Réponse du gouvernement au quinzième rapport du Comité permanent de la justice et des droits de la personne

Responsabilité des personnes morales

Novembre 2002

Mesures législatives proposées

Le gouvernement constate que l'approche actuelle en matière de responsabilité criminelle a été étudiée maintes fois et que ces études ont abouti, en 1993, à la publication du livre blanc qui exigeait une réforme de la partie générale du Code criminel. Les audiences du Comité permanent de la justice et des droits de la personne ont permis de débattre des enjeux fondamentaux. Il est donc inutile de procéder à de nouvelles consultations. Il est temps de réformer le droit.

1. Engager la responsabilité de la personne morale

Tel que mentionné plus haut, une personne morale ne peut être déclarée coupable d'une infraction criminelle qu'en attribuant à celle-ci les actes fautifs de particuliers. La question fondamentale est donc : Quel doit être le rang de ces individus au sein de l'entreprise pour qu'on puisse dire que leurs actions et leurs intentions sont celles de la personne morale ?

Un des principaux problèmes de l'approche canadienne en matière de responsabilité des personnes morales est l'interprétation restrictive donnée à l'expresse « âme dirigeante » dans l'affaire Le Rhône. Les seules personnes susceptibles d'être les âmes dirigeantes en vertu de cette approche sont celles qui exercent un pouvoir décisionnel au niveau des politiques de l'entreprise.

Déterminer si un individu doit être qualifié d'âme dirigeante d'une personne morale en ce qui a trait à la commission d'une infraction criminelle spécifique en se fondant seulement sur le fait qu'il exerce un pouvoir en matière de politique de l'entreprise pourrait être une norme très restreinte et très artificielle. Dans les grandes entreprises, le conseil d'administration et les principaux cadres chargés d'établir les politiques opérationnelles ne le font qu'en termes généraux et ils ne peuvent contrôler les opérations quotidiennes de l'entreprise. Ils doivent donner énormément de latitude aux gestionnaires en matière de mise en œuvre des politiques en milieu de travail. La catégorie des personnes susceptibles d'engager la responsabilité criminelle de la personne morale devrait être étendue pour englober les individus chargés d'exercer le pouvoir délégué en matière opérationnelle.

Dans un milieu industriel comme celui de Westray, les changements proposés exigeraient uniquement que la poursuite établisse que les personnes qui avaient un contrôle sur les activités de la mine étaient insouciantes. Elle ne devrait pas être tenue de démontrer que les personnes qui ont établi la politique au siège social, soit sur le conseil d'administration, soit comme cadre supérieur ont fait preuve d'insouciance.

2. Responsabilité de la personne morale - joindre la faute et la conduite fautive

Un autre problème important de la loi actuelle concerne le nécessité de trouver une seule âme dirigeante qui possède l'intention coupable nécessaire (mens rea). Dans les grandes sociétés modernes qui ont des opérations dans plusieurs pays à la fois, cette recherche est un exercice futile. Il se peut aussi que plusieurs individus à différents niveaux au sein de la société aient contribué à la commission d'une infraction de sorte que la personne morale doit être tenue responsable.

Infractions de négligence

Le Code criminel prévoit des infractions fondées sur la négligence, notamment la négligence causant la mort, et des infractions exigeant une intention spécifique, notamment la fraude. Dans les infractions de négligence, la responsabilité criminelle de la personne morale devrait être fondée sur les actes et la faute morale de l'ensemble de l'entreprise. Il est opportun de fonder la responsabilité criminelle de la personne morale sur la faute combinée de plusieurs employés et dirigeants qui auraient tous pu contribuer au résultat final. Par exemple, le fondement de la négligence n'est pas seulement la conduite des employés, mais aussi des gestionnaires qui auraient dû raisonnablement savoir ce qui se passait ou qui n'ont pas fait preuve de diligence raisonnable pour établir des mécanismes de respect des politiques de la société ou en contrôler l'application.

Ce changement signifie que dans une situation comme celle de Westray, il serait possible d'envisager les décisions en matière de sécurité comme un tout. Même s'il n'est peut-être pas possible d'établir qu'une seule personne a agi avec témérité, on pourrait toujours obtenir la condamnation de la personne morale au motif qu'il y avait insouciance ne serait-ce que cumulativement. De même, l'entreprise pourrait être jugée criminellement responsable de sa négligence si elle permet aux cadres supérieurs de s'isoler de manière à ne pas être au courant des violations à la sécurité.

Infractions d'intention spécifique

La plupart des infractions du Code criminel exigent un niveau plus élevé d'intention que celui de la négligence. Plusieurs infractions ne peuvent à l'évidence être appliquées aux personnes morales, par exemple les agressions sexuelles ou la conduite avec facultés affaiblies. Toutefois, les personnes morales peuvent commettre une gamme d'infractions criminelles exigeant une intention subjective de violer la loi, notamment obtenir un avantage en se fondant sur un document contrefait ou le recyclage des produits de la criminalité.

