Les répercussions économiques des crimes liés aux armes à feu au Canada, 2008
3. Méthodologie
Bénéfice de la réduction de la criminalité
La présente étude cherche à déterminer les répercussions (par catégorie et importance) des crimes liés aux armes à feu perpétrés au Canada et à estimer les coûts socioéconomiques qui y sont associés. Malgré les meilleurs efforts que l'on peut consentir pour prendre en compte toutes les conséquences possibles résultant de la violence armée, il y a de nombreux domaines où les données ne sont pas disponibles et qui viennent limiter de façon significative nos estimations. Par exemple, les individus et les organisations peuvent utiliser des dispositifs de sécurité à domicile, des chiens de garde ou des armes pour éviter d'être victimes d'un crime ou pour se défendre. Les victimes peuvent finir par avoir un problème de santé mentale et souffrir de dépression, d’un syndrome de stress post-traumatique (SSPT), de toxicomanie ou d’un comportement suicidaire. Ces coûts ne sont pas compris dans notre rapport, faute de données suffisantes. Les coûts que nous présentons ici ne présentent donc nécessairement pas un tableau complet de l’ensemble des coûts résultant des crimes liés à une arme à feu. Pour de nombreuses catégories de coûts que nous avons examinés dans l'étude, il nous a fallu formuler des hypothèses. Par exemple, comme tous les appels faits à une ligne d'écoute téléphonique sont anonymes, aucune donnée officielle n'est disponible quant à la fréquence d'utilisation par une même personne. Toutefois, selon les intervenants de ces lignes d'écoute, nombreux sont ceux qui appellent plus d'une fois; nous avons donc estimé qu'en moyenne, chaque victime faisait cinq appels téléphoniques.
3.1 Portée de l'étude
Dans la présente étude, l'expression « crime lié à une arme à feu » signifie un crime qui a été perpétré en présence ou au moyen d'une arme à feu. Bien qu'il y ait des victimes primaires, secondaires et même tertiaires, nous nous attacherons à la victime primaire de la violence liée à une arme à feu. Même si les répercussions de la violence sur ceux qui ne sont pas immédiatement en cause seront ignorées, certaines des conséquences les plus importantes sur les membres de la famille et les autres personnes qui ont pu être blessées ou menacées lors de l'incident seront prises en compte. Les coûts pour les victimes seront ventilés par sexe pour donner un portrait des différences entre les hommes et les femmes.
Nous utiliserons deux enquêtes, le Programme de déclaration uniforme de la criminalité, version 2 (DUC2) et l’Enquête sociale générale (ESG) de 2009 su la victimisation, Cycle 23, comme principale source de données pour nous fournir de l'information sur les incidents et la prévalence de la violence liée aux armes à feu au Canada. Alors que le DUC2 repose sur les données recueillies par la police concernant le nombre d'incidents qui ont été portés à son attention, l’ESG est fondée sur les expériences personnelles de victimisation criminelle rapportées par les victimes, que les incidents aient ou non été signalés à la police.
Les catégories d'infractions pour ce qui est de la violence liée aux armes à feu aux fins du DUC2 sont notamment celles qui sont définies dans le Code criminel canadien, dont l’homicide, la tentative de meurtre, l'agression sexuelle, les voies de fait, le vol qualifié, l’usage, la décharge ou le braquage d'une arme à feu, ainsi que le harcèlement criminel, les menaces et autres infractions violentes au moyen d’une arme à feu. Pour sa part, l’ESG ne mesure que quatre types de crimes violents définis dans le Code criminel : l'agression sexuelle, le vol qualifié, la tentative de vol qualifié et les voies de fait.
