Étude sur le déménagement des parents après le divorce ou la séparation
3.0 Analyse de la jurisprudence canadienne
Dans le présent chapitre, nous analyserons les décisions des tribunaux canadiens qui traitent du déménagement. Il s'agit d'une étude des facteurs et des résultats. Nous tenterons de déterminer s'il existe des modèles qui pourraient se révéler importants pour les responsables des politiques ou les professionnels. Nous ne procéderons pas à une analyse traditionnelle des tendances jurisprudentielles. Afin d'aider les lecteurs à comprendre la signification des données, il convient toutefois de débuter par un examen des principes généraux du droit canadien régissant le déménagement des parents. Des exemples tirés de la jurisprudence, donnés à titre indicatif, sont inclus dans la discussion sur les données.
3.1 Le cadre juridique
3.1.1 Dispositions de la Loi sur le divorce — Le critère de l'intérêt supérieur
Le gouvernement fédéral a compétence sur les questions de garde et de droits de visite découlant d'un contexte de divorce, tel que le prévoit la Loi sur le divorceNote de bas de la page 8. Par ailleurs, ce sont les lois provinciales et territoriales, comme la Loi portant réforme du droit de l'enfanceNote de bas de la page 9 (LRDE) de l'Ontario, qui s'appliquent aux parents n'ayant jamais été mariés, ou qui sont séparés, mais ne cherchent pas à obtenir un divorce. La Loi sur le divorce, une loi fédérale, et les lois comme la LRDEont toutes deux comme prémisse que les décisions doivent être prises en se fondant sur « l'intérêt supérieur de l'enfant ». L'article 16 de la Loi sur le divorce comprend un certain nombre de dispositions qui peuvent s'appliquer, ou non, à la question du déménagementNote de bas de la page 10 :
16 (6) La durée de validité de l'ordonnance rendue par le tribunal conformément au présent article peut être déterminée ou indéterminée ou dépendre d'un événement précis; l'ordonnance peut être assujettie aux modalités ou restrictions que le tribunal estime justes et appropriées.
(7) Sans préjudice de la portée générale du paragraphe (6), le tribunal peut inclure dans l'ordonnance […] une disposition obligeant la personne qui a la garde d'un enfant à charge et qui a l'intention de changer le lieu de résidence de celui-ci d'informer au moins trente jours à l'avance, ou dans le délai antérieur au changement que lui impartit le tribunal, toute personne qui a un droit d'accès à cet enfant du moment et du lieu du changement.
(8) En rendant une ordonnance conformément au présent article, le tribunal ne tient compte que de l'intérêt de l'enfant à charge, défini en fonction de ses ressources, de ses besoins et, d'une façon générale, de sa situation.
(10) En rendant une ordonnance conformément au présent article, le tribunal applique le principe selon lequel l'enfant à charge doit avoir avec chaque époux le plus de contact compatible avec son propre intérêt et, à cette fin, tient compte du fait que la personne pour qui la garde est demandée est disposée ou non à faciliter ce contact.
En vertu du paragraphe 16(7) de la Loi sur le divorce, une ordonnance d'un tribunal accordant la garde d'un enfant à un parent peut exiger que ce parent informe l'autre de tout changement de résidence prévu pour l'enfantNote de bas de la page 11. La période de préavis prévue par la loi est « d'au moins » 30 jours. Il arrive fréquemment que les ordonnances et ententes prévoient une période de préavis de 60 jours. L'autre parent peut, lorsqu'il reçoit le préavis, s'adresser au tribunal pour contester le changement de résidence. Il peut aussi demander que soient modifiés les arrangements relatifs à la garde ou au droit de visite. Cette période de préavis peut aussi donner aux parents l'occasion de tenter de négocier des modalités acceptables en ce qui concerne le déménagement, avant que celui-ci ne se produise.
3.1.2 L'approche de « l'intérêt supérieur » préconisée par Gordon c. Goertz
Vers le milieu des années 1990, un certain nombre de décisions canadiennes ont reconnu l'existence, suite à la séparation, d'un droit présumé de déménager en faveur du parent gardien, du moins en l'absence de disposition précise contenue dans une convention de séparation ou ordonnance de tribunal et prévoyant le contraireNote de bas de la page 12. Cette approche était conforme à la « doctrine du bas âge », qui accordait aux mères un droit de garde présumé après la séparation, ainsi qu'à la recherche en sciences sociales de l'époque. Cette dernière mettait en effet l'accent sur l'importance de la relation d'un enfant avec son gardien principal à l'égard des résultats de la séparationNote de bas de la page 13. À titre d'exemple, la Cour d'appel de l'Ontario, dans la décision MacGyver c. RichardsNote de bas de la page 14rendue en 1995, a adopté cette approche liée à la présomption, statuant que si un parent gardien [traduction] « agit de façon responsableNote de bas de la page 15 », le fardeau de prouver que le déménagement serait contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant reposera sur le parent non gardien. Dans l'année suivant la décision MacGyver, les tribunaux ontariens ont approuvé la grande majorité des demandes de déménagement (Thompson, 2004), malgré le fait que cette décision ait visé davantage le « respect présomptif » que les « droits » des parents, étant donné qu'on estimait que le bien-être de l'enfant était « lié de manière prépondérante » au bien-être du parent gardien.
Les décisions canadiennes relatives au déménagement sont désormais régies par l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans Gordon c. Goertz, rendue en 1996Note de bas de la page 16. Cet arrêt exige que les juges procèdent à une analyse individuelle de ce qui est dans l'intérêt supérieur de l'enfant, sans aucune présomption en faveur de l'un ou l'autre des parents. Bien que régi par une loi fédérale, soit la Loi sur le divorce, l'arrêt Gordon c. Goertz s'applique également aux cas régis par des lois provincialesNote de bas de la page 17. Les tribunaux interprètent et appliquent les lois provinciales, territoriales et fédérales de la même manière lorsqu'ils abordent des cas de déménagement, même si, dans la plupart des cas, les lois provinciales et territoriales ne renferment pas d'équivalent à la disposition du « parent conciliant » énoncée au paragraphe 16(10) de la Loi sur le divorce. Bien que les décisions concernant le déménagement citent parfois le paragraphe 16(10) pour étayer des arguments sur l'importance de la relation de l'enfant avec les deux parents, et pour justifier le refus d'accorder le déménagementNote de bas de la page 18, l'absence de cette disposition dans les lois provinciales et territoriales n'a pas d'incidence sur la façon dont le droit est appliqué.
Dans l'arrêt Gordon c. Goertz, la Cour suprême a statué que la Loi sur divorce exige que le bien-fondé de toute demande de déménagement soit jugé en se fondant sur une évaluation de l'intérêt supérieur des enfants visés, sans accorder de présomption ou imposer de fardeau de preuve particulier à l'un ou l'autre des parents. La juge McLachlin, dans le passage fréquemment cité reproduit ci-dessous, a résumé l'état du droit :
L'accent est mis sur l'intérêt de l'enfant et non sur l'intérêt et les droits des parents. Plus particulièrement, le juge devrait tenir compte notamment des éléments suivants :
- l'entente de garde déjà conclue et la relation actuelle entre l'enfant et le parent gardien;
- l'entente déjà conclue sur le droit d'accès et la relation actuelle entre l'enfant et le parent qui exerce ce droit;
- l'avantage de maximiser les contacts entre l'enfant et les deux parents;
- l'opinion de l'enfant;
- la raison pour laquelle le parent gardien déménage, uniquement dans le cas exceptionnel où celle-ci a un rapport avec la capacité du parent de pourvoir aux besoins de l'enfant;
- la perturbation que peut causer chez l'enfant une modification de la garde;
- la perturbation que peut causer chez l'enfant l'éloignement de sa famille, des écoles et du milieu auxquels il s'est habituéNote de bas de la page 19.
