L'ETCAF et l'appel à l'action no 34.4 de la CVR : Un examen des méthodes d'évaluation
Programmes relatifs à l'ETCAF et analyse de l'environnement
Ce qui suit ne doit pas être considéré comme une liste exhaustive des programmes et des évaluations de justice en rapport avec l'ETCAF. Tous les programmes ne présentent pas leurs données publiquement ou en ligne. Très peu de programmes divulguent leurs méthodes d'évaluation et il est possible que d'autres programmes aient été évalués, mais les conclusions n'ont pas été diffusées. La liste qui est fournie est un échantillon de certains programmes qui ont été évalués, le but étant de guider la réflexion sur la création d'une évaluation des programmes de justice destinés aux personnes atteintes de l'ETCAF. Nous commençons par présenter brièvement une analyse de l'environnement réalisée en 2015 sur l'ETCAF et les programmes de justice au Canada, suivi par une discussion orientée par les questions de recherche qui ont cadré ce projet.
En 2015, Mme Stewart et son équipe de recherche de l’Université de Regina ont préparé une analyse de l’environnement dans le cadre de laquelle l’ETCAF et les programmes de justice au Canada (Stewart, 2015) ont été examinés. Le document visait à décrire précisément les programmes et les pratiques destinés à la fois aux jeunes contrevenants et aux contrevenants adultes touchés par l’ETCAF dans toutes les régions du pays. À l’échelle nationale, treize programmes ont été recensés en tout : huit pour jeunes contrevenants touchés par l’ETCAF et cinq pour contrevenants adultes touchés par l’ETCAF. Selon l’analyse de l’environnement, le nombre de programmes destinés aux adultes et aux jeunes qui sont aux prises avec le système de justice pénale et qui ont reçu un diagnostic d’ETCAF ou dont on soupçonne qu’ils en sont atteints est limité. Un grand nombre des programmes actuels ont été créés par des organismes locaux de services sur l’ETCAF, des fondations associées et des organismes gouvernementaux. Certains programmes s’appuient notamment sur des mesures de soutien intensif en établissement résidentiel, tandis que d’autres offrent des services de gestion de cas et d’aiguillage. Plusieurs programmes actuels offrent un éventail de mesures de soutien, d’information, de formation, et des services d’approche.
Comme il est mentionné précédemment, « la recherche montre qu’un nombre disproportionné de personnes ayant des démêlés avec le système de justice pénale sont atteintes de l’ETCAF (diagnostiqué, présumé ou autre). Cela crée une pression sur le système pour qu’il tienne compte des besoins de ces clients —et cela soulève des questions sur les cadres dans lesquels les besoins peuvent être le mieux satisfaits » (Stewart, 2015, p. 3). Dans son analyse de l’environnement, l’équipe a constaté
« un manque de formation et d’information sur l’ETCAF parmi le personnel de première ligne du système de justice (policiers, juges, services correctionnels et personnel des tribunaux), ce qui peut avoir un impact sur le traitement égalitaire par le système de justice des personnes atteintes de l’ETCAF » (Stewart, 2015, p. 3). En outre, les personnes atteintes de l’ETCAF sont confrontées à des obstacles à la justice en raison du manque de mesures de soutien adaptées avant qu’elles n’aient affaire avec le système de justice pénale et qu’elles ne se retrouvent avec encore moins de solutions une fois qu’elles y sont entrées. Comme on a conçu la majorité des outils d’évaluation internes au système de justice pénale en pensant aux jeunes, il est fréquent que les adultes soient mal desservis. De plus, le rapport a relevé un manque de services et de procédures permettant de soutenir adéquatement les personnes atteintes de l’ETCAF, ce qui peut encore compliquer les relations avec le système de justice pénale.