3.2 Catégories de coûts
En nous appuyant sur différentes méthodes dont l'utilité a été démontrée dans des études précédentes et sur un examen de différents rapports gouvernementaux et non gouvernementaux, nous avons élaboré un modèle de calcul des coûts exhaustif qui tente de rendre compte de l'ensemble complet des coûts financiers associés aux crimes violents associés aux armes à feu. Les coûts examinés dans notre étude seront répartis en trois grandes catégories : les coûts pour le système de justice pénale, les coûts assumés par les victimes et les coûts pour les tierces parties. À l'intérieur de chacune de ces catégories, nous avons aussi établi plusieurs sous-catégories afin de circonscrire les conséquences économiques de la violence. Les catégories de coûts pour le système de justice pénale sont présentées en détail au tableau 2.
Coûts pour le système de justice pénale
Tableau 2 : Catégories de coûts pour le système de justice pénale
- Police
- Tribunaux
- Service des poursuites
- Aide juridique
- Services correctionnels
- 5.1 Incarcération
- 5.2 Condamnations avec sursis
- 5.3 Probation
- 5.4 Amendes
Le système de justice pénale a pour rôle de dissuader les crimes, de les combattre et de les punir. Il existe plusieurs intervenants au sein du système de justice pénale canadien pour traiter des crimes qui ont été signalés à la police. Il y a d'abord la police elle-même, puis les tribunaux, le service des poursuites pénales, les services d'aide juridique et les services correctionnels. Seulement un petit nombre d'études antérieures ont tenté d'estimer ces coûts de façon systématique (Walby 2004; Brand et Price 2000). À l'instar de Cohen, Miller et Rossman (1994), nous estimons le coût associé à chaque type d’intervenants séparément, le nombre de cas ou de personnes en cause étant différent chaque fois.
Pour estimer les coûts associés à la police, l'enquête DUC2 sert de source de données principale car elle documente de façon exacte le nombre d'infractions liées à une arme à feu portées à l'attention de la police. Même si ces données ne correspondent pas au véritable nombre d'infractions (présumément) perpétrées au Canada, ces chiffres donnent une indication des ressources qui ont effectivement été consacrées à la lutte contre la criminalité. Les sommes dépensées par la police sont essentiellement calculées en fonction du nombre d'incidents qui ont été portés à son attention, et non du nombre d'infractions commises. Par ailleurs, nous utiliserons l’Enquête sur les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes (ETJCA) et l’Enquête sur les tribunaux de la jeunesse (ETJ) afin d'obtenir des renseignements sur les affaires liées aux armes à feu instruites par les tribunaux et sur les décisions rendues par ceux-ci. Nous nous servons aussi de la charge de travail des tribunaux pour estimer les coûts du service des poursuites pénales et des services d'aide juridique.
Alors que les coûts de la police et des tribunaux semblent relativement faciles à mesurer puisqu'il est possible d'obtenir les coûts globaux de source gouvernementale officielle, le coût par crime n'est pas toujours disponible. Autrement dit, le fait de savoir combien nous dépensons au total pour la police et les tribunaux ne nous renseigne pas beaucoup sur les montants appropriés que nous devrions attribuer aux différents types de crimes et n'est donc guère utile aux fins de notre étude. Par exemple, il est difficile de déterminer combien la police a dépensé au total en 2008 pour les vols qualifiés perpétrés avec une arme à feu comparativement à d'autres types de vol qualifié. Et même s’il s’agit du même type de crime, le coût peut varier considérablement selon la gravité de chaque incident.
Le même problème se pose pour estimer le coût du service des poursuites pénales et des services d'aide juridique. Même si les dépenses globales attribuables aux questions criminelles sont disponibles, rien ne permet de savoir le nombre exact de crimes liés à une arme à feu traités par le service des poursuites pénales et les services d'aide juridique, ni le coût associé à chaque crime, le cas échéant. En outre, les délinquants peuvent retenir les services de leur propre avocat pour se défendre, et encore une fois il est difficile de savoir combien ces services coûtent dans chaque cas.
