Les peines minimales obligatoires au Canada : analyse et bibliographie annotée

1.0 Introduction : aperçu de l’application des peines minimales obligatoires au Canada

Le présent document se veut un résumé des principaux constats concernant la question des peines minimales obligatoires (PMO) au Canada. L’information et les données factuelles présentées sont tirées de diverses publications axées sur l’expérience canadienne en la matière : revues et autres publications soumises à un comité de lecture, documents de politiques générales et exposés de positions, et monographies majeures. Le document passe en revue les principaux résultats des recherches réalisées au Canada sur la question des PMO ainsi que les idées dominantes qui en découlent en présentant les caractéristiques qui les définissent, en retraçant leur histoire et en décrivant leurs utilisations et leur impact sur les principaux acteurs du système de justice dans le cadre du processus de détermination des peines. En outre, des arguments sont exposés, aussi bien en faveur qu’en défaveur des PMO. Dans la bibliographie annotée des sources qui accompagne le document, divers articles traitant des PMO au Canada sont cités, ainsi que quelques articles pertinents publiés à l’étranger. Les annotations sont constituées d’un synopsis et d’une série de mots-clés pour chaque article. 

1.1 Peines minimales obligatoires : une définition

Dans la documentation spécialisée et la langue juridique, la peine minimale obligatoire (PMO) – aussi appelée sanction minimale obligatoire ou encore, peine plancher – désigne toute peine que fixe la loi en la faisant correspondre au seuil minimum de punition devant obligatoirement être imposé (peine la plus clémente autorisée par la loi). L’idée de peine minimale obligatoire suppose que les tribunaux sont tenus d’infliger aux délinquants reconnus coupables de certaines infractions précises une peine dont la nature et la durée, la portée ou la sévérité minimales sont préétablies (Fearn, 2011; Tonry, 1996, 2009). Les juges ne sont pas autorisés à prononcer une peine plus clémente que la peine plancher fixée à l’avance par la loi, même en présence d’arguments, de règles ou de principes impérieux en ce sens (voir, par exemple, Paciocco, 2014). Les PMO se distinguent de la peine que le magistrat impose après avoir jugée qu’elle était adéquate, à l’issue d’un examen de la jurisprudence, des principes codifiés de la détermination de la peine, des circonstances de l’affaire et des observations des procureurs.

Au Canada, on trouve des peines minimales obligatoires dans le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Toutes les peines obligatoires ne donnent pas lieu à l’incarcération. En effet, les PMO se déclinent sous diverses formes : emprisonnement, mesures d’interdiction et amendes.

1.2 Bref historique des PMO au Canada

Les peines minimales obligatoires « ne constituent pas la norme au Canada Â» (R. c. Wust [2000] A.C.S. no 19, [2000] 1 R.C.S. 455, para 18). Pour autant, elles ne représentent pas non plus un phénomène nouveau. Si le recours aux peines minimales obligatoire remonte à l’époque coloniale (voir Fearn, 2011), le régime canadien de droit pénal [traduction] « a toujours comporté une certaine catégorie d’infractions assorties de sanctions minimales Â» (Mangat, 2014, p. 8). Par exemple, le droit canadien a longtemps prévu des peines minimales obligatoires pour les meurtres prémédités et non prémédités. L’examen de l’évolution des PMOS a révélé qu’en 1892, six infractions s’accompagnaient d’une période minimale obligatoire d’emprisonnement : fait de se livrer à un combat concerté (trois mois), fraude envers le gouvernement (un mois), vol de sacs de transport de courrier (trois ans), vol de lettres confiées à la poste (trois ans), fait d’arrêter la poste avec intention de vol (cinq ans) et acte de corruption dans les affaires municipales (un mois) (Crutcher, 2001).

Depuis 2006, le nombre d’infractions pour lesquelles une PMO est prévue a augmenté. Ainsi, dans le cadre de modifications apportées en 2012 à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (LRCDAS), des PMO ont été ajoutées pour certaines infractions liées aux drogues dans des circonstances déterminées (Guide du Service des poursuites pénales du Canada 2014, sec. 6.2; Loi réglementant certaines drogues et autres substances, 2003). On estime à 100 le nombre actuel d’infractions qui, dans le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, sont assorties d’une peine minimale obligatoire (Parkes, 2012a).

