Lignes directrices facultatives en matière de pensions alimentaires pour époux - Juillet 2008
9. L'UTILISATION DES FOURCHETTES
Les formules produisent des fourchettes de montants et, si les conditions pour le versement pendant une durée illimitée n'existent pas, des fourchettes de durées aussi. Les fourchettes permettent aux parties et à leurs avocats, ou au tribunal, d'ajuster le montant et la durée pour répondre aux caractéristiques spécifiques en l'espèce d'après les facteurs et les objectifs que la Loi sur le divorce prévoit pour la pension alimentaire.
Dans cette section, nous pouvons souligner uniquement de façon très générale les types de facteurs qui pourraient être pris en compte pour la fixation de montants précis et de durées de versements et qui pourraient jouer en faveur d'une extrémité ou de l'autre des fourchettes. La plupart des facteurs pertinents seront les mêmes que ceux utilisés dans la jurisprudence où les tribunaux exercent leur pouvoir discrétionnaire, à la différence qu'ils s'appliqueront dans les limites créées par la formule. De même, tout comme dans le droit actuel, il n'y aura pas qu'un seul facteur déterminant, mais plusieurs facteurs pourront jouer un rôle dans une affaire donnée, avec parfois des orientations différentes.
9.1 La solidité d'une demande compensatoire
Une demande nettement compensatoire peut être un facteur qui favorise l'octroi d'une pension alimentaire se situant dans la partie supérieure des fourchettes, tant pour le montant que pour la durée. Un époux qui a subi un important désavantage financier découlant des rôles joués pendant le mariage et dont les demandes ont à la fois un fondement compensatoire et non compensatoire peut avoir une demande de pension alimentaire plus solide en vertu de la formule sans pension alimentaire pour enfant qu'un époux dont la situation financière ne découle pas des rôles assumés pendant le mariage et qui peut uniquement faire valoir une demande de pension alimentaire non compensatoire fondée sur la perte du niveau de vie dont il bénéficiait pendant le mariage. Dans les exemples 7.1 et 7.5 portant tous deux sur des mariages de longue durée dans lesquels un des époux avait sacrifié des possibilités d'emploi pour élever les enfants, le caractère nettement compensatoire de la demande de pension alimentaire pourrait faire pencher la balance en faveur d'une pension alimentaire à l'extrémité supérieure de la fourchette, contrairement à d'autres exemples dans lesquels il n'y avait pas d'enfant.
Dans le cas de la formule avec pension alimentaire pour enfant, les principes de compensation dicteraient que plus l'époux bénéficiaire a renoncé à son intégration au marché du travail, plus on devrait s'élever dans la fourchette des montants. Voyons un exemple simple : deux avocats fiscalistes se marient tout de suite après leurs études en droit, mais l'un reste au foyer avec les enfants alors que l'autre entreprend une carrière dans un grand cabinet d'avocats. Selon la logique compensatoire, un nombre approchant le maximum de 46 % du RIND devrait être privilégié dans ce cas, puisque le revenu de l'époux payeur reflète bien ce qu'aurait pu être le revenu de l'époux bénéficiaire. Étant donné la présence d'enfants à charge dans cette formule, presque tous les cas comprendront un élément compensatoire, et les seuils inférieur et supérieur de la fourchette reflètent cette réalité. Ce qui fait varier un cas dans la fourchette, c'est l'importance relative de la demande compensatoire.
9.2 Les besoins du bénéficiaire
Si le bénéficiaire a un revenu limité ou une capacité restreinte de gagner un revenu, en raison de son âge ou d'autres circonstances, ses besoins peuvent pousser la pension alimentaire vers l'extrémité supérieure des fourchettes de montants et de durées.
À l'inverse, l'absence d'un besoin impérieux peut être un facteur qui joue en faveur du seuil inférieur de la fourchette, notamment si l'époux bénéficiaire a déjà un bon emploi ou un autre revenu, si ses frais de subsistance sont moins élevés parce qu'il vit dans le foyer conjugal libre d'hypothèque, dans un logement subventionné ou payé par sa famille. Il peut aussi cohabiter avec un nouveau partenaire, ce qui réduit ses dépenses.
Dans l' exemple 7.4, où Monique est sans emploi à l'âge de 57 ans, ce facteur lié aux besoins pourrait favoriser une pension alimentaire se situant à l'extrémité supérieure de la fourchette. Par contre, dans l' exemple 7.2, dans lequel Nicole n'a que 38 ans et gagne 25 000 $ par an, le facteur « besoins » peut ne pas être aussi impérieux, invitant à considérer une pension alimentaire se situant vers le seuil inférieur de la fourchette. Dans l' exemple 7.1, l'absence de besoin impérieux chez Isabelle, compte tenu de son revenu annuel de 30 000 $, pourrait amener à fixer une pension alimentaire à l'extrémité inférieure de la fourchette, mais sa demande clairement compensatoire viendrait contrer cette situation.
