Programme canin « Pawsitive Directions » : Le point sur l’utilisation des chiens pour soutenir

Par Susan McDonald et Naythan Poulin

Dans un numéro précédent du Recueil des recherches sur les victimes d’actes criminels, McDonald et Rooney (2014) ont exploré les avantages potentiels des chiens de soutien dans divers contextes du système de justice pénale, comme lors des interrogatoires judiciaires avec les organismes d’application de la loi ou en préparation pour le tribunal avec les procureurs de la Couronne. En particulier, les auteurs (2014, p. 8) ont souligné qu’« aucune étude particulière ne porte sur les chiens de soutien qui travaillent avec les services d’aide aux victimes à l’intérieur ou à l’extérieur de la salle d’audience ». Depuis 2014, quelques études empiriques ont été effectuées sur l’impact des animaux à l’intérieur et à l’extérieur de la salle d’audienceNote de bas de page 1.

Le présent article commence par définir la terminologie pertinente pour les chiens de soutien et par expliquer les rôles que ces derniers peuvent jouer dans le système de justice pénale. L’article donne ensuite un aperçu des études empiriques récentes en sciences sociales qui décrivent les avantages de l’utilisation de chiens dans les salles d’audience et lors des procédures judiciaires. L’article présente également un aperçu de la jurisprudence qui appuie et établit le rôle des chiens auprès des témoins vulnérables, et il traite brièvement des normes, des lacunes au chapitre de la recherche et des questions en suspens.

Questions linguistiques : définition de chien d’assistance, de chien de thérapie et de chien d’établissement

Les chiens sont entraînés pour aider les êtres humains depuis des décennies; ils peuvent aider des personnes handicapées, participer à des activités d’application de la loi ou offrir un soutien affectif. Aujourd’hui, les animaux qui aident les êtres humains sont assez courants, mais la confusion persiste quant à leurs titres et à leurs rôles.

Un chien d’assistance n’est pas un animal de compagnie; c’est un animal qui travaille et qui est spécialement entraîné pour aider une personne handicapéeNote de bas de page 2 Au Canada, le statut juridique des chiens d’assistance est réglementé par les gouvernements provinciaux et territoriauxNote de bas de page 3. Le gouvernement du Canada est responsable de certains modes de transport et, selon le Règlement sur les transports accessibles aux personnes handicapéesNote de bas de page 4, un chien d’assistance, au Canada, est un chien qui a reçu, de la part d’un organisme ou d’une personne spécialisé en formation de chiens d’assistance, une formation individualisée à la tâche pour répondre aux besoins liés au handicap d’une personne handicapée.

Par ailleurs, l’utilisation d’animaux de thérapie ou d’animaux de soutien affectif apporte réconfort et soutien. Il est important de souligner que les chiens de thérapie et les animaux de soutien affectif n’ont peut-être reçu aucun entraînement particulier et pourraient être des animaux de compagnie personnels. Les appellations « chien de thérapie » ou « animal de soutien affectif » ne sont pas légalement reconnues au Canada, et de tels chiens peuvent donc avoir un accès limité aux espaces publics (Grimm, 2013; Walsh et coll., 2018). Certains juristes américains estiment qu’une référence explicite à un chien de thérapie dans un tribunal peut créer un parti pris et produire un effet préjudiciable, et amener un jury à sympathiser avec une victime ou un témoin qui témoigne accompagné d’un chien (Grimm, 2013).

Un autre terme connexe est le chien d’établissement : [traduction] « chien qui, dirigé par du personnel qualifié au sein d’un établissement désigné, utilise ses compétences spéciales et son entraînement en matière d’interventions assistées par des animaux pour aider des prestataires de services à atteindre des objectifs précis en matière de traitement ou de programmeNote de bas de page 5». Les chiens d’établissement sont entraînés pour aider les témoins vulnérables; ils peuvent être hébergés sur place et confiés aux soins du personnel, ou vivre avec leur maître-chien principalNote de bas de page 6 (Walsh et coll., 2018). Plus précisément, les chiens d’établissement sont entraînés pour aider les victimes et les autres témoins vulnérables qui vivent une anxiété accrue causée par un traumatisme.

