L'ETCAF et l'appel à l'action no 34.4 de la CVR : Un examen des méthodes d'évaluation
Introduction
Selon Flannigan, Pei, Stewart et Johnson (2018), [TRADUCTION] « les démêlés avec le système de justice pénale des personnes atteintes de l’ETCAF [ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale] ont suscité une attention considérable et ont stimulé une activité dans les milieux des décideurs et des praticiens; pourtant, il y a peu de données publiées permettant d’éclairer et d’orienter ces activités. » (Flannigan et coll. 2018, p. 50). Il est nécessaire d’évaluer les interventions actuelles. Il ne s’agit pas de décrire les mauvaises pratiques, mais plutôt d’insister sur la nécessité de l’évaluation et des programmes. En outre, Flannigan et coll. soutiennent que :
Malgré les nouvelles preuves selon lesquelles les personnes atteintes de l’ETCAF et par l’EPA [exposition prénatale à l’alcool] peuvent être surreprésentées et vulnérables au sein du système de justice, nous avons une compréhension limitée, d’après les données probantes actuelles, des types de mesures de soutien susceptibles de produire de meilleurs résultats. Aucune recherche n’a été effectuée, d’une part, pour étudier quelles formes d’intervention peuvent être utiles ou néfastes pour les personnes ayant des démêlés avec le système ou leur nuire, ce qui fait obstacle à notre capacité de former des professionnels désireux de favoriser des retombées positives pour ce groupe, et, d’autre part, pour étudier quels messages et approches de formation sont nécessaires. (Flannigan et coll. 2018, p. 50-51)
La Commission de vérité et réconciliation (CVR) a publié 94 appels à l’action en juin 2015. Dans la partie sur les mesures de suivi en rapport avec la justice, les recommandations de l’appel à l’action no 34 se lisent comme suit :
34. Nous demandons aux gouvernements du Canada, des provinces et des territoires d’entreprendre des réformes du système de justice pénale afin de mieux répondre aux besoins des délinquants atteints de l’ETCAF, plus particulièrement, nous demandons la prise des mesures suivantes :
- fournir des ressources communautaires et accroître les pouvoirs des tribunaux afin d’assurer que l’ETCAF est diagnostiqué correctement et que des mesures de soutien communautaires sont en place pour les personnes atteintes de ce trouble;
- permettre des dérogations aux peines minimales obligatoires d’emprisonnement pour les délinquants atteints de l’ETCAF;
- mettre à la disposition de la collectivité de même que des responsables des services correctionnels et des libérations conditionnelles les ressources qui leur permettront de maximiser les possibilités de vivre dans la collectivité pour les personnes atteintes de l’ETCAF;
- adopter des mécanismes d’évaluation appropriés pour mesurer l’efficacité des programmes en cause et garantir la sécurité de la collectivité. (CVR 2015)
Les appels à réformer la justice et la nécessité de tenir compte des répercussions de l’ETCAF dans les tribunaux ne sont pas une nouveauté. Le fait que l’ETCAF soit mentionné en tant que tel dans les appels à l’action de la CVR a fait ressortir le lien qui existe entre ce handicap et les pensionnats indiens, et a amplifié d’autres appels à réformer la justice pour cibler l’ETCAF dans le contexte du système de justice pénale. La recherche a démontré qu’il faut tenir compte de la prévalence de l’ETCAF dans le système de justice pénale au Canada (voir par exemple McLachlan et coll., 2019), et ces dernières années, un vaste éventail de projets ont porté sur cette problématique au sein du système de justice pénale (Flannigan et coll., 2018). L’intégration de l’ETCAF dans les travaux de la CVR a haussé les attentes de réforme parce que ses appels à l’action ne visent pas un changement à petite échelle, mais un changement systémique.
L’ETCAF est un handicap à vie. Cet ensemble de troubles est souvent mal compris puisqu’on tend à mettre l’accent sur les déficiences cognitives, alors que l’ETCAF peut affecter tout l’organisme et s’accompagne souvent de plusieurs problèmes médicaux concomitants (Mattson, Crocker et Nguyen 2011; Popova et coll., 2016). L’ETCAF peut survenir en raison d’une combinaison complexe de facteurs lorsqu’un sujet est exposé à l’alcool avant la naissance (Cook et coll., 2016). Certains facteurs contributifs sont notamment la pauvreté, la malnutrition, les traumatismes, le manque d’accès aux soins de santé prénataux et des facteurs préexistants (Badry et Choate, 2015). En outre, les sujets atteints risquent d’être stigmatisés à la fois à cause de leur handicap et des nombreuses formes de marginalisation auxquelles ils peuvent être exposés, y compris les préjugés et le racisme entourant le handicap (Bell et coll., 2015; Choate et Badry, 2019; Stewart, 2016). L’incapacité à saisir cette complexité donne lieu à des pratiques de prévention qui manque de vision (Salmon, 2011; Stewart, 2016). L’ETCAF est un handicap reconnu, ce qui signifie que les personnes qui en sont atteintes sont bénéficiaires de droits et de mesures d’adaptation garantis par l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.
Il est aisé de soutenir que les éléments de preuve combinés selon lesquels a) l’ETCAF est un handicap mal compris et b) les personnes atteintes de l’ETCAF sont surreprésentées dans les tribunaux de la jeunesse et les tribunaux pour adultes et c) l’inclusion de l’ETCAF dans les appels à l’action de la CVR, démontrent que l’on s’inquiète sérieusement des droits garantis par la Charte aux personnes ayant ce handicap. C’est pourquoi il est essentiel d’adopter des programmes et des pratiques qui permettent de s’attaquer au problème— et comme l’observe la CVR, ces programmes doivent être correctement évalués.
L’information fournie dans le présent document ne doit pas être vue comme une orientation définitive pour toutes les collectivités, mais comme un guide préliminaire visant à clarifier les mécanismes d’évaluation qui sont adaptés dans le contexte des programmes relatifs à l’ETCAF.
Il faut plus de programmes et de pratiques spécifiquement axés sur l’ETCAF. Comme les effets de ces troubles sont vécus différemment par chaque personne et par sa collectivité, il est également nécessaire que ces programmes et ces pratiques soient individualisés et puissent être adaptés en fonction des besoins particuliers de la collectivité. Par conséquent, la conception, la mise en œuvre et l’évaluation de ces programmes devraient se faire de manière collaborative et consultative. En plus d’une compréhension des pratiques actuelles, les mécanismes d’évaluation devraient comprendre de solides collaborations axées sur la collectivité et une consultation directe avec les personnes atteintes de l’ETCAF, leurs familles et les collectivités dans lesquelles les programmes et pratiques proposés seront mis en œuvre.
Les sections suivantes proposent au lecteur une information générale essentielle sur la complexité des programmes relatifs à l’ETCAF, les programmes actuels, les méthodes d’évaluation, et des considérations sur les pratiques d’évaluation futures.
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