L'énoncé selon lequel les raisons invoquées par le parent gardien ne sont pertinentes que dans un « cas exceptionnel » est l'un des plus controversés de ce jugement. La Cour a adopté le raisonnement qui suit : « il y a […] lieu d'accorder le plus grand respect et la plus grande considération aux opinions du parent gardien », et les tribunaux ne devraient pas tenir compte des raisons de son déménagement «… sauf si [sa décision] repose sur un motif injustifié qui nuit à la capacité du parent gardien d'agir à titre de parentNote de bas de la page 20 ». Malgré cet énoncé, et ainsi que nous en discuterons davantage ci-dessous, cette orientation est rejetée, désormais et en général, par les juridictions inférieures, qui tiennent compte et évaluent régulièrement les raisons au soutien du déménagement proposéNote de bas de la page 21. Le caractère malléable de l'approche globale adoptée par la Cour suprême accorde aux juridictions inférieures la souplesse requise pour écarter certains des énoncés précis de la Cour, et l'adoption d'une approche qui accorde une plus grande attention aux besoins de l'enfant a mené, dans les faits, à l'application d'une exception permettant de ne pas appliquer cette règle.
L'un des défis auxquels font face les tribunaux devant trancher les cas de déménagement réside dans le fait que les juges doivent inévitablement évaluer un avenir essentiellement imprévisible. En 2010, dans l'affaire S.L.C. c. K.G.C., survenue en Colombie-Britannique, la Cour a refusé de permettre le déménagement d'une mère de deux enfants de 6 et 12 ans. Monsieur le juge Rogers s'exprimait ainsi :
[traduction] Dans la plupart des cas, la partie qui plaide en faveur du déménagement « joue à la roulette russe ». ... elle ne peut savoir avec précision comment évolueront les choses pour les enfants dans leur nouveau lieu de résidence. Je crois qu'il ne serait pas raisonnable d'exiger que le parent qui déménage démontre, par prépondérance des probabilités, qu'après le déménagement proposé quelque chose se produira dont les enfants tireront avantage. La Cour d'appel de la Colombie-Britannique a reconnu ce qui précède dans l'affaire S.S.L. lorsqu'elle a déclaré ce qui suit :
Dans des affaires comme celle-ci, où on demande aux tribunaux de faire ce qu'un juge a appelé une « prévision bien fondée » de l'intérêt supérieur des enfants, en se fondant non seulement sur la preuve liée à leur ancienne vie, mais sur celle de ce que sera leur nouvelle vie, d'après ce que croient les parents[...]Note de bas de la page 22.
Bien que l'arrêt Gordon c. Goertz ait fait l'objet de critiques pour un certain nombre de raisons, et tout particulièrement pour avoir créé un climat d'imprévisibilité, la Cour suprême ne semble pas encline à aborder de nouveau cette question. En effet, au cours des quinze dernières années, elle a rejeté les autorisations d'appel dans de nombreux cas de déménagement provenant de tout le Canada.
3.2 Méthodologie
L'équipe de recherche a effectué une analyse de toutes les décisions judiciaires en matière de déménagement ayant été rédigées en anglais entre le 1er janvier 2001 et le 30 avril 2011Note de bas de la page 23. Pendant cette période, plus de 700 affaires canadiennes ont été instruites, le plus grand nombre d'entre elles provenant de la Colombie-Britannique et de l'Ontario. Le tableau 3.1 illustre le nombre dans chaque province ou territoire ainsi que le « taux de succès » (pourcentage de cas dans lesquels le déménagement a été permis)Note de bas de la page 24.
Provinces et territoires | Nombre de cas de déménagement | Nombre de déménagement permis | Pourcentage de déménagement permis |
---|---|---|---|
Colombie-Britannique | 195 | 105 | 54 |
Ontario | 193 | 107 | 55 |
Saskatchewan | 88 | 42 | 48 |
Alberta | 70 | 32 | 46 |
Nouvelle-Écosse | 56 | 22 | 39 |
Terre-Neuve-et-Labrador | 29 | 11 | 38 |
Manitoba | 27 | 16 | 59 |
Nouveau-Brunswick | 27 | 13 | 48 |
Québec | 26 | 16 | 62 |
Territoires | 17 | 8 | 47 |
Île-du-Prince-Édouard | 10 | 7 | 70 |
Total | 738 | 379 | 51 |
3.3 Tendances et facteurs liés aux cas de déménagement
3.3.1 Le nombre de cas de déménagement croît, alors que le taux de succès demeure constant
Le professeur Rollie Thompson de la Dalhousie Law School a souligné qu'au cours de la période débutant en mai 1996, moment où la Cour suprême a rendu la décision Gordon, et se terminant au début de 2004, environ 60 % des décisions canadiennes permettaient le déménagement. Il a également constaté [traduction] « un déclin léger, mais perceptible, dans la proportion de demandes approuvées à compter de l'année 2000 » (Thompson, 2004, p. 404).
Bien que le nombre de causes rapportées chaque année fluctue et que la tendance ne soit pas uniforme dans tout le pays, de 2001 à 2010, on a constaté au Canada une tendance à la hausse du nombre de cas. La figure 3.1 présente le nombre de cas par année et la ligne de tendance y étant associée.
La période d'étude visait 738 cas dans l'ensemble du Canada. De 2001 à 2010, le taux de succès des demandes de déménagement atteignait 51 %Note de bas de la page 25. Dans les provinces et territoires comptant 60 cas ou plus pendant la décennie (c'est-à-dire une moyenne d'au moins six par année), le taux de succès se situait dans une échelle plutôt limitée, entre 46 et 55 %. Ceci suggère qu'il n'existait pas, au cours de la dernière décennie, de variation géographique importante au pays, ni de variation au fil du temps.
Figure 3.1 Nombre de cas par année au Canada, de 2001 à 2010
Figure 3.1 - Équivalent textuel
La figure 3.1 est un graphique linéaire qui illustre le nombre annuel de déménagements d’un parent dans l’ensemble du Canada de 2001 à 2010 et comprend la ligne de tendance connexe. Les années de 2001 à 2010 sont situées sur l’axe des x et le nombre de cas sur l’axe des y (sur une échelle de 40 à 90). La figure montre une tendance à la hausse du nombre de cas de 2001 à 2010; il y en a eu 63 en 2001 et 81 en 2010. Le nombre annuel de cas est représenté par une ligne fluctuante à tendance croissante qui passe par les points suivants : 61 en 2001; 68 en 2002; 66 en 2003; 79 en 2004; 63 en 2005; 75 en 2006; 66 en 2007; 77 en 2008; 77 en 2009; 87 en 2010.
3.3.2 Ce sont surtout les mères qui présentent les demandes
Tout comme les résultats des recherches provenant d'autres pays, la majorité des personnes demandant le déménagement étaient des mères. Ce qui est intéressant cependant, c'est qu'au Canada les taux de succès étaient similaires, que la personne présentant la demande ait été la mère ou le père. Au cours de la période d'étude, la mère était le parent demandant à déménager avec l'enfant dans 92 % des cas. Dans 55 cas, le père était le parent qui déménageait. Le taux de succès des pères était de 55 % alors que les mères obtenaient un taux de succès similaire de 51 % lors de leurs demandes de déménagement.
Les recueils de décisions indiquaient que les parents avaient habité ensemble ou été mariés dans 80 % des cas. Dans 5 % des cas, le jugement indiquait que les parties n'avaient ni habité ensemble, ni été mariées l'une à l'autre. Dans le reste des cas, il n'existait aucune indication claire à savoir si les parties et l'enfant demeuraient ensemble. Dans les cas où la mère demandait le déménagement et où il n'y avait pas eu de cohabitation préalable, la mère a obtenu gain de cause dans 60 % des cas. De plus, dans les cas où la mère n'habitait pas avec le père et avait la garde dite traditionnelle (officiellement ou de fait), il lui a été permis de déménager dans 65 % des cas.
Les personnes qui avaient habité ensemble ou avaient été mariées avant la décision sans appel du tribunal étaient séparées depuis 3,4 ans en moyenne. Il n'a pas été démontré, par suite d'une analyse, que la période écoulée depuis la séparation avait une influence importante sur les résultats.
Dans 93 % des cas, le parent demandant le déménagement était représenté par un avocat. Le parent s'opposant au déménagement avait retenu les services d'un avocat dans 89 % des casNote de bas de la page 26. Les personnes présentant la demande avaient un revenu annuel moyen de 38 756 $, et les parents y répondant avaient un revenu annuel moyen de 62 217 $. Dans de nombreux cas, cependant, aucun chiffre lié au revenu n'était fourni.
