Réponse du gouvernement au quinzième rapport du Comité permanent de la justice et des droits de la personne
Responsabilité des personnes morales
Novembre 2002
Les audiences
Aperçu
Pendant les audiences, rares ont été ceux qui ont appuyé le modèle canadien. William Trudell, s'exprimant au nom du Conseil canadien des avocats de la défense a été l'un des quelques rares témoins à appuyer le modèle existant.
Les personnes qui ont témoigné devant le Comité ont reconnu que les tribunaux canadiens étaient allés plus loin que ceux d'autres pays en admettant la possibilité de plusieurs « âmes dirigeantes », mais en règle générale, elles ont dit que le fait de cibler une seule âme dirigeante relativement à une infraction en particulier était trop restrictif. On a également dit qu'en exigeant qu'une personne de la société soit responsable pour que la compagnie elle-même puisse l'être, on permettait aux grandes sociétés d'agir avec impunité. Tel qu'il est appliqué à l'heure actuelle, ce modèle permet aux grandes sociétés de se cacher derrière leurs processus décisionnels plus complexes alors que les petites sociétés sont exposées à une condamnation.
Sans appuyer expressément l'approche existante, d'autres témoins ont mis le Comité en garde contre une modification en profondeur du droit sans un examen minutieux de toutes les ramifications possibles d'un tel changement. Au nom de l'Association du Barreau canadien, Greg DelBigio a demandé au Comité de prévoir une période de temps pour présenter des observations sur toute proposition concrète de réforme, en lui conseillant de faire preuve de prudence et en soulignant le risque de conséquences imprévues. ces.
Modèle de la responsabilité du fait d'autrui
Le document de discussion du ministère de la Justice renvoyait le Comité permanent au modèle adopté par les cours fédérales américaines en matière de responsabilité du fait d'autrui. Selon ce modèle, les personnes morales sont criminellement responsables des actes de leurs administrateurs, mandataires ou employés qui agissent dans le cadre de leurs fonctions et pour le bénéfice de la compagnie. Pour que la responsabilité de la société soit engagée, il faut que l'employé ait perpétré le crime avec l'intention criminelle nécessaire, qu'il ait agi dans le cadre de ses fonctions et qu'il ait eu l'intention d'en faire bénéficier la compagnie. La mens rea est également établie si la connaissance collective des employés, en tant que groupe, peut être démontrée, même si aucun employé en particulier ne possédait suffisamment de renseignements pour savoir qu'un crime était en train d'être commis.
Il ne faudrait pas exagérer les divergences entre le droit
canadien et le droit américain en matière de responsabilité des
personnes morales. Le professeur Healy a comparé « la
doctrine de l'identification …(et) la méthode plus élargie
de la responsabilité subsidiaire. Il s'agit d'un niveau très
ciblé et étroit alors qu'en vertu de la méthode
américaine, plus de gens peuvent engager la responsabilité de
la personne morale »
. [12]
Dans l'affaire R. c. CIP Inc., la Cour suprême du Canada a dit : Il ne faut pas oublier que 'personne' s'entend d'une personne morale aux termes des dispositions générales de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21. Il faut se rappeler aussi que la responsabilité criminelle d'une personne morale est essentiellement une responsabilité du fait d'autrui, découlant d'actes et d'omissions de particuliers: 'une compagnie peut agir seulement par l'intermédiaire de ses représentants'(nous soulignons). [13]
Dans son exposé et mémoire très fouillés présentés au Comité permanent, le Syndicat des Métallurgistes unis d'Amérique a soulevé certaines préoccupations concernant le modèle américain. Andrew King, chef de service, Santé, sécurité et environnement du syndicat, a affirmé : Le problème essentiel que présente l'approche américaine, c'est qu'elle se fonde, en fin de compte, sur le principe de la responsabilité du fait d'autrui, qui nous ramène à la situation évoquée aujourd'hui: il se peut qu'il se passe des choses dont personne n'a connaissance au sein d'une société, des choses qui ne sont même pas permises. Dans certains États américains, ce serait assez pour démontrer la culpabilité d'une société. À mon avis, ceci provoquerait un nombre considérable de contestations fondées sur la Charte, sans atteindre pour autant l'objectif visé. [14]
La responsabilité du fait d'autrui sous cette forme n'a pas été le choix préféré de quelque témoin que ce soit devant le Comité permanent. Le gouvernement souscrit aux préoccupations exprimées par plusieurs témoins selon lesquelles la responsabilité du fait d'autrui tel qu'elle est appliquée aux États-Unis est une notion étrangère au droit pénal canadien. La rigueur du principe est quelque peu atténuée par les lignes directrices américaines en matière de détermination de la peine qui permettent une diminution de l'amende prescrite selon le degré de culpabilité de la société, mais d'aucuns pourraient prétendre qu'il serait contraire au droit canadien de faire porter l'odieux d'une infraction criminelle à une société, alors que ses actes ne sont pas répréhensibles.
