Dépistage rapide et orientation des familles vivant une séparation ou un divorce fortement conflictuel
CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS (continue)
Les traits caractéristiques des familles passant par un divorce fortement conflictuel
Plusieurs études cliniques et empiriques portent à conclure que l’un des facteurs alourdissant le plus, à la fois dans l’immédiat et à long terme, les conséquences néfastes chez les enfants, sont les conflits parentaux qui s’installent et qui perdurent même après le divorce. Selon ces études, il est évident que les conflits aigus entre parents causent un risque grave pour les enfants, mais ces études restent dans le vague lorsqu’il s’agit de définir ce qu’on entend par conflit aigu. Un des problèmes qui caractérise l’ensemble de ces études est le fait que nous n’avons pas de mesures de référence quant au niveau « normal »
de conflit auquel on peut s’attendre dans la plupart des familles qui divorcent. Sans cette référence, il est impossible de dire avec précision quel est le niveau de conflit qui sera
considéré comme « aigu »
.
Recommandation nº 4
Afin de parvenir à mesurer avec précision ce qu’on entend par conflit aigu, il faudra engager de nouvelles recherches empiriques. De telles recherches, portant sur de grands échantillons, devraient d’abord établir des mesures de référence quant au niveau de conflit normalement constaté dans les familles qui divorcent par rapport à celui que vivent les familles intactes. Une fois ces mesures de référence établies, on pourra en déterminer d’autres pour jauger le niveau de conflit dans les familles qui manifestent certains des traits caractéristiques énumérés plus bas.
Faute de mesures psychométriques précises des familles fortement conflictuelles, plusieurs chercheurs ont plutôt cerné un certain nombre de traits caractéristiques au niveau des émotions ou du comportement qui, d’après eux, se retrouvent dans les divorces fortement conflictuels. Ce qui est gênant dans ces études, c’est qu’elles tentent de cerner des traits caractéristiques du comportement ou des émotions qui sont autant de facteurs d’une situation qu’on est encore incapable de définir de manière précise. Ces traits caractéristiques se divisent en deux catégories, soit les indices internes et les marques extérieures.
Les indices internes sont ceux qu’un professionnel de la santé mentale connaissant bien le domaine parvient à déceler. Il s’agit essentiellement de sentiments, d’attitudes, de structures de croyance et de dynamique relationnelle, autant d’éléments souvent notés dans le cadre d’une évaluation portant sur les mesures de garde ou les droits de visite.
Notons, parmi les indices internes :
- des antécédents au niveau de la santé mentale, notamment la dépression, la colère, le repliement sur soi-même et le refus de communiquer;
- un sentiment d’impuissance;
- le sentiment accablant d’une perte qu’on ne saurait compenser;
- des antécédents de violence et de comportement abusif;
- une tendance à dénigrer l’autre parent;
- un sens médiocre de l’autonomie personnelle par rapport à la relation conjugale;
- l’incapacité de distinguer les besoins des parents de ceux de l’enfant;
- une grande méfiance;
- une manière rigide et inflexible de concevoir les relations interpersonnelles et le développement de l’enfant;
- des antécédents de dépendance à l’égard de certaines substances;
- d’une manière générale, un sentiment de colère à l’égard de la vie et envers les membres du sexe opposé.
Notons parmi les aspects relationnels internes :
- une tendance à l’enchevêtrement plutôt qu’à l’autonomie;
- un mauvais sens de la démarcation;
- beaucoup de rivalité, aussi bien dans le mariage que lors de la séparation;
- des agressions verbales et physiques entre parents;
- la tendance à impliquer les enfants dans les querelles parentales;
- la manie de chercher à détourner l’enfant de l’autre parent.
Les signes extérieurs sont d’ordre plutôt quantitatif et peuvent être relevés par tout professionnel entretenant un contact régulier avec la famille. Citons, à cet égard :
- les antécédents pénaux;
- l’intervention d’organismes de protection de l’enfant dans les querelles de la famille;
- les multiples changements d’avocats;
- le nombre de fois où l’affaire est soumise à la justice;
- le temps qu’il a fallu pour parvenir à un règlement de l’affaire;
- la multiplicité des affidavits.