Bon nombre de services, de politiques et de programmes ne tiennent pas compte les divers aspects du handicap. Une personne atteinte de l’ETCAF peut avoir des déficits d’intégration sensorielle, et devenir angoissée et distraite en salle d’audience au cours de sa détention, au point de ne pas entendre ou comprendre ce qui se dit. Il y a des mesures d’adaptation dans certaines salles d’audience (p. ex. éclairage plus tamisé), une pratique prometteuse qui ouvre la porte à d’autres changements nécessaires. Stewart (2015) observe également « une reconnaissance croissante dans le système judiciaire que l’ETCAF est une question pertinente et opportune […] » et qu’elle « peut influer sur une vaste gamme de résultats du processus judiciaire, y compris sur les pratiques de détermination de la peine et de surveillance au sein de la collectivité » (Stewart, 2015, p. 26-27). Il y a eu une certaine évolution depuis le rapport, par exemple des programmes pilotes élargis et un tribunal spécialisé dans l’ETCAF au Manitoba, mais il demeure urgent d’améliorer l’accès à des mesures de soutien juridique et communautaire qui tiennent compte de l’ETCAF et sont culturellement adaptées. En outre, l’analyse de l’environnement a clairement montré qu’on a besoin d’évaluations solides et pertinentes des programmes sur l’ETCAF au Canada et le système de justice pénale. Ces évaluations doivent être rendues publiques aux fins d’une responsabilisation et d’une transparence plus grandes, et de la communication des pratiques exemplaires à ceux qui offrent des services analogues. Ces évaluations doivent également intégrer les points de vue des personnes qui ont ce vécu.
II est essentiel de faire participer les personnes atteintes de l’ETCAF à l’évaluation des programmes parce que ce sont elles qui utilisent les services. Les pratiques exemplaires en évaluation montrent la nécessité d’utiliser un langage clair lorsqu’on conçoit des sondages destinés au public. Une directive adaptée en matière d’évaluation de l’ETCAF aurait comme règle une rédaction à un niveau de littératie de cinquième année. C’est chose possible en utilisant les fonctions de MS Word pour mesurer le taux de littératie lorsqu’on crée des sondages. La recherche montre également qu’une pratique exemplaire consisterait à accorder un délai convenable pour mener des entrevues et à prévoir des pauses de durée suffisante. Si nécessaire, il est possible de demander régulièrement aux participants leur consentement à la poursuite de la collecte de données à différents moments. En outre, la recherche indique également que des entrevues plus courtes, avec des « pauses mentales » intégrées au besoin, et l’utilisation d’un formulaire de consentement simple permettent d’obtenir un consentement éclairé. La collecte de données ne devrait pas dépasser trente (30) minutes si possible.
Une pratique efficace utilisée dans le cadre d’un projet en Colombie-Britannique a pris la forme d’entrevues d’équipe avec un intervenant de confiance, un chercheur et une ou des personnes ayant une expérience vécue qui participent tous à une discussion dirigée. Cette méthode peut produire une masse de données qualitatives. Une personne de confiance présente dans la pièce et d’autres personnes peuvent « interpréter » les questions au besoin, afin de s’assurer au mieux du consentement éclairé et de la compréhension des questions. On trouve des exemples de cette méthode dans une évaluation de programmes différente sur l’ETCAF réalisée par Muhajarine et coll. (2013). Dans ce cadre, les chercheurs ont évalué ces programmes financés par le gouvernement en Saskatchewan, lesquels incluaient des entrevues auprès d’organismes et de clients ayant reçu des services. La lettre d’invitation aux clients était rédigée en langage clair, le temps consacré était noté, tout comme les droits de participer ou de refuser de participer. Le rapport complet, qui est cité dans la section des lectures complémentaires, est publié en ligne.
Il existe des tribunaux spéciaux et spécialisés à travers le Canada, dont certains existent depuis plus de trente ans. Plus récemment, certains d’entre eux ont également mis l’accent sur l’ETCAF, y compris le nouveau tribunal pour les contrevenants atteints de l’ETCAF au Manitoba, qui a commencé à tenir audience au printemps 2019. Avant la création de ce tribunal entièrement spécialisé et relié au système de justice pour les jeunes, le Tribunal du mieux-être communautaire du Yukon, le Tribunal Gladue en Ontario et les tribunaux spécialisés en santé mentale de la Saskatchewan ont tous accordé une attention experte à l’utilisation des points forts d’un tribunal de traitement, pour essayer de produire de meilleurs résultats en matière de justice pour les personnes ayant des handicaps complexes tels que l’ETCAF.
Le Tribunal du mieux-être communautaire du Yukon a été créé en 2007 et a été évalué en 2011 (Hornick, Kluz et Bertrand, 2011). Il est passé du stade de projet pilote à une pratique judiciaire de rechange, durable et reconnue à l’échelle nationale. Même s’il ne se consacre pas exclusivement à l’ETCAF, le Tribunal entend des clients qui en sont atteints. L’évaluation du tribunal comprenait diverses méthodes conçues en vue d’une analyse sommative (axée sur les résultats) qui a permis de vérifier l’efficacité globale du tribunal et si le tribunal a été mis en œuvre comme prévu.
