de la criminalisation des consommateurs actifs a été maintes fois et péremptoirement recommandée (voir p. ex. (Room et al., 2008)).

D’autres considérations connexes sont que le fait éventuel de se concentrer de manière plus soutenue sur les mesures d’application de la loi en ce qui a trait aux sources d’approvisionnement des médicaments sur ordonnance consommés à des fins non médicales pourrait éventuellement intensifier les dynamiques du marché noir et avoir des conséquences connexes non voulues. En particulier, si les mesures d’application de la loi relatives aux médicaments sur ordonnance (voir le « Rapport sur la situation des drogues illicites de la GRC »; (Renseignements criminels de la GRC, 2008)), qui sont actuellement faibles, étaient renforcées, les médicaments en cause pourraient être vendues ou négociées plus activement dans le contexte des marchés noirs (soit, par des revendeurs professionnels, ce qui augmenterait éventuellement l’implication du crime organisé) aux prix croissants du marché noir et – dans l’hypothèse où la demande et la consommation de médicaments à des fins non médicales demeureraient constantes – conduirait éventuellement à l’augmentation des niveaux et de la gravité des crimes d’acquisition commis par les consommateurs de médicaments à des fins non médicales et des crimes d’offre correspondants commis par les trafiquants, les revendeurs, etc. Ces effets conjecturaux à l’intérieur des scénarios décrits sont des dynamiques qui ont été bien étudiées relativement à d’autres domaines de la consommation de substances psychoactives, dont récemment sous diverses formes dans le contexte de la consommation d’alcool, de tabac, de cannabis et de khat (MacCoun et Reuter, 2001; Babor et al., 2003; Room et al., 2008; Joossens et Raw, 2000; Beare, 2002).

Une dernière considération a trait aux réalités et aux profils actuels des sources des médicaments sur ordonnance – à des fins médicales ou non – dans un Canada mondialisé au vingt-et-unième siècle. Quoique les estimations spécifiques varient, il est incontestable qu’une quantité importante de l’offre actuelle de médicaments sur ordonnance – les catégories de médicaments spécifiques dont il est question dans le présent document étant au sommet de la liste – est achetée ou obtenue au moyen de l’Internet (Inciardi et al., 2007; Joranson et Gilson, 2006; Fischer et al., 2008b; Nielsen et Barratt, 2009; Compton et Volkow, 2006). Par exemple, Foreman et al. (2006) ont constaté que le Vicodin était disponible sans ordonnance dans environ la moitié des 100 plus importants sites Internet qui offrent des médicaments sur ordonnance (voir aussi (Forman, 2006)). Littlejohn et ses collègues ont constaté qu’il était facile d’acheter des médicaments sur ordonnance dans l’Internet, mais ils ont fait remarquer que cet accès favorisait encore les individus appartenant aux couches socioéconomiques les plus élevées, qui jouissent d’un plus grand accès à l’Internet (Littlejohn et al., 2005). Dans une étude du CASA menée en 2007, un total de 210 heures ont été consacrées à répertorier le nombre de sites Internet offrant des médicaments sur ordonnance choisis. À l’aide de moteurs de recherche et d’annonces par courriel, les chercheurs ont découvert que sur les 187 sites Internet identifiés comme vendant durant cette période des médicaments contrôlés vendus sur ordonnance, 157 (84 %) ne requéraient aucune ordonnance. Cinquante-deux de ces sites (33 %) déclaraient clairement qu’aucune ordonnance n’était nécessaire, 83 (53 %) offraient une [traduction] « consultation en ligne » et 22 (14 %) ne faisaient aucune mention d’une ordonnance (Beau Dietl et Associates, 2006). Parallèlement, certaines études américaines dans lesquelles il était demandé aux consommateurs d’OOFNM des renseignements sur leurs sources d’approvisionnement sont parvenues à la conclusion que les ventes par Internet jouaient encore un rôle relativement mineur ou secondaire comme source d’approvisionnement (Cicero et al., 2008b; Inciardi et al., 2007).Il est probable que l’importance de ce rôle de l’Internet ira en augmentant de manière constante, plutôt qu’en diminuant, dans les années à venir. Quoique la problématique et les défis que posent l’administration et l’application des lois en ce qui a trait à l’Internet aient été bien analysés ailleurs (p. ex., (Jerian, 2006)), il suffira ici de dire que l’Internet comme source d’approvisionnement des médicaments sur ordonnance consommés à des fins non médicales pose et continuera à poser de grandes difficultés, dans le meilleur des cas, étant donné les moyens disponibles d’application de la loi pénale. Des efforts importants sont actuellement faits pour contrôler ou diminuer cette forme de commerce « virtuel » de médicaments, mais il est improbable que ces efforts modifient de manière significative la quantité de médicaments sur ordonnance qu’il est possible d’obtenir par ces canaux pour ceux qui ont accès à un ordinateur, à l’Internet et à une carte de crédit (soit, la majorité des Canadiens).

