Recueil des recherches sur les victimes d’actes criminels, no 5

Comprendre les expériences de victimisation des jeunes

Melissa Northcott, M.A. est chercheuse à la Division de la recherche et de la statistique du ministère de la Justice du Canada,à Ottawa, où elle fait de la recherche sur un vaste éventail de questions liées aux victimes.

L’adolescence est une période qui peut être tumultueuse : nouvelles écoles, nouveaux camarades, sans compter les hormones et les émotions en constante évolution. Pour certains jeunes, ces nouvelles expériences peuvent parfois s’accompagner également d’autres difficultés comme la victimisation.

Au Canada, des données sur les expériences de victimisation criminelle des jeunes sont disponibles grâce aux enquêtes nationales fondées sur l’autodéclaration et aux enquêtes nationales dont les données sont déclarées par la police. Selon l’Enquête sociale générale (ESG) de 2009 sur la victimisationNote de bas de la page 1, les jeunes Canadiens âgés de 15 à 24 ans étaient plus susceptibles de faire l’objet de victimisation violente et de vol de biens personnels durant l’année précédent l’Enquête que les Canadiens plus âgés. Le taux de victimisation violente des membres de ce groupe d’âge était près de quinze fois plus élevé que celui des personnes âgées de 65 ans et plus (Perreault et Brennan, 2010). De plus, selon le Programme de déclaration uniforme de la criminalité fondé sur l’affaire (DUC2) de 2010 Note de bas de la page 2, le taux de victimisation violente déclarée par la police était plus élevé chez les jeunes âgés de 15 à 17 ans (2 732 par 100 000) que chez les jeunes adultes âgés de 18 à 24 ans (2 631 par 100 000).

Ces statistiques donnent un aperçu de la nature et de la prévalence de la victimisation des jeunes au Canada. Mais les définitions de la victimisation criminelle précisées dans ces sources de données nationales donnent-elles une image complète de la victimisation des jeunes? Plusieurs types de victimisation peuvent varier sur un continuum allant de non-violente à violente; par exemple, l’intimidation peut commencer par exclure une personne d’un groupe et formuler des remarques désobligeantes, puis s’intensifier et se manifester par une bousculade et davantage de propos haineux, pour finalement se transformer en des voies de fait plus graves. En raison des effets dévastateurs des incidents moins violents et du risque que ceux-ci s’intensifient et mènent à des actes plus violents, il est important de comprendre toute la gamme des expériences que vivent les jeunes. Alors qu’un continuum de victimisation peut comprendre des actes qui sont précisées dans les définitions communes de la victimisation criminelle, il se peut que d’autres actes définis par les jeunes comme de la victimisation ne soient pas mis en évidence dans les sondages nationaux, comme l’ESG.

En vue de mieux comprendre le vaste éventail de victimisations des jeunes, le ministère de la Justice du Canada a fait appel à deux organisations en vue de mener des travaux de recherche dans ce domaine important. Au cours du printemps 2011, la McCreary Centre SocietyNote de bas de la page 3 et le Réseau ontarien d’éducation juridiqueNote de bas de la page 4 (ROEJ) ont chacun mené à bien cette tâche et publié un rapport. En plus de poser des questions sur la victimisation criminelle, les deux organisations ont exploré une gamme plus vaste d’expériences, comme différentes formes d’actes d’intimidation et de discrimination. Les résultats de ces deux études ont aussi fourni des observations importantes sur les effets de la victimisation sur les jeunes ainsi que des renseignements sur les moyens qu’emploient les jeunes pour obtenir de l’aide et sur leurs besoins d’appui. Ce qui suit sont quelques points saillants de ces deux rapports.

Première étude : Smith, Annie, Elizabeth Saewyc, Colleen Poon, Duncan Stewart et McCreary Centre Society.

From Sea to Sky: Perspectives on Patterns of Violent Victimization among Youth across BC, Vancouver, McCreary Centre Society, 2010.