Certains chercheurs et cliniciens ont tenté, dans un premier effort en vue de l’orientation de ces familles, d’élaborer des typologies descriptives des conflits aigus, moyens et faibles. L’effort d’orientation le plus fréquent se fait vers divers types de plans de partage des responsabilités parentales. Selon les spécialistes de la santé mentale exerçant une activité clinique, ces distinctions ne semblent pas devoir être d’une grande utilité. La plupart des spécialistes de la santé mentale partent de l’idée que les familles qui demandent une évaluation (souvent sur ordre d’un tribunal) se trouvent déjà dans des situations fortement conflictuelles. L’évaluation permet alors de distinguer les familles fortement conflictuelles de celles qui le sont faiblement. Les recommandations en vue d’un plan de partage des responsabilités parentales, y compris les divers recours possibles à des ressources communautaires afin d’atténuer les niveaux de conflit, sont adaptées à l’état du conflit qu’a permis de déceler l’évaluation.
Cette étude porte à conclure que, pour les praticiens, la distinction conflit aigu/conflit faible est plus utile que les modèles qui proposent une différenciation plus poussée des types de conflit. Ce modèle, plus simple, permet plus facilement de déboucher sur tel ou tel type de plan de répartition des responsabilités parentales. Les modèles proposés figurent aux tableaux 1 et 2.
Familles fortement conflictuelles, traits caractéristiques et plan d’aménagement des tâches parentales
Signes extérieurs
- les antécédents pénaux
- l'intervention d'organismes de protection de l'enfance dans les querelles de la famille
- les multiples changements d'avocats
- le nombre de fois où l'affaire est soumise à la justice
- le temps qu'il a fallu pour parvenir à un règlement de l'affaire
- la multiplicité des affidavits
- les refus répétés de reconnaître les droits de visite
Principaux éléments du plan d’aménagement des tâches parentales
- contacts minimum ou nuls entre parents
- plan très détaillé ne laissant que peu de place aux aménagements décidés par les parents
- vie régulière pour les enfants
- les décisions sont confiées principalement à l’un des parents
- les droits de visite peuvent être limités ou exercés sous surveillance
- toute communication entre les parents se fait par l’intermédiaire d’un
« registre des communications »
- l’échange des enfants se fait dans un lieu neutre
Caractéristiques individuelles et relationnelles
- des antécédents au niveau de la santé mentale, notamment la dépression, la colère, le repliement sur soi-même et le refus de communiquer
- des antécédents de violence et de comportement abusif
- une tendance à dénigrer l'autre parent
- l'incapacité de distinguer les besoins des parents de ceux de l'enfant
- une manière rigide et inflexible de concevoir les relations interpersonnelles et le développement de l'enfant
- une grande méfiance
- une tendance à l'enchevêtrement plutôt qu'à l'autonomie
- un mauvais sens de la démarcation
- beaucoup de rivalité, aussi bien dans le mariage que lors de la séparation
- des agressions verbales et physiques entre parents
- la tendance à impliquer les enfants dans les querelles parentales
- la manie de chercher à détourner l'enfant de l'autre parent
Recours à des ressources communautaires
- services chargés de veiller à la sécurité des enfants
- consultations médico-sociales et thérapie pour aider les personnes à assumer leurs sentiments de colère et de perte
- services d’aide aux personnes dans un état de dépendance
- programmes de surveillance des droits de visite et des échanges
Familles faiblement conflictuelles, traits caractéristiques et plan d’aménagement des tâches parentales
Signes extérieurs
- récurrence des disputes sur divers détails de l'activité quotidienne
- recours à l'appui d'amis ou de membres de la famille afin d'atténuer les conflits
- recours, en dernier ressort, aux avocats
- rareté des comparutions en justice
- aucun antécédent pénal en rapport avec le différend relatif au droit de garde
- aucun antécédent de violence
Principaux éléments du plan d’aménagement des tâches parentales
- possibilité de partager les décisions ou de les prendre en commun
- possibilité de répartir également le temps passé auprès de l’un et l’autre des parents, selon les besoins de l’enfant
- le plan d’aménagement des tâches parentales prévoit les grandes lignes, mais offre assez de souplesse aux parents
- porte surtout sur les questions litigieuses, les parents étant capables de négocier sur les autres points
Caractéristiques individuelles et relationnelles
- faculté de distinguer les besoins de l'enfant de ses propres besoins
- faculté d'admettre l'importance de l'autre parent
- les conflits sont résolus, les manifestations de colère étant rares
- les émotions négatives sont rapidement maîtrisées
- sagesse de ne pas dire certaines choses sous l'emprise de la colère
- habitude de mettre l'enfant à l'abri des déchaînements de colère
- le fonctionnement de l'enfant s'améliore après une période d'adaptation initiale
- les deux parents sont capables d'accepter les différences
- capacité à coopérer sur les questions ayant trait à l'enfant
- résolution des problèmes personnels
Recours à des ressources communautaires
- services de médiation
- consultations médico-sociales et entraide individuelle ou collective (pour les enfants et les parents)
- programmes de pédagogie parentale
Il se peut que, au-delà d’une application pratique lors de l’élaboration des plans d’aménagement des tâches parentales, il ne soit pas tellement utile de tenter de définir de manière plus précise les critères qui caractérisent les situations de divorce fortement conflictuelles. La difficulté principale en cela est peut-être l’adverbe « fortement », puisqu’il laisse entendre qu’il existe, entre les divers niveaux de conflit, une distinction qui serait facile à faire. Or, si l’on peut assez bien opérer une telle distinction sur le plan individuel, on ne peut pas, en attendant des recherches plus approfondies, espérer étendre plus largement une telle distinction et établir des corrélations généralement valables entre diverses combinaisons d’indices extérieurs et intérieurs et les réactions des enfants sur le plan des émotions.