L’équipe a reconnu l’existence de plusieurs contraintes et difficultés dans le processus d’évaluation, notamment l’absence de groupe témoin, des renseignements limités sur la clientèle et un nombre réduit de clients. La stratégie d’évaluation comportait plusieurs volets, dont un seul (les entrevues avec les clients du tribunal) avait un lien direct avec les objectifs du présent document. II est indiqué dans le rapport que des entrevues ont été menées auprès des clients, mais il n’est pas indiqué de manière explicite comment elles l’ont été et, plus précisément, si des mesures d’adaptation ont été prises dans le but d’accroître l’accessibilité pour les clients atteints de l’ETCAF. Une pratique prometteuse consistait à communiquer avec les clients qui demeuraient en contact avec le tribunal et à intégrer leurs points de vue. Il est à noter que tous les clients ont été remerciés de leur participation, y compris ceux qui y ont participé en témoignant de leur expérience vécue. Il s’agit d’un exemple d’approche d’évaluation qui prend en compte l’ETCAF, dans laquelle on accorde la même importance à tous les participants. Tous les outils d’enquête ont été communiqués et pourraient être modifiés dans d’autres évaluations de façon à les rendre plus conviviaux et accessibles aux clients atteints de l’ETCAF.
Il y a maintenant deux tribunaux spéciaux de santé mentale en Saskatchewan qui desservent la clientèle touchée par l’ETCAF. Chaque tribunal a été évalué peu de temps après sa mise en œuvre. En 2015, Barron, Moore, Luther et Wormith ont publié un document intitulé « The Process Evaluation of the Mental Health Strategy » axé sur les résultats de la première année de fonctionnement du tribunal qui incluait des clients atteints de l’ETCAF. L’équipe a utilisé une matrice d’évaluation, avec une ventilation des méthodes qualitatives employées pour mener des entrevues avec les principaux intéressés, questions et indicateurs compris. De plus, des méthodes quantitatives ont été utilisées pour procéder à un examen des dossiers clos. Certaines modifications ont été apportées aux méthodes d’évaluation pour accommoder les personnes atteintes de l’ETCAF comme la diminution de la durée des entrevues et la possibilité de prendre des pauses. De plus, l’évaluation visait à rationaliser (à maintenir la cohérence) et à simplifier le langage dans la mesure du possible, ce qui permettrait également de répondre aux besoins des personnes atteintes de l’ETCAF.
Un an plus tard, le document « The Mental Health Disposition Court – A Formative Investigation » a été publié par Stewart et Mario (2016), qui se sont intéressés surtout au tribunal spécial de Regina, en Saskatchewan. Les chercheurs ont employé des méthodes mixtes dans cette évaluation. Les méthodes qualitatives comprenaient l’observation et l’analyse, par les participants, des pratiques avant et pendant l’audience, ainsi que des entrevues semi-structurées avec des professionnels et des clients. Les méthodes quantitatives comprenaient l’examen des dossiers de cas et l’analyse des résultats judiciaires, y compris l’analyse statistique des données démographiques et la ventilation des accusations. Un nouvel outil (questionnaire) a été élaboré en collaboration avec un groupe consultatif afin de mieux tenir compte de l’expérience des personnes ayant participé au processus judiciaire. Le questionnaire a permis aux participants d’utiliser une aide visuelle pour illustrer leur expérience : ils ont pu utiliser des jetons de poker pour indiquer les domaines dans lesquels ils avaient besoin d’aide. Cela a permis une forme unique de communication et un moyen concret de comprendre. Les auteures ont indiqué que, même si le nombre de participants était limité, l’utilisation de cet outil et d’outils modifiés semblables devrait être envisagée de nouveau.