3.3.3 Les raisons justifiant la demande de déménagement
Madame la juge McLachlin, dans Gordon c. Goertz, a déclaré que « sauf pour un motif injustifié », par exemple une volonté de perturber la relation avec l'autre parent, « la raison pour laquelle le parent gardien déménage [sera évaluée] uniquement dans le cas exceptionnel où elle a un rapport avec la capacité du parent de pourvoir aux besoins de l'enfantNote de bas de la page 27. » Malgré cet énoncé général, les juges des cours d'appel et des cours de première instance tiennent compte des raisons du déménagement, étant donné que celles-ci auront inévitablement des répercussions, au moins indirectes, sur le bien-être de l'enfant.
Bien qu'il existe souvent plus d'une raison pour désirer déménager avec un enfant, il est possible dans la plupart des cas de déterminer ce qui est, pour le tribunal et le parent qui déménage, la raison principale justifiant la demande du parent de déménager avec l'enfantNote de bas de la page 28. Au cours de la décennie visée par l'étude, la raison principale la plus fréquemment citée pour justifier le déménagement était de nature économique. D'ordinaire, il s'agissait d'un transfert d'emploi de la personne présentant la demande, ou d'obtenir une meilleure occasion d'emploi, ou encore d'obtenir un emploi après avoir été sans emploi. Il s'agissait de la raison principale dans 33 % des cas. Les personnes présentant la demande ont connu du succès dans 52 % de ces cas (126 sur 241). La deuxième raison principale la plus souvent invoquée était liée à une nouvelle relation, particulièrement au désir de résider avec un nouvel époux ou une nouvelle épouse, un conjoint de fait ou un partenaire intime. C'était la raison principale dans 29 % des cas. Le taux de succès était de 48 % (103 sur 216). La troisième raison principale la plus souvent invoquée était l'espoir de recevoir davantage de soutien familial, particulièrement pour un parent gardien qui désirait retourner « chez lui ». Le soutien familial était la raison principale dans 19 % des cas et son taux de succès était de 53 % (73 sur 138).
La raison principale pour déménager invoquée le plus souvent par les mères était de nature économique ou liée à l'emploi (32 %). Cette raison était suivie de très près par la nouvelle relation (31 %) et le désir de recevoir davantage de soutien familial (19 %). La raison principale invoquée par les pères était également de nature économique ou liée à l'emploi (36 %), et était suivie d'une demande de changement de la garde ou de résidence principale qui entraînait le déménagement de l'enfant (20 %).
Il existait une gamme d'autres raisons. Il n'est sans doute pas surprenant que dans 15 des 18 cas dans lesquels le gardien principal, c'est-à-dire la mère, devait déménager en raison d'un risque de renvoi ou d'absence de statut au Canada, le tribunal ait permis le déménagement avec l'enfant.
3.3.4 Cas corroboré de violence familiale — Un facteur important
Bien qu'il y ait eu une époque à laquelle les tribunaux ne semblaient pas croire que la violence conjugale était un facteur important au chapitre du déménagement (McLeod, 2004), des décisions plus récentes établissent que la violence familiale sous toutes ses formes est un facteur qui a une incidence sur le bien-être de l'enfant. Il doit donc être soupesé lors de la prise de décisions concernant le déménagement.
Les tribunaux acceptent depuis longtemps que la violence faite aux enfants puisse justifier de mettre fin au contact entre un parent et un enfant. Désormais, ils acceptent clairement que la violence conjugale soit un facteur important dans l'octroi d'une permission de déménager, tout particulièrement si les enfants en sont témoins ou subissent directement ses effets, et si elle se poursuit après la séparation. Il existe maintenant un ensemble substantiel de jurisprudence canadienne dans laquelle le tribunal accorde la permission de déménager en citant la violence conjugale, anticipant qu'un déménagement permettra à la mère et aux enfants d'être protégés et favorisera le bien-être des enfantsNote de bas de la page 29.
Notre examen révèle que dans les cas où existe une allégation corroborée de violence conjugale ou de violence envers l'enfant, le déménagement est beaucoup plus susceptible d'être accordé que dans d'autres cas. Cependant, le fait en soi qu'il existe des allégations de violence envers le conjoint ou les enfants pendant le mariage ou la cohabitation ne suffit pas pour justifier une ordonnance de déménagement. Le tribunal examinera le sérieux des allégations, à savoir si elles ont été prouvées devant un tribunal et si la violence s'est poursuivie après la séparation. De plus, si le tribunal conclut que la personne présentant les allégations, d'ordinaire la mère, a exagéré de manière considérable ou encore a fabriqué des préoccupations de violence conjugale ou envers les enfants, et qu'il conclut qu'il n'existe pas de problème grave de sécurité, il est probable qu'il rejettera la demande de déménagementNote de bas de la page 30.
Au cours de la période d'étude, des allégations de violence familiale ont été invoquées dans 170 cas au Canada (23 % de tous les cas de déménagement). La validité de ces allégations a été confirmée par le tribunal dans 121 des 170 cas. Dans 49 cas, la preuve n'était pas concluante.
Ainsi que l'illustre la figure 3.2, sur les 121 cas dans lesquels le tribunal a conclu à l'existence de violence familiale, les allégations de violence familiale étaient soutenues par la preuve dans 75 cas. Dans 81 % de ces cas (n=61), un déménagement a été accordé. Dans 46 dossiers, le tribunal a conclu que la preuve suggérait que les allégations n'étaient pas fondées, ou alors exagérées de manière importante. Un déménagement n'a été accordé que dans 15 % de ces cas (n=7). Dans 49 dossiers, le tribunal n'a tiré aucune conclusion sur la validité des allégations. Un déménagement a été accordé dans 43 % de ces cas (n=21).
Figure 3.2 Incidence des allégations de violence familiale dans les cas de déménagement
Figure 3.2 - Équivalent textuel
La figure 3.2 est un diagramme à barres où est présentée l’incidence des allégations de violence familiale sur les déménagements. Les trois résultats possibles des allégations de violence familiale sont situés sur l’axe des x : le tribunal accepte les allégations; le tribunal rejette les allégations; le tribunal est indécis. Le pourcentage des déménagements autorisés est situé sur l’axe des y (sur une échelle de 0 à 100). La figure contient les données suivantes : la première (la plus grande) des barres montre que le déménagement est autorisé dans 81 % des cas lorsque le tribunal accepte les allégations; la deuxième (la plus petite) barre montre que le déménagement est autorisé dans 15 % des cas lorsque le tribunal rejette les allégations; la troisième barre montre que le déménagement est autorisé dans 43 % des cas lorsque le tribunal est indécis.
Dans la majorité des cas dans lesquels étaient faites des allégations de violence familiale, les mères dénonçaient la violence conjugale. Certains impliquaient cependant la violence faite aux enfants, ou encore tant la violence faite aux enfants que la violence conjugale. Sur les 120 cas dans lesquels seule la violence conjugale était alléguée, le tribunal a conclu que les allégations étaient corroborées dans 62 cas. Cinquante déménagements ont été accordés (taux de succès de 81 %). Dans 19 cas, l'allégation de violence conjugale a été rejetée; deux déménagements ont été permis (taux de succès de 11 %). Dans 39 cas, le tribunal était indécis quant à la validité des allégations; 15 déménagements ont été permis (taux de succès de 38 %).
Ainsi, de façon générale, dans les cas où ils doivent décider de la violence familiale a été commise, les juges canadiens étaient beaucoup plus susceptibles de permettre le déménagement dans les cas où la violence était corroborée, plutôt que dans ceux où elle était alléguée, mais non corroboréeNote de bas de la page 31.
Dans la grande majorité des cas où une préoccupation de violence était soulevée, c'est la mère qui l'alléguait (96 %). En ce qui concerne la violence alléguée par les pères, il y avait sept dossiers dans lesquels le père était le parent demandant le déménagement et présentait des allégations de violence faite aux enfants ou de violence conjugale. Dans cinq cas, des allégations de violence faite aux enfants étaient présentées. Dans deux cas, des allégations de violence conjugale étaient présentées. Le tribunal a conclu à l'existence de violence faite aux enfants dans deux cas; le déménagement a été permis dans ces deux cas. Dans trois cas, le tribunal est demeuré indécis au sujet des accusations de violence portées par le père et subie par les enfants. Le déménagement a été permis dans ces trois cas. Le tribunal a accepté la preuve présentée par le père, alléguant la perpétration de violence conjugale par la mère, dans deux cas. Le déménagement a été permis dans un de ces cas. Donc, dans les cas où les pères ont allégué l'existence de violence familiale, six sur sept ont reçu la permission de déménager avec leurs enfants.
