Réponse au 14e rapport du Comité permanent de la justice et des droits de la personne

Examen des dispositions du Code criminel relatives aux troubles mentaux

Novembre 2002

DÉFINITIONS

LES TROUBLES MENTAUX (ART. 16)

RECOMMANDATION 1

Le Comité recommande de maintenir le libellé actuel de la définition de la défense « fondée sur les troubles mentaux », à l'article 16 du Code criminel, et la définition de l'expression « troubles mentaux » donnée à l'article 2 du Code.

COMMENTAIRES

Le gouvernement du Canada souscrit à la recommandation du Comité. La plupart des témoins ont noté que les définitions actuelles étaient appropriées et étaient appliquées de façon équitable et cohérente et qu'il n'était pas nécessaire de modifier l'expression « troubles mentaux » que l'on trouve aux articles 2 et 16 du Code criminel. Il n'est pas nécessaire d'envisager leur modification.

L'article 16 du Code criminel codifie le critère de common law de l'aliénation mentale que l'on appelle maintenant les troubles mentaux. L'article 16 actuel a été adopté par le ch. 43 L.C. 1991 pour moderniser la terminologie utilisée pour l'ancienne défense d'aliénation mentale. Avant l'introduction de la réforme de 1992, l'accusé pouvait être déclaré « non coupable pour cause d'aliénation mentale » et être détenu ensuite pour une durée indéfinie selon le plaisir du lieutenant-gouverneur. En vertu de cette nouvelle loi, le verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux assujettit l'accusé à la partie XX.1 et confie au tribunal ou à la commission d'examen prévue par le Code criminel le soin de prendre la décision appropriée à son endroit. Toutes les provinces et tous les territoires ont désigné une commission d'examen. La jurisprudence antérieure à 1992 qui interprétait le critère de l'aliénation mentale exposé à l'article 16 s'applique encore à l'article 16 actuel; le critère de la responsabilité pénale n'a pas subi de changement substantiel.

Pour obtenir l'exemption de responsabilité pénale prévue à l'article 16, il faut établir que l'accusé était atteint de troubles mentaux au moment de la perpétration de l'infraction et que ces troubles le rendaient incapable de juger de la nature et de la qualité de l'acte ou de l'omission, ou de savoir que l'acte ou l'omission était mauvais.

Les « troubles mentaux » sont définis à l'art. 2 du Code criminel comme étant « toute maladie mentale ». Il appartient au juge du procès de trancher la question juridique de savoir ce qui constitue une « maladie mentale » ou des « troubles mentaux ». Le jugement qu'a prononcé la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. Cooper [1980] 1 R.C.S. 1149, tel que formulé dans l'arrêt R. c. Rabey [1980] 2 R.C.S. 513, fait autorité pour ce qui est du sens de l'expression « maladie mentale ».

… La maladie mentale comprend toute maladie, tout trouble ou tout état anormal qui affecte la raison humaine et son fonctionnement à l'exclusion, toutefois, des états volontairement provoqués par l'alcool ou les stupéfiants, et des états mentaux transitoires comme l'hystérie ou la commotion. Afin d'appuyer une défense d'aliénation mentale, la maladie doit, bien sûr, être d'une intensité telle qu'elle rende l'accusé incapable de juger la nature et la qualité de l'acte violent ou de savoir qu'il est mauvais.

Le Comité note qu'on a constaté, depuis la réforme de 1992, une augmentation du nombre des accusés jugés non criminellement responsables, ce qui soulève la question de savoir si le droit ou son application n'a pas pour effet de dégager trop de gens de la responsabilité pénale. Il convient de replacer cette augmentation dans le contexte de la population en général et des personnes qui ont été accusées et déclarées coupables d'infractions pendant la même période.

Les statistiques indiquent que le nombre des personnes jugées non responsables pénalement ou inaptes représente moins de un pour cent des personnes inculpées d'une infraction pénale en 1992, pourcentage qui est demeuré le même en 2000.

L'augmentation des chiffres réels peut être également attribuée au fait que la partie XX.1 s'applique à la fois aux actes criminels et aux infractions sommaires alors que le régime antérieur à 1992 s'appliquait uniquement aux actes criminels.

Il importe de noter que l'application de l'article 16 exonère l'accusé de toute responsabilité pénale mais que celui-ci n'est pas acquitté. Un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux entraîne une décision qui peut aller de la libération dans la collectivité avec surveillance à la détention en milieu fermé dans un établissement psychiatrique, jusqu'à ce que l'accusé fasse l'objet d'une libération inconditionnelle conformément à l'article 672.54.

Selon un principe fondamental de notre droit pénal, il n'y a pas de responsabilité criminelle pénale sans un état d'esprit conscient et le droit déclare pénalement irresponsables ceux qui ne sont pas capables de faire un choix rationnel en raison de troubles mentaux ou d'immaturité. Les origines de l'exemption prévue par l'article 16 actuel, ou de « la défense » comme certains le désignent, remontent au XVIIIe siècle, à la common law britannique et aux règles MacNaughten.