9.3 L'âge, le nombre et les besoins des enfants
L'âge, le nombre et les besoins des enfants auront une incidence sur le choix du montant dans les limites de la fourchette de la formule avec pension alimentaire pour enfant. Un enfant ayant des besoins spéciaux demande habituellement davantage de temps et de ressources de la part du parent qui s'en occupe, réduisant ainsi sa capacité de gagner un salaire sur le marché du travail et faisant monter le montant de pension alimentaire pour époux vers le seuil supérieur. La situation sera habituellement la même pour un parent ayant la responsabilité première du soin d'un enfant en bas âge, par rapport au soin d'un enfant plus âgé ou d'un adolescent. Ces revenus plus faibles feront en sorte que la fourchette de montants sera plus élevée, mais il s'agit bien sûr d'un montant qui se situe également à l'intérieur de la fourchette.
En règle générale, lorsque la capacité de payer est en jeu, plus il y a d'enfants, moins il reste de revenu pour verser une pension alimentaire pour époux, et les fourchettes seront plus basses, conformément à l'article 15.3 de la Loi sur le divorce. Dans ces cas de fourchettes réduites pour la pension alimentaire pour époux, il y aura de bonnes raisons de s'élever à l'intérieur de cette fourchette « réduite » afin d'accorder une forme de pension alimentaire compensatoire au parent qui a la garde. À mesure que les revenus des parents ayant trois enfants ou plus s'élèvent, les fourchettes des montants de pension alimentaire pour époux seront ajustées à la hausse, et il y aura plus de souplesse pour déterminer de montant à l'intérieur des fourchettes.
Les besoins et le niveau de vie peuvent aussi avoir tendance à faire en sorte que les ordonnances alimentaires pour époux approchent de l'extrémité supérieure de la fourchette. Même lorsque la pension alimentaire pour époux est au maximum de 46 % du RIND, le bénéficiaire qui reste au foyer pour s'occuper des tâches domestiques et des enfants aura un niveau de vie nettement moins élevé (si l'on suppose qu'aucun des époux n'a un nouveau conjoint ni d'autres enfants). Aux niveaux de revenus moins élevés, le facteur des besoins poussera les ordonnances alimentaires vers l'extrémité supérieure de la fourchette.
9.4 Les besoins et la capacité de payer de l'époux payeur
Les besoins et la capacité de payer de l'époux payeur peuvent pousser une ordonnance vers le seuil inférieur de la fourchette. Ces facteurs auront manifestement une importance particulière à l'extrémité inférieure, même au-dessus du « plancher » de 20 000 $. (Ce plancher est discuté de façon plus détaillée au chapitre 11). Dans certains cas où le besoin de l'époux bénéficiaire est pressant, l'époux payeur dont les revenus sont plus faibles peut aussi avoir de la difficulté à maintenir un niveau de vie modeste.
Même si la formule sans pension alimentaire pour enfant utilise les revenus bruts pour déterminer les montants, il est toujours important d'examiner les incidences qu'aura la pension alimentaire pour époux sur les revenus nets, en particulier pour l'époux payeur. Dans les cas de mariages de longue durée selon cette formule, où les pourcentages sont plus élevés, cela est très important, surtout lorsque le payeur bénéficie d'importantes déductions obligatoires, notamment au titre d'un régime de retraite, comparativement à l'époux bénéficiaire. Ces déductions peuvent être un facteur poussant vers l'extrémité inférieure de la fourchette[89].
La formule avec pension alimentaire pour enfant utilise les revenus nets pour les calculs, mais il faut faire des ajustements pour tenir compte de l'impôt et d'autres déductions normalisées. Toutefois, cette formule ne permet pas de déduire les contributions obligatoires à un régime de retraite, pour les raisons fournies au chapitre 8. Ces déductions peuvent devenir un facteur important pour choisir un montant moins élevé à l'intérieur de la fourchette et faire en sorte que l'époux payeur ait des revenus nets suffisants pour répondre à ses propres besoins[90].
Parmi les préoccupations du payeur ayant un revenu moins élevé dans le cas de la formule avec pension alimentaire pour enfant, il y a les dépenses directes pour les enfants qu'il doit assumer lorsque les enfants sont avec lui. On doit laisser suffisamment de liquidités au payeur gagnant un revenu moins élevé pour qu'il ou elle puisse exercer de façon significative son droit d'accès auprès de ses enfants.