Infractions précises applicables aux personnes morales
Le Comité permanent a été saisi de propositions législatives concernant les infractions de meurtre et de lésions corporelles causés par la négligence d'une personne morale au Royaume Uni et en Australie. Le Comité permanent a interrogé plusieurs témoins sur l'opportunité de prévoir des infractions criminelles précises en matière de santé et de sécurité au travail. Les témoins étaient partagés sur la valeur de l'approche.
Nombre de témoins ont fait connaître leur appui aux principes généraux du projet de loi C-284 qui aurait créé des infractions particulières en matière de sécurité des travailleurs tout en amorçant une réforme et une clarification des règles générales applicables en matière de responsabilité des personnes morales.
M. Louis Erlichman, s'exprimant au nom de l'Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale, a appuyé non seulement la création de nouvelles infractions précises afin de dissuader les employeurs de mettre leurs employés en danger, mais aussi l'adoption d'une base plus large permettant d'établir la responsabilité d'une personne morale : « Il (le projet de loi) retirerait le voile qui a permis aux personnes morales et à ceux qui exercent l'autorité au sein de ces dernières de se soustraire à leurs responsabilités ». [15]
Le professeur Boisvert a mis le Comité en garde contre la création d'infractions particulières : Je crois qu'il faut résister à la tentation de créer une infraction particulière. Je pense, entre autres, au « corporate manslaughter » qui a été avancé. On risque de créer une législation anecdotique qui ne couvre pas tout le terrain, qui risque de créer de la confusion. S'il y a des infractions spéciales de prévues pour les personnes morales, cela vaudra-t-il dire qu'il ne sera pas possible d'intenter des poursuites dans le cas d'autres infractions? On risque de créer de la confusion et de passer des messages comme quoi c'est grave de tuer des travailleurs, mais ce n'est pas grave de les blesser. [16]
M. Greg DelBigio de l'Association du Barreau canadien s'est montré un
peu plus enthousiaste à l'égard de la création
d'infractions particulières qu'à l'égard d'un
changement radical de l'approche permettant d'établir la faute
d'une personne morale. Dans son témoignage, il a dit que « traiter
d'une seule infraction plutôt que de refaire la loi sur la responsabilité criminelle
de l'entreprise… laisse moins de place aux embûches juridiques
et constitutionnelles »
. [17]
Mis à part l'homicide par négligence ou le devoir d'assurer la sécurité en milieu de travail, les témoins n'ont proposé aucune infraction précise au Comité permanent. Le gouvernement relève que le conseil législatif de l'État de Victoria en Australie a récemment rejeté les propositions touchant des infractions particulières et que le gouvernement du Royaume Uni, qui a annoncé son intention de présenter une mesure législative sur l'homicide par négligence des personnes morales ne l'a pas encore fait.
Le gouvernement n'est pas en faveur de la création d'infractions précises qui visent les personnes morales, sauf s'il s'avère que ces dispositions sont nécessaires. En principe, le droit pénal devrait s'appliquer à toutes les personnes, quel que soit le moyen qu'elles prennent pour organiser leurs affaires.