Un élément clé dans le débat plus large sur les politiques portant sur les mécanismes éventuels de contrôle, législatifs et réglementaires, ayant trait à la consommation à des fins non médicales des médicaments sur ordonnance concerne le contrôle plus étroit des fournisseurs de soins médicaux et de médicaments (soit, les médecins et les pharmaciens), p. ex., au moyen de l’examen ou de la vérification plus stricte de la conformité aux exigences relatives au contrôle des drogues, à l’émission des ordonnances, à l’administration des médicaments et à la reddition de compte, ainsi que de divers modèles ou variations de « programmes de surveillance des ordonnances » (PSO). Les PSO sont des mécanismes par lesquels – soit au moyen des documents papier relatifs aux ordonnances ou à l’administration des médicaments, soit au moyen des programmes d’entrée ou de surveillance de données électroniques – des données sont recueillies relativement aux activités de prescription et d’administration de médicaments sur ordonnance choisis, des médecins et des pharmaciens, ainsi que relativement au moment et aux quantités des médicaments respectifs prescrits ou administrés à des patients individuels. L’utilisation des PSO – en théorie – permet d’empêcher, de détecter ou de réprimer les prescriptions ou administrations irrégulières de médicaments par les professionnels de la santé (p. ex., la prescription excessive de médicaments) ou les comportements déviants de patients (p. ex., l’obtention d’ordonnances multiples). Au Canada, des PSO ou, selon le nom qui leur est donné, des « programmes d’ordonnances en trois exemplaires » sont en place dans certaines provinces, bien que – en raison de la responsabilité première et relativement indépendante des provinces en ce qui concerne la prestation de soins de santé – ils soient conçus et mis en application de manière assez incohérente (El-Aneed et al., 2009; College of Physicians et Surgeons of Alberta: 2004).

Également, au vu du fait crucial que les médicaments sur ordonnance dont il est question ici sont d’abord et avant tout des produits médicaux ou pharmaceutiques mis au point pour être utilisés dans des domaines clés des soins médicaux (p. ex., la douleur, la santé mentale, les troubles du sommeil), il existe, en ce qui a trait aux mécanismes de contrôle mentionnés précédemment, d’importantes considérations théoriques et des expériences empiriques documentées, qui sont d’un grand intérêt en vue de l’élaboration de politiques sensées. De manière très spécifique, un défi crucial est de choisir, de définir  et d’élaborer des mécanismes de contrôle (p. ex., des PSO – voir également ci-après) qui soient efficaces pour empêcher la consommation à des fins non médicales de médicaments sur ordonnance ou des dommages connexes, tout en évitant les formes éventuelles de « dommages collatéraux » dans les domaines des soins médicaux dans lesquels les médicaments sur ordonnance dont il est question ici sont requis et utilisés dans l’intérêt des soins à donner au patient et de la santé publique et individuelle (Joranson et al., 2002; Joranson et Gilson, 2006; Simoni-Wastila, 2001; Simoni-Wastila et al., 2004a; Brushwood, 2003; Fischer et al., 2008c; Fishman, 2006; Hurwitz, 2005).