Comme le Comité le note dans son rapport, les témoins entendus estiment d'une façon générale que les dispositions relatives aux troubles mentaux sont très efficaces parce qu'elles permettent de concilier les droits des personnes atteintes de troubles mentaux et la protection de la société.

L'AUTOMATISME (ART. 2)

RECOMMANDATION 2

Le Comité recommande de laisser les tribunaux baliser et appliquer le droit relatif à l'« automatisme », qu'il soit ou non causé par l'aliénation mentale.

COMMENTAIRES

Le gouvernement convient avec le Comité qu'il n'y a pas lieu de modifier le Code criminel pour le moment dans le but de codifier le verdict d'automatisme. La réforme éventuelle de l'automatisme doit passer par l'examen global de la partie générale du Code criminel de façon à élaborer une théorie des moyens de défense qui soit cohérente et fondée sur des principes solides.

Comme le Comité le note, en 1993, le ministère de la Justice a diffusé un document de consultation sur la réforme de la partie des dispositions générales du Code criminel dans lequel était soulevée la question de savoir si la partie des dispositions générales devait codifier le verdict de responsabilité criminelle pour cause d'automatisme ou de codifier la jurisprudence de façon à autoriser l'acquittement en cas d'automatisme sans aliénation mentale.

Un livre blanc publié en 1993 proposait des modifications qui prévoyaient le verdict de non-responsabalité criminelle pour cause d'automatisme. L'automatisme était défini comme un « état d'inconscience ou de conscience partielle qui rend alors la personne incapable de consciemment contrôler ses faits et gestes. »

Ce projet de modifications n'a pas débouché, mais la jurisprudence a fourni d'autres directives.

Dans R. c. Stone [1999] 2 R.C.S. 290, la Cour suprême du Canada a clairement précisé les règles régissant la défense d'automatisme, et elle a noté que le droit reconnaissait deux formes d'automatisme. L'automatisme sans aliénation mentale désigne un acte volontaire qui n'est pas le fruit d'une maladie mentale et entraîne l'acquittement. L'automatisme avec aliénation entraîne aux termes de l'article 16 un verdict de non-responsabilité criminelle responsable pour cause de troubles mentaux.

La Cour suprême expose une méthode en deux temps pour examiner les allégations d'automatisme. Le tribunal doit conclure qu'il existe des preuves qui auraient permis à un jury ayant reçu des directives appropriées de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que l'accusé a agi de façon involontaire. Il est essentiel d'apporter le témoignage d'un psychiatre confirmant ces éléments. Il y a lieu de tenir compte de plusieurs facteurs, notamment la gravité de l'élément déclencheur, la corroboration des preuves et les antécédents éventuels de comportement assimilable à l'automatisme. Deuxièmement, le tribunal doit déterminer si l'état de l'accusé est un automatisme accompagné de troubles mentaux (avec aliénation mentale) ou sans troubles mentaux (sans aliénation mentale).

Si le tribunal conclut que l'état allégué n'est pas une maladie mentale, l'accusé peut uniquement invoquer la défense d'automatisme sans troubles mentaux (ou sans aliénation). La question à soumettre au juge des faits est celle de savoir si la défense a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que l'accusé a agi de façon involontaire. Si c'est le cas, l'acquittement doit être prononcé.

Si le tribunal conclut que l'accusé souffre d'une maladie mentale, celui-ci peut uniquement invoquer la défense d'automatisme accompagnée de troubles mentaux. La procédure se déroule de la même façon que pour toutes les autres affaires où l'on invoque l'article 16 – la défense doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que l'accusé souffrait de troubles mentaux qui le rendaient incapable d'apprécier la nature et la qualité de ses actes.

L'arrêt R. c. Stone énonce le droit de façon claire et il a été appliqué de façon uniforme par les tribunaux. Les affaires où l'automatisme sans troubles mentaux a été établi et a entraîné un acquittement sont très rares. L'automatisme demeure une allégation rare et inhabituelle et l'arrêt Stone de la Cour suprême du Canada a supprimé la nécessité de codifier cette défense.

L'APTITUDE/L'INAPTITUDE À SUBIR UN PROCÈS (ART. 2)

RECOMMANDATION 3

Le Comité recommande au ministre fédéral de la Justice de revoir la définition de l'« inaptitude à subir son procès », à l'article 2 du Code criminel, et d'y ajouter tous les critères supplémentaires voulus pour établir l'aptitude réelle de l'accusé à subir son procès, notamment celui de l'aptitude réelle à communiquer avec son avocat et à lui donner des instructions rationnelles au sujet de sa défense.

COMMENTAIRES

Le gouvernement reconnaît qu'il faut surveiller la façon dont les règles juridiques sont appliquées, et, lorsque cela est nécessaire, les modifier pour qu'elles répondent aux besoins de la société, et qu'il faut également répondre à la jurisprudence et aux répercussions imprévues. Pour ce qui est de la définition ou du critère à utiliser pour déterminer l'aptitude de l'accusé à subir un procès, il existe, comme le Comité le note, des opinions divergentes au sujet de la définition que l'on retrouve à l'article 2 du Code criminel et de son application par les tribunaux.