3.3.5 Déménagements à l'intérieur d'une province, à l'intérieur du pays ou hors frontières
Les études en sciences sociales indiquent que la distance est un facteur important lorsqu'on évalue les répercussions d'un déménagement sur la relation entre les enfants et le parent qui n'a pas la garde. Plus précisément, le temps passé à voyager entre l'ancien et le nouveau lieu de résidence est un facteur important. Il peut être mitigé ou exacerbé par les ressources pouvant être consacrées au voyage, et par la volonté du parent ayant déménagé de soutenir la relation malgré la distance.
Il est intéressant de noter que les études provenant de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande (Taylor et coll., 2010; Parkinson et Cashmore, 2010) ainsi que du Canada semblent indiquer que le taux de succès devant les tribunaux des déménagements hors frontières pourrait être plus élevé que celui des déménagements internes. Au Canada, le professeur Thompson rapportait en 2011 que de janvier 2005 à mai 2010, des déménagements hors frontières avaient été permis dans 47 cas sur 72. Le taux de succès de 65 % (15 déménagements aux États-Unis sur 25 et 32 déménagements outremer sur 47) était un peu plus élevé que celui des déménagements au Canada.
Notre étude des cas de déménagement au cours d'une décennie révèle que dans presque 80 % des cas, le déménagement s'est fait à l'intérieur du Canada. Les déménagements à l'intérieur d'une province comptaient pour un peu moins de 30 % des cas. Tout comme le révèlent des études provenant d'autres pays, le taux de succès était considérablement plus élevé pour les déménagements hors frontières (62 %) que pour les déménagements à l'intérieur du Canada (49 %). Cinquante-deux % des déménagements à l'intérieur d'une province ont été permis.
Le taux plus élevé de succès des demandes de déménagement hors frontières semble contraire à l'intuition première. En effet, ce genre de déménagement implique d'ordinaire une distance plus grande et une réduction du contact avec le parent qui ne déménage pas. Il semble néanmoins que cette constatation soit relativement solide et répandue partout au pays. Elle peut être expliquée par un certain nombre de facteurs. Dans un grand nombre de ces cas, on retrouve des « principaux gardiens » (des mères) qui ont souvent de jeunes enfants et éprouvent des difficultés à s'ajuster à la vie après une séparation, en tant que parent seul et isolé au Canada. Ils « reviennent à la maison » pour des raisons économiques et dans l'espoir d'être soutenus par leur famille. Notre examen indique que, dans les cas hors frontières, les personnes présentant les demandes semblent avoir des raisons plus sérieuses justifiant leur volonté de déménager, ainsi que des plans plus clairs. À titre d'exemple : les déménagements hors frontières en raison d'une nouvelle relation intime sont presque toujours motivés par un nouveau mariage. Par ailleurs, les cas de déménagement à l'intérieur du pays impliquent plus souvent une relation de conjoint de fait, ou encore un nouvel ami de cœur, mais pas de cohabitation, ce qui sous-entend qu'il y a moins d'engagement à l'égard de la nouvelle relation et que sa stabilité est moindre.
3.3.6 Les relations entre l'enfant et le parent qui déménage et l'autre parent : statut de la garde
La jurisprudence sur le déménagement indique que l'un des facteurs les plus importants dans les cas de déménagement est l'évaluation faite par le tribunal de l'importance comparative de la relation des enfants avec les deux parents. Le fait que le tribunal qualifie le parent désirant déménager de « gardien principal », ou le fait qu'il ait la garde dite traditionnelle ne signifie pas nécessairement que le tribunal permettra le déménagementNote de bas de la page 32. Cependant, si la relation d'un enfant avec le « parent ayant un droit d'accès » n'est que limitée, le tribunal est plus susceptible de permettre le déménagement de l'enfantNote de bas de la page 33. Si l'enfant est celui d'une mère seule et que le père n'a jamais habité avec l'enfant, la mère est plus susceptible d'obtenir la garde dite traditionnelle. Dans ce cas, elle sera également plus susceptible d'obtenir la permission de déménager.
Le fait qu'un arrangement de garde légale conjointe soit en place entre les parties n'est pas déterminant dans un cas de déménagement. En fait, les juges lui accordent généralement peu d'importance. La garde légale conjointe n'empêche pas un gardien principal d'obtenir la permission de déménager. Le tribunal peut même ordonner que le régime de garde légale conjointe se poursuive après le déménagement, afin d'indiquer que les deux parents doivent continuer à avoir voix au chapitre dans les décisions concernant l'enfantNote de bas de la page 34. Cependant, si un régime de garde physique conjointe (chacun des parents vit avec l'enfant au moins 40 % du temps) est en place, les tribunaux sont moins susceptibles de permettre un déménagement, car cela aurait un effet perturbateur plus important sur l'enfantNote de bas de la page 35.
Nous avons divisé à des fins d'analyse les cas en trois catégories mutuellement exclusives : ceux où le parent demandant le déménagement avait la garde dite traditionnelle; ceux où était en place une garde légale conjointe, mais l'enfant avait une résidence principale; et ceux où était en place une garde physique conjointe (garde légale conjointe où chaque parent habite avec l'enfant au moins 40 % du temps; on l'appelle aussi « garde partagée » au Canada)Note de bas de la page 36. Notre analyse révèle que, dans l'ensemble, l'arrangement de garde a un effet important quant à savoir si un déménagement sera permis (voir la figure 3.3)Note de bas de la page 37.
Figure 3.3 Incidence des arrangements de garde dans les cas de déménagement
Figure 3.3 - Équivalent textuel
La figure 3.3 est un diagramme à barres où est présentée l’incidence des ententes de garde des enfants sur les déménagements. L’axe des x montre les trois types d’ententes de garde des enfants possibles : la garde exclusive; la garde juridique partagée (moins de 40 % du temps passé avec l’enfant); la garde physique partagée (40 % du temps passé avec l’enfant ou plus). Le pourcentage de déménagements autorisés figure sur l’axe des y (sur une échelle de 0 à 100). Les données sont présentées en ordre décroissant, comme suit : la première barre montre que dans les cas de garde exclusive, le déménagement est autorisé dans 64 % des cas; la deuxième barre montre que dans les cas de garde juridique partagée, le déménagement est autorisé dans 50 % des cas; la troisième barre montre que dans les cas de garde physique partagée, le déménagement est autorisé dans 30 % des cas.
Dans 324 cas, le demandeur avait la garde juridique dite traditionnelle (établie dans une entente de séparation, une ordonnance ou de façon factuelle); parmi ces cas de garde dite traditionnelle, le déménagement a été permis dans 64 % des cas, soit un taux considérablement plus élevé que dans les deux autres catégories.
Dans les cas de garde juridique conjointe, un régime de garde conjointe avait été établi, mais l’enfant passait moins de 40 % du temps parental avec le parent qui ne déménageait pas.Note de bas de la page 38 Il y a eu 240 cas de garde juridique conjointe; le déménagement a été autorisé dans 50 % de ces cas. Dans les cas de garde physique conjointe (ou partage du rôle parental), l’enfant passait au moins 40 % du temps avec chacun des parents. Il y a eu 135 cas de garde physique conjointe; le déménagement a été autorisé dans seulement 30 % de ces cas.
Ces données indiquent clairement que la probabilité que le déménagement soit permis diminue lorsque l'engagement du parent qui ne déménage pas augmente. Cela indique que la nature de la relation avec l'enfant qu'entretient le parent qui ne déménage pas est un facteur important dans la prise de décisions judiciaires. La différence est particulièrement apparente lorsqu'on compare les résultats dans les cas où il y avait une garde dite traditionnelle à ceux où il y avait une garde physique conjointe. La différence entre la garde légale conjointe et la garde dite traditionnelle n'est pas toujours évidente. Il y a une gamme de cas dans lesquels il n'y a pas vraiment de différence entre la garde légale conjointe et la garde dite traditionnelle avec droit d'accès généreux. La terminologie utilisée pour décrire l'arrangement de garde reflète les pratiques ou préférences professionnelles locales plutôt que des différences dans les relations parent-enfant. Il existe cependant de nombreux cas où il y a une différence réelle entre la garde dite traditionnelle et la garde conjointe, en ce qui concerne l'engagement des parents ne résidant pas dans la résidence principale dans la vie de leurs enfants.