Des expériences empiriques à cet égard pertinentes ont été faites, principalement aux É.‑U. En général, – même si les É.‑U. sont de loin le pays qui présente le plus haut taux de consommation d’OO à des fins médicales au monde – on reconnaît généralement que le phénomène de l’« opiophobie » a, depuis des décennies, nui et fait obstacle à une efficacité suffisante ainsi qu’à la disponibilité et à l’accessibilité des soins administrés contre la douleur aux É.‑U. (et que cela continue ailleurs dans le monde, reconnaissant également que les données montrent de manière incontestable que les soins prodigués contre la douleur dans la plupart des régions du monde sont insuffisants, ce qui est lamentable et inhumain). L’« opiophobie » a fait obstacle à l’administration de soins adéquats contre la douleur aux É.‑U. et ailleurs depuis les débuts du XXe siècle, lorsque l’accoutumance aux formes originelles d’opioïdes (p. ex., la morphine) est devenue largement prévalente et a conduit à la surveillance et aux contrôles légaux restrictifs – et punitifs – des opioïdes (qui diffèrent de ceux relatifs à la plupart des autres formes de produits pharmaceutiques) (Morgan, 1985; Bennett et Carr, 2001; Rhodin, 2006). Les rapports qui faisaient état des propriétés toxicomanogènes des opioïdes de même que les contrôles législatifs stricts et punitifs relatifs aux médicaments sur ordonnance contenant des opioïdes ont créé, jusqu’à nos jours, chez les fournisseurs de soins médicaux, une mythologie ou une culture de peur (« phobie ») concernant la consommation éventuelle de ces médicaments pour les soins médicaux, ce qui a eu pour effet de faire obstacle à l’administration de soins médicaux et de santé adéquats, accessibles et efficaces reposant sur ces médicaments (ibidem). Il faut reconnaître l’« opiophobie » et y faire obstacle, notamment au moyen de la formation et de l’éducation des médecins, et reconnaître également qu’il est nécessaire d’en tenir compte comme d’un élément crucial dans les interventions éventuelles visant à s’attaquer au problème de la consommation à des fins non médicales des médicaments sur ordonnance et du détournement de ces médicaments.

L’un des principaux outils mis au point aux É.‑U. pour contrôler la consommation à des fins non médicales des produits pharmaceutiques psychoactifs sont les programmes appelés programmes de surveillance des ordonnances (PSO). Le premier PSO a été établi dans l’État de New York dans les années 1910 et des PSO sont aujourd’hui en place dans environ les deux tiers des États américains (Office of Diversion Control, 2008). L’objectif primordial des PSO est essentiellement de permettre à un pouvoir central de surveiller et de contrôler les ordonnances et l’administration de certaines drogues contrôlées afin d’empêcher et de réprimer « l’obtention d’ordonnances multiples », les contrefaçons d’ordonnances, les faux, les détournements, etc. (soit, l’abus de médicaments du côté de la demande) ainsi que les ordonnances ou les administrations excessives de médicaments (p. ex., en raison de l’inconduite de médecins ou de pharmaciens). Les premiers PSO reposaient sur l’utilisation d’ordonnances en deux ou trois exemplaires, dont l’une était envoyée à un organisme désigné chargé de recueillir des données et de surveiller le médicament prescrit ou administré. Les versions actuelles ou modernes des PSO reposent sur l’entrée de données électroniques, le monitorage et l’analyse, ce qui peut en grande partie se faire en temps réel (ou presque en temps réel) grâce aux systèmes avancés. Tous les PSO aux É.‑U. reposent sur l’État et il n’existe pas de PSO ou de base de données centrale au niveau fédéral, quoique les bases de données des PSO fassent régulièrement l’objet d’examen par les autorités de contrôle fédérales et qu’il existe des mesures incitatives au palier fédéral pour que les États mettent en place des PSO modernes (c’est‑à‑dire électroniques) (Fishman et al., 2004; Brushwood, 2003; Office of Diversion Control, 2008).