Par conséquent, une détermination réaliste des coûts doit être fondée sur chaque incident individuel. Par exemple, pour déterminer avec exactitude le coût pour la police d'un crime lié à une arme à feu, il nous faudrait des renseignements, pour chaque incident, sur le nombre de policiers en cause, sur le temps que chaque policier a consacré à l'enquête, sur le salaire de chacun et sur les autres dépenses comme les frais de transport, d'électricité, etc. Malheureusement, nous ne croyons pas que de telles données détaillées existent au Canada. Pour estimer les coûts de la police, nous fixons donc les dépenses de la police selon la gravité des différents crimes. Pour ce qui est des tribunaux, du service des poursuites pénales et des frais d'aide juridique, nous fondons notre estimation sur le coût moyen par dossier.
Pour ce qui est du coût des services correctionnels, l'estimation est relativement simple puisque le Centre canadien de la statistique juridique (CCSJ) divulgue régulièrement le coût quotidien moyen d'incarcération dans un établissement provincial et fédéral selon le sexe des délinquants, et ce coût moyen ne varie pas de façon significative selon le type d'infraction. Le tableau 3 présente les différentes catégories de coûts pour les victimes.
Coûts pour les victimes
Tableau 3 : catégories de coûts pour les victimes
- Soins de santé
- 1.1 Médecin
- 1.2 Service d’urgence
- 1.3 Hospitalisation pour soins de courte durée
- Pertes de productivité
- 2.1 Salaires perdus
- 2.2 Pertes de services domestiques
- 2.3 Jours de classe perdus
- 2.4 Pertes de services de garde
- 2.5 Pertes de revenus futurs
- Coûts personnels
- 3.1 Bien volés ou endommagés
- 3.2 Services juridiques
- 3.3 Services de consultation
- Coûts intangibles
- 4.1 Douleur et souffrance
- 4.2 Perte de la vie
Les répercussions les plus directes d’un crime sont subies par les victimes. De nombreux coûts, comme les coûts des soins de santé, les pertes de productivité et la valeur des biens volés ou endommagés, sont le résultat direct du crime commis à l'aide d'une arme à feu. Alors que les statistiques de la police sont utiles pour comprendre la nature et l'étendue des crimes commis à l'aide d'une arme à feu qui sont signalés à la police, et par conséquent, les montants qui y sont consacrés par le système de justice pénale, il faut noter que la majorité des incidentsFootnote 11 ne sont pas portés à l'attention de la police pour diverses raisons, et que les incidences de cette victimisation (non signalée à la police) n'en ont pas moins de conséquence pour les victimes et la société en général. Ainsi, afin d’avoir un portrait plus complet et précis de la prévalence de la violence liée aux armes à feu au Canada et de ses répercussions pour les victimes et la société, nous ferons appel aux incidents auto-déclarés de victimisation tirés de l’ESG.
En ce qui a trait aux coûts des soins de santé, veuillez noter que les blessures prises en compte dans la présente étude n’ont pas nécessairement été causées par une arme à feu. Par exemple, des victimes peuvent subir un choc violent ou être frappées d’un coup de couteau durant un incident lié à une arme à feu sans qu’il y ait eu de coup de feu. Comme l’ESG n'a pas de variable permettant de distinguer les blessures qui sont causées par une arme à feu de celles qui ne le sont pas, les deux seront examinées, sauf indication contraire, ce qui est justifié aux fins de la présente étude dans la mesure où toutes les blessures sont la conséquence d’un crime lié à une arme à feu.
Il est néanmoins également intéressant de connaître les coûts de soins de santé qui sont spécifiquement liés aux blessures par balle. Cette estimation peut être considérée comme un élément supplémentaire des coûts des soins de santé pour un intérêt particulier. En utilisant les données fournies par l'Institut canadien d'information sur la santé (ICIS), nous sommes en mesure d'estimer le coût des traitements médicaux pour des blessures par balle infligées intentionnellement par un tiers. Conformément à la portée de l'étude, les accidents et les automutilations ou les suicides sont exclus.
Contrairement aux coûts des soins de santé, de nombreux autres coûts ne peuvent être constatés directement car il n'y a pas de transaction monétaire. Par exemple, en plus de l'hospitalisation, les victimes peuvent passer des jours à récupérer d'une blessure physique ou psychologique, à rencontrer la police ou le procureur de la poursuite et à assister aux séances du tribunal. Elles devront donc y consacrer du temps qu'elles consacrent normalement à leurs activités quotidiennes, ce qui se traduira par une perte de productivité à la fois pour les victimes et la société en général.
