Analyse pan canadienne des besoins de formation en langues officielles dans le domaine de la justice
4.0 Les besoins en formation
Cette section du rapport présente les constats ayant émergé relativement aux besoins en formation dans les deux langues officielles des intervenants du domaine judiciaire. Elle commence par une mise en contexte de l’interaction du public avec le système judiciaire et du profil linguistique actuel de ces intervenants, pour s’attaquer par la suite à la maîtrise du vocabulaire juridique, puis à la formation linguistique de base ainsi qu’au perfectionnement en cours d’emploi.
4.1 L’interaction du public avec le système judiciaire
De par la nature même de son mandat, le système judiciaire est fondamentalement intimidant pour le justiciable, lequel peut hésiter à exercer son droit de procéder dans la langue officielle de son choix. Devant la multiplication des points de contact entre le justiciable et le système judiciaire, on peut envisager bien des circonstances où ces droits ne seront tout simplement pas honorés. Les lignes qui suivent explorent davantage ces constats.
La présente étude se concentrant sur le droit criminel, on ne peut minimiser l’importance des enjeux qui sont traités dans cette branche du système judiciaire. Une infraction criminelle peut laisser derrière elle bien des cicatrices. Pour la victime de l’acte criminel, il s’agit d’une expérience au mieux fort désagréable et, au pire, bouleversante, voire traumatisante. Pour l’accusé, une condamnation peut entraîner un emprisonnement et entache systématiquement sa réputation, l’étiquetant d’un dossier criminel. Du moment qu’il y a mise en accusation – pouvant inclure une arrestation – et tout au long de la procédure menant au verdict et à la sentence au besoin, l’accusé et l’ensemble des intervenants s’engagent dans un processus d’une grande formalité et d’une grande complexité. Le système judiciaire n’a pas été conçu pour être avenant et chaleureux. Au contraire, les formalités qui l’entourent rappellent le sérieux des enjeux qui y sont traités.
Puisque bien des scénarios peuvent être envisagés relativement au traitement d’une mise en accusation, les points de contact entre le justiciable et le système judiciaire sont nombreux. Cette interaction peut impliquer le policier qui porte la mise en accusation, l’agent des services correctionnels s’il y a détention, l’avocat de la défense (pouvant être ou non de l’aide juridique), le comptoir des greffes, le procureur de la Couronne, le greffier, le juge et possiblement l’agent de probation, pour ne nommer que les principaux. Le processus peut être présidé initialement par un juge de paix, avant de se retrouver devant un juge de la cour provinciale ou de la cour supérieure, sans parler du processus d’appel.
Dans ce contexte bien précis, l’offre active revêt une grande importance. À sa base même, le concept de l’offre active renvoie à une obligation pour le prestataire d’un service d’informer systématiquement la personne servie de l’accessibilité à un service dans l’une ou l’autre langue officielle. Dans un contexte de bilinguisme institutionnel, on ne saurait présumer du choix d’une personne en ce qui a trait à la langue dans laquelle elle désire être servie et on ne saurait l’obliger à prendre des mesures additionnelles ou exceptionnelles pour pouvoir être servie dans la langue officielle de son choix. À bien des égards, l’offre active est donc le fondement du bilinguisme institutionnel. Ce principe prend toute son importance dans un contexte minoritaire. Comme le rappelait récemment le Commissaire aux services en français de l’Ontario, « habituellement, dans un contexte de majorité linguistique, s’il y a une demande, il y aura de l’offre. En matière de services en français, il faut plutôt de l’offre pour qu’il y ait de la demande. Alors, bien plus que d’avoir l’affiche « anglais/français », il s’agit de pouvoir obtenir efficacement un service en français de qualité.