Quoique les autorités gouvernementales et les autorités chargées de l’application de la loi croient généralement que les PSO sont des outils efficaces pour empêcher la consommation à des fins non médicales et le détournement des substances contrôlées et qu’ils en fassent la promotion à ce titre, les données empiriques disponibles donnent un tableau beaucoup plus complexe et varié, lequel est néanmoins d’importance cruciale pour élaborer en ce domaine des politiques sensées et reposant sur les données (Brushwood, 2003; Office of Diversion Control, 2008). Le premier élément d’importance cruciale à considérer est que, dans l’ensemble, les PSO semblent être associés à des niveaux inférieurs d’ordonnances de substances contrôlées ou donner lieu, lorsqu’ils sont mis en place, à une diminution du nombre des ordonnances. Dans les États de l’Idaho, de New York, du Rhode Island et du Texas, les niveaux de prescription de substances de l’annexe II ont diminué selon des taux entre 50 % et 64 % après la mise en place de PSO (Fishman, 2006). En 1989, les États des É.‑U. qui étaient dotés de PSO comptaient 1,8 % de toutes les ordonnances prescrites pour les substances de l’annexe II et les États sans PSO en comptaient 4,7 % (Wastila et Bishop, 1996).Curtis et al. ont étudié les niveaux de prescriptions d’opioïdes dans les États américains, en se fondant sur les demandes de règlement d’assurance médicament, consignées en 2000 dans une grande base de données pour tout le pays, qui visaient des médicaments sur ordonnance. Les taux des demandes de règlement selon les États variaient beaucoup, de <20 demandes à >100 demandes pour les OO par 1 000 demandes au total. Les auteurs ont conclu que [traduction ]« la présence d’un [PSO] à la grandeur de l’État est associée à des taux de demandes de règlement inférieurs » (Curtis et al., 2006). Quoique les PSO semblent être associés à des niveaux généraux d’ordonnances de substances contrôlées inférieurs ou réduits, il n’y a actuellement [traduction] « guère de preuve démontrant que les [PSO] empêchent réellement la consommation abusive de médicaments et leur détournement » (Joranson et Gilson dans (Brushwood, 2003; Fishman, 2006)). En d’autres mots, quoique, dans l’ensemble, le nombre des ordonnances de substances contrôlées prescrites dans les États dotés de PSO tend à être plus bas, il n’y a guère de preuves concrètes, sinon aucune, que ces diminutions résultent de l’élimination du détournement, de la mauvaise utilisation ou de l’abus de substances contrôlées.

Le second élément important à considérer est qu’il est possible que les PSO donnent en fait lieu à des conséquences négatives non prévues considérables en ce qui a trait à l’accès aux soins cliniques ou à la qualité de ces soins. Concrètement, cela a trait à « l’effet paralysant », comme on le désigne, des PSO, qui fait en sorte que les médecins ont moins tendance à prescrire toute substance strictement contrôlée, ou ont plus tendance à les prescrire plus tard dans l’évolution des symptômes ou selon des doses ou des concentrations plus petites, comportement qui pourrait être l’effet de la peur de la surveillance, des problèmes éventuels ou du désagrément des procédures réglementaires (p. ex., (Brushwood, 2003)). Cet « effet paralysant » – qui est bien sûr tout à fait problématique dans le domaine de la douleur, domaine dans lequel on s’est battu fort ces dernières années pour améliorer la qualité des soins en augmentant l’accès et les doses dans la plupart des cas – a été mise en évidence en pratique par la comparaison des pratiques pertinentes en matière de soins ou de prescription d’ordonnances (p. ex., pour le traitement de la douleur) ainsi que par des enquêtes sur les attitudes des médecins (p. ex., (Wastila et Bishop, 1996)).Par exemple, selon une étude sur les pratiques de prescriptions d’opioïdes pour les douleurs du bas du dos dans les États américains, il existait une variation significative entre les États quant aux prescriptions hâtives d’opioïdes qui [traduction] « s’expliquaient presque entièrement par des facteurs contextuels au niveau de l’État » ((Webster et al., 2009):162), soit la présence ou l’absence de PSO. De plus, des éléments de preuve tendent à montrer qu’il existe une association entre la diminution de la qualité des soins cliniques et la mise en place ou en vigueur de PSO, ce qui s’explique en grande mesure par « l’effet de substitution », comme on le désigne et que Fishman décrit ainsi : [traduction] « Il est bien établi que les médecins qui sont confrontés à des obstacles à la prescription d’un certain type de médicament tendent souvent à se tourner vers des médicaments qui sont moins examinés, même s’ils sont moins efficaces ou plus dommageables » ((Fishman, 2006), voir aussi (Fishman et al., 2004)). Plus particulièrement, après que les benzodiazépines, dans l’État de New York, ont été soumises en 1989 à l’éventail des exigences prévues dans les PSO, le taux d’ordonnances de benzodiazépines a baissé, mais [traduction] « on a assisté à l’augmentation de médicaments de remplacement qui étaient souvent moins optimaux du point de vue thérapeutique, pour lesquels le risque de toxicité était plus grand et qui étaient aussi susceptibles, ou même plus, de donner lieu à des abus » (Fishman, 2006; Weintraub et al., 1991). Quoique les surdoses liées aux benzodiazépines aient légèrement diminué, il y a eu une augmentation de 30 % des surdoses de sédatifs-hypnotiques qui n’étaient pas des benzodiazépines dans l’année suivant l’entrée en vigueur des exigences prévues dans les PSO (ibidem). Plus récemment (2004) en Californie, on a découvert que les PSO en trois exemplaires de l’État avaient manifestement donné lieu à des niveaux comparativement plus bas d’ordonnances d’Oxycontin, mais que la Californie présentait un taux disproportionnellement élevé d’ordonnances d’opioïdes de l’annexe III (p. ex., l’hydrocodone (Vicodine) (Fishman, 2006)). Ces tendances sont remarquables, car on avait noté que la prévalence de l’hydrocodone, lors des visites dans les salles d’urgence ayant trait à la consommation d’OO aux É.‑U., était plus élevée que celle de l’Oxycontin (Paulozzi et al., 2006).