1.3 Les PMO dans la pratique

Les circonstances et les infractions pour lesquelles on fait appel aux peines minimales obligatoires varient selon les ressorts où elles sont appliquées. Au Canada, elles sont le plus souvent liées à certains types d’infractions criminelles. Elles peuvent aussi être appliquées à des catégories particulières de délinquants, comme les récidivistes. Enfin, elles peuvent être associées à d’autres infractions : la suramende compensatoire prévue en droit canadien en est un bon exemple. La présente section offre une brève description des diverses utilisations qui sont faites des PMO, en mettant l’accent sur la pratique qui a cours au Canada.

1.3.1 Les types d’infractions

Les PMO peuvent être appliquées à certaines infractions (p. ex. vente d’une drogue particulière, port d’une arme donnée) ou à certains types de récidivistes (délinquants violents ou auteurs d’infractions de conduite avec facultés affaiblies). Il peut s’agir, pour les politiques qui décident de leur adoption, de réagir au fait que la population perçoive ces types de crimes (ou ces catégories de délinquants) comme étant particulièrement choquants ou impardonnables.

Les types d’infractions pour lesquels une PMO est définie sont variés. Au Canada, de telles peines sont prévues, par exemple, pour les infractions suivantes : trahison (perpétuité – par. 47(1)); usage d’une arme à feu lors de la perpétration d’une infraction (un an pour une première infraction poursuivie par acte d’accusation – art. 85); trafic d’armes (trois ans pour la première infraction – par. 99(1)); contacts sexuels (un an pour une première infraction poursuivie par acte d’accusation – art. 151); meurtre au premier et au deuxième degré (perpétuité – par. 235(1)); conduite avec facultés affaiblies (pour une première infraction poursuivie par procédure sommaire – amende de 1000 $); agression sexuelle grave (cinq ans pour une première infraction – ss-al. 273(2)a)(i)); importation et exportation de plus de 1 kg d’une substance inscrite à l’annexe I (un an – par. 6(3) LRCDAS); production de plus de cinq plantes de cannabis (6 mois – ss-al. 7(2)b)(i)).

1.3.2 Les délinquants

Au Canada, les peines minimales obligatoires ne peuvent être appliquées qu’à l’égard des adultes; un jeune contrevenant ne peut être assujetti à une peine minimale obligatoire, quelle que soit l’infraction qui lui est reprochée (Bala, 2015).

Les experts de la question décrivent de quelles façons certains types de délinquants sont assujettis à des peines minimales obligatoires. Par exemple, aux États-Unis, la fameuse loi des « trois fautes Â», inspirée de la règle des trois prises au baseball, prévoit l’imposition obligatoire d’une PMO pour les délinquants déclarés coupables de crimes multiples; dans le cas des délinquants qui en sont à leur troisième infraction criminelle après avoir commis deux crimes graves (« felony Â»), un emprisonnement d’au moins 25 ans et pouvant aller jusqu’à la perpétuité s’impose (Gabor et Crutcher, 2002). Le Canada n’applique pas de règle du type des « trois fautes Â», mais les récidivistes violents et les délinquants reconnus coupables de plusieurs infractions de conduite avec facultés affaiblies s’exposent à l’éventualité de se voir infliger une PMO (Code criminel, art. 255).

1.3.3 La suramende compensatoire

La suramende compensatoire figure au nombre des peines minimales obligatoires imposées. Il s’agit d’une sanction pécuniaire infligée à tout délinquant reconnu coupable d’une infraction criminelle en sus de toute autre peine propre à l’infraction. Parce qu’elle est imposée à tous les délinquants, la suramende compensatoire constitue une forme de PMO. Les sommes perçues ne sont pas versées directement aux victimes, mais elles servent à financer les services dont bénéficient ces dernières (Dupuis, 2013). La question de savoir si la suramende compensatoire équivaut à une peine fait l’objet d’un débat; néanmoins, dans la mesure où la loi limite la discrétion du juge quant à son imposition, le fonctionnement de la suramende est semblable à celui d’une PMO. En effet, le calcul du montant des sanctions pécuniaires suit une formule préétablieNote de bas de page 1.