Lorsque le Code exige une intention spécifique, le gouvernement estime qu'il devrait être nécessaire d'établir qu'une « âme dirigeante » ou une personne qui exerce un pouvoir décisionnel au niveau opérationnel avait formé l'intention requise et avait agi, du moins en partie, dans le but d'en faire profiter la compagnie. Cela suffirait pour engager la responsabilité de la personne morale même lorsque les actes formant l'infraction criminelle sont commis par des employés de niveau inférieur, que ceux-ci aient eu l'intention de commettre l'infraction ou non. Par exemple, la responsabilité d'une personne morale peut être engagée lorsqu'une personne exerçant une autorité opérationnelle met en œuvre des pratiques comptables irrégulières dans le but de soustraire l'entreprise à l'impôt lorsque ces pratiques sont appliquées par des employés qui ne sont pas au courant de leur effet illégal. La personne morale peut être tenue responsable des actes de ses employés combinés à l'intention criminelle de la personne exerçant une responsabilité opérationnelle.

On peut aussi imaginer une situation dans laquelle une personne exerçant une responsabilité opérationnelle prend conscience (ou s'aveugle volontairement en refusant de tenir compte de l'information pertinente) du fait que des employés de niveaux inférieurs posent des actes de nature criminelle qui profitent à l'entreprise. Par exemple, un gestionnaire peut prendre conscience du fait que les employés dont il est responsable ont obtenu des biens par des moyens illégaux pour revente par la société. Le gestionnaire devrait prendre des mesures de redressement afin de mettre fin à l'activité illégale ou en aviser les autorités. Toutefois, il pourrait choisir de tolérer la pratique au profit de la société. La responsabilité de la personne morale devrait aussi être engagée lorsqu'une personne exerçant une responsabilité opérationnelle néglige de prendre des mesures de redressement lorsqu'il prend connaissance du fait que l'un des employés commet une infraction criminelle au nom ou au profit de l'entreprise.

3. Assurer la sécurité en milieu de travail

Le gouvernement reconnaît que les personnes morales sont les principaux acteurs de l'économie canadienne et que les accidents importants dans lesquels des personnes sont blessées ou perdent la vie arrivent le plus souvent en milieu de travail. Toutefois, les personnes morales sont assujetties à d'importants régimes réglementaires visant à assurer la sécurité en milieu de travail et le droit pénal n'entre en jeu que lorsque les processus réglementaires n'ont pu empêcher les accidents ou les blessures et qu'il existe des preuves de négligence coupable dans l'accomplissement du devoir. Le droit pénal doit aussi comporter des règles générales qui s'appliquent à toutes les personnes et il convient d'adopter des dispositions particulières applicables aux personnes morales uniquement lorsque c'est nécessaire. Le gouvernement est d'avis que le Code criminel pourrait être plus efficace en ce qui a trait à la sécurité en milieu de travail sans adopter des infractions spéciales applicables uniquement aux personnes morales, mais plutôt en prenant fond sur les diverses dispositions sur la négligence criminelle.

En vertu du Code criminel, toute personne a le devoir notamment de fournir les choses nécessaires à l'existence de son enfant (art. 215) et d'apporter une habileté et des soins raisonnables lorsqu'elle accomplit un acte qui peut mettre en danger la vie d'une autre personne (art. 216). En outre, quiconque entreprend d'accomplir un acte est légalement tenu de l'accomplir si une omission de le faire pourrait mettre la vie humaine en danger (art. 217). Quiconque montre une insouciance déréglée ou téméraire à l'égard d'un devoir de manière à entraîner la mort ou des lésions corporelles à autrui peut être accusé d'avoir causé la mort par négligence criminelle (art. 220) ou d'avoir causé des lésions corporelles par négligence criminelle (art. 221). Toutefois, le Code ne contient aucune disposition précise concernant le devoir d'un dirigeant de veiller à la sécurité des travailleurs qui exécutent le travail ou de prendre des mesures raisonnables afin d'assurer la sécurité du public.

De l'avis du gouvernement, toute personne qui emploie d'autres personnes afin d'effectuer un travail, ou qui a le pouvoir de donner des directives sur la manière de faire le travail, a le devoir de prendre des mesures raisonnables afin d'assurer la sécurité des travailleurs et du public. Le gouvernement propose d'inscrire ce devoir dans un nouvel article 217.1 du Code. Le sens du terme « raisonnable » variera selon la nature du travail et l'expérience des travailleurs. Les tribunaux disposent de tous les moyens nécessaires afin d'examiner la preuve et de décider, compte tenu des faits établis, si la personne a fait preuve d'insouciance à l'égard du devoir qui a causé la mort ou les lésions corporelles.