Bien qu’il se compare à un chien de thérapie, qui peut visiter des patients ou des résidents dans un ou plusieurs établissements accompagné de son maître-chien pendant quelques heures par semaine, un chien d’établissement vit à temps plein dans un établissement sous les soins et la supervision d’un membre du personnelNote de bas de page 7. Les chiens d’établissement et les chiens de thérapie ou les animaux de soutien affectif peuvent détecter le stress humain et offrir un soutien en posant leur tête sur les genoux des victimes et des autres témoins vulnérables (Mariani, 2020).

L’utilisation de chiens d’établissement est plus courante dans le système de justice pénale des États-Unis que dans celui d’autres pays (p. ex. le Royaume-Uni et le Canada), et la plupart des États américains exigent que les chiens d’établissement reçoivent un entraînement d’au moins deux ans auprès d’un organisme comme Assistance Dogs International ou d’un de leurs programmes affiliés (Mariani, 2020). Il est important de souligner que l’utilisation et l’efficacité des chiens d’établissement dans le système de justice pénale sont contestées. Par exemple, Walsh et coll. (2018) ont évalué l’impact des chiens d’établissement et des chiens de thérapie pendant les interrogatoires judiciaires, soulignant que [traduction] « les différences entre les chiens d’établissement et les chiens de thérapie ne sont peut-être pas évidentes pour les enfants, dont l’expérience peut être semblable dans les deux cas, car ils ont un chien ou un animal de compagnie à tenir pendant leur témoignage » (p. 3). Par conséquent, un chien de thérapie ou un animal de soutien affectif peut être tout aussi efficace qu’un chien d’établissement pour réduire le stress et l’anxiété des victimes lorsqu’elles interviennent dans le système de justice pénale.

La plupart des études universitaires examinées pour le présent article mettent l’accent sur l’impact des chiens sur les procédures judiciaires. Les chiens sont toutefois également utilisés pour soutenir les victimes et les témoins à d’autres moments, comme après un acte criminel ou lors d’un interrogatoire judiciaire ou d’un examen médical. Ils peuvent également être utilisés pendant une thérapie ou une consultation. Les maîtres-chiens peuvent exercer diverses professions; ils peuvent par exemple être policiers, psychologues, intervieweurs judiciaires, travailleurs sociaux ou défenseurs des droits des victimes (Mariani, 2020).

Deux autres définitions sont également utiles. Les activités assistées par des animaux (AAA) s’entendent des activités qui permettent d’offrir un réconfort général à une victime ou à un témoin au cours de séances avec un thérapeute ou un intervieweur judiciaire. La zoothérapie (la thérapie assistée par d’animaux de soutien affectif, AAT) s’entend de l’utilisation de chiens entraînés spécifiquement pour interpréter les émotions humaines et travailler activement à réduire le stress, par exemple lors de consultations à court terme et à long terme (Grimm, 2013).

Ce que nous savons : études et documentation sur les chiens dans le système de justice pénale