9.5 L'incitation au travail pour l'époux payeur
Nous avons abordé plus haut les besoins et la capacité de payer de l'époux payeur. Nous aimerions soulever ici une autre question, soit la nécessité de préserver une incitation au travail pour le payeur. Cela est particulièrement important dans deux situations : les mariages de longue durée selon la formule sans pension alimentaire pour enfant et la plupart des cas où une pension alimentaire pour enfant substantielle est versée selon la formule avec pension alimentaire pour enfant. Le problème sera particulièrement épineux dans le cas des revenus faibles ou moyens.
Nous ne faisons pas allusion ici aux déductions sur le salaire brut du payeur, dont nous avons parlé plus haut, mais plutôt des menues dépenses liées au fait de se rendre au travail chaque jour qui ne sont pas assumées par l'employeur et qui ne sont pas déduites du revenu ou du salaire, comme les vêtements, les frais de transport pour se rendre au travail, le stationnement, les outils, etc. Par exemple, si les frais de déplacement journalier du payeur sont élevés, cela pourrait être un facteur poussant vers l'extrémité inférieure de la fourchette.
Un élément moins précis, mais peut-être plus important, de la question soulevée dans cette section a trait au revenu net du payeur après les impôts, les déductions, le paiement de la pension alimentaire pour enfant, le cas échéant, et celui de la pension alimentaire pour époux, et au gain marginal découlant de toute augmentation de son revenu brut. Cet incitatif au travail plus nébuleux sera un facteur lorsque le payeur est sur le marché du travail alors que le bénéficiaire ne l'est pas, surtout en fonction de la formule sans pension alimentaire pour enfant. Dans les cas de mariages de plus longue durée selon cette formule, les pourcentages de revenus bruts seront assez élevés pour soulever la question, et deviendront un facteur poussant le montant de la pension alimentaire vers l'extrémité inférieur de la fourchette.
Selon la formule avec pension alimentaire pour enfant, il se peut que le bénéficiaire soit à la maison à plein temps pour s'occuper des enfants, de sorte que cet argument d'« incitatif au travail » est moins convaincant. Et selon les deux formules, si le bénéficiaire de la pension alimentaire pour époux travaille également, à plein temps ou à temps partiel, l'argument de l'« incitatif au travail » pour le payeur disparaît à toute fin pratique.
9.6 Le partage des biens et des dettes
Il est présumé au point de départ dans les Lignes directrices facultatives que les parties ont accumulé durant leur vie conjugale les biens typiques pour un couple ayant leur âge ainsi que des revenus et des obligations similaires, et que ces biens ont été divisés de manière égale en vertu des règles sur le partage du patrimoine familial. Si ce n'est pas le cas, cela aura des incidences sur le montant de la pension alimentaire et sa durée.
L'absence de biens à partager pourrait favoriser une pension alimentaire se situant à l'extrémité supérieure de la fourchette. Si le bénéficiaire reçoit une partie importante des biens du mariage, alors la partie inférieure de la fourchette pourrait être plus indiquée. De même, si le bénéficiaire retient de nombreux biens qui sont exemptés ou exclus du partage, cela aussi pourrait favoriser un montant se situant dans la partie inférieure de la fourchette.
Lorsqu'un des époux assume une partie disproportionnée des dettes familiales, il peut être nécessaire de recourir à l'exception relative au remboursement des dettes décrite au chapitre 12. Mais il y aura d'autres cas, moins problématiques, où le remboursement des dettes constituera seulement un des facteurs qui pourraient pousser le montant de la pension alimentaire vers l'une ou l'autre extrémité de la fourchette, selon qu'elles sont assumées par l'un ou l'autre époux.
9.7 Les mesures d'incitation à l'indépendance économique
Les mesures d'incitation à l'indépendance économique peuvent prendre des orientations différentes. Comme cela se produit souvent en vertu du droit actuel, une pension alimentaire peut être établie à l'extrémité inférieure des fourchettes afin d'inciter le bénéficiaire à faire de plus grands efforts pour atteindre son indépendance économique, bien que l'attribution d'un revenu soit également une mesure efficace à cet égard. Par ailleurs, la nécessité de favoriser l'indépendance économique pourrait mener à une pension alimentaire se situant à l'extrémité supérieure de la fourchette, si cela signifiait que l'époux bénéficiaire pouvait suivre de nouveau une formation ou des études menant à un emploi plus rémunérateur et à une pension alimentaire moins élevée à long terme. Les mesures d'incitation à l'indépendance économique sont discutées plus en détail au chapitre 13.
Cette liste de facteurs n'est pas exhaustive; elle constitue simplement une tentative visant à définir quelques-uns des facteurs les plus évidents qui pourraient avoir une incidence sur l'établissement du montant et de la durée à l'intérieur des fourchettes. Les fourchettes donnent également une marge de manouvre afin de tenir compte des différences locales et régionales dans les pensions alimentaires octroyées, étant donné que dans certaines parties du pays, les pensions alimentaires sont plus élevées qu'ailleurs.
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