Les pertes de productivité examinées dans la présente étude tiennent compte à la fois des activités de production payées et non payées. La valeur perdue des activités payées est simple à mesurer. Par exemple, pour estimer la valeur du salaire perdu d'une personne, il suffit de connaître le nombre de jours d'absence et son revenu quotidien moyen. Mais dans le cas des pertes de productivité pour des activités de travail non payées, comme la recherche d'emploi, la valeur est plus compliquée à mesurer. En raison des données limitées, nous avons réduit l'étendue des activités non payées à trois, soit la présence aux cours, les travaux domestiques et la garde des enfants. Pour les autres types d'activité, la valeur des travaux domestiques est utilisée comme valeur substitutive pour l'estimation. Les jours de classe manqués sont considérés comme des avantages perdus pour une victime, car elle pourra devoir consacrer plus de temps à ses études ou suivre des cours additionnels d’un professeur privé ou d’un tuteur pour se rattraper. Pour l'évaluation, nous utiliserons la moyenne nationale des droits de scolarité quotidiens pour les études de premier cycle. La valeur des travaux ménagers et du temps consacré à la garde des enfants correspondra au taux salarial sur le marché, par exemple, d’une aide-domestique ou d'une préposée à la garde des enfants.
Il existe d'autres types de pertes de productivité. Par suite d'une victimisation, certaines personnes peuvent être en colère, se sentir craintives et blessées, tomber en dépression, souffrir d'anxiété ou de problèmes de sommeil. Ces répercussions négatives peuvent donner lieu à une incapacité ou à un rendement moindre au travail. Certains peuvent éprouver des difficultés à se concentrer ou prendre plus de temps que d'habitude pour terminer un projet, ce qui peut aussi être considéré comme une perte de productivité. Encore une fois, en raison de l'absence des données, il n'est pas possible de mesurer l'importance du sentiment de déception ou les conséquences d'une nuit de sommeil de trois heures.
Alors qu'il est relativement facile d'estimer les coûts tangibles, les coûts intangibles comme la douleur et les souffrances sont plus difficiles à quantifier. Accorder une valeur monétaire à des biens intangibles donne lieu à une grande incertitude et à une vive controverse. Mais il existe maintenant une abondante documentation sur l'estimation des coûts intangibles, et de nombreuses méthodes ont été explorées, comme la volonté de payer (Ludwig et Cook, 2001 Cohen et coll. 2004) et l'attribution par un jury (Cohen, 1988; Cohen et coll., 1994; Miller et coll., 1996). Personne n'a cependant été en mesure de produire des estimations qui n'ont pas fait l'objet de nombreuses critiques. En dépit des différentes méthodes utilisées dans les études, il reste qu’on s’entend sur le fait que les coûts intangibles sont souvent ceux qui sont les plus onéreux pour les victimes. Dans la présente étude, nous estimerons les coûts intangibles à partir de recherches antérieures.
Il est important de considérer la période de temps durant laquelle les coûts seront calculés. Dans notre projet, nous avons essayé de prendre en compte les effets à court et à long terme de la victimisation. Ainsi, en plus des coûts immédiats, nous examinons aussi les coûts futurs attribuables à la violence. Parmi les coûts à long terme, on compte les soins médicaux et les services de soutien connexes de même que les pertes de revenus futurs en raison de l'incapacité de remplir certaines fonctions pour le reste de la vie de la victime. Pour évaluer une perte future, nous calculerons les coûts futurs pertinents en fonction de leur valeur actuelle en 2008. On trouvera un résumé des catégories des pertes des tierces parties au tableau 4.