8. Questions non traitées/conclusions

La consommation à des fins non médicales de médicaments sur ordonnance et les méfaits qui l’accompagnent constituent au Canada un problème important et, du moins en ce qui a trait aux OO, croissant, dont les chercheurs et les décideurs n’ont pris conscience – et qu’ils n’ont commencé à étudier – que récemment (voir (Fischer et al., 2008c)). De bien des façons, par conséquent, le Canada se trouve sur le point d’entrer dans une phase très importante d’élaboration de politiques, dans laquelle les bons choix d’élaboration de politiques doivent être pris et les erreurs, être évitées. Ce qui rend le domaine de la consommation à des fins non médicales des médicaments sur ordonnance complexe et difficile du point de vue de l’élaboration de politiques est que ce phénomène de consommation ne se limite pas aux substances « illégales » et ne se définit pas exclusivement par la consommation de telles substances (comme c’est le cas pour la définition de formes plus conventionnelles de consommation de drogues illégales, comme le cannabis ou la cocaïne), mais qu’il concerne un ensemble de médicaments qui sont des substances pharmaceutiques importantes jouant un rôle majeur dans des domaines clés des soins médicaux (p. ex., la douleur, la psychiatrie, les soins des troubles du sommeil). Dans ce contexte, l’élaboration des politiques doit tenir compte d’éléments et de considérations procédant de divers domaines et les envisager sous différents angles, car les décisions et les mesures stratégiques visant à s’attaquer au problème de la consommation à des fins non médicales des médicaments sur ordonnance, quelles qu’elles soient, peuvent facilement causer des dommages considérables ou nuire à la disponibilité, à l’accessibilité et à la qualité des soins dans ces domaines médicaux connexes, ce qui ne peut et ne devrait jamais être le résultat de l’élaboration de politiques (voir aussi (Joranson et Gilson, 2006; Hurwitz, 2005; Fishman, 2006)). En gardant particulièrement à l’esprit l’élaboration de mesures ou de politiques en matière de droit pénal ou de justice pénale qui visent le problème de la consommation à des fins non médicales des médicaments sur ordonnance, nous désirons exhorter explicitement les décideurs à faire preuve d’une prudence et d’une retenue extrêmes, et à n’utiliser les outils disponibles qu’après avoir considéré les meilleurs éléments d’information disponibles tout en étant par principe disposés à retirer toutes les mesures éventuellement mises en application s’il est démontré qu’elles conduisent à des effets négatifs ou indésirables dans la population ou dans tout domaine pertinent de mesures stratégiques.

Nous voudrions présenter ou répéter les principales raisons pour cela. Tout d’abord, les politiques et les mesures de contrôle relatives à la consommation des substances psychoactives – en particulier en ce qui a trait aux soi-disant « drogues illégales » – ont traditionnellement été dominées par le droit pénal et des mécanismes juridiques au Canada, même si ces derniers n’ont généralement pas été dans l’intérêt de la santé individuelle des consommateurs ou dans celui de la santé publique et que, de bien des manières, ils entraînaient ou empiraient des problèmes à cet égard (voir (Fischer, 1999; Giffen et al., 1991)). À l’exception de mesures ciblées précises, lorsqu’il est démontré que la dissuasion fonctionne (p. ex., dans la prévention de la conduite avec facultés affaiblies) et que punir semble souhaitable des points de vue normatif et social (p. ex., la vente de drogues en vue de faire un profit par des non-toxicomanes), les pouvoirs en matière d’application de la loi et de peines ainsi que la justice pénale ne devraient être utilisés et appliqués qu’avec une extrême prudence. Nous affirmons cela en ayant particulièrement à l’esprit la possibilité, au moins théorique, qu’une approche plus active ou intensifiée de « criminalisation » soit prise relativement aux populations, importantes et croissantes, de personnes qui consomment à des fins non médicales des médicaments sur ordonnance au Canada. De tels consommateurs comprennent des jeunes ainsi que des individus de la société canadienne, de toutes appartenances socioéconomiques, culturelles et régionales.