3.3.7 Âge de l'enfant
L'effet que devrait avoir l'âge de l'enfant sur les décisions judiciaires est l'une des questions les plus controversées de la documentation en matière de santé mentale portant sur le déménagement. Comme nous en avons discuté au deuxième chapitre, les professionnels de la santé mentale, tels Kelly et Lamb, ont exprimé des inquiétudes particulières au sujet des déménagements visant des enfants d'âge préscolaire (moins de six ans) et tout particulièrement, des enfants en bas âge (moins de 3 ans). En effet, un déménagement au cours de cette étape de la vie d'un enfant peut entraîner la perte de l'attachement psychologique envers le parent absent ou en empêcher la formation. De plus, dans le cas d'enfants de ce groupe d'âge, les visites sur de longues distances se révèlent plus difficiles, car ils ne peuvent voyager seuls et parce que les « tranches compensatoires de temps » passées avec un parent qui peut être, en fait, un étranger pour l'enfant, peuvent être perturbatrices. D'autre part, les enfants plus jeunes ont des liens ténus avec leur collectivité. Un déménagement tôt dans leur vie peut être moins perturbateur pour eux. Le déménagement aura une incidence considérable sur les liens qu'a l'enfant avec le parent qui ne déménage pas. Cependant, il est possible qu'un jeune enfant n'ait pas de liens psychologiques importants avec son père s'il n'a pas vécu ou passé beaucoup de temps avec lui. Il sera donc moins susceptible de subir les conséquences d'un déménagement qu'un enfant plus vieux, qui s'ennuiera probablement davantage de son parent absent.
Les souhaits des enfants prennent davantage d'importance à mesure qu'ils deviennent adolescents. Leurs liens avec leur école, leur collectivité et leurs pairs peuvent également alourdir considérablement le déménagement. Les enfants plus vieux peuvent également être capables de passer des tranches de temps plus grandes avec un parent habitant à une certaine distance. Ils peuvent plus facilement entretenir une relation avec un parent se trouvant à distance, par exemple au téléphone ou par courriel. Ainsi, l'éloignement d'un parent sera moins perturbateur pour la relation parent-enfant.
Les ouvrages en sciences sociales dont nous avons discuté au deuxième chapitre, ainsi que la jurisprudenceNote de bas de la page 39, font part de préoccupations à l'égard des enfants âgés de trois ans et moins qui déménagent. Cependant, les études en sciences sociales indiquent qu'à mesure qu'ils s'approchent de l'âge scolaire (6 à 11 ans), les enfants se montrent davantage capables de maintenir une relation avec le parent dont ils sont séparés. Ainsi, le professeur Thompson a observé que de 1996 à 2003, les juges canadiens étaient plus enclins à permettre le déménagement d'enfants âgés de 6 à 11 ans que celui d'enfants âgés de moins de six ansNote de bas de la page 40. Une étude de cas canadiens effectuée de 2003 à 2008 par Jollimore et Sladic (2008) n'a cependant révélé aucune différence entre les taux de succès des déménagements d'enfants de 0 à 5 ans et de 6 à 11 ans. Bien que les chercheurs aient conclu à une augmentation importante du pourcentage des cas permettant les déménagements d'enfants âgés de 10 et 14 ans, cela n'était pas statistiquement significatif.
Effectuer une analyse fondée sur l'âge dans les cas de déménagement pose des défis. En effet, dans bien des cas, il y a plus d'un enfant. Dans les études sur le déménagement, la pratique usuelle utilisée pour gérer des cas visant plus d'un enfant est de retenir l'âge du plus jeune enfant en prenant pour acquis que c'est celui dont la relation avec le parent qui ne déménage pas qui subira les répercussions les plus importantes à la suite du déménagement. Nous avons utilisé cette pratique pour tenir compte de divers groupes d'âgeNote de bas de la page 41 en vue de déterminer s'il y avait des répercussions importantes liées à l'âge.
Il y avait au Canada plus de 1 000 enfants en cause dans les 738 cas. Dans 55 % des cas, un seul enfant était visé; dans 45 % des cas, il y avait plus d'un enfant. L'âge moyen de l'échantillon d'enfants était de 7,5 ans. Dans 300 cas, l'enfant unique ou le plus jeune des enfants était âgé de 0 à 5 ans. Le déménagement a été permis dans 151 cas (50 %). Aucune répercussion significative liée à l'âge n'a été révélée pour les enfants plus jeunes ou plus vieux dans l'ensemble du CanadaNote de bas de la page 42.
3.3.8 Choix de l'enfant
Le choix des enfants visés par un déménagement devient fréquemment un facteur important dans la détermination du résultat d'un litige, bien que dans de nombreux cas de déménagement, on retrouve de jeunes enfants incapables d'exprimer leurs préférences ou des enfants plus âgés qui refusent de « choisir un camp » et d'exprimer leur opinionNote de bas de la page 43. Il existe de bonnes raisons justifiant le refus des enfants d'exprimer leur opinion au sujet de cette question manifestement dichotomique. Si l'enfant exprime une préférence dans un cas de déménagement, il devra souvent faire des hypothèses sur des conditions de logement dont il n'a pas fait l'expérience. Cependant, lorsque les enfants expriment leur opinion, les tribunaux ont tendance à accorder une importance considérable à leur choix au sujet du déménagement. Lorsque les opinions des enfants sont claires, et tout particulièrement lorsqu'ils approchent de l'adolescence ou sont adolescents, on peut s'attendre à ce que les parents y accordent une importance considérable, de manière à entraîner des règlements plutôt que des litiges.
Les enfants plus vieux, pour lesquels les amitiés et groupes de pairs sont en train de prendre de l'importance, sont souvent réticents à déménager, à chercher de nouveaux amis et à fréquenter une nouvelle école. C'est dans ces cas que les tribunaux refuseront le déménagement ou changeront la garde pour l'accorder au parent qui demeurera dans la collectivité où l'enfant a été élevéNote de bas de la page 44. Il existe aussi des cas litigieux dans lesquels des enfants plus âgés sont fortement attachés au parent qui déménage et expriment clairement le souhait de déménager avec ce parent. Un respect considérable est également accordé à ces opinionsNote de bas de la page 45. Le choix exprimé par les enfants n'est cependant pas déterminant dans les décisions liées au déménagement. C'est tout particulièrement vrai dans les cas où un témoignage d'expert indique que la préférence de l'enfant pourrait ne pas convenir à son intérêt supérieur, ou dans les cas où il y a plusieurs frères et sœurs qui n'expriment pas tous la même opinionNote de bas de la page 46.
Notre étude des décisions des tribunaux canadiens nous a permis de découvrir des indications claires sur les choix ou attitudes des enfants envers le déménagement dans seulement 124 cas (17 %). Dans 55 autres cas (7 %), le jugement indiquait qu'il y avait eu un témoignage dans lequel les enfants étaient restés neutres, ou n'avaient pas exprimé clairement de préférence. Dans certains cas, les enfants étaient manifestement trop jeunes pour avoir une opinion. Dans certains cas, les parents étaient tous deux d'accord pour dire qu'il ne convenait pas de demander aux enfants leur opinion. Dans bien des cas, les enfants ne semblaient pas vouloir exprimer de préférence. Les opinions des enfants étaient généralement présentées au tribunal à l'aide d'un témoignage d'expert. Les juges hésitaient en effet à s'adresser directement aux enfants, disant craindre de les « obliger à choisir un camp ». En outre, les témoignages des parents au sujet des choix de leurs enfants étaient souvent contradictoires. D'ordinaire, les tribunaux y ont accordé peu d'importance.
Dans 87 des 124 cas où les enfants avaient une opinion claire, ils favorisaient le déménagement. Celui-ci a été permis dans 66 de ces cas (76 %). Les enfants se sont opposés au déménagement dans 37 cas. Le déménagement a été accordé dans seulement 9 de ces cas (24 %) (voir figure 3.4). Ainsi, dans 94 des 124 cas (76 %) où les enfants ont clairement exprimé leur opinion, la décision du tribunal entérinait cette opinion. Il s'agit d'un effet statistiquement significatifNote de bas de la page 47.