Coûts pour les tierces parties
Tableau 4 : Catégories des coûts pour les tierces parties
- Frais funéraires
- Perte d'affection ou de jouissance de la vie pour les membres de la famille
- Torts ou menaces causés à d'autres
- 3.1 Soins de santé
- 3.2 Pertes de productivité
- Coûts des services sociaux
- 4.1 Maisons de transition ou refuges
- 4.2 Lignes d'écoute électronique
- 4.3 Services d’aide aux victimes
- Autres dépenses connexes
- 5.1 Plan d'action relatif aux armes à feu
- 5.2 Investissements pour lutter contre l'utilisation des armes à feu à des fins criminelles
Ce sont les victimes qui subissent les impacts les plus significatifs d'un crime, mais d'autres souffrent également. Les membres de la famille peuvent pleurer la perte d'un être cher ou devoir réduire leurs activités quotidiennes pour accompagner les victimes (pour se rendre au tribunal ou à un rendez-vous chez le médecin, par exemple). En plus de la victime, il peut y avoir d'autres personnes qui sont blessées ou menacées lors de l'incident. Elles peuvent aussi avoir besoin de soins médicaux ou souffrir de troubles psychologiques. Tout comme pour les victimes, toutes ces conséquences peuvent causer un rendement moindre au travail ou réduire la qualité de leur vie. De plus, en réponse à ce problème social, les gouvernements fournissent différents services d'aide aux victimes et élaborent des programmes de prévention ainsi que d'autres initiatives. Par exemple, en vue d’accroître les capacités des forces de l'ordre à lutter contre les crimes commis à l'aide d'une arme à feu, le gouvernement fédéral consacre environ 50 millions de dollars sur cinq ans à l'initiative Investissements dans la lutte contre l'utilisation d'armes à feu à des fins criminelles qui vise à améliorer à l'échelle nationale la collecte, l'analyse et l’échange de l'information et des renseignements sur les armes à feu. Toutes ces dépenses font partie des coûts pour les tierces parties.
Nombreux sont ceux qui diraient qu'aucun montant d'argent ne peut compenser les victimes et leur famille, surtout dans le cas des crimes ayant causé la mort. Cela est vrai. Peu de gens sacrifieraient volontairement leur vie, quel que soit le montant. Toutefois, comme le dit Cohen (2005), [traduction] « le coût de la criminalité »
n'est rien d'autre que le « bénéfice de la réduction de la criminalité »
. Ainsi, le coût d’un crime sera calculé à partir de cette interprétation. Par exemple, le coût d'un crime lié à l'utilisation d'une arme à feu peut être interprété comme étant le montant qui aurait été économisé si l'incident avait été prévenu. On peut le considérer comme le montant que la société aurait été prête à payer pour prévenir (réduire) la survenance d’un incident de violence liée à l'utilisation d'une arme à feu. Ces estimations sont importantes dans une société où les ressources se font rares et où de nombreux programmes – plus grande surveillance policière dans les rues, plus de fonds pour la santé et les services sociaux, plus de programmes pour protéger l'environnement, plus d'autoroutes et de nouveaux parcs – rivalisent entre eux afin d'obtenir leur part des revenus fiscaux.
3.3 Sources de données
L’ESG de 2009 est la principale source de données qui nous fournit des renseignements sur la prévalence et les conséquences des crimes commis en lien avec une arme à feu, mais nous avons également puisé à d'autres sources. Voici les principales.
La Déclaration uniforme de la criminalité (DUC)
Il s'agit d'une enquête administrative qui recueille des renseignements détaillés sur les crimes qui sont signalés à la police et qui sont corroborés par celle-ci. Cette enquête est limitée dans la mesure où elle ne prend pas en compte la victimisation des personnes qui ne signalent pas l'incident à la police. Il existe plusieurs facteurs qui peuvent influencer la proportion des crimes qui sont portés à l'attention de la police, dont la volonté du public de les signaler ou la façon dont la police rapporte les crimes dans la DUC. Pour estimer les coûts du système de justice pénale, nous utiliserons les données de la DUC2, plutôt que celles de l’ESG, pour calculer le nombre d'incidents violents liés à l'utilisation d'une arme à feu puisque les renseignements rapportés par la police, comparativement aux données auto-déclarées, nous renseignent mieux sur les ressources gouvernementales réelles qui sont consacrées au problème. Il est cependant important de noter que les données recueillies par l’ESG se limitent à certaines infractions, alors que celles de la DUC nous renseignent sur toutes les infractions au Code criminel. De plus, les microdonnées de la DUC2 comportent un élément indiquant l'utilisation d'une arme à feu dans chaque incident. En 2008, la couverture nationale de la DUC2 était de 98 %.