Les victimes et les témoins peuvent subir d’autres traumatismes pendant les diverses étapes d’une affaire criminelle. Un enfant victime peut être réticent à parler de violence physique, psychologique ou sexuelle parce qu’il se sent coupable ou qu’il a honte, ou il peut avoir peur de se retrouver face à un accusé qui peut être un parent ou un ami proche et de témoigner contre lui (Pantell et coll., 2017). En général, le système de justice pénale n’a pas été conçu en fonction des besoins des enfants, et chaque étape — de l’interrogatoire judiciaire à la préparation pour le tribunal, et au témoignage à l’enquête préliminaire et au procès — peut être source de stress et d’anxiété (Holder, 2013; Weems, 2013; Nascondiglio, 2016). Étant donné l’importance des témoignages détaillés, les tribunaux permettent aux enfants et à d’autres témoins vulnérables d’utiliser des aides au témoignage. Les aides varient selon les administrations; dans la plupart des États américains, un enfant témoin peut tenir un objet réconfortant comme un animal en peluche. Au Canada, les témoins vulnérables peuvent être autorisés à témoigner par vidéo en circuit fermé ou derrière un écran et être accompagnés d’une personne de confiance (voir McDonald, 2018). Plus récemment, des tribunaux ont permis à des témoins d’être accompagnés de chiens pendant leur témoignage. Cependant, aucune loi ne régit actuellement une telle pratique. Et aucune loi, aucun règlement, aucune politique, aucune norme ni aucune jurisprudence n’exige que les chiens utilisés dans le système de justice pénale du Canada soient des chiens d’établissement, des chiens de thérapie ou des animaux de soutien affectif.

Étant donné que l’utilisation de chiens soutenant les victimes et les témoins dans le système de justice pénale est relativement nouvelle, il est utile de revenir à l’introduction d’animaux pour aider les humains au chapitre du bien-être et de la santé mentale, ainsi qu’aux recherches menées dans le domaine de la santé mentale. Dans les années 1960, le Dr Boris Levinson a intégré des animaux à ses séances de thérapie et il a constaté que la présence d’animaux aidait les patients à s’ouvrir et à lui faire confiance (Levinson, 1969). Depuis l’étude initiale du Dr Levinson, l’utilisation d’animaux de soutien affectif s’est étendue au-delà des contextes clinique et psychologique. Des études démontrent que la présence d’animaux de soutien affectif renforce l’indépendance, stimule la prise de conscience et offre un soutien aux victimes (Sockalingham et coll., 2008). Beck (1985) soutient que les animaux de soutien affectif peuvent contribuer au traitement des patients qui sont traditionnellement renfermés ou récalcitrants lorsqu’ils parlent de leur traumatisme. De nombreuses études ont depuis permis d’évaluer les effets psychologiques et physiologiques généraux des animaux sur les humains. Par exemple, les données probantes laissent supposer que la présence d’animaux aide à soulager les symptômes de stress et d’anxiété en réduisant et en maintenant la fréquence cardiaque, la tension artérielle, la respiration et la dissociation d’une personne (Johnson, 2010).

En 2012, l’Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé (ACMTS) a mené une étude afin de déterminer les effets psychologiques bénéfiques de la zoothérapie et des activités assistées par des animaux chez les patients éprouvant des problèmes de santé mentale. L’objectif était de déterminer si les chiens et les chevaux avaient permis d’atténuer les difficultés normalement associées à la dépression, à l’anxiété, à la toxicomanie, au trouble de stress post-traumatique (TSPT), à la démence et à la schizophrénie. Les chercheurs ont analysé des études antérieures effectuées selon diverses méthodes, diverses échelles et divers questionnaires, et ils ont reconnu des lacunes potentielles sur le plan de l’uniformité. Dans l’ensemble, les chercheurs ont conclu que la zoothérapie et les activités assistées par des animaux avaient permis d’améliorer la fonction mentale, la qualité de vie et la socialisation (ACMTS, 2012).

