L'ETCAF et l'appel à l'action no 34.4 de la CVR : Un examen des méthodes d'évaluation
Appel à l'action no 34.4
Avant d’analyser l’appel à l’action no 34.4 de la CVR, et le rôle de l’évaluation en rapport avec ces recommandations particulières, il est essentiel d’examiner d’abord le contexte plus large dans lequel s’inscrit la CVR. Il convient notamment de souligner le rôle déterminant que la CVR a joué en exigeant une plus grande reconnaissance des répercussions à long terme du colonialisme, et de la nécessité de la vérité et de la responsabilité comme partie intégrante d’un changement transformationnel. Nous présentons dans cette section un bref résumé sur la CVR. Nous invitons les lecteurs à se rendre sur le site de la CVR dont tout le contenu peut être consulté ou téléchargé gratuitement ou sur le site du Centre national pour la vérité et la réconciliation qui contient d’autres ressources.
L’une des répercussions les plus profondes de la colonisation au Canada a été la mise en place d’un système d’éducation qui a détruit les familles, les collectivités et les nations autochtones. Les enfants ont été enlevés à leur famille et entièrement retirés de leurs communautés, et envoyés dans des écoles de mission et industrielles ou comme on les appelle plus souvent, dans des pensionnats indiens. Le régime des pensionnats indiens (RPI) visait à soustraire les enfants à l’influence des parents et des communautés afin d’accélérer leur assimilation à la société britannique nord-américaine/canadienne. Le but était d’assurer la disparition des peuples autochtones comme nations distinctes.
Les peuples autochtones voulaient avoir accès à une éducation canadienne, et ils ont négocié pour que des écoles et du personnel enseignant soient fournis par le gouvernement. Les représentants canadiens ont récupéré la promesse d’éducation des enfants autochtones faite dans les traités en créant un réseau d’écoles sur tout le pays dans lequel les enfants étaient pensionnaires. Il s’agissait d’écoles primaires généralement dirigées par des religieux, lesquelles devaient devenir autosuffisantes grâce à l’agriculture. L’intention du gouvernement étant de mettre en œuvre à faible coût la promesse d’éducation des traités, les enseignants et le personnel étaient sous-payés, les installations étaient inadaptées et malsaines. Les enfants autochtones étaient sous-alimentés et mal vêtus, et on attendait d’eux qu’ils travaillent pour que les écoles puissent se maintenir. Le résultat a été un désastre pour ces enfants : le taux de mortalité était si élevé parmi les élèves qu’un inspecteur de la santé du ministère des Indiens a qualifié la situation de « crime national ». Dans les écoles, les élèves étaient fréquemment victimes de négligence, de mauvais traitements et d’abus.
La Commission de vérité et de réconciliation (CVR) du Canada a été créée dans le cadre d’une Convention de règlement entre le Canada, les Églises responsables, les survivants, l’Assemblée des Premières Nations (APN) et Inuit Tapiriit Kanatami. Les peuples autochtones ont organisé une série de recours collectifs qui ont abouti à un règlement visant à indemniser les anciens élèves du RPI. Les anciens élèves, également appelés « survivants », ont insisté sur la création d’une commission de vérité pour que l’on détermine comment et pourquoi ces écoles ont été créées, et comment et pourquoi il a été permis que le système se maintienne pendant plus d’un siècle, des années 1880 jusqu’aux années 1990. Le dernier pensionnat a fermé ses portes en Saskatchewan en 1996, et le gouvernement fédéral négocie actuellement des règlements avec les survivants qui ont fréquenté des écoles ne faisant pas partie de la portée du règlement initial. La CVR a lancé ses 94 appels à l’action en 2015.
La CVR a mis l’accent sur les enjeux nécessitant une réforme dans le secteur de la justice, notamment sur les préoccupations que soulèvent les personnes atteintes de l’ETCAF appelées à composer avec le système de justice pénale, aussi bien en tant que victimes que de contrevenants. Dans les témoignages de survivants et la jurisprudence, on retrouve des exemples comme ceux de R. c. Jessie George et R. c. Charlie. Par exemple, dans l’affaire R. c. George, le juge a observé ce qui suit :
M. George n’a pas demandé les cartes qui lui ont été distribuées à la naissance. Il n’a pas demandé une jeunesse chaotique. Sa mère n’a pas demandé les cartes qui lui ont été distribuées dans sa jeunesse. Son incapacité à assumer son rôle de parent a aggravé les effets de l’alcool prénatal sur le cerveau de M. George. Il devra gérer ces handicaps pendant le restant de sa vie. J’en suis désolé pour lui. J’espère qu’il les surmontera. Néanmoins, le tribunal se doit de considérer les risques que ce jeune homme représente pour la population à cause de son jugement défectueux et de son incapacité à contrôler ses réactions agressives. (CVR 2015, note 163, p. 255-256)
R. c. Jessie George met en relief le lien qui existe entre l’ETCAF, la justice et les pensionnats indiens dans les tribunaux, mais ce lien, même connu, ne semble pas servir de circonstance atténuante. À l’inverse, dans R. c. Charlie, le juge Lilles (Yukon) voit le trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale (TSAF) et les pensionnats indiens comme une circonstance atténuante dans la détermination de la peine. Dans son jugement, le juge Lilles observe que :
Cette histoire de la famille de Franklin Charlie est importante car elle indique le lien direct entre la colonisation du Yukon et la politique gouvernementale des pensionnats et le retrait des enfants de leurs familles pour les placer dans des environnements de maltraitance pendant de longues périodes, l’absence d’éducation parentale, étant donné que les pensionnats faisaient office de parent indigne, et le recours éventuel à l’alcool au retour dans les communautés. Le TSAF de Franklin Charlie est le résultat direct de ces politiques du gouvernement fédéral appliquées par l’agent des Indiens fédéral local. Ironie du sort, c’est le gouvernement fédéral qui, aujourd’hui, poursuit Franklin Charlie pour les délits qu’il a commis parce qu’il est victime des conséquences de la consommation d’alcool maternelle. (CVR 2015, p. 256)
La peine prononcée par le juge Lilles a servi d’exemple national et de modèle pour la détermination de la peine en vertu de quoi l’ETCAF est retenu comme circonstance atténuante, que l’on peut attribuer à l’héritage des pensionnats indiens. Et malgré cette intervention importante du juge Lilles, nous nous retrouvons souvent devant un appareil judiciaire et un système de justice pénale pour lesquels la compréhension des subtilités de l’ETCAF est limitée.
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