L’Enquête sur les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes (ETJCA) et l’Enquête sur les tribunaux de la jeunesse (ETJ)
L’ETJCA et l’ETJ fournissent des renseignements statistiques sur les comparutions, les accusations et les dossiers des tribunaux de juridiction criminelle pour les adultes et les jeunes. Plus précisément, les enquêtes comprennent des renseignements sur les affaires portées devant les tribunaux, leurs caractéristiques comme le type d'infraction et la durée du délai déjà écoulé dans l'instance, ainsi que les caractéristiques des personnes comparaissant devant les tribunaux comme leur sexe et leur âge, les décisions rendues par le tribunal, les types et la durée des peines qui ont été infligées, etc. Les deux enquêtes indiquent s'il y a présence d'une arme à feu dans chaque cas. Les renseignements provenant des cours municipales du Québec (devant lesquelles sont portées environ le quart (25 %) des infractions au Code criminel dans cette province, ne sont pas encore recueillis et consignés dans l’ETJCA. Selon Statistique Canada, ces 25 % devraient correspondre à au moins 5 % de l'ensemble des dossiers à l'échelle du pays.
L’Enquête sociale générale (ESG)
L’ESG réunit des données de nature sociale afin d'observer les changements qui surviennent avec le temps dans les conditions de vie et de bien-être des Canadiens et de fournir rapidement des renseignements sur des questions de politique sociale particulières, d'intérêt actuel ou futur. L’ESG sur la victimisation revient tous les cinq ans et interroge les Canadiens de 15 ans et plus sur leur expérience personnelle de victimisation criminelle, que l'incident ait été signalé ou non à la police. L’ESG de 2009, Cycle 23, est le cinquième cycle qui a été consacré à la victimisation. Le but de ce cycle est de mieux comprendre comment les Canadiens perçoivent la criminalité et le système de justice ainsi que leur expérience s'ils ont été victimes d'un crime. Il s'agit de la seule enquête nationale sur la victimisation auto-déclarée qui nous fournit des données sur la victimisation criminelle dans les provinces et les territoires.
Pour différentes raisons, tous les crimes ne sont pas signalés à la police. L’Enquête sociale générale permet donc de compléter les statistiques officielles des autorités policières sur les crimes. Puisque les répercussions sur les victimes (des incidents non signalés à la police) n'ont pas moins de conséquences pour les victimes et la société en général, l'utilisation des données auto-déclarées recueillies par l’ESG pour estimer les coûts pour les victimes nous fournit un portrait plus complet et précis de la prévalence des crimes liés à l'usage d'une arme à feu au Canada, comparativement aux données signalées à la police.
En 2009, il y a eu 19 422 répondants aux entrevues téléphoniques du cycle 23. Chacun représentait environ 1 400 personnes de la population canadienne de 15 ans et plus non institutionnalisée. Les questions qui ont permis d'en connaître davantage sur la prévalence, la nature et l'issue de la victimisation criminelle comprenaient notamment les suivantes : « Avez-vous reçu des soins médicaux à l'hôpital par suite d’un acte de violence? »
; « Avez-vous passé la nuit à l'hôpital? »
; « Avez-vous été obligé de délaisser vos activités quotidiennes en raison de ce qui vous est arrivé? », etc. Fait à noter, l’
ESG comprend une question importante pour savoir si l'acte criminel a été commis au moyen d'une arme à feu. L’ESG fournit aussi des renseignements sur les caractéristiques du répondant comme son sexe, son âge, son revenu annuel, son niveau de scolarité et ses principales activités quotidiennes, ce qui est utile pour mieux cerner et quantifier les conséquences de la violence.