Figure 3.4 Incidence du choix de l'enfant sur le taux de succès des déménagements
Figure 3.4 - Équivalent textuel
La figure 3.4 est un diagramme à barres qui représente l’incidence des souhaits des enfants sur le taux d’autorisation des déménagements. Sur l’axe des x figurent les deux possibilités quant aux souhaits des enfants : l’enfant souhaite le déménagement ou l’enfant s’oppose au déménagement. Le pourcentage de déménagements autorisés est affiché sur l’axe des y (sur une échelle de 0 à 100). Les données sont présentées en ordre décroissant, comme suit : la première (la plus grande) barre montre que lorsque l’enfant souhaite le déménagement, celui-ci est autorisé dans 76 % des cas; la deuxième (la plus petite) barre montre que lorsque l’enfant s’oppose au déménagement, celui-ci est autorisé dans 24 % des cas.
3.3.9 Conduite de la personne présentant la demande : le « parent coopératif » par opposition au « parent au comportement indésirable »
Un certain nombre d'études indiquent que l'attitude du parent qui déménage est l'un des facteurs les plus importants pour prévoir si l'enfant aura, après le déménagement, une relation solide avec le parent qui ne déménage pas (Behrens et Smyth, 2010; Parkinson et coll., 2010). Si le parent qui déménage se montre coopératif sur les plans émotif et pratique, la solidité de la relation peut être maintenue en dépit des longues distances et des contacts moins fréquents. Par opposition, en l'absence d'une telle coopération, il sera difficile de maintenir une solide relation avec l'enfant lorsque les séparations durent plus longtemps et que les visites sont difficiles à organiser.
Les décisions des tribunaux expriment fréquemment leur désapprobation à l'endroit des mères qui agissent unilatéralement en déménageant avec leurs enfants sans attendre l'approbation de l'autre parent ou la permission du tribunalNote de bas de la page 48. Malgré cela, dans notre étude, les personnes présentant la demande ont obtenu gain de cause dans 70 cas sur les 144 où elles ont « déménagé d'abord et demandé la permission ensuite » (49 %). Bien que les juges aient exprimé leur désapprobation à l'égard d'un tel geste unilatéral, ils ont également tenu compte de toutes les circonstances du cas. Cela comportait la question de savoir si l'intérêt supérieur des enfants dictait qu'ils fassent face à l'instabilité d'un autre déménagement, cette fois un retour vers leur lieu antérieur de résidence. Bien qu'agir unilatéralement soit un facteur défavorable, il n'a pas toujours eu d'effet déterminant sur les résultats.
Dans 53 autres cas, la personne présentant la demande a déménagé sans les enfants, mais présenté une demande pour permettre aux enfants de déménager. La personne présentant la demande a obtenu gain de cause dans 22 de ces cas (42 %). Il est possible, à cause du petit nombre de ces cas, que cette différence ne soit pas statistiquement significative. Elle indique cependant que d'un point de vue stratégique, déménager sans les enfants et demander ensuite la permission de déménager pourra affaiblir la cause de la personne présentant la demande.
3.3.10 Clauses restrictives sur la résidence
Les conventions de séparation et ordonnances des tribunaux relatives à la garde des enfants contiennent assez souvent des clauses qui prévoient que les parties continueront toutes deux d'habiter dans la ville où elles habitaient au moment de la séparation, à moins que les parties ne s'accordent sur un déménagement dans le futur ou que le tribunal permette le déménagement, ou encore qu'elles stipulent que le parent gardien doit donner à l'autre un préavis de tout déménagement envisagé. Ces clauses peuvent modifier le processus par lequel un déménagement sera porté devant le tribunal. Cependant, au Canada du moins, elles ne créent pas de présomption contre l'éloignement et ne changent pas le fardeau qui, en son absence, s'appliquerait dans un cas de déménagementNote de bas de la page 49. Dans une procédure liée au déménagement, la décision doit être prise en se fondant sur l'intérêt supérieur de l'enfant au moment de la demande. On accepte en général que des parents ne puissent conclure de convention de séparation liant les parties au sujet de ce que sera l'intérêt supérieur de l'enfant après un changement de circonstances (c'est-à-dire, lorsqu'un déménagement est envisagé).
La clause interdisant le déménagement exige que le parent gardien qui désire déménager demande l'approbation d'un tribunal pour ce déménagement. Elle ne crée pas, cependant, de fardeau de preuve particulier dans les procédures liées au déménagement. Si le déménagement proposé risque de nuire aux dispositions précises d'une entente ou d'une ordonnance d'un tribunal au sujet des droits de visite, le parent désirant déménager devra demander l'approbation du tribunal et donner à l'autre parent un préavis appropriéNote de bas de la page 50. Dans le cadre de notre étude sur le déménagement, ces clauses ne semblaient pas avoir d'effet sur les résultats définitifs. Il existait des clauses restrictives sur le déménagement dans 143 cas, et les déménagements ont été accordés dans 73 d'entre eux (51 %), soit exactement la même proportion que dans les cas où ces clauses étaient absentes.
3.4 Le rôle des experts et de l'avocat des enfants
3.4.1 Un rôle limité pour les professionnels de la santé mentale
Les rapports d'évaluation rédigés par des psychologues ou travailleurs sociaux jouent un rôle important dans la majorité des litiges liés aux enfants, notamment dans les cas de protection de l'enfance, de garde et de droits de visite. Ces rapports fournissent au tribunal des renseignements et des observations provenant d'un professionnel indépendant de la santé mentale. Ce dernier effectue une enquête et rédige un rapport. Souvent, il formule des recommandations.
Ces rapports d'experts sont cependant rédigés dans relativement peu de dossiers de déménagement comparativement aux autres genres de litiges liés aux enfants. Dans les cas de déménagement où ils ont été rédigés, on paraît leur accorder moins d'importance que dans d'autres cas. Dans le cadre de notre étude, des éléments de preuve ont été présentés par un professionnel de la santé mentale nommé par la cour dans seulement 199 des 738 cas (27 %). Dans 45 de ces cas, l'assesseur a recommandé que le déménagement soit permis. Le tribunal l'a permis dans 34 de ces cas. Dans 63 cas, l'assesseur a recommandé que le déménagement n'ait pas lieu. Cette recommandation a été suivie dans 38 de ces cas. Dans 91 cas, le rapport ne contenait aucune recommandation au sujet du déménagement. La recommandation de l'assesseur au sujet du déménagement a donc été suivie par le tribunal dans 72 cas sur 108. Il s'agit d'un taux quelque peu moins élevé (67 %) que ceux qui sont rapportés par la majorité des autres études sur le rôle des experts dans les cas visant des enfantsNote de bas de la page 51.
Il existe des cas de déménagement dans lesquels les tribunaux ont cité les éléments de preuve apportés par un expert nommé par la cour à titre de facteur influençant une décision de ne pas accorder le déménagementNote de bas de la page 52. Il est cependant assez courant, dans les cas de déménagement dans lesquels une évaluation a été ordonnée par la cour, que les juges écartent la recommandation. C'est particulièrement fréquent dans les cas où le déménagement de l'enfant a été permis malgré la recommandation de l'expert de ne pas l'accorderNote de bas de la page 53. Le professeur James McLeod, maintenant décédé, a déclaré, en 2004 : [TRADUCTION] « les tribunaux semblent finalement comprendre que la mobilité est une question de droit et non pas un problème de santé mentale. »
Bien que le critère lié au déménagement énoncé dans Gordon c. Goertz soit l'évaluation de l'intérêt supérieur de l'enfant, l'application de ce critère diffère de celui qui s'applique aux autres litiges en matière de garde et de droit d'accès. En réalité, les demandes de déménagement ne découlent généralement pas du désir réel du parent gardien de promouvoir l'intérêt supérieur des enfants visés, sauf indirectement, car le bien-être des enfants sera amélioré si le parent gardien atteint une satisfaction sociale ou émotive plus élevée ou améliore ses possibilités économiques (Parkinson, 2011).