Ce que nous apprenons de la recherche sur l’impact des animaux sur les personnes éprouvant des problèmes de santé mentale peut être appliqué dans le contexte du système de justice pénale. Selon McDonald et Rooney (2014, p. 19), les bienfaits psychologiques et physiologiques des chiens sur les humains sont « particulièrement important[s] dans le cas des victimes d’actes criminels pendant l’interrogatoire judiciaire ou à d’autres étapes clés du système de justice pénale ». Quelques études ont évalué l’effet de l’utilisation de chiens de soutien lors de simulations d’interrogatoires avec la police. Dans son étude, Peters (2017) a vérifié l’hypothèse selon laquelle les participants pouvant compter sur la présence de chiens de soutien pendant les interrogatoires avec la police seraient beaucoup moins anxieux. Quarante-cinq étudiants de premier cycle ont rempli un questionnaire avant d’entrer dans la salle d’interrogatoire, après avoir rencontré l’agent, et après l’interrogatoire avec la police. Les participants ont également été équipés de moniteurs de fréquence cardiaque sans fil permettant de suivre les niveaux de stress et d’anxiété. Pour l’expérience, environ la moitié des participants étaient accompagnés d’un chien pendant l’interrogatoire, tandis que l’autre moitié ne l’était pas. L’étude a révélé que les personnes accompagnées d’un chien présentaient des symptômes d’anxiété beaucoup plus faibles. Au cours des interrogatoires, la fréquence cardiaque et la tension artérielle de certains participants accompagnés d’un chien sont revenues aux niveaux enregistrés avant les interrogatoires (Peters, 2017).

Spruin et coll. (2020) ont effectué une étude empirique pour évaluer si l’aide d’un chien permettait d’améliorer l’établissement de la relation avec les enfants pendant les interrogatoires avec la police et d’accroître la crédibilité des enfants. Dans le cadre de l’étude, 70 intervieweurs de la police au Canada et aux États-Unis ont été recrutés comme participants, et des méthodologies quantitatives et qualitatives mixtes ont été utilisées. Selon les échelles de relation et de crédibilité, 100 % des participants ont conclu que la présence d’un chien avait créé un environnement réconfortant pour l’établissement d’une relation et permis aux témoins de se sentir plus à l’aise. Sur le plan thématique, les participants étaient d’avis que l’aide d’un chien a modifié positivement l’état émotionnel des enfants, ce qui a permis d’augmenter leur capacité de communiquer et de divulguer des expériences traumatisantes (Spruin et coll. 2020).

Certains chercheurs ont mené des études empiriques pour déterminer si l’utilisation d’un chien d’établissement ou d’un chien de thérapie peut permettre d’atténuer le stress de l’enfant et de l’intervieweur judiciaire. Krause-Parello et coll. (2018) ont étudié 24 enfants subissant des interrogatoires judiciaires liés à des allégations d’abus sexuel. Les enfants ont été divisés en deux groupes : un groupe avec un chien et un groupe témoin sans chien pendant les interrogatoires. Les données autodéclarées et les données obtenues à l’aide du biomarqueur du stress (niveaux de cortisol) ont été recueillies auprès des enfants avant et après les interrogatoires. Les chercheurs ont conclu que les enfants accompagnés d’un chien présentaient une diminution importante des biomarqueurs du stress après l’interrogatoire; les enfants sans chien constituant le groupe témoin ne présentaient pas de diminution importante des biomarqueurs du stress. Dans une autre étude, Walsh et coll. (2018) voulaient déterminer si la présence d’un chien de thérapie ou d’un chien d’établissement réduisait les symptômes du stress subi par 230 intervieweurs judiciaires. Les participants ont rempli un questionnaire d’autoévaluation volontaire pour dire comment ils se sentaient. Bien que 72 % des participants aient convenu que la participation de chiens aux interrogatoires judiciaires était un outil utile, l’étude n’a pas permis de déterminer si la présence d’un chien avait contribué à atténuer le stress et l’anxiété chez les intervieweurs judiciaires.