Comme cela a été expliqué à la section 6, une variable particulièrement importante est que, du point de vue empirique, la mesure dans laquelle les diverses formes de consommation à des fins non médicales de médicaments sur ordonnance, au Canada, répondent à des raisons médicales ou liées à la santé – notamment, la dépendance, une comorbidité non diagnostiquée ou non traitée, la détresse psychologique ainsi que la disponibilité, l’accessibilité ou l’abordabilité limitée de soins médicaux convenables comportant des médicaments sur ordonnance – ou à une forme d’automédication, etc. n’est nullement claire actuellement. Comme cela est documenté dans plusieurs études citées précédemment, la présence de comorbidités clés (p. ex., la douleur et les troubles psychiatriques) chez les populations qui abusent des médicaments sur ordonnance est énormément élevée (Novak et al., 2009; Subramaniam et Stitzer, 2009; Rosenblum et al., 2007). De plus, pour de nombreuses personnes, il arrive que la dépendance aux médicaments sur ordonnance ou la consommation à des fins non médicales de tels médicaments résulte des soins médicaux qu’elles ont antérieurement reçus et au cours desquels on leur a administré des médicaments sur ordonnance sans les en sevrer convenablement par la suite, ce qui a provoqué la dépendance, etc. Ces causes et dynamiques – dont la prévalence, selon ce que l’on croit, est très grande dans le nombre total actuel des incidents de consommation à des fins non médicales de médicaments sur ordonnance, même si on ne dispose actuellement d’aucune donnée précise pour le Canada – sont d’abord et avant tout des problèmes de santé qu’il convient de traiter au moyen d’interventions touchant à la santé ou d’améliorations des soins de santé, plutôt qu’en recourant au droit pénal ou à des mesures d’application de la loi ou de la justice pénale. Nous avons besoin de manière urgente de beaucoup plus de recherche sur ces questions pour mieux faire valoir et illustrer de manière empirique les arguments présentés ci-dessus, bien que, sur le fondement des seules considérations sommairement esquissées ci‑dessus, le rôle et la place des mesures reposant sur la justice pénale dans la stratégie changeante d’ensemble visant à s’attaquer au phénomène de la consommation à des fins non médicales des médicaments sur ordonnance seront probablement, de manière appropriée, plutôt secondaires (comparativement en particulier aux mesures fondées sur les considérations liées à la santé) et prendront pour cible des aspects très limités et précis du problème.

Un autre point additionnel à faire valoir est que les évaluations actuelles, les interventions et les appels à la prise de mesures, en ce qui a trait au problème de la consommation à des fins non médicales des médicaments sur ordonnance, placent la racine du problème au niveau individuel (p. ex., des individus déviants qui cherchent à obtenir un « effet euphorique » en essayant d’exploiter les effets psychoactifs des médicaments sur ordonnance visés dans le présent travail, ou des personnalités ou des comportements « toxicomanes », etc.) et recommandent pour solution de mettre en place des mécanismes permettant de reconnaître de tels individus et de les empêcher d’avoir accès aux substances en cause ou d’en « abuser ». Ces perspectives – qui dans une large mesure et de façon problématique – nuisent à la prise en compte des points de vue et des explications qui reposent sur des déterminants ou des dynamiques systémiques, relativement au problème important et croissant de la consommation à des fins non médicales des médicaments sur ordonnance. Par exemple, les taux comparativement élevés – par rapport à d’autres pays industrialisés ou d’autres régions du monde – de consommation d’ensemble des médicaments sur ordonnance au Canada peuvent témoigner de la grande disponibilité de ces médicaments lorsqu’ils sont nécessaires pour l’administration des soins appropriés ou les meilleurs possible, mais ils peuvent aussi refléter un usage trop généreux de ces médicaments – qui contribuerait aux [traduction] « environnements riches en médicaments sur ordonnance » – lorsqu’ils ne sont pas vraiment importants ou indiqués, ou empêcher de procéder à d’autres interventions (Fisher et al., 2008b).En 2001, l’OICS dans un communiqué de presse relatif à son rapport mondial sur les drogues annuel déplorait [traduction] « l’usage excessif et la surconsommation très étendue » des narcotiques et des médicaments psychotropes (dont les OO et les benzodiazépines) dans le monde industriel, qui – comme cela est facilité de manière importante par « le marketing agressif […] les pratiques d’ordonnance incorrectes ou non éthiques […] et la grande disponibilité » des substances en cause, ont conduit à un problème étendu et croissant d’abus et de détournement et à des problèmes connexes (Organe international de contrôle des stupéfiants, 2001). Parmi les mesures qu’il préconise, l’OICS appelle à instaurer une [traduction] « culture d’ordonnances plus rationnelle », comme une étape clé nécessaire pour résoudre ces problèmes.