De plus, le gouvernement ne voit pas la nécessité d'une infraction distincte applicable aux personnes morales dans les cas de décès et de blessures en milieu de travail. Les problèmes d'application des lois concernant l'homicide involontaire coupable et la négligence criminelle seraient mieux abordées dans le cadre de modifications aux règles générales en matière de responsabilité criminelle des personnes morales, particulièrement en ce qui a trait à la négligence criminelle.
Culture d'entreprise et approche du projet de loi C-284
Le document de discussion du Ministère comportait une analyse du modèle fondé sur la « culture d'entreprise » adopté par le Commonwealth d'Australie comme fondement de la responsabilité criminelle des personnes morales. En conformité avec la nouvelle loi australienne, la responsabilité criminelle des personnes morales à l'égard des actes criminels de compétence fédérale peut être prouvée en établissant l'existence de l'une ou l'autre des situations suivantes :
- le conseil d'administration de la personne morale a délibérément, sciemment ou avec témérité adopté le comportement visé, ou il a autorisé ou permis expressément, tacitement ou implicitement la perpétration de l'infraction;
- un cadre supérieur de la personne morale a intentionnellement, sciemment ou avec témérité adopté le comportement visé, ou il a autorisé ou permis expressément, tacitement ou implicitement la perpétration de l'infraction;
- la culture organisationnelle de la personne morale était telle qu'elle ordonnait, encourageait, tolérait ou entraînait la violation de la disposition pertinente;
- la personne morale n'a pas réussi à créer et à maintenir une culture organisationnelle qui exige le respect de la disposition pertinente. [18]
Les deux premiers motifs de responsabilité sont conformes au droit canadien en vigueur. Les deux derniers représentent une nouvelle approche. Malheureusement, à cause des limites de la compétence du gouvernement australien en matière pénale, il n'a pas été possible d'appliquer la nouvelle loi dans une poursuite au criminel relative à un décès ou à des lésions corporelles, même si les juges mentionnent souvent la culture organisationnelle comme facteur dont il faut tenir compte dans la détermination de la peine en cas d'infractions réglementaires.
Le projet de loi C-284 a également proposé un modèle en matière de responsabilité criminelle des personnes morales qui était fondé en partie sur la culture d'entreprise. Outre la mens rea d'une âme dirigeante, le projet de loi C-284 aurait permis qu'une personne morale soit criminellement responsable si la direction de la personne morale
- avait toléré, approuvé ou encouragé l'acte par ses politiques ou les pratiques qu'elle a permises,
- aurait pu et dû être au courant de l'acte ou de l'omission mais elle a choisi de l'ignorer;
- a permis que se développe une culture parmi ses dirigeants et ses employés, les encourageant à croire que la personne morale tolérerait un tel acte ou omission;
- a négligé de prendre les mesures que toute personne morale raisonnable devrait prendre pour que ses employés sachent que de tels actes ou omissions, ou des actes ou omissions de nature semblable, sont illicites ou interdits par elle .[19]
Les témoins qui représentaient les groupes de victimes
et les groupes de travailleurs se sont montrés plutôt
favorables à
la notion de culture d'entreprise. Toutefois, certains témoins
se sont demandés si le modèle fondé sur la culture
d'entreprise pouvait survivre à une contestation fondée
sur la Charte. Le professeur Patrick Healy s'est montré « très
perplexe » concernant l'imprécision et la portée
excessive du projet de loi C-284. Il a dit : « On
ne doit pas oublier non plus ce qu'on appelle la 'présomption
d'innocence' en droit criminel canadien. Ainsi, toute personne accusée,
y compris une personne morale, a droit à cette présomption »
. [20] M.