»[19]
Le déséquilibre qui caractérise la relation de pouvoirs dans le système judiciaire donne à l’offre active une dimension particulière. En faisant abstraction de considérations linguistiques, l’accusé, la victime ou plus généralement le justiciable est vulnérable face à un système judiciaire qui détient des pouvoirs et une autorité exceptionnelle dans notre société. De façon à ne pas exacerber ce désavantage, l’accusé, la victime ou le justiciable évitera naturellement d’imposer une exigence à l’autorité à laquelle il fait face. Exiger d’être servi dans l’une ou l’autre langue officielle présuppose à tout le moins une relation d’égal à égal, ou même de supériorité face au prestataire de service. À titre d’exemple, un citoyen n’hésitera probablement pas à exiger un service dans la langue officielle de son choix d’un organisme national qui requiert un don en argent. Un justiciable hésitera beaucoup plus à exiger un tel service d’un policier se dirigeant vers lui. Dans le domaine de la justice, l’offre active de services revient donc à l’ utorité concernée et ce n’est pas au moment d’une mise en accusation que cette question doit être abordée, mais bien plutôt de façon institutionnelle.
La connaissance qu’ont les intervenants du système judiciaire des droits linguistiques qui s’y appliquent varie considérablement, tout comme celle qu’en ont les citoyens eux-mêmes. Avec plus de deux millions d’infractions au Code criminel enregistrées et 370 000 causes instruites devant les tribunaux par année, la capacité des tribunaux d’opérer de façon institutionnellement bilingue varie considérablement à travers le pays et représente un défi de taille dans les milieux minoritaires. À bien des reprises durant les consultations menées dans le cadre de la présente étude, les intervenants nous ont rappelé que les causes instruites dans la langue officielle de la minorité représentent souvent moins de cinq pour cent et parfois même moins d’un pour cent du volume total des causes instruites. Dans un tel contexte, on peut facilement concevoir qu’une grande vigilance soit requise pour que les droits linguistiques ne soient pas ensevelis dans le volume de dossiers traités.
4.2 Compétence linguistique des acteurs
Comme cette étude s’attarde à la formation en langues officielles dans le domaine de la justice, il importe de comprendre, dans la mesure du possible, quelle est la capacité actuelle des intervenants d’opérer dans les deux langues officielles. Soulignons qu’il n’existe pas de réponse précise et définitive à cette question. Cependant, certains indicateurs laissent croire que l’on retrouve une capacité de base dans les deux langues officielles relativement importante chez les différents intervenants du système judiciaire et que cette capacité est appelée à s’élargir à l’avenir. Cette sous-section du rapport présente certaine des données sur lesquelles repose cette observation.
La capacité de soutenir une conversation dans les deux langues officielles
Les données accessibles aux fins de cette étude nous permettent de mieux comprendre la perception qu’ont les intervenants du système de justice de leur capacité de communiquer dans les deux langues officielles. Les données du Recensement, dont le plus récent a été effectué en 2006, abordent directement la question de la maîtrise des deux langues officielles. Plus précisément, Statistique Canada demande aux Canadiens s’ils connaissent « assez bien le français ou l’anglais pour soutenir une conversation ». Il importe de bien circonscrire la portée des résultats qui découlent de cette question :
- D’abord, il s’agit d’une auto-évaluation. Chaque citoyen qui répond à cette question détermine lui-même ce que constitue un niveau de connaissance suffisant pour « soutenir une conversation » et s’évalue sur cette base. Aucun examen et aucune vérification ne sont effectués pour corroborer cette auto-évaluation.
- Soutenir une conversation dans sa deuxième langue officielle ne veut pas dire qu’une personne pourrait s’engager dans un procès dans cette langue. Le domaine de la justice étant un domaine technique qui possède son vocabulaire propre, on peut présumer que bien des personnes s’estimant en mesure de soutenir une conversation dans leur deuxième langue officielle hésiteraient ou même refuseraient de prendre une part active dans un dossier procédant dans cette langue sans avoir reçu, au préalable, une formation linguistique spécialisée.
Une fois que les citoyens ont évalué leur capacité de soutenir une conversation dans les deux langues officielles, ils peuvent être regroupés sur la base de la profession qu’ils occupent [20] et du type d’industries dans laquelle ils œuvrent [21]. C’est de ce regroupement que découle notre capacité de mieux comprendre la compétence linguistique des intervenants dans le domaine de la justice. Comme dans toute classification, toutefois, les définitions retenues peuvent poser certaines difficultés. Pour les données utilisées dans le présent rapport, les points suivants méritent d’être soulignés :
- En ce qui a trait aux types de professions, certaines définitions ne reflètent pas la distribution des responsabilités que l’on retrouve parmi les différentes juridictions au pays :
- Juges de paix et officiers de justice :
- Statistique Canada regroupe ces deux fonctions qui, dans bien des juridictions, sont assumées par des postes distincts. Notons que l’officier de justice est normalement chargé de coordonner les tâches administratives du tribunal et inclut donc les postes d’administrateur de tribunal ou de directeur des services judiciaires.