Notre droit reconnaît que la personne atteinte de troubles mentaux qui n'a pas la capacité de présenter une défense ne peut être jugée pour une infraction pénale.

L'article 2 du Code criminel définit l'« inaptitude à subir son procès » comme étant :

l'incapacité de l'accusé en raison de troubles mentaux d'assumer sa défense, ou de donner des instructions à un avocat à cet effet, à toute étape des procédures, avant que le verdict ne soit rendu et, plus particulièrement l'incapacité de :

  1. comprendre la nature et l'objet des poursuites;
  2. comprendre les conséquences éventuelles des poursuites;
  3. communiquer avec son avocat.

Lorsque l'aptitude à subir son procès est en litige, celui-ci porte sur la capacité de l'accusé au moment du procès.

Lorsqu'une personne est déclarée inapte à subir un procès, les plaidoyers antérieurs sont annulés et le tribunal peut ordonner que l'accusé subisse un traitement aux fins de le rendre apte à subir un procès, pendant une période ne pouvant dépasser 60 jours. Le tribunal doit être convaincu, sur le fondement de preuves médicales, que le traitement proposé rendra probablement l'accusé apte à subir son procès et que, sans ce traitement, l'accusé risque de demeurer inapte, que le risque de préjudice pour l'accusé découlant du traitement n'est pas disproportionné par rapport à l'avantage escompté et que le traitement proposé est la mesure la moins restrictive et la moins contraignante dans les circonstances. Le tribunal est tenu de tenir une enquête dans les deux ans suivant le verdict d'inaptitude et, tous les deux ans par la suite, jusqu'à ce que l'accusé soit acquitté ou jugé, pour décider s'il existe des preuves suffisantes pour faire subir un procès à l'accusé. Le fardeau d'établir qu'il existe des preuves suffisantes pour faire subir un procès à l'accusé incombe à la poursuite; si celle-ci ne s'acquitte pas de ce fardeau à la satisfaction du tribunal, celui-ci est tenu d'acquitter l'accusé. En outre, l'accusé peut demander la tenue d'une enquête, et le tribunal peut en ordonner une, lorsqu'il existe un motif de croire que la poursuite n'est pas en mesure d'établir le bien-fondé des accusations.

En outre, lorsqu'une commission d'examen tient une audience pour prendre une décision, ou en réviser une, à l'égard d'un accusé déclaré inapte à subir son procès et estime que celui-ci est apte à le subir, elle est tenue de le renvoyer devant le tribunal pour que soit examinée à nouveau la question de son aptitude.

Dans R. v. Taylor (1991), la Cour d'appel de l'Ontario a jugé que le critère à utiliser pour déterminer l'aptitude à subir un procès et, en particulier, pour trancher la question de savoir si l'accusé est en mesure de communiquer avec son avocat est celui de la capacité cognitive limitée – c.-à-d. l'accusé doit être en mesure de communiquer avec un avocat les faits se rapportant à l'infraction de façon à ce que l'avocat soit en mesure de présenter une défense. Il n'est pas nécessaire que l'accusé soit capable d'agir dans son intérêt. La Cour suprême du Canada a confirmé le critère de la « capacité cognitive limitée » dans l'arrêt R. c. Whittle, 1994. Le juge Sopinka a déclaré que, pourvu que l'accusé possède cette capacité limitée de comprendre le processus et de communiquer avec son avocat, il n'est pas nécessaire qu'il ait une aptitude analytique pour décider d'accepter les conseils d'un avocat ou pour pouvoir agir dans son intérêt.

Certains critiques soutiennent que ce critère n'est pas suffisamment strict – (c.-à-d.) que les accusés sont trop souvent déclarés aptes à subir leur procès, mais il faut tenir compte de la nécessité de concilier l'objectif de la règle en matière d'aptitude avec le droit constitutionnel de l'accusé de choisir sa défense et de subir son procès dans un délai raisonnable, ainsi qu'avec les conséquences d'une déclaration d'« inaptitude ».

La Conférence pour l'harmonisation des lois a examiné le critère en matière d'aptitude en 1999. L'étude de la Conférence pour l'harmonisation des lois recensait les dispositions du Code criminel, la jurisprudence, la recherche qui critiquait le critère de la capacité cognitive limitée et analysait les conséquences de l'adoption d'un critère d'aptitude plus strict. La Conférence pour l'harmonisation des lois n'a pas recommandé que les dispositions du Code criminel relatives à l'aptitude à subir un procès soient modifiées.

Le Groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur les troubles mentaux a également examiné le critère employé et a conclu qu'il n'était pas nécessaire de le modifier.

Le Comité a entendu des opinions supplémentaires émanant de fournisseurs de services, de psychiatres, de psychologues et d'avocats de la défense ayant une expérience personnelle de l'utilisation de ce critère. Le gouvernement convient avec le Comité qu'il y a lieu de poursuivre l'examen de ce critère, en consultation avec les procureurs généraux des provinces et leurs collaborateurs.