Les effets du divorce sur les enfants : Analyse documentaire
2. LES LIMITES DE LA RECHERCHE
Pour examiner les effets de la rupture du mariage sur les enfants, on fait généralement appel à trois techniques de recherche différentes: les évaluations cliniques, les comparaisons entre les enfants des familles touchées par un divorce et les enfants des familles intactes et, enfin, les entrevues en profondeur avec les membres des familles touchées par un divorce (Amato, 1987). Dans le cadre d'une évaluation clinique, on étudie généralement des enfants du divorce qui ont été orientés vers divers programmes de counselling ou d'intervention clinique. Par exemple, Wallerstein et Kelly (1975) ont examiné les effets du divorce au moyen d'entrevues avec des parents et des enfants adressés à des services de counselling en matière de divorce. Les évaluations cliniques fournissent beaucoup d'information sur les enfants de familles désunies, mais elles sont axées sur des cas extrêmes et l'on ne peut donc pas étendre l'application de leurs résultats à la majorité des enfants touchés par la rupture du mariage. En outre, elles brossent un tableau presque invariablement négatif de l'adaptation des enfants après le divorce. Ce sont les études de ce genre qui ont prédominé au cours des premières années de la recherche sur les effets du divorce. Les études comparatives ont d'ordinaire pour objet de comparer des échantillons non cliniques d'enfants touchés par la rupture du mariage et d'enfants de familles intactes. Elles visent généralement à mesurer des résultats objectifs et quantifiables comme le rendement scolaire, l'adaptation affective et l'estime de soi au moyen de tests ou de questionnaires. Cependant, bon nombre de ces mesures ne permettent pas de comprendre comment les parents et les enfants vivent subjectivement et interprètent la séparation et le divorce. La troisième technique consiste à mener des entrevues en profondeur auprès de parents ou d'enfants de familles touchées par un divorce afin de les amener à décrire leur expérience de leur propre point de vue. Parmi les problèmes liés à cette technique, on compte le risque de partialité ou de déformation des faits par les sujets interrogés.
Outre les analyses susmentionnées, on a également effectué des recherches transversales et longitudinales. La méthode transversale, qui est la plus courante, consiste à examiner des sujets à un moment déterminé - par exemple, étudier des enfants de familles désunies peu après le divorce, afin de discerner les différences qu'ils présentent par rapport aux enfants des familles intactes. Les études longitudinales, pour leur part, permettent de suivre un échantillon de sujets à partir d'un moment déterminé (généralement après la rupture du mariage) au moyen d'entrevues menées à diverses époques postérieures au divorce. Les études transversales permettent rarement de recueillir des données rétrospectives et produisent donc peu d'information sur les antécédents socioéconomiques de la famille, l'intensité des conflits familiaux, les relations parent-enfant, etc., avant le divorce (Demo et Acock, 1988). Elles ne permettent, par conséquent, aucun examen de l'orientation des liens de causalité ni des effets évolutifs. Par exemple, les études transversales ne sont pas en mesure de déterminer si certaines caractéristiques considérées comme des conséquences du divorce étaient présentes chez les enfants avant la dissolution du mariage (p. ex., des problèmes de comportement). Les études longitudinales sont mieux à même de faire le lien entre les causes et les effets de la rupture du mariage sur les enfants et peuvent recueillir des données rétrospectives, mais elles sont très coûteuses, elles demandent beaucoup de temps et l'on y a donc plus rarement recours.
Si la documentation concernant les effets du divorce sur les enfants est abondante, bon nombre des constatations qui s'en dégagent, en revanche, sont non concluantes ou contradictoires. L'application de méthodes différentes peut être l'une des raisons expliquant ces disparités. Par exemple, comme nous l'avons déjà mentionné, Wallerstein et Kelly (1975) ont fondé leurs résultats sur un échantillon clinique d'enfants orientés vers un centre communautaire local de santé mentale pour l'obtention d'un counselling en matière de divorce. Puisque ces enfants ne sont peut-être pas représentatifs de tous les enfants touchés par un divorce, les conclusions tirées sur les problèmes qu'ils éprouvent ne sont peut-être pas applicables à l'ensemble de la population des enfants du divorce. Healy, Malley et Stewart (1990) affirment en outre que les différences observées entre les sexes sur le plan de l'adaptation au divorce peuvent être attribuables à une surutilisation des échantillons cliniques plutôt qu'à des différences véritables. Ils soutiennent que les comportements sous-contrôlés des garçons sont plus facilement observables et sont donc plus susceptibles de donner lieu à une orientation vers une intervention clinique.