Pour de nombreux témoins, l’attente dans une pièce avant le témoignage peut s’avérer stressante. Plus précisément, le fait de ne pas savoir quand il témoignera peut accroître les sentiments de peur et d’anxiété d’un témoin. Spruin et coll. (2019) ont mené une expérience pour déterminer si la présence d’un chien dans la salle d’attente d’un tribunal aiderait à réduire la peur et l’anxiété chez les personnes qui attendent pour témoigner dans un procès criminel. Pour l’étude, les chercheurs ont recruté 117 participants, qui ont rempli des questionnaires qualitatifs et participé à des entrevues qualitatives. Au total, 96 % des participants étaient d’accord pour dire que la présence d’un chien dans la salle d’attente a créé un effet relaxant et a contribué à créer un environnement positif. Comme l’a fait remarquer un participant, [traduction] « Je suis très nerveux et très inquiet; je ne veux pas vraiment voir le défendeur. Je suis allé immédiatement vers elle [chien de thérapie], je me sens déjà plus calme, c’est incroyable ce qu’un animal peut faire » (Spruin et coll. 2019, p. 292). S’inspirant encore une fois des résultats des recherches sur les animaux qui soutiennent des humains dans d’autres secteurs, Dell et coll. (2019) ont mené une étude semblable dans les salles d’urgence des hôpitaux au Canada. Les résultats ont démontré une amélioration des niveaux de bonheur et ont établi que les chiens étaient en mesure d’aider à soulager le stress et l’anxiété des patients dans des situations de détresse.

Dans une autre étude, Spruin et coll. (2019) ont évalué, en menant des entrevues approfondies et en recueillant des données d’observation, l’impact d’un chien de thérapie soutenant cinq enfants victimes d’abus sexuels qui ont témoigné lors de procès au Royaume-Uni. Le processus tenait également compte du point de vue des parents et des autres membres de la famille présents pour soutenir l’enfant. La première partie de l’étude a permis d’évaluer l’impact physique et émotionnel d’un chien sur chaque enfant avant que l’enfant ne témoigne au tribunal. L’étude a permis de conclure que la présence du chien avait augmenté considérablement les sentiments de bonheur et de calme et avait inspiré confiance aux enfants avant le témoignage. La mère d’une victime a déclaré que, depuis l’incident d’abus sexuel, sa fille s’était retirée et [traduction] « ne parlait à personne, mais sa rencontre avec le chien de thérapie ici représente plus d’interaction qu’elle n’en a eue depuis longtemps. C’est la seule chose qui l’a fait sortir de la maison ». Spruin et coll. (2019) ont établi que la plupart des victimes d’abus sexuel se retirent lorsqu’une autre personne les touche, mais que les chiens sont de grands compagnons, puisqu’ils offrent un exutoire sûr aux victimes, qui bénéficient du soutien affectif et physique que les chiens peuvent offrir.

Chiens au tribunal : arguments juridiques

Les études et la documentation sur l’utilisation de chiens de soutien pour les victimes et les témoins dans les tribunaux proviennent principalement des États-Unis. La présente section résume brièvement les arguments pertinents présentés par des professeurs de droit et des juristes américains. Bon nombre des arguments ne s’appliquent pas au contexte juridique canadien, mais ils demeurent d’intérêt car les politiques et les pratiques évoluent dans ce domaine.

Certains juristes américains ont fait valoir que le fait de permettre à un chien de soutenir un témoin nuit au droit du défendeur à un procès équitable, car cela pourrait créer un parti pris et susciter une sympathie injustifiée de la part des jurés, ou peut-être distraire les jurés pendant le témoignage (Grimm, 2013; Bowers, 2013; Nascondiglio, 2016).

Burd et McQuiston (2019) ont vérifié l’hypothèse du parti pris du jury en effectuant une étude dans laquelle ils ont utilisé des jurés fictifs pour évaluer le préjudice créé à l’égard du défendeur lorsqu’un enfant témoin tenait un ours en peluche, ou lorsqu’un chien était présent, ou qu’il n’y avait aucune aide au témoignage. L’étude a permis de déterminer que l’utilisation d’un chien comme aide au témoignage ne distrait pas les jurés et ne change pas de façon importante leur perception du défendeur. Dans un mémoire de maîtrise canadien, Glazer (2018) a demandé à des professionnels du droit canadiens si la présence d’un chien dans un tribunal pouvait créer un parti pris. La majorité des répondants ont déclaré qu’il serait difficile de faire valoir un tel argument; un participant a affirmé qu’il [traduction] « serait très difficile pour un avocat de la défense de soutenir qu’un enfant jouit d’un quelconque avantage indu […] Je crois qu’il serait difficile de faire valoir un argument valide » (p. 32).