- Commis des services judiciaires :
- Cette catégorie peut être trompeuse. Il ne s’agit pas ici des commis aux greffes qui sont chargés de répondre aux questions du public, recevoir le paiement d’une amende, etc. Il s’agit plutôt des fonctions qu’assument normalement les greffiers, soient la préparation du rôle des causes, la gestion des pièces à conviction et, de façon plus générale, le soutien aux tribunaux. On y inclut même les fonctions normalement réservées à l’huissier-audiencier (particulièrement au Québec) ou au huissier (Sheriff) ailleurs au pays, qui est de faire régner l’ordre dans les salles d’audience.
- Techniciens juridiques :
- Cette catégorie renvoie à ce que l’on appelle communément un assistant juridique. Œuvrant souvent (mais non exclusivement) dans le secteur privé, ils sont chargés de voir à la préparation de certains documents, tiennent les dossiers et peuvent effectuer certaines recherches. Dans certains cas, ces fonctions sont assumées par ce que l’on appelle des « parajuristes ».
Les autres types de profession sont plus clairement délimités. Notons que la catégorie des « juges » inclut les juges de tous les tribunaux de première instance et d’appel et que la catégorie des « avocats » inclut tous les types d’avocats et de notaires au Québec, qu’ils pratiquent ou non le droit de façon formelle.
- En ce qui a trait aux industries, les données nous permettent de constater si les intervenants œuvrent à l’intérieur de « services juridiques » (études d’avocats ou de notaires) ou dans des administrations publiques (tribunaux, services correctionnels ou services de police).
- Notons finalement que les données sont arrondies, généralement par intervalles de 5. Cependant, les chiffres de 0 à 9 sont arrondis à 0 pour des fins de confidentialité. Ainsi, le fait que certains des tableaux inclus dans ce rapport indiquent qu’on ne retrouve aucun intervenant dans une catégorie précise qui est capable de soutenir une conversation dans les deux langues officielles n’exclut pas la possibilité qu’il y en ait, de fait, jusqu’à 9.
Note : Pour alléger la présente sous-section, le terme « bilingue » est employé pour référer aux personnes qui, lors du Recensement, ont indiqué connaître suffisamment le français et l’anglais pour soutenir une conversation dans l’une ou l’autre de ces langues.
Le profil linguistique des intervenants au Canada sauf le Québec
La présente analyse débute avec un portrait de la capacité linguistique des intervenants œuvrant au Canada sauf au Québec, laquelle province fait l’objet d’une analyse distincte.
Le nombre d’intervenants bilingues dans les juridictions autres que le Québec n’est pas négligeable. Comme l’indique le Tableau 5, entre 9 % et 29 % des intervenants des différentes catégories de professions se disent bilingues. Ce sont chez les juges et les avocats que l’on retrouve les taux de bilinguisme les plus élevés (29 % et 25 % respectivement). Pas moins de 540 juges et près de 13 700 avocats se disent bilingues.
La majorité des intervenants bilingues n’ont pas le français comme première langue officielle parlée. On note, par exemple, que des 13 685 avocats bilingues, seulement 1 860 ont le français comme première langue officielle parlée. Il s’agit donc, pour la plupart, d’anglophones dont l’apprentissage du français leur permet de soutenir une conversation dans cette langue. On peut penser – mais il s’agit d’une spéculation à ce stade-ci – que plusieurs de ces intervenants ont fréquenté un programme d’immersion.
La capacité bilingue des intervenants se rétrécit passablement dans les rôles auxiliaires, dont les greffiers, les huissiers et les agents de probation. Cette tendance peut entraîner des défis importants lorsque l’on considère la contribution de ces différents intervenants au bon déroulement des audiences dans le domaine criminel.