DelBigio de l'Association du Barreau canadien a souligné au
comité que « une loi complexe peut quelquefois donner
lieu
à des poursuites complexes et inefficaces ». [21]
Le gouvernement sait que la « culture d'entreprise » ne simplifiera pas nécessairement les enquêtes sur les allégations d'actes criminels perpétrés par les personnes morales. Il faudra toujours établir les faits. La question de savoir si les administrateurs et les dirigeants d'une personne morale qui ont toléré l'application laxiste des procédures serait probablement soumise au même type d'enquête que s'il fallait déterminer s'ils avaient ordonné des actes ou omissions. Comme l'a mentionné le commissaire adjoint de la GRC, William Lenton : Notre rôle est de brosser pour les tribunaux le tableau le plus clair et précis de ce qui s'est passé. Voilà pourquoi je dis que l'enquête se complexifie, parce que les règles de la preuve s'appliquent alors. Peu importe alors si le texte de loi est très clair; les règles de la preuve doivent être respectées, les règles de la communication de la preuve doivent être respectées. Tout cela peut compliquer et prolonger l'enquête et rendre difficile ce qui, à première vue, aurait semblé simple en fonction du texte de loi. [22]
Le gouvernement a également constaté que les témoins n'étaient pas tous du même avis concernant l'approche fondée sur la culture organisationnelle et il a examiné soigneusement les points soulevés par les partisans des deux points de vue. La notion de culture d'entreprise sur laquelle la responsabilité criminelle est fondée n'a pas encore été mise à l'épreuve. Le gouvernement sait que le droit doit être clair et il estime que l'expression « culture organisationnelle » est trop imprécise pour constituer la mens rea requise de la personne morale. Il faut une modification plus simple du droit criminel qui s'écarterait beaucoup moins des principes généraux que le modèle fondé sur la culture d'entreprise.
Administrateurs, dirigeants et employés
Tel que susmentionné, selon le droit canadien en vigueur, les administrateurs et dirigeants d'une société en sont l'âme dirigeante et leurs actes et intentions (mens rea) peuvent être attribués à la personne morale. En outre, la responsabilité criminelle personnelle des dirigeants et administrateurs d'une personne morale peut être engagée relativement aux actes de la personne morale. Il est clair que si ces personnes incitent la société à commettre des crimes, elles sont criminellement responsables au même titre que la personne morale, tant individuellement que collectivement.
Un cadre ou membre du conseil d'administration pourrait également être responsable d'avoir encouragé une personne à commettre une infraction (art. 21), d'avoir conseillé à une autre personne de commettre une infraction (art. 22) ou d'avoir été complice après le fait (art. 23).Très souvent, les cadres et dirigeants sont accusés d'avoir participé à une infraction au même titre que la personne morale. Toutefois, ils sont responsables en raison de leurs propres actes et non seulement en raison du poste qu'ils occupent dans la personne morale. La responsabilité des personnes dans ce type de situation n'est pas contestée et aucun témoin n'a demandé que le gouvernement limite la portée du droit actuel.
Le projet de loi C-284 aurait élargi la portée du droit en engageant la responsabilité criminelle de l'administrateur qui était ou qui aurait dû être au courant de l'infraction et qui n'avait pas pris tous les moyens raisonnables afin de l'éviter. En outre, le projet de loi C-284 aurait créé une nouvelle infraction applicable aux personnes morales qui permettent que des conditions de travail dangereuses existent. L'administrateur ou le dirigeant qui était ou qui aurait dû être au courant des conditions de travail dangereuses aurait également été coupable d'une infraction. La responsabilité d'une personne qui n'avait pas l'intention criminelle requise aurait constitué un écart par rapport aux principes bien établis du droit pénal. La question de la responsabilité des dirigeants et administrateurs a donc été chaudement débattue pendant les audiences.
Le professeur Patrick Healy a exprimé en ces termes ses préoccupations concernant les propositions du projet de loi C-284 sur la responsabilité des administrateurs :
Il s'agit d'une mesure absolue dont je comprends le but. Néanmoins, elle est de nature généralisatrice et je crois qu'il y a un risque que sa constitutionnalité soit contestée parce que l'argument de culpabilité, du moins en ce qui concerne les dirigeants et administrateurs, n'a pas le même poids et le même degré de culpabilité qu'une infraction commise par une personne physique.