Le Système national d'information sur les soins ambulatoires (SNISA) et la Base de données sur les congés des patients (BDCP)
Les deux bases de données de l’Institut canadien d'information sur la santé (ICIS) fournissent des renseignements précieux sur le nombre et les types de cas qui se présentent à l'hôpital au Canada. Les soins d'urgence et les soins ambulatoires ainsi que les soins de courte durée à l'hôpital constituent le volume d'activités des patients le plus important au Canada et l'un des principaux éléments des services de santé du pays.
Le SNISA contient des données sur tous les soins ambulatoires fournis à l'hôpital ou dans des centres de santé communautaire en Ontario : chirurgie d'un jour, cliniques externes, services d'urgence. La BDCP recueille des renseignements sur les hospitalisations de courte durée et les congés des patients partout au Canada sauf au Québec. Les renseignements détaillés portent notamment sur le type d'ambulance utilisée, le type d'arme à feu, la durée moyenne de l'hospitalisation, le coût moyen des traitements, le nombre de patients ayant survécu au traitement, les types de congés (patients renvoyés à la maison ou transférés dans un autre établissement) ainsi que des données démographiques comme le sexe et l’âge des victimes, etc. Veuillez noter que les deux bases de données ne contiennent pas de renseignement provenant des hôpitaux fédéraux, soit les hôpitaux en établissement carcéral ou les hôpitaux pour anciens combattants.
À titre d'éléments supplémentaires, nous utiliserons les données de l’ICIS pour estimer le coût des soins de santé spécifiquement lié aux blessures par balle causées intentionnellement par un tiers. Conformément à la portée de l'étude, les accidents et les automutilations ou les suicides sont exclus.
Voici un résumé des principales sources de données utilisées pour notre étude :
- Déclaration uniforme de la criminalité 2 (DUC2), 2008
- Enquête sur l'administration policière (EAP), 2008
- Enquête sur les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes (ETJCA) 2007-2008 et 2008-2009
- Enquête sur les tribunaux de la jeunesse (ETJ), 2007-2008 et 2008-2009
- Enquête sur le personnel et les dépenses des tribunaux (EPDT), 2002-2003
- Enquête sur le personnel et les dépenses des services des poursuites criminelles (EPDSPC), 2002-2003
- Services correctionnels pour adultes (SCA), 2007-2008 et 2008-2009
- Enquête sociale générale, Cycle 23, (ESG), 2009
- Base de données sur les congés des patients, 2008-2009
- Base de données sur la morbidité hospitalière, 2008-2009
- Base de données nationale sur les médecins, 2008-2009
- Enquête sur les refuges (ER), 2003-2004 et 2005-2006
- Littérature scientifique et rapports gouvernementaux
3.4 Limites
La limite la plus importante lorsqu'on procède à une analyse des coûts est l'absence de données complètes. Même s’il existe d'abondantes sources d'information au Canada sur de nombreux aspects des répercussions de la criminalité, il y a aussi de nombreuses lacunes qui nous empêchent de procéder à une évaluation exhaustive des coûts financiers qui y sont associés. Par exemple, on ne connaît pas exactement le nombre moyen d'appels de suivi faits par une victime en détresse à une ligne d'écoute téléphonique. Puisque ces données ne sont pas systématiquement recueillies par les lignes d'écoute téléphonique, il faut présumer une moyenne fondée sur les données qualitatives obtenues de la part des intervenants de première ligne. Cette situation n'est pas unique au Canada. Compte tenu de la complexité du sujet et des nombreuses répercussions de la criminalité, les études sur les coûts du crime ne parviennent guère à nous fournir un portrait parfaitement exact de la réalité, quel que soit le pays.