Dans un litige ordinaire sur la garde et les droits de visite, il est probable que les conceptions légale et psychologique du « meilleur intérêt » de l'enfant seront similaires. Il est donc possible que le tribunal accorde une valeur considérable aux éléments de preuve apportés par un psychologue au sujet de l'enfant concerné. Dans un cas de déménagement, il est rare que le bien-être psychologique de l'enfant s'améliore, peu importe la décision prise par le tribunal. En général, le tribunal fait face à une gamme limitée de possibilités. Chacune comporte des risques et avantages possibles ainsi que des hypothèses au sujet du futur. Dans la plupart des cas, il n'y a pas de recherche psychologique qui jette un éclairage direct sur la prise de ce genre de décisions.
Malgré l'utilisation limitée d'éléments de preuve provenant d'experts en santé mentale dans les cas de déménagement au Canada, les concepts psychologiques sont fréquemment utilisés par les avocats lors de leurs plaidoiries, et par les juges expérimentés en droit de la famille lors de la prise de décisions. En général, la rhétorique et l'analyse des professionnels du droit ne sont pas fondées, dans ces cas, sur la protection des droits des parents, mais bien sur la promotion du bien-être des enfants. Les juges renvoient souvent à l'importance de « l'attachement » et de la « stabilité » dans la vie des enfants, même lorsqu'aucun expert n'est appelé à témoigner. Des préoccupations légitimes quant aux dépenses et au retard possible occasionnés au procès se posent lorsqu'une ordonnance d'évaluation est prononcée. Cela est particulièrement vrai dans un cas de déménagement, puisqu'un règlement rapide est souvent nécessaire. Cependant, étant donné les références fréquentes aux concepts psychologiques faites par les juges et les avocats dans les cas de déménagement, il existe de toute évidence des cas de déménagement dans lesquels une évaluation et un témoignage par un psychologue ou travailleur social pourraient être précieux.
3.4.2 Les avocats pour enfants en Ontario
Un vaste programme sur la représentation des enfants en cause dans des litiges entre leurs parents au sujet de la garde, des droits de visite ou du déménagement est en place en Ontario. Cependant, les enfants ont été représentés par un avocat seulement dans une petite portion de cas. Dans l'ensemble de la présente étude, les enfants disposaient d'un avocat dans seulement 34 des 738 cas (tout juste moins de 5 %). Dans 26 de ces cas, le dossier émanait de l'Ontario et, dans 4 cas, du QuébecNote de bas de la page 54.
Alors que les professionnels de la santé mentale semblent n'avoir qu'une influence limitée sur les résultats des cas de déménagement en Ontario, lorsque les avocats des enfants du Bureau de l'avocat des enfants de l'Ontario s'occupent d'un cas de déménagement, ils semblent avoir davantage d'influence lors du procès ou de l'appelNote de bas de la page 55. Le plus souvent, l'avocat des enfants ne participera à un cas de déménagement que lorsque les enfants sont suffisamment âgés pour exprimer leur opinion.
Lorsqu'un avocat du Bureau de l'avocat des enfants est chargé d'un cas de déménagement, il plaidera généralement en faveur du choix de l'enfant. Il existe cependant des cas de déménagement dans lesquels le Bureau de l'avocat des enfants a conclu que l'enfant a été influencé de manière inappropriée par un parent. Il peut alors décider de plaider en faveur d'un résultat différent de celui que préférerait l'enfant, tout en s'assurant que le choix de l'enfant soit lui aussi communiqué au tribunalNote de bas de la page 56.
Les juges ont clairement établi qu'ils ne sont pas liés par les choix des enfants dans les cas de déménagement. Ils ne sont pas non plus tenus d'accepter la position plaidée par l'avocat des enfants. Néanmoins, comme nous en avons discuté ci-dessus, les choix des enfants, lorsqu'ils sont exprimés, ont souvent de l'influence. La position adoptée par le Bureau de l'avocat des enfants semble souvent avoir de l'influence sur les tribunaux ontariens dans les cas de déménagementNote de bas de la page 57. Dans notre étude portant sur des cas de déménagement survenus en Ontario au cours d'une période de dix ans, nous avons découvert que dans 7 des 10 cas dans lesquels l'avocat du BAE faisait une recommandation, le tribunal l'entérinait (dans 5 des 6 cas où le déménagement était recommandé, et dans 2 des 4 cas où l'avocat du BAE s'opposait au déménagement). Les recommandations de l'avocat du BAE sont de nature à influencer. Cela pourrait illustrer en partie l'importance donnée par les juges aux choix des enfants dans ces casNote de bas de la page 58, ainsi que la crédibilité accordée au BureauNote de bas de la page 59 et la difficulté à laquelle font face les juges lorsqu'ils déterminent ce qu'est réellement « l'intérêt supérieur » des enfants.
Dans les cas de déménagement dans lesquels les parties n'ont pas encore communiqué avec le Bureau de l'avocat des enfants et dans lesquels des enfants plus vieux sont visés, il n'est pas inhabituel que le juge saisi provisoirement du cas demande que le Bureau s'occupe du dossierNote de bas de la page 60, espérant qu'une enquête indépendante sera effectuée par un travailleur social ou un avocat nommé pour défendre les intérêts de l'enfant. Le Bureau peut cependant refuser de s'occuper d'un dossier. Il ne s'engage pas de manière régulière dans les cas de déménagement. Sur les 193 cas ontariens visés par notre étude, l'avocat du BAE est intervenu dans seulement 26 cas (13 %). Dans 16 de ces 26 cas dans lesquels l'enfant disposait d'un avocat, la décision du tribunal n'indiquait pas que l'avocat de l'enfant avait plaidé en faveur d'une position.
3.5 Étape des procédures
3.5.1 Ordonnances provisoires
La jurisprudence pertinente établit clairement que le fardeau de persuasion reposant sur le parent gardien qui veut obtenir une ordonnance de déménagement est plus élevé lorsqu'il veut obtenir la permission du tribunal au stade d'une requête provisoire. On se fonde exclusivement, à cette étape, sur une preuve par affidavit plutôt que sur une audience ou un procès complet au cours duquel la preuve peut être présentée et mise à l'épreuve par un contre-interrogatoire. Lors d'une requête provisoire, l'occasion de présenter des éléments probants et de les mettre à l'épreuve est plus limitée. Les juges savent bien que si une ordonnance provisoire est accordée et que l'enfant est autorisé à déménager, il est très probable que le statu quo sera établi, et il sera très difficile de changer la situation à une date ultérieure. En conséquence, les juges reconnaissent que permettre le déménagement lors d'une audience provisoire équivaut, pour le parent demandant le déménagement, à faire une demande de jugement sommaire. Il faut donc, pour qu'un tribunal permette le déménagement lors d'une requête provisoire, des circonstances « exceptionnelles » ou « impérieuses »Note de bas de la page 61. Si une requête provisoire demandant le déménagement est rejetée, son effet devrait théoriquement être nul sur le résultat du procès. Cependant, dans bien des cas, le rejet de la demande de déménagement provisoire donne également lieu à un règlement, en raison de facteurs combinés tels l'épuisement des ressources financières et la fatigue émotive, la divulgation de renseignements et une indication du raisonnement judiciaire relatif au cas.
Bien qu'il soit difficile pour une partie demandant le déménagement d'obtenir gain de cause dans le cadre d'une requête provisoire, si le juge est convaincu que l'issue de tout procès éventuel serait « inévitable » parce que la relation du parent non gardien avec l'enfant est limitéeNote de bas de la page 62 ou parce que celui-ci s'est montré violent envers l'enfant, le déménagement pourrait alors être permis à la suite d'une demande provisoire. Si la séparation est très conflictuelle, ou si la violence familiale a manifestement des répercussions sur le bien-être émotionnel de l'enfant, il est possible que le tribunal permette au gardien principal de l'enfant de déménager afin de réduire la pression subie par l'enfantNote de bas de la page 63. Cependant, si les affidavits se contredisent et qu'il n'y a pas d'éléments de preuve indépendantsNote de bas de la page 64, ou si la demande de déménagement ne paraît pas particulièrement bien fondée, il est alors possible que le tribunal ne permette pas le déménagement lors de la requête provisoire, même si le lieu de déménagement est situé à une heure et demie de route, car même cette distance relativement courte peut avoir un effet important sur la relation d'un enfant avec un parentNote de bas de la page 65.