Professions | Total | PLOP – françaisa | Connaissance LOb | ||
---|---|---|---|---|---|
Nombre | % | Nombre | % | ||
Juges | 1 890 | 145 | 8 % | 540 | 29 % |
Juges de paix | 3 440 | 245 | 7 % | 535 | 16 % |
Avocats | 55 505 | 1 860 | 3 % | 13 685 | 25 % |
Commis (greffiers) | 2 685 | 165 | 6 % | 355 | 13 % |
Huissiers (shérifs) | 1 910 | 45 | 2 % | 165 | 9 % |
Techniciens (assistants) | 30 935 | 910 | 3 % | 3 565 | 12 % |
Agents de probation | 4 770 | 245 | 5 % | 670 | 14 % |
Total | 101 135 | 3 615 | 4 % | 19 515 | 19 % |
Notes:
- a PLOP réfère à « première langue officielle parlée ».
- b Connaissance des langues officielles réfère à la capacité de soutenir une conversation dans les deux langues officielles.
Source : Recensement de Statistique Canada (2006).
Le profil linguistique des intervenants au Québec
Au Québec, on retrouve un taux de bilinguisme élevé chez l’ensemble des intervenants. Comme l’indique le Tableau 6, pas moins de 9 juges sur 10 et plus de 8 avocats sur 10 se considèrent bilingues. Tout comme dans le reste du Canada, le nombre d’intervenants dont la première langue officielle parlée est celle de la minorité (donc anglaise au Québec) ne représente qu’une faible portion du nombre total d’intervenants bilingue. Dans le contexte du Québec, ce sont donc d’abord et avant tout des francophones œuvrant dans les différentes professions du domaine de la justice qui meublent les rangs des personnes bilingues.
Si les taux de bilinguisme sont donc généralement élevés, ils demeurent toutefois plus bas à l’intérieur des fonctions auxiliaires, dont les greffiers et les agents de probation.
Professions | Total | PLOP – anglais c | Connaissance LO d | ||
---|---|---|---|---|---|
Nombre | % | Nombre | % | ||
Juges | 710 | 25 | 4 % | 630 | 89 % |
Juges de paix | 1 080 | 20 | 2 % | 595 | 55 % |
Avocats | 18 445 | 2 090 | 11 % | 15 215 | 82 % |
Commis (greffiers) | 640 | 35 | 5 % | 350 | 55 % |
Huissiers (shérifs) | 695 | 35 | 5 % | 440 | 63 % |
Techniciens (assistants) | 4 495 | 585 | 13 % | 2 980 | 66 % |
Agents de probation | 850 | 20 | 2 % | 505 | 59 % |
Total | 26 915 | 2 810 | 10 % | 20 715 | 77 % |
Notes:
- c PLOP réfère à « première langue officielle parlée ».
- d Connaissance des langues officielles réfère à la capacité de soutenir une conversation dans les deux langues officielles.
Source : Recensement de Statistique Canada (2006).
Profil linguistique par province et territoires
Un examen plus pointu du profil linguistique des intervenants par province ou territoire révèle des tendances assez prévisibles, mais d’autres paraissent plus étonnantes.
Ainsi, dans la lignée de ce que l’on retrouve au Québec, le niveau de bilinguisme chez les intervenants au Nouveau-Brunswick est élevé. Comme l’indique le Tableau 7, tous les juges au Nouveau-Brunswick se disent bilingues. Pour les autres professions, c’est au moins la moitié des intervenants qui se disent bilingues, à l’exception des techniciens juridiques où l’on retrouve le plus bas niveau de bilinguisme à 29 %.
Parmi les données particulièrement intéressantes, notons les points suivants :
- On retrouve des avocats bilingues dans toutes les régions du pays. L’Ontario ne compte pas moins de 8 945 avocats qui se disent bilingues. Aussi, on retrouve 1 280 avocats se disant bilingues en Alberta et 1 830 en Colombie-Britannique.
- Tout comme dans le cas des avocats, on retrouve des juges bilingues dans toutes les régions du pays. En Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique, le niveau de juges se disant bilingues oscille entre 21 % et 35 %.
- Le niveau peu élevé de bilinguisme chez les greffiers se reflète directement dans le portrait régional. Ainsi, on ne retrouverait à peu