Pour illustrer de manière concrète l’étude de cas du Canada : le taux de consommation à des fins médicales des OO relativement à la population du Canada est environ deux fois supérieur à celui de l’Australie, quatre fois supérieur à celui du R.‑U. et 20 fois supérieur à celui du Japon (Organe international de contrôle des stupéfiants, 2008a). Sans examiner des données précises, il est très improbable que les niveaux d’ensemble de la prévalence de la douleur aiguë ou chronique au Canada soient deux fois supérieurs à ceux de l’Australie, quatre fois supérieurs à ceux du R.‑U. et 20 fois supérieurs à ceux du Japon. Au Canada, ainsi que dans beaucoup d’autres pays industrialisés, les taux des ordonnances trop généreuses de benzodiazépines sont un sujet de débat depuis des décennies, mais ces débats n’ont pas réellement conduit à des changements ou restrictions fondamentaux (Rogers et al., 2007; Busto et al., 1996; Hamilton et al., 1990; Schiralli et McIntosh, 1987). Cela est un fait important du système de santé que, même dans le contexte d’un système de soins de santé public ou étatique (ce qui signifie que les soins sont surtout payés par les pouvoirs publics, c’est-à-dire au moyen de fonds provenant des impôts), les médecins du système canadien de soins de santé sont encore financièrement récompensés – c’est-à-dire qu’ils ont un incitatif financier à rédiger des ordonnances – et ils ne sont pas payés – n’ont pas un incitatif financier – pour éviter de rédiger une ordonnance lorsqu’ils examinent un patient.Par ailleurs, dans le cadre des paramètres socioculturels distincts du monde industrialisé occidental, relatifs aux soins de santé et aux relations médecin-patient, une grande proportion des patients – lesquels sont aussi influencés par la publicité préparée par les compagnies de produits pharmaceutiques qui prend les consommateurs pour cible directe – qui présentent des problèmes de santé ou des symptômes s’attendent à recevoir un traitement rapide et palpable sous la forme d’un produit pharmaceutique ou d’une « pilule » et font souvent des demandes précises quant aux médicaments qu’ils voudraient qu’on leur prescrive (Mintzes et al., 2002; Gilbody et al., 2005; Stevenson et al., 2000; Maddox et Katsanis, 1997). Même avant que l’on observe les sommets actuels de la consommation à des fins non médicales des médicaments sur ordonnance, le Canada était le pays présentant de loin le plus haut taux de consommation par personne de codéine dans le monde, ce qui reflétait dans une grande mesure le fait que des « produits de masse » pharmaceutiques en vente libre (p. ex., les sirops pour la toux ou les médicaments contre la douleur bénigne) étaient disponibles, dont la codéine, et qu’ils étaient donc utilisés en grande quantité (voir l’Organe international de contrôle des stupéfiants, 2002; Romach et al., 1999). Le Canada présente aussi l’un des taux les plus bas d’utilisation d’autres formes de soins thérapeutiques, p. ex. homéopathiques, dans les pays occidentaux/industrialisés (p. ex., (Fernandez et al., 1998; Hollenberg, 2006).

Il se peut que tous les indicateurs systémiques mentionnés ci‑dessus contribuent de manière importante à augmenter les taux élevés et croissants, actuellement observés, de consommation à des fins non médicales de médicaments sur ordonnance au Canada et l’on devrait en conséquence considérer des révisions ou des interventions respectives – au‑delà de l’insistance première sur les « patients déviants » – comme des points potentiellement importants sur lesquels faire porter nos actions ou comme des cibles de prévention ou des mesures stratégiques.