Le sixième amendement à la Constitution des États-Unis contient ce qui est connu comme la clause de confrontationNote de bas de page 8, qui donne à l’accusé le droit d’être confronté à un témoin à charge dans une poursuite pénale. Pour cette raison, la législation et la jurisprudence des États-Unis sur les aides au témoignage ont évolué différemment par rapport au Canada. Par exemple, les écrans et les témoignages par télévision en circuit fermé ne sont pas utilisés aux États-UnisNote de bas de page 9 puisqu’un défendeur ne peut ainsi pas faire face physiquement à son accusateur (Dellinger, 2009). Des universitaires américains croient que l’utilisation d’un chien dans un tribunal est plus bénéfique et crée moins de parti pris que d’autres aides au témoignage. Un chien peut par exemple être plus bénéfique qu’une personne de confiance, puisque certains témoignages laissent supposer qu’une personne de confiance peut nuire à la crédibilité d’un enfant témoin. Certains craignent qu’un jury puisse considérer comme une source d’influence la personne de confiance vers qui un enfant se tourne pour obtenir un soulagement émotionnel; le jury pourrait estimer que la personne de confiance encadre l’enfant témoin au sujet de ce qu’il dira ou ne dira pas (Holder, 2013; Weems, 2013).

Aux États-Unis, l’utilisation de chiens comme mesure d’adaptation au tribunal est également préférée au témoignage préenregistré en circuit fermé, puisque le jury peut observer la victime directement, ce qui réduit la probabilité que les droits du défendeur soient violés (Dillinger, 2009). Il convient de souligner que ces affirmations reposent sur très peu de données empiriques.

Au Canada, la législation et la jurisprudence applicables diffèrent de celles des États-Unis. Le Code criminel permet explicitement à un procureur de la Couronne et à une victime ou à un témoin de présenter une demande pour que le témoignage puisse se faire derrière un écran, en présence d’une personne de confiance, ou par vidéo en circuit fermé. Lorsque la victime ou le témoin est un enfant (âgé de moins de 18 ans) ou a une déficience physique ou mentale, le tribunal doit accueillir la demandeNote de bas de page 10.

Jurisprudence au Canada

À l’heure actuelle, aucune disposition précise du Code criminel ne permet la présentation d’une demande pour qu’un chien de soutien accompagne un témoin pendant son témoignage. Lorsqu’une demande est présentée, les procureurs de la Couronne utilisent différentes dispositions du Code criminel. Lorsqu’il rend une décision, le tribunal utilise des dispositions précises, comme l’article 486.1, ainsi que ses pouvoirs généraux lui permettant d’examiner la demande et de rendre une ordonnance. Un examen des affaires jugées à l’échelle du pays montre que le facteur le plus important pour le tribunal est la façon dont le chien permettra d’obtenir les meilleurs éléments de preuve du témoin. Autrement dit, la présence du chien facilite-t-elle un témoignage complet et franc du témoin?

Il y a eu plusieurs affairesNote de bas de page 11 dans lesquelles un chien a été autorisé dans la salle d’audience en vertu de l’article 486.1 du Code criminel et le maître-chien a été désigné comme la « personne de confiance ». Dallas Mack (2020) commente un certain nombre de ces affaires, qui sont résumées dans les paragraphes qui suivent. L‘auteur souligne ce qui suit :

[traduction]
Dans l’affaire Benjamin, […] le juge précise qu’un chien de soutien peut être couvert par une demande présentée en vertu de l’article 486.1 pour qu’une « personne de confiance » puisse accompagner un plaignant pendant qu’il témoigne. Dans l’affaire R. v Pine, le juge, tout en accueillant une demande semblable, s’est demandé si les chiens étaient des personnes. L’approche adoptée dans l’affaire Benjamin permet de régler la question d’une manière raisonnable et réfléchie. Deuxièmement, elle reconnaît l’incidence de la modification apportée à la disposition ainsi que l’influence importante de […] la Charte canadienne des droits des victimes [para 6].