Il faut aussi noter que l’ESG de 2009 ne contient pas suffisamment de renseignements pour permettre de faire la distinction entre les conséquences d'un acte de violence attribuable à un incident isolé ou à une série d'incidents répétés et chroniques. Par exemple, une victime peut être hospitalisée une fois après avoir été victime d'un acte de violence ponctuel, alors qu'une autre peut l'être à de multiples reprises au cours d'une même année parce qu'elle souffre d'une victimisation chronique. Toutefois, l’ESG ne consigne que les hospitalisations ponctuelles, même si la victime a été l'objet d'une victimisation répétée et s'est rendue à l'hôpital à plusieurs reprises. Puisque les données ne sont pas claires, les estimations de coûts que nous présentons dans notre rapport sont fondées sur le nombre de victimes et non le nombre de victimisations vécues. En outre, comme les blessures et les traumatismes psychologiques peuvent empirer lorsque associés à une victimisation répétée, par exemple dans le cas de violence dans le cadre de relations intimes, il se peut que les véritables coûts pour les victimes soient considérablement sous-estimés.
Une autre limite de l’ESG de 2009 se trouve dans le fait que la victimisation n'est pas prise en compte dans les trois territoires. Diverses difficultés, comme les problèmes de langue et les services téléphoniques déficients, imposent de sévères contraintes à la collecte de données au Yukon, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut.
Aussi, même si les renseignements relatifs aux blessures par balle fournis par l’ICIS comportent beaucoup de détails, ils sont loin d'être complets. D'abord, les coûts médicaux associés aux blessures par balle sont largement sous-estimés. Les victimes ayant une blessure par balle moins grave peuvent décider de consulter un médecin ou une infirmière, et certaines victimes peuvent même menacer un médecin afin d'obtenir les traitements nécessaires. Ces victimes n'apparaissent donc pas dans les données de l’ICIS, qui proviennent uniquement des hôpitaux. Deuxièmement, les données de l’ICIS ne concernent qu’un seul traitement ponctuel. Pour les victimes survivantes qui font face à une longue période de rétablissement ou à une incapacité permanente, les données de l’ICIS ne prennent pas en compte les dépenses médicales pour les traitements à long terme ou qui pourront durer toute la vie dans d'autres établissements de santé. Enfin, ni le SNISA ni la BDCP ne contiennent des données à l'échelle du pays. Alors que celles de la BDCP réunissent des renseignements provenant de toutes les provinces à l'exception du Québec, le SNISA couvre les services d'urgence en Ontario seulement. Il faudra donc formuler certaines hypothèses et apporter certains ajustements lors de l'estimation des coûts.
Enfin, il faut noter que toutes les données des sondages peuvent faire l'objet d'erreurs d'échantillonnage ou autres comme l'absence de réponse. Cette question de la qualité des données est particulièrement pertinente pour les données de l’ESG de 2009. Par exemple, les personnes incapables de s'exprimer en français ou en anglais n’ont pu répondre aux entrevues téléphoniques; les foyers sans téléphone ou les personnes (comme les jeunes ou les célibataires urbains) n'ayant que des téléphones cellulaires ont également été exclus de l'enquête. Des résultats quelque peu différents auraient donc pu être obtenus si toute la population avait été sondée. La formulation des questions et les évaluations personnelles des répondants ont pu également influencer les réponses données. Comme il s'agit d'une enquête fondée sur les déclarations des répondants, les réponses dépendent de leur souvenir, de leur jugement et de leur opinion, et il se peut que dans certains cas, pour différentes raisons, tous ne disent pas la vérité.
L'examen des crimes violents liés à l'usage d'une arme à feu à partir d'un point de vue économique ne révèle qu'une dimension de ce problème social complexe. En outre, il n'est pas toujours possible de prendre en compte toutes les conséquences d'un crime, de sorte que les estimations fournies dans la présente étude sont loin d'être complètes. Alors que les effets directs sont manifestes et faciles à estimer, les effets indirects sont beaucoup moins évidents et extrêmement plus compliqués. C'est pourquoi il est important de garder à l'esprit les limites dont nous avons parlé jusqu'ici en lisant le rapport. Les méthodologies et les estimations peuvent certes être révisées et améliorées lorsque nous disposerons de nouveaux renseignements et de nouvelles recherches dans ce domaine.
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