Conclure les bonnes ententes parentales dans les cas de violence familiale : recherche dans la documentation pour déterminer les pratiques prometteuses

1.0 Introduction

L'intérêt envers la législation et les pratiques relatives au règlement de différends parentaux n'a jamais été si élevé au Canada. Le taux de divorce a augmenté considérablement comparativement aux générations précédentes, mais la volonté des parents d'être près de leurs enfants n'a pas changé. Les rôles traditionnels des hommes et des femmes ont évolué à mesure que davantage d'individus ont cherché l'équité dans leur relation. De fait, les générations actuelles de pères participent plus activement au soin quotidien des enfants (Fthenakis et Kalicki, 1999), et les mères d'aujourd'hui font davantage partie du marché du travail que celles des générations précédentes (Zimmerman, 2000). Les vieilles présomptions et les vieux stéréotypes concernant les rôles de la mère et du père pendant le mariage et après la séparation disparaissent graduellement. Si l'on se fie aux récents débats tenus au Parlement canadien et au courant de pensée qui existe dans tout l'Occident, on encouragerait les parents séparés à mettre leurs différends de côté et à se concentrer sur l'intérêt premier de leurs enfants. Il semble y avoir un large consensus pour délaisser les concepts de « garde » et de « droit de visite ».

En même temps, la société canadienne est plus consciente des mauvais traitements infligés aux enfants et de la violence conjugale (c'est–à–dire la « violence familiale »). On s'entend généralement pour dire que la violence familiale est un problème social grave qui exige une intervention efficace de la part des tribunaux et des services communautaires. De récentes enquêtes dans l'ensemble du Canada, et notamment les réalisations du Comité ontarien d'étude sur les décès dus à la violence familiale, rappellent que les tragédies semblent souvent prévisibles et pourraient être évitées grâce à une meilleure formation, à davantage de ressources et à une collaboration professionnelle plus étroite. Bon nombre de ces tragédies impliquent des parents séparés qui mettent leurs enfants maltraités et leur ancien conjoint dans une situation où ils risquent de graves blessures et la mort. Ces cas touchent un plus grand nombre de parents pour qui le coparentage est inapproprié et pourrait même mettre leur vie en danger.

Les deux réalités décrites ci–dessus — le soutien croissant au partage des responsabilités et la sensibilisation accrue à la violence familiale — se heurtent lorsque vient le temps pour les tribunaux et les professionnels du domaine tels que les avocats, les médiateurs et les évaluateurs en matière de garde, d'aider les parents à régler leurs différends relatifs aux ententes parentales après une séparation. La majorité des parents qui se séparent sont normalement en mesure de s'entendre sur un plan de coparentage (garde conjointe[1]), mais ce n'est pas nécessairement le cas des parents ayant des antécédents de violence familiale. Les solutions possibles peuvent comporter un contact restreint ou supervisé, ou prévoir une absence de contact avec les enfants, selon les préoccupations soulevées en matière de sécurité des enfants et du parent non délinquant. Certains défenseurs du partage des responsabilités avancent que la plupart des parents qui font mention de violence familiale font des déclarations fausses ou exagérées d'abus afin de ne pas partager leurs enfants. Prouver les allégations peut certes soulever des problèmes légitimes, mais il faut tout de même tenir compte du fait que le déni et la minimisation de l'abus par les véritables abuseurs sont plus courants que les allégations fausses ou exagérées d'abus conjugal par les présumées victimes. Il est essentiel de procéder à une évaluation et à une enquête appropriées pour chaque allégation afin de s'assurer que les ententes parentales choisies correspondent aux besoins de chaque famille.

La recherche d'une entente de partage des responsabilités idéale après une séparation et les efforts tendant à assurer la responsabilisation des parents et leur sécurité ainsi que celles de leurs enfants en cas de violence familiale sont deux réalités totalement opposées. Le présent rapport, qui a pour but de tenter de concilier ces deux réalités, constitue un point de départ important dans ce processus. Il présente un examen de la documentation actuelle sur les incidences de la violence familiale sur l'adaptation des enfants et les répercussions sur les ententes parentales dans ces circonstances. On y trouve un modèle décrivant la façon de tenir compte de la violence familiale dans le cadre des différends concernant la garde des enfants et le droit de visite et la façon de conclure, après une séparation, une entente parentale qui répond aux besoins des enfants et de leurs gardiens. Le rôle essentiel des ressources judiciaires, de la formation et de la collaboration chez les professionnels du domaine y est abordé.

1.1 Méthodologie

Le présent document est fondé principalement sur une analyse documentaire approfondie de la violence familiale et des procédures intentées après une séparation, relativement aux enfants. De plus, nous avons demandé à plusieurs chercheurs éminents dans ce domaine de nous fournir des articles destinés à la publication pour disposer des données les plus à jour (voir la liste des chercheurs dans les remerciements). La documentation sur la violence familiale a été examinée sous l'angle des différends liés aux enfants, compte tenu de l'expérience considérable du premier auteur (Peter Jaffe) à titre d'évaluateur, d'éducateur et de chercheur dans le domaine. Enfin, une ébauche du présent document a été transmise à plusieurs chercheurs éminents du domaine des sciences sociales et du droit pour recueillir leurs commentaires et en accroître l'utilité. Bien que bon nombre de leurs commentaires aient été intégrés au présent rapport, le produit final illustre les opinions des auteurs et pourrait ne pas refléter certains de leurs points de vue.

1.2 Structure du rapport

Le présent rapport comporte des sections qui donnent un aperçu de la documentation concernant la violence familiale, suivies de sections traitant des ententes parentales après une séparation dans des cas où il y a de la violence familiale. On fournit au lecteur un modèle décrivant une toute autre façon de concevoir les stratégies d'évaluation et d'intervention dans les cas de violence familiale et de conflits parentaux liés aux enfants. Le rapport renferme un modèle sommaire de pratiques exemplaires et un court schéma exposant la gamme de facteurs à prendre en considération dans l'adaptation des ententes parentales aux familles aux prises avec de la violence. Les répercussions des politiques, des lois et de la pratique sur les tribunaux de la famille et les services judiciaires sont décrites dans la dernière section.


[1] Les termes partage des responsabilités et garde conjointe font référence à un large éventail d'ententes parentales pouvant varier en ce qui concerne la quantité de temps passée avec chacun des parents et le processus décisionnel réel. En général, ces ententes ont en commun la participation importante de chacun des parents et la collaboration, ou à tout le moins l'absence de conflit entre les parents. Bien que la garde conjointe soit souvent perçue à tort comme une répartition moitié–moitié du calendrier de séjour, dans bien des cas ce terme est employé pour illustrer l'esprit de collaboration des parents ou pour éviter de créer un climat de gagnants et de perdants; en réalité, un des parents peut être responsable de la garde la plupart du temps et de la majeure partie des décisions au jour le jour. Bien des paliers administratifs ont abandonné le terme « garde » en faveur des termes « entente parentale » et « parent qui a la garde », et des changements similaires ont été proposés au palier fédéral — aux termes de l'ancien projet de loi C–22. Cependant, ces changements n'ont pas été adoptés et le projet de loi est mort au feuilleton en novembre 2003. L'Alberta a modifié sa loi à ce sujet afin de l'harmoniser le plus possible avec les changements fédéraux proposés; la nouvelle Family Law Act de l'Alberta doit être mise en vigueur le 1er octobre 2005.