Dans l’affaire Levac, le tribunal effectue un examen approfondi de l’article 486.1 et il permet la présence du chien et de son maître-chien en tant que personne de confiance. Dans l’affaire ontarienne R. v. W. (C.)Note de bas de page 12, la Couronne a demandé que le chien accompagne le témoin, mais pas le maître-chien. La Cour a conclu que, dans de telles circonstances, l’article 486.1 ne s’appliquait pas puisqu’il se limitait aux « personnes ». L’article 13Note de bas de page 13 de la Charte canadienne des droits des victimes conférait au tribunal le pouvoir de rendre l’ordonnance, bien que Mack laisse supposer qu’il n’est pas clair que ce soit effectivement le cas (p. 5).

Dans l’affaire Marchand, la Couronne a présenté une demande en vertu de l’article 486.7; la demande n’a pas été contestée et elle aurait pu être présentée en vertu de l’article 486.1, mais Mack souligne ce qui suit : [traduction] « il n’est pas évident que c’est l’article 486.7 qui convient le mieux, car il exige une conclusion selon laquelle le soutien est nécessaire à des fins de sécurité » (p. 4).

Dans l’affaire Roper, le chien n’avait pas de maître-chien, de sorte que l’article 486.1 ne pouvait pas être invoqué, et le tribunal s’est appuyé sur son pouvoir inhérent de gérer ses procédures pour rendre une ordonnance, et il a déclaré ce qui suit :

[traduction]
Je remarque ici que l’animal est un animal de compagnie et non un animal d’assistance. Il n’a pas reçu d’entraînement particulier. Cependant, il obéit docilement aux ordres de sa propriétaire et ne sera pas dérangeant, malgré l’absence d’entraînement officiel. Je comprends que le juge a le pouvoir discrétionnaire de gérer la conduite des affaires dans la salle d’audience. J’accueille la demande et j’exerce mon pouvoir discrétionnaire pour permettre à la plaignante d’avoir son petit chien de compagnie avec elle pendant son témoignage. Je comprends que la présence de l’animal permettra d’atténuer son anxiété et l’aidera dans son témoignage. Selon le libellé de l’article 486.1 du Code criminel, le chien permettra d’obtenir « du témoin un récit complet et franc des faits sur lesquels est fondée l’accusation ». (para 7)

Fait important, le chien en question n’était pas un chien d’assistance ni un chien de soutien officiel, mais plutôt l’animal de compagnie de la témoin. Mack fait remarquer qu’en accueillant la demande, qui n’a pas été contestée, le tribunal a mis l’accent sur l’avantage pour la témoin et le tribunal, et non sur les « qualifications » du chien (p. 5).

Aucune affaire dans laquelle le tribunal a rejeté une demande pour qu’un chien soutienne un témoin pendant son témoignage n’a été rapportée. La question principale semble être d’établir en vertu de quel pouvoir le tribunal peut rendre une telle ordonnance, et il semble y avoir différentes possibilités, l’article 486.1 du Code criminel — le recours à une personne de confiance — étant la meilleure option.