Malgré le fardeau de persuasion élevé qu'exigent les demandes provisoires de déménagement, dans notre étude, des ordonnances provisoires ont été demandées dans 158 cas et ont été accordées dans 74 cas, ce qui représente un taux (47 %) tout juste inférieur à celui qu'on retrouve dans les cas où un procès a été tenu. Dans les cas provisoires où la demande a été accueillie, les juges étaient clairement conscients du fardeau de preuve plus élevé et ont expliqué pourquoi ces cas étaient « exceptionnels ». Il est probable que les avocats présentant des requêtes provisoires pour déménagements connaissent le critère auquel ils doivent se conformer. Ils ont donc tendance à ne présenter ces requêtes que lorsqu'ils disposent de solides éléments de preuve pour les soutenir.
3.5.2 Décisions rendues par les cours d'appel : retenue à l'égard des décisions de première instance
Dans l'arrêt Van de Perre c. Edwards, une modification du droit garde qui n'a ultimement pas connu de succès et qui, si elle avait été accordée, aurait permis le déménagement d'un enfant de la Colombie-Britannique à la Caroline du Nord avec son père en laissant derrière sa mère qui auparavant avait la garde, la Cour suprême a établi une « obligation de retenue » envers les décisions de première instance en matière familialeNote de bas de la page 66. Dans les affaires en droit de la famille, une cour d'appel ne devrait infirmer une décision de première instance que si elle est convaincue que le juge de première instance a commis une « erreur importante », plus précisément, qu'il a mal interprété la preuve, a erré en droit ou atteint une conclusion tellement inique à l'égard de la preuve et du droit qu'elle dépasse le « cadre généreux à l'intérieur duquel un désaccord raisonnable est possible ». Le juge Bastarache a mis l'accent sur l'importance du caractère définitif dans les cas de garde et sur la nature du « cas par cas » dans chaque dossierNote de bas de la page 67.
Le juge Laskin de la Cour d'appel de l'Ontario, alors qu'il rejetait, dans un cas de déménagement, l'appel de la mère qui avait la garde dans la décision Wolf c. Wales, s'est exprimé ainsi :
[traduction] Nous nous entendons pour dire que les cas de déménagement comptent parmi les affaires les plus difficiles à trancher pour un tribunal. Inévitablement, ces affaires dépendent des faits particuliers de chacune. Le juge de première instance, qui voit et entend tous les témoins, est mieux placé pour déterminer l'intérêt supérieur de l'enfant. La Cour ne peut refaire le procès. Elle doit plutôt faire preuve de retenue envers les conclusions que le juge de première instance a tirées sur les faits et la crédibilité. Ce n'est que si le juge de première instance a commis une erreur déraisonnable dans son évaluation des faits et de la crédibilité que nous avons le droit d'intervenirNote de bas de la page 68.
Si la cour d'appel conclut que le juge de première instance n'a pas « commis une erreur de principe », elle confirmera le jugement de première instance dans un cas de déménagement, même si la décision a pour effet de rendre plus difficiles, pour un parent, les contacts fréquents avec ses enfantsNote de bas de la page 69.
Nous avons examiné 83 décisions rendues par des cours d'appel dans le cadre de notre étude. Cinquante-neuf décisions de première instance ont été confirmées (71 %), 15 ont été infirmées et, dans 9 cas, un nouveau procès a été ordonné. Ainsi donc, le « taux de succès » en appel était de 29 %, ce qui est légèrement plus bas que le taux de succès global des appels en matière familiale. En effet, une étude des décisions de la Cour d'appel de l'Ontario de 1990 à 2003 révèle un taux de succès de plus de 40 % (Stribopoulos et Yahya, 2007)Note de bas de la page 70.
Dans 14 des 15 cas dans lesquels des décisions de première instance ont été infirmées, les cours d'appel ont permis au demandeur de déménager sans ordonner un nouveau procès. Les cours d'appel ont permis le déménagement dans 47 cas sur 83 (57 %), ce qui est à peu près le même taux que celui des décisions de première instance.
3.6 Résumé
Dans ce chapitre, nous avons analysé les décisions canadiennes en matière de déménagement rendues de 2001 à 2011. Bien que chaque cas soit unique et que les juges de première instance disposent d'une importante discrétion lors de l'application du critère de « l'intérêt de l'enfant » dans les cas de déménagement, l'analyse révèle des tendances claires :
- Le nombre de cas de déménagement signalés a légèrement augmenté au cours de la dernière décennie. Cependant, le « taux de succès » des déménagements est demeuré essentiellement constant, atteignant tout près de 50 %.
- Ces cas sont caractérisés par un fort élément relatif au sexe. Le parent qui cherche à déménager est presque toujours la mère. Cependant, dans le nombre de cas où les pères cherchaient à déménager, le taux de succès n'était pas différent de celui des mères.
- Les mères ayant la garde avaient de meilleures chances d'obtenir la permission de déménager si elles avaient la garde physique unique ou s'il existait des allégations corroborées de violence familiale. En revanche, dans les cas où la garde physique était conjointe (chaque parent vivant avec l'enfant au moins 40 % du temps), le tribunal était beaucoup plus susceptible d'interdire le déménagement.
- La raison la plus fréquemment invoquée à l'appui du déménagement était la perspective d'emploi ou d'amélioration des conditions économiques (environ un tiers des cas). Le désir de la mère de poursuivre une nouvelle relation intime (un peu moins d'un tiers des cas) était la deuxième raison la plus fréquemment invoquée. Dans environ un cinquième des cas, la raison principale justifiant le désir de la mère de déménager était la recherche de soutien social et émotionnel de la part de sa famille. Il existe des différences importantes au chapitre du taux de succès de ces trois catégories de motifs en vue d'un déménagement.
- Les témoignages d'experts faits par des professionnels de la santé mentale sont moins fréquemment recherchés dans les cas de déménagement, et on leur accorde moins d'importance que dans d'autres genres de cas mettant en cause des enfants.
- Les désirs des enfants n'étaient mentionnés que dans environ un quart des cas rapportés. Cependant, dans environ un tiers de ces cas, les enfants étaient ambivalents ou n'ont pas exprimé d'opinion claire. Lorsque les enfants ont exprimé une opinion, les juges ont eu tendance à accorder une importance considérable à leur choix quant au déménagement. Ces choix n'étaient cependant pas toujours acceptés.
- L'âge semble avoir un effet important dans les cas de déménagement.
- Les restrictions prévues dans les ententes de séparation ou ordonnances de garde n'étaient pas des facteurs significatifs empêchant un tribunal de permettre un déménagement.
- Bien que les déménagements à l'étranger soient plus perturbateurs pour un enfant que les déménagements à l'intérieur d'une province ou du pays, le taux de succès des demandes des déménagements à l'étranger est en fait plus élevé que celui des déménagements nationaux. Cela pourrait s'expliquer par des différences dans la nature des cas internationaux et est conforme aux constatations faites dans d'autres pays.
- Les juges déclarent souvent que les demandes provisoires de déménagements ne seront accueillies que dans des « circonstances exceptionnelles ». Lorsqu'une requête provisoire est contestée, peu de cas se rendent à procès. Cependant, les personnes qui présentent des demandes provisoires connaissent un taux de succès plutôt élevé. C'est peut-être parce qu'elles se montrent sélectives et ont de solides dossiers.
- Les tribunaux expriment fréquemment des reproches aux parents qui prennent unilatéralement la décision de déménager avec leur enfant sans le consentement de l'autre parent ou l'autorisation du tribunal. Cependant, le parent gardien (d'ordinaire la mère) a obtenu gain de cause dans presque la moitié des cas où il a « déménagé d'abord et demandé la permission ensuite ». Les juges ont en effet pris en considération toutes les circonstances du cas, notamment la question de savoir s'il était dans l'intérêt de l'enfant de faire face à l'instabilité d'un autre déménagement pour retourner à son lieu précédent de résidence.
- Les tribunaux d'appel font preuve d'une « grande retenue » à l'égard des décisions des juges de première instance en matière de déménagement, reconnaissant leur nature discrétionnaire et factuelle. Seulement un peu plus du quart des décisions liées au déménagement en appel a donné lieu à une annulation de jugement ou à une ordonnance en vue d'un nouveau procès.
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