Je suis d'avis que, si l'on considère la possibilité, aussi faible qu'elle soit, qu'une personne morale ou un de ses administrateurs ou dirigeants soit accusé d'un meurtre ou d'un vol en vertu d'une telle condition, il est hautement improbable qu'une telle mesure soit constitutionnelle. [23]
Puisque le projet de loi C-284 proposait tant une nouvelle norme applicable en matière de responsabilité des dirigeants et administrateurs que de nouvelles infractions précises, les deux questions ont souvent été abordées de front pendant les audiences. Le Comité permanent a entendu la déposition de plusieurs témoins qui ont demandé que les dirigeants et administrateurs soient davantage responsables de la sécurité de leurs travailleurs et ouvrages et ils ont dit que le droit pénal était un moyen efficace d'exprimer la désapprobation de la société à l'égard des gestionnaires et cadres supérieurs qui ne prennent même pas la peine de s'informer afin de s'assurer de la sécurité de leurs travailleurs.
Pendant les audiences, quelques témoins ont mentionné le
phénomène de la « paralysie des administrateurs »;
c'est-à-dire que des personnes compétentes pourraient
renoncer à faire partie du conseil d'administration d'une entreprise
par crainte d'une responsabilité
criminelle potentielle. William Trudell s'est exprimé sans ambages
sur ce sujet : « J'ai rêvé que je me présentais à
vous, que le projet de loi avait déjà été
adopté et que je courais vers un téléphone afin
d'appeler certaines de mes connaissances, administrateurs de sociétés,
afin de les aviser de démissionner sur-le-champ avant qu'on
me dénonce au Barreau. »
Il a également exprimé sa grande préoccupation
concernant l'approche adoptée par le projet de loi C-284 particulièrement
en matière de renversement du fardeau de la preuve. Il a dit : « Cela
remet grandement en question les principes de base du droit criminel »
. [24]
La plupart des témoins qui se sont exprimés sur la question étaient d'accord sur le fait que les administrateurs qui ferment les yeux devant les conditions dangereuses ou qui ne prennent aucun moyen pour ancrer la sécurité dans la culture de l'entreprise devaient être criminellement responsables. Il s'agit d'une norme moins sévère que celle proposée par le projet de loi C-284, qui exigeait la mise en œuvre de toutes les mesures raisonnables.
Bev Desjarlais, députée, qui a parrainé le projet de loi C-284, a dit ceci au Comité permanent : Il ne s'agit pas de tenir les administrateurs personnellement responsables des accidents, des erreurs ou des mauvaises décisions de leurs subalternes, ni d'oublier les dangers inhérents à certains emplois, comme le travail dans une mine, mais même dans les mines, et dans tout autre lieu de travail, il y a des normes de sécurité minimales à respecter. Si les cadres et les administrateurs sont mis au fait de pratiques dangereuses et qu'ils ferment les yeux, qu'ils tentent de les cacher, qu'ils encouragent ou forcent leurs employés à travailler dans de pareilles conditions, il faut que ce soit un crime prévu au Code criminel. [25]
Dans son témoignage devant le Comité, le commissaire adjoint Lenton a insisté sur l'importance de la clarté et de la précision du droit tant pour les enquêteurs que pour les personnes susceptibles d'être responsables en vertu du Code. La police aimerait avoir des outils plus simples - et pas seulement la police. Ce qui est encore plus important, c'est que les administrateurs des entreprises sauront eux aussi avec précision quelles sont leurs responsabilités et ils agiront en conséquence. [26]
Le gouvernement reconnaît qu'à cause des structures compliquées des entreprises modernes, les administrateurs et les dirigeants n'ont aucun contrôle direct sur les nombreuses activités de l'entreprise et ils doivent obligatoirement déléguer le pouvoir à l'égard des opérations. Les personnes à qui ces pouvoirs ont été délégués assument de nouvelles responsabilités pour lesquelles elles sont rémunérées. Le droit criminel ne peut ni leur permettre de fermer les yeux devant une activité criminelle ni leur imposer une norme de diligence beaucoup trop sévère.