Normes

Au Canada, il n’existe actuellement aucune norme ni organisme de réglementation volontaire ou obligatoire reconnu à l’échelle nationale régissant l’utilisation d’animaux pour aider les humains. Bien que certains organismes aient élaboré leurs propres normes et fassent de l’entraînement et des évaluations, il n’existe aucun organisme de surveillance national ou régional. Au printemps 2021, la Fondation canadienne des services de soutien assistés par animaux a publié sur son site Web des avis de son intention d’élaborer quatre normes nationales du Canada volontaires pour les services assistés par des animaux afin de protéger les consommateurs dans ce secteur non réglementé. Les normes nationales proposées s’appliqueraient à tous les types de services — thérapie, activités, assistance et intervention en cas de crise. Pour obtenir plus de renseignements, prière de visiter notre site WebNote de bas de page 14.

Le besoin de lignes directrices et de normes dépasse les frontières du Canada. Par exemple, l’International Association of Human-Animal Interactions Organizations (IAHAIO)Note de bas de page 15 est en train d’établir des lignes directrices internationales pour des pratiques exemplaires en matière d’interventions d’assistance par des animaux. En s’appuyant sur son livre blanc intitulé Définitions concernant les Interventions Assistées par l’Animal et les recommandations pour assurer le bien-être des animaux associés (publié en 2014 et révisé en 2018Note de bas de page 16), l’IAHAIO a mis sur pied un groupe de travail international multidisciplinaire sur les normes de bonnes pratiques en matière d’interventions assistées par l’animal et de bien-être animal.

Lacunes en matière de recherche et questions en suspens

L’utilisation de chiens pour soutenir les victimes et les témoins dans le système de justice pénale est un phénomène relativement récent. La recherche empirique pertinente en est à ses débuts, et les lacunes et les questions en suspens sont nombreuses. Par exemple, aucune étude empirique ne traite des mérites relatifs de l’entraînement supplémentaire qu’un chien d’établissement reçoit par rapport à l’entraînement reçu par un chien de thérapie ou un animal de soutien affectif. L’étude de Spruin et coll. (2019) sur l’efficacité des chiens pendant un procès mettait l’accent sur les chiens de thérapie plutôt que sur les chiens d’établissement. Lorsque le témoin connaît le chien, les résultats sont-ils plus bénéfiques que lorsque le témoin et le chien viennent de se rencontrer? Des recherches canadiennes rigoureuses, menées avec des groupes témoins, pourraient également permettre d’examiner les avantages — et les coûts — de l’utilisation de chiens pour soutenir des témoins dans des affaires de justice civile, comme des affaires de droit de la famille très conflictuelles.

Une grande partie de la recherche existante porte sur l’utilisation de chiens auprès d’enfants victimes de violence sexuelle, mais l’étude de Spruin et coll. (2019) montre que l’utilisation de chiens dans les salles d’attente pourrait également contribuer à l’atténuation des symptômes d’anxiété et de stress chez les victimes et les témoins adultes. En ce qui concerne l’évolution de la jurisprudence au Canada, les demandes d’utilisation de chiens de soutien seront-elles faites en vertu de l’article 486.1 avec les maîtres-chiens? Ou y aura-t-il des arguments convaincants en faveur d’autres dispositions? Quelles pratiques sont mises en place si quelqu’un au tribunal a des allergies ou a peur des chiens? Il y a encore des domaines de recherche inexplorés sur les avantages des chiens dans le système de justice pénale.

Conclusion

En conclusion, le présent article fait le point sur la recherche actuelle en sciences sociales et sur la jurisprudence existante concernant l’utilisation de chiens pour soutenir les victimes et les témoins dans le système de justice pénale, particulièrement au Canada, mais aussi dans d’autres pays de common law. Les études démontrent très clairement que les chiens peuvent permettre d’atténuer le stress et l’anxiété que ressentent souvent les victimes et les témoins pendant le processus de justice pénale. Des études montrent également que l’utilisation de chiens peut donner lieu à des témoignages plus complets et plus exacts. Il est à espérer que, grâce à d’autres recherches, l’utilisation de chiens pour soutenir les victimes et les témoins continuera à évoluer.

Bibliographie

Décisions citées comme sources de référence

Autres décisions mentionnées dans le présent numéro