Ce rapport examine les expériences de victimisation de jeunes âgés de 12 à 19 ans partout en Colombie- Britannique. Le rapport se concentre sur plusieurs formes de victimisation violenteNote de bas de la page 5 : la violence sexuelle, les relations sexuelles forcées, l’exploitation sexuelle, la violence physique, le harcèlement sexuel, la discrimination, la violence à l’école (intimidation), les relations violentes et la cyberintimidation. Il examine également un bon nombre d’expériences de victimisation.

Pour cette étude, on a employé une méthodologie unique. Les chercheurs ont utilisé les résultats de trois différentes enquêtes sur les jeunes réalisées par la McCreary Centre Society entre 2006 et 2008 comme base pour des groupes de discussion auxquels ont participé 52 jeunes âgés de 12 à 19 ans qui avaient fait l’objet de victimisation. Ces groupes de discussion ont eu lieu entre décembre 2010 et février 2011 dans les cinq régions de la Colombie- Britannique : le Nord, l’intérieur, Fraser, Vancouver et l’île de Vancouver. On a présenté aux jeunes les résultats des trois enquêtes et on leur a demandé de formuler des commentaires et des recommandations sur la manière de remédier à la victimisation des jeunes. Les enquêtes en question étaient les suivantes :

  1. Enquête menée en 2006 auprès des jeunes de la rue, à laquelle ont participé 762 personnes, dont des sans-abris, des jeunes de la rue et des jeunes marginalisés, issues de neuf collectivités de la Colombie-Britannique;
  2. Enquête menée en 2007 sur l’éducation alternative à laquelle ont participé 339 jeunes de 34 programmes d’éducation alternative différents dans sept collectivités de la Colombie-Britannique;
  3. Enquête menée en 2008 sur la santé des adolescents à laquelle ont participé 29 900 étudiants du programme scolaire normal de la septième à la douzième année dans neuf collectivités de la Colombie-Britannique.

Conclusions

L’Étude a révélé que la majorité des jeunes ayant participé aux trois enquêtes avaient fait l’objet d’au moins une forme de victimisation selon les catégories de l’enquête durant leur vie et que bon nombre de jeunes avaient fait l’objet de plus d’une forme de victimisation. Les jeunes qui ont participé aux groupes de discussion ont confirmé ces conclusions, déclarant que la plupart des jeunes en Colombie-Britannique font l’objet d’une quelconque forme de victimisation durant leur enfance.

Effets de la victimisation

Les enquêtes ont également démontré que faire l’objet d’une victimisation, comme l’intimidation, peut avoir des effets négatifs sur la santé mentale. La victimisation a été associée de façon générale à un certain nombre d’effets négatifs et de facteurs de risque sur le plan de la santé, comme la consommation de drogue et d’alcool, des pensées suicidaires et des tentatives de suicide. Les facteurs de risque associés à la victimisation variaient en fonction des formes de victimisation dont les jeunes avaient fait l’objet. En outre, plus les formes de victimisation qu’avaient subi les jeunes variaient, plus ils étaient susceptibles d’avoir des comportements à risque. Plus que toute autre forme de victimisation, l’intimidation (notamment la cyberintimidation) augmentait le risque pour la victime de faire des tentatives de suicide et d’apporter une arme à l’école.

Recherche d’aide

On a aussi interrogé les jeunes qui ont participé à ces enquêtes sur les moyens qu’ils avaient employés pour obtenir de l’aide. Même si les jeunes qui avaient fait l’objet de victimisation avaient plus tendance à rechercher de l’aide auprès d’adultes, comme des enseignants ou des travailleurs sociaux, que les jeunes n’en ayant pas été victimes, ils étaient moins susceptibles de trouver ces personnes obligeantes. Les jeunes qui ont participé aux groupes de discussion ont confirmé cette conclusion et ont décrit plusieurs situations dans lesquelles ils avaient sollicité l’aide d’un adulte, mais cet adulte n’avait été d’aucun secours. Ils ont également formulé plusieurs recommandations en vue de remédier à la victimisation des jeunes et de fournir aux jeunes victimes des ressources utiles. Par exemple, le soutien des pairs et les mentors figurent parmi les sources de soutien les plus importantes pour les jeunes. Les jeunes devraient donc apprendre à s’entraider.