Selon la politique actuellement en vigueur, quiconque est reconnu coupable d’une infraction criminelle est tenu de payer une suramende de 100 $ si l’infraction est punissable par voie de procédure sommaire et de 200 $ si elle est punissable par voie de mise en accusation ou, si le tribunal lui a imposé une amende, une somme représentant 30 % de cette amende. La suramende compensatoire est un bon exemple de PMO ne faisant aucune distinction entre les divers types d’infractions et de délinquants. Il fut un temps où les juges canadiens pouvaient renoncer à imposer la suramende mais, en 2013, ce pouvoir discrétionnaire leur a été retiré.

1.4 Les principes de la détermination de la peine et le pouvoir discrétionnaire du juge

On considère souvent que l’application de peines minimales obligatoires est contraire aux principes fondamentaux de la détermination de la peine établis depuis longtemps par la common law et les lois. L’article 718 du Code criminel énonce certains de ces principes; il précise en effet que le prononcé des peines a pour objectif essentiel de contribuer au respect de la loi et au maintien d'une société juste, paisible et sûre par l'infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

  1. dénoncer le comportement illégal;
  2. dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;
  3. isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;
  4. favoriser la réinsertion sociale des délinquants;
  5. assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;
  6. susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.

L’article 718.1 énonce le principe central régissant la détermination de la peine : celle-ci doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant. Pour s’assurer que les peines respectent les objectifs précisés par le Code criminel, les juges appliquent les principes directeurs formulés à l’article 718. À l’intérieur de ce cadre défini, ils sont en mesure d’exercer leur pouvoir discrétionnaire de manière judicieuse.

Grâce au pouvoir discrétionnaire dont ils disposent, les juges sont en mesure d’imposer des peines adaptées à chaque situation. Ils sont ainsi autorisés à prendre des décisions ayant force obligatoire et à faire un choix, parmi une gamme de possibilités et en respectant un ensemble de règles, de normes ou de principes. Ce pouvoir discrétionnaire n’est toutefois pas absolu et ne saurait être exercé de manière fantaisiste; son exercice est au contraire encadré, et son titulaire doit tenir compte de la jurisprudence, des faits de l’espèce et des lois existantes en matière de détermination de la peine.

Pour expliquer les nuances et le déroulement habituel du processus de détermination de la peine en matière criminelle au Canada et guider ce processus, il existe quantités de règles de common law, de précédents jurisprudentiels et de lois. La proportionnalité, la parité et la retenue sont quelques-uns des grands principes à prendre en considération. Le juge appelé à décider de la peine à imposer doit considérer différentes options en fonction des circonstances juridiques (peines multiples, détention présentencielle, délinquants dangereux, circonstances aggravantes et atténuantes), du type de délinquant (adolescent, personne handicapée, autochtone) et, dans certains cas, du type d’infraction criminelle (méfait, homicide, incendie criminel, exportation de drogues, vol qualifié, etc.). Il n’est donc étonnant que l’exercice du pouvoir discrétionnaire, conjugué au caractère routinier de la pratique sentencielle, donne lieu à des variations dans les peines prononcées, le processus suivi, les limites et les justifications de la peine (Ashworth, 2010; Fiske, 2007; Manson, 2001; Packer, 1968; Perrier et Pink, 2007).

Le justiciable qui s’estime lésé peut s’adresser à la cour d’appel, qui est investie du pouvoir d’annuler les peines jugées inappropriées. Les juges s’inspirent de la jurisprudence et des lois pour s’assurer de la proportionnalité des peines prononcées et de leur cohérence sur le plan juridique. En fait, en common law, le pouvoir discrétionnaire des juges est considéré comme une composante essentielle du système de justice et à ce titre, il est, avec diverses autres considérations, au centre du débat entourant les PMO au Canada.