Le gouvernement croit que le droit pénal doit s'appliquer d'une manière identique à tous les individus qui occupent des postes semblables. Au surcroît, non seulement les dirigeants et administrateurs, mais aussi toute personne qui a une certaine autorité doit avoir à cœur la sécurité des travailleurs et du public. Par conséquent, il ne faut pas cibler uniquement les dirigeants et les administrateurs et leur imposer une responsabilité générale ou en matière de sécurité uniquement à cause de la manière dont l'entreprise est structurée. Ils doivent être tenus criminellement responsables de la manière dont ils s'acquittent de leurs devoirs. Ils ne devraient pas être tenus criminellement responsables s'ils n'ont commis aucune faute personnelle tout simplement à cause du poste qu'ils occupent au sein de l'entreprise.
Détermination de la peine
Il est impossible d'incarcérer une personne morale; habituellement, la société responsable d'un crime se voit donc imposée une amende. Les statistiques du Centre canadien de la statistique juridique présentées par la professeure Puri dans son article indiquent que même si une ordonnance de probation peut être imposée à toute personne, notamment une personne morale, aucune ordonnance de probation n'a été imposée à une personne morale dans les années 1998-1999 ou 1999-2000.
La professeure Puri a fait plusieurs suggestions intéressantes au Comité permanent concernant de nouvelles options en matière de détermination de la peine et les témoins du ministère de la Justice ont examiné les lignes directrices très détaillées en matière de détermination de la peine qui s'appliquent aux États-Unis. La commission américaine de détermination de la peine a établi des lignes directrices sur les amendes applicables aux diverses infractions, mais l'amende peut être plus ou moins élevée selon certains facteurs, notamment le degré de participation à l'infraction ou la tolérance à l'égard de celle-ci par les cadres supérieurs, la présence d'un programme efficace visant à prévenir et à détecter toute violation de la loi et le signalement de la violation dès que la personne morale en a pris connaissance.
Les membres du Comité permanent ont semblé beaucoup s'intéresser aux approches novatrices en matière de détermination de la peine, notamment les mesures de réparation, l'obligation pour une personne morale de rendre publique sa condamnation et les peines qui reflètent les efforts pris par la personne morale afin d'éviter les infractions futures.
Les principes en matière de la détermination de la peine sont énoncés à l'article 718.2 du Code criminel, mais ils visent les délinquants individuels; aucune disposition précise vise les personnes morales ou guide les tribunaux dans la détermination de la peine d'une personne morale. Il est clair qu'il faudra songer à des dispositions spéciales applicables aux personnes morales en matière de détermination de la peine.
Le gouvernement préfère les approches innovatrices tant pour réparer le tort qui a été fait que pour dissuader toute activité criminelle, mais il se préoccupe de la relation entre le droit pénal et la réglementation. Lorsqu'une personne morale est condamnée pour négligence criminelle en raison des conditions de travail dangereuses, une sorte de probation qui exigerait que la société modifie ses pratiques voudrait dire que les tribunaux ou les services de probation seraient appelés à prendre des décisions en matière de santé et de sécurité au travail, tâche qui est mieux accomplie par les ministères fédéraux et provinciaux possédant l'expertise nécessaire.
En outre, même si les amendes devaient être suffisamment élevées pour éliminer tout profit, des lignes directrices aussi détaillées que celles qui existent aux États-Unis pourraient influer de manière inopportune sur le pouvoir discrétionnaire du juge responsable de la détermination de la peine. Dans le même ordre d'idées, une ordonnance de service communautaire rendue contre une personne morale pourrait amener des employés qui n'ont aucunement participé à la commission de l'infraction à devoir effectuer le travail plutôt que leurs supérieurs hiérarchiques plus coupables.
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