Outre les variations dans la méthodologie, la définition de la notion de «structure familiale» peut déboucher sur l'obtention de résultats différents. De nombreuses études portent sur les familles monoparentales; celles-ci peuvent avoir pour origine un divorce, un décès, le fait que le parent ne se soit jamais marié, etc. Puisqu'il est relativement bien établi que les enfants du divorce sont différents des enfants appartenant à un autre type de famille monoparentale (Demo et Acock, 1988; Felner, 1977; Felner, Farber, Ginter, Boike et Cowen, 1980; Mechanic et Hansell, 1989), il faut éviter de grouper les parents divorcés, ceux qui sont veufs et ceux qui ne se sont jamais mariés. Il importe en outre de faire la distinction entre les familles monoparentales et celles où le parent s'est remarié (Barber et Eccles, 1992).
Les études présentent également des écarts dans le degré de neutralisation des variables intermédiaires possibles comme la situation socioéconomique des familles, la race et l'origine ethnique ainsi que le sexe et l'âge des enfants, ce qui rend les comparaisons difficiles. La plupart des études portent sur des enfants blancs de la classe moyenne vivant en milieu urbain et il est difficile d'en étendre l'application aux autres groupes. Krantz (1988) prévient qu'il faut interpréter avec circonspection les études qui ne neutralisent pas les facteurs autres que l'état matrimonial. Elle affirme en outre que les études où les enfants touchés par un divorce et les enfants des familles intactes sont regroupés selon la situation socioéconomique posent problème, car les familles touchées par un divorce tendent à être concentrées aux échelons socioéconomiques inférieurs. De plus, les études où l'on apparie les divorcés et les non-divorcés sont rares, tout autant que les études où l'on applique un contrôle statistique aux facteurs externes.
Beaucoup d'études présentent une autre limite en ce sens que leurs mesures peuvent être d'une validité douteuse. Ainsi, l'information donnée par des adultes (p. ex., des enseignants) sur un enfant peut être le reflet d'une conception stéréotypée des enfants du divorce plutôt que du comportement réel de l'enfant en cause. Les déclarations d'un parent peuvent être partiales en raison du degré d'investissement personnel de celui-ci vis- à-vis de l'enfant. Par exemple, un parent opposé au divorce peut n'avoir conscience que des comportements posant problème chez l'enfant. Dans son étude de l'adaptation des enfants au divorce, Kurdek (1987) a conclu que les enfants, les mères et les enseignants ne fournissaient pas la même information sur l'adaptation des enfants. Les observations cliniques des comportements des sujets peuvent également faire problème parce qu'elles sont extrêmement subjectives et peuvent être difficiles à réitérer. Même les rapports censément objectifs (comme les dossiers de la police) peuvent être partiaux, car les policiers peuvent être plus susceptibles d'inculper les enfants des familles monoparentales que les enfants des familles intactes. Enfin, les outils d'évaluation qui s'appuient sur des comportements objectivement définis sont souvent faussés par les normes et valeurs culturelles dominantes. Ces valeurs et normes évoluent avec le temps et peuvent être remises en question à tout moment.
Outre ces limites, les travaux de recherche ne sont pas assez sensibles aux effets de cohorte. On a constaté que les résultats de certaines des premières études différaient de ceux des études plus récentes (Amato et Keith, 1991a et 1991b). Il se peut que les études plus anciennes aient été menées à une époque où le divorce et les foyers monoparentaux étaient considérés comme anormaux ou socialement inacceptables. Barber et Eccles (1992) estiment par conséquent que les résultats de ces études précédentes pourraient être tributaires de l'époque et ne plus être valides aujourd'hui. Amato et Keith, à la suite de deux méta-analyses - l'une portant sur les enfants (1991b) et l'autre, sur les adultes (1991a) - , concluent que plus l'étude est raffinée et récente, plus le lien est ténu entre le divorce des parents et le bien-être de l'enfant. Cela indique que, si l'on tient compte des divers effets en interaction, bon nombre des effets se dissipent.
En raison des limites susmentionnées, il est difficile de tirer des conclusions définitives à partir des travaux de recherche publiés. Depuis quelques années, on s'efforce cependant de surmonter bon nombre de ces limites. Par exemple, dans la plupart des études récentes, on cherche à neutraliser des variables intermédiaires comme l'âge et le sexe de l'enfant, la situation socioéconomique et les conflits. Selon Krantz (1988), même si certaines études présentent d'importantes limites, il n'y a pas nécessairement lieu de rejeter l'information produite si l'on tire des conclusions avec prudence et en tenant pleinement compte des lacunes en question. Cette chercheuse soutient en outre que les biais dans l'information disponible sont peu susceptibles de fausser les conclusions si les données sont répétées à maintes reprises et si leurs biais sont différents.
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