En Colombie-Britannique, l’Asante Centre offre un programme de mentorat entre pairs dans le cadre duquel deux adultes atteints de l’ETCAF organisent des séances en groupe pour les jeunes atteints des mêmes troubles afin de les aider à s’informer sur leur handicap et à se concentrer sur leurs forces. Bien qu’elles ne soient pas liées à la justice, les stratégies d’évaluation de ce programme méritent d’être mentionnées en vue d’une adaptation future au contexte de la justice pénale. Il s’agit d’un programme de mentorat par les pairs qui vise à aider les jeunes non seulement à établir de solides relations prosociales, mais également à comprendre leur handicap. Une évaluation du programme a eu lieu en (2018) dans le cadre d’une collaboration réunissant les chercheurs, le personnel des organismes et les mentors atteints de l’ETCAF qui offrent le programme, et il est de nouveau évalué en ce moment (2019). L’équipe a conçu conjointement certains volets du programme et l’outil d’évaluation. Les mentors utilisent depuis mai 2018 la trousse d’outils « Playing To Our Strengths » (pour plus ample information, consulter le site improvenabled.ca) mise au point par Mmes Michelle Stewart et Rebecca Caines. La trousse d’outils est un projet communautaire issu d’une consultation auprès des aidants naturels et des personnes atteintes de l’ETCAF. Elle répond à un besoin de ressources axées sur les forces et de recherche sur le terrain, et on l’a évaluée en mettant l’accent sur la façon dont les pairs mentors l’ont adaptée à leurs besoins.
La stratégie d’évaluation portait sur les objectifs du programme, le but étant d’en tirer les questions d’évaluation. La méthode d’évaluation utilisée reposait sur des entretiens hebdomadaires semi-structurés en face à face avec les pairs mentors. Ainsi, au premier cycle d’évaluation, on a cherché à comprendre l’utilité de la trousse d’outils du point de vue du mentor. Il a été reconnu que, si la trousse d’outils a été conçue à l’origine pour les personnes atteintes de l’ETCAF, la question de savoir si la trousse était conviviale, et si elle devait être fournie par des personnes vivant avec l’ETCAF n’a pas été étudiée. Ce cycle d’évaluation devait mesurer l’utilité de la trousse d’outils pour les personnes vivant avec l’ETCAF. L’évaluation est maintenant sur l’interprétation des séances de mentorat par les jeunes par des méthodes d’évaluations axées sur les arts. Les méthodes d’évaluation axées sur les arts peuvent améliorer l’accessibilité de façon à ce qu’un plus grand nombre de personnes participent à l’évaluation. Pour l’évaluation de la trousse d’outils, les participants ont utilisé une boîte à souvenirs. Chaque semaine, les jeunes plaçaient dans la boîte des objets qui leur rappelaient la leçon hebdomadaire. Au cours des semaines suivantes, les jeunes ont regardé de nouveau leurs boîtes à souvenirs pour discuter de la signification du groupe de mentorat hebdomadaire et général, et créer du contenu audio et visuel à évaluer.
Essentiellement, les auteures veulent attirer l’attention sur la possibilité d’étudier des programmes conçus conjointement, c’est-à-dire créés au sein de la collectivité pour des personnes atteintes de l’ETCAF. On ne saurait trop insister sur la nécessité d’obtenir la participation et l’avis des personnes atteintes de l’ETCAF, et de tenir compte de l’impact de ce à quoi peuvent ressembler les pratiques conçues conjointement. Bien que le système de justice pénale offre des mesures de soutien et des services, c’est dans la collectivité qu’il faut d’abord rechercher les pratiques exemplaires, c’est dans la collectivité qu’il faut investir dans les personnes et c’est dans la collectivité qu’il faut d’abord développer et nourrir le potentiel de l’individu et de la famille. La conception conjointe de programmes et d’évaluations ouvre la porte à la création d’outils d’évaluation non stigmatisants et d’outils adaptés à la culture et mutuellement bénéfiques. Dreise et Mazursk (2018) observent que les méthodes de conception conjointe tiennent compte des héritages du passé colonial où la recherche et l’évaluation portaient sur les communautés autochtones au lieu de se faire avec les communautés. Tout comme les méthodes d’évaluation fondées sur les arts peuvent aider un plus grand nombre de personnes à participer à l’évaluation, la co-conception peut ouvrir de nouvelles perspectives. En participant à des méthodologies conçues conjointement, l’équipe d’évaluation ou de recherche travaille en collaboration pour relever les éléments d’intérêt, ce qui aura à son tour une incidence sur les types de questions qui sont posées au sujet d’un projet donné. Si les Autochtones participent directement à l’évaluation et que celle-ci est conçue dans un esprit de collaboration, il est plus probable que l’on obtienne des résultats plus solides et potentiellement significatifs. Il est également possible d’établir des relations à long terme et de renforcer les capacités communes, ce qui peut contribuer à la faisabilité de l’évaluation en tant que telle.
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