De plus, les jeunes qui ont participé aux groupes de discussion ont indiqué que les programmes à plus long terme qui permettent de tisser des liens au sein de la collectivité et de fournir des solutions de rechange à la violence sont plus utiles que les programmes à court terme. Ils ont également formulé plusieurs suggestions pour remédier à des formes particulières de victimisation, comme l’intimidation. Par exemple, les interventions devraient comprendre des formes de communication plus participatives et dynamiques, comme des petits groupes de discussion, car elles sont plus efficaces lorsqu’on discute de questions délicates comme l’intimidation que des intervenants ou des présentations qui ne prévoient aucune interaction avec les jeunes.

Seconde étude : Brooks, Mike.

Youth Experiences of Victimization: A Contextual Analysis, Toronto, Réseau ontarien d’éducation juridique (ROEJ ), 2011.

Le ROEJ a mené une enquête auprès de 153 adolescents de l’Ontario. La majorité des jeunes étaient des étudiants de la dixième à la douzième année, âgés de 16 à 19 ans. Quatre groupes de jeunes ont participé à l’étude : un premier groupe composé de 14 étudiants d’une classe de droit de onzième année; un deuxième groupe composé de 24 étudiants de la dixième à la douzième année qui avaient participé à une conférence pour les jeunes des minorités visibles; un troisième groupe composé de 52 étudiants francophones, en onzième et douzième années et un quatrième groupe composé de 63 adolescentes qui suivaient un programme d’éducation juridique.

L’enquête consistait d’une série de questions ayant trait à des expériences générales ou précises de victimisation et aux effets de la victimisation. On a étudié six genres d’expériences précises de victimisation : la victimisation violente (p. ex. les voies de fait), la victimisation non violente (p. ex. la destruction de biens), la victimisation en ligne (p. ex. le harcèlement par l’intermédiaire de sites de réseaux sociaux), la victimisation antisociale (p. ex. l’intimidation), la victimisation par un partenaire intime (p. ex. la violence verbale) et la victimisation liée à la fréquentation (p. ex. les attouchements sexuels non désirés).

Conclusions

On a, en premier lieu, demandé aux participants à l’enquête s’ils avaient déjà été victimes d’un acte criminel. Il s’agissait là d’une question générale sans restriction à laquelle 41 % des participants ont répondu qu’ils avaient fait l’objet d’une victimisation. On a ensuite présenté aux participants une liste de situations particulières qui englobaient les six formes de victimisation susmentionnées, et on leur a demandé s’ils avaient subi au moins l’une d’entre elles au cours de la dernière année. Quatre-vingt-six pour cent des jeunes ont répondu qu’ils avaient fait l’objet d’au moins une des ces formes de victimisation au cours de la dernière année. Donc, le pourcentage de jeunes qui avait fait l’objet d’une victimisation selon cette définition plus large a plus que doublé quand les interviewers les ont invités à préciser.

La forme de victimisation la plus courante qu’avaient subie les participants au cours des douze mois précédant l’enquête était la victimisation antisociale (41 %), la victimisation non violente (17 %), la victimisation en ligne (15 %) et la victimisation violente (9 %). Moins de jeunes ont déclaré avoir été victimes de violence liée à la fréquentation (8 %), de violence par un partenaire intime (7 %) et d’autres formes de violence (3 %). L’étude a également révélé que la victimisation était susceptible de se produire dans un certain nombre de contextes différents, comme à l’école, dans d’autres situations sociales et en ligne. Bon nombre de jeunes avaient également fait l’objet de plusieurs formes de victimisation au cours de l’année précédente.