Au point où nous en sommes, il est plus utile d’envisager les conflits qui accompagnent le divorce comme un continuum, une interaction entre trois jeux de facteurs :
- des événements et des comportements spécifiques qui, dans une famille, aboutissent à la décision de se séparer et se poursuivent après cette décision;
- des ressources familiales et communautaires permettant aux parents et aux enfants de s’adapter aux changements structurels/environnementaux, émotionnels et relationnels;
- la manière dont, dans son for intérieur, l’enfant réagit à ces difficultés.
Recommandation nº 5
D’autres travaux, y compris des recherches sur les conséquences à long terme, devront être entrepris avant que l’on sache si les critères permettant éventuellement de repérer les divorces fortement conflictuels auraient une utilité pratique, c’est-à-dire aideraient les professionnels de la santé mentale et du droit à élaborer des plans d’aménagement des tâches parentales ou à mettre en œuvre de nouveaux services facilitant la résolution des conflits.
Certaines études font état de comportements hostiles spécifiques aux parents empêtrés dans des situations fortement conflictuelles, où ont été relevés des incidents ou des situations d’aliénation parentale, le recours à de fausses accusations, et le refus de respecter le droit de garde ou les droits de visite de l’autre. Tout cela exigerait des recherches plus poussées afin de parvenir à une définition plus précise des comportements et afin, aussi, de mieux comprendre la manière dont ces comportements affectent les enfants.
Recommandation nº 6
Seules des recherches plus poussées permettraient de mieux saisir certains éléments qui caractérisent les divorces fortement conflictuels, et plus précisément l’aliénation parentale, les fausses accusations, le refus de respecter les mesures de garde et de visite, et indiqueraient quelles sont les mesures législatives qui permettraient d’atténuer ce genre de situation.
Les répercussions, sur les enfants, des conflits aigus entre parents
Lorsque l’on s’intéresse aux conséquences néfastes du divorce chez les enfants, la plupart des études estiment que ce qui nuit le plus aux enfants, ce sont les conflits aigus entre les parents. Quelques études seulement se sont penchées sur les répercussions que ces conflits aigus peuvent avoir sur les enfants. Selon ces études, les conflits aigus entre parents à l’occasion d’un divorce entraînent, chez les enfants :
- des comportements fortement agressifs;
- des comportements anti-sociaux;
- des troubles du comportement;
- de l’anxiété.
Selon ces études :
- l’hostilité manifeste qui continue plus d’un an entraînera vraisemblablement chez les enfants un déchaînement du comportement;
- les garçons et les filles sont tous deux affectés par l’hostilité interparentale mais les garçons extériorisent plus souvent ce qu’ils ressentent sous forme de troubles du comportement;
- l’âge de l’enfant ne semble pas vraiment atténuer sa sensibilité à l’hostilité interparentale (tous les enfants, des tout-petits aux jeunes en fin d’adolescence, se montrent perturbés par ce genre de situation);
- les bonnes relations entre l’enfant et l’un de ses parents, ou les deux, atténuent les effets néfastes des hostilités interparentales mais ne les éliminent pas.
Ces études montrent que plus le niveau de conflit est élevé à la suite du divorce ou de la séparation des parents, plus les enfants risquent de devenir maladaptés.
Recommandation nº 7
Les programmes d’éducation publique ayant pour objet de sensibiliser la population aux dangers que représente le divorce pour les enfants devraient s’attacher particulièrement aux risques spécifiques que créent les situations fortement conflictuelles.
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