Effets de la victimisation

Comme pour les jeunes de la Colombie-Britannique, la victimisation avait eu des conséquences négatives sur les jeunes de l’Ontario. Ceux qui avaient fait l’objet d’une victimisation étaient plus susceptibles de changer de comportement afin d’éviter la victimisation que ceux qui n’avaient pas été victimes. Chez près de la moitié des victimes, la victimisation avait entraîné un certain changement de comportement, comme mettre en garde leurs amis et éviter certains lieux. On a constaté en outre qu’un taux plus élevé de victimisation antisociale était lié à une piètre estime de soi chez les adolescentes qui ont participé à cette étude.

Recherche d’aide

On a également interrogé les jeunes sur les moyens qu’ils avaient employés pour signaler la victimisation et obtenir de l’aide. Les jeunes avaient le plus souvent signalé leurs expériences de victimisation à des sources de soutien officieuses, comme des amis ou des membres de la famille. Très peu de jeunes avaient déclaré leur victimisation à la police. Le pourcentage de signalement de la victimisation à des sources officieuses et à la police chez les jeunes qui avaient subi des formes non violentes de victimisation était plus élevé que celui des jeunes qui avaient fait l’objet de formes violentes de victimisation. En outre, les victimisations non violentes étaient signalées à un éventail plus large de sources de soutien que les victimisations violentes. Ces conclusions pourraient s’expliquer du fait que l’auteur de la victimisation non violente était souvent une personne non connue de la victime et que cette dernière se sentait donc plus à l’aise de signaler la victimisation (peut-être en raison d’une peur moindre de représailles ou de retombées sur la relation).

Conclusion

Ces études soulignent un certain nombre de questions en ce qui concerne la victimisation des jeunes. Les jeunes qui ont participé aux deux enquêtes ont clairement indiqué que leurs expériences de victimisation étaient beaucoup plus vastes que celles visées par la définition commune de la victimisation criminelle. Les conclusions des deux études démontrent également que lorsque la victimisation est définie de façon plus large comme un continuum d’expériences de victimisation, elle est fréquente chez les jeunes Canadiens. En outre, bon nombre de jeunes Canadiens subissent maintes formes de victimisation.

Ces études démontrent aussi que la victimisation peut avoir de nombreux effets néfastes, allant d’une piètre estime de soi à la consommation de drogue et d’alcool et à d’autres formes d’autodestruction. Il est donc important de trouver des moyens de communiquer avec les jeunes et de les sensibiliser en vue d’atténuer ces effets négatifs.

De plus, ces études ont révélé que les jeunes sont plus susceptibles de rechercher de l’aide auprès d’amis et de membres de la famille qu’auprès de sources plus officielles, comme la police ou des conseillers. Des conclusions antérieures tirées de l’ESG ont démontré que la plupart des personnes recherchent de l’aide auprès de sources naturelles.Note de bas de la page 6 Comme l’indique le rapport de la McCreary Centre Society, lorsque les jeunes ayant fait l’objet de victimisation ont recherché de l’aide auprès de sources officielles, ils ont souvent trouvé que celles-ci n’étaient d’aucun secours. On pourrait mener d’autres études auprès des jeunes en vue de déterminer la manière dont les adultes pourraient mieux les soutenir. Ces études pourraient utiliser une approche dynamique pour obtenir la participation des jeunes, comme la recherche-action participative ou, à tout le moins, des groupes de discussion, étant donné qu’il s’agissait là d’une recommandation des groupes de discussion tenus dans le cadre de l’étude de la McCreary Centre Society.

De plus, les jeunes qui ont participé à l’étude menée par la McCreary Centre Society ont formulé plusieurs autres recommandations importantes sur la meilleure façon de répondre à la victimisation des jeunes. Comme l’a indiqué un des jeunes ayant participé aux groupes de discussion :[Traduction] Ce n’est pas par une solution unique que l’on va résoudre le problème de la victimisation violente, mais il y a plusieurs choses qu’on peut faire pour aider à changer la situation.

Grâce aux témoignages des jeunes, les deux organisations ont obtenu des renseignements précieux qui peuvent être utilisés, et qui le seront, pour étayer et améliorer les programmes pour les jeunes dans l’avenir. De plus amples recherches menées par les autres provinces et territoires nous aideront à comprendre encore mieux les expériences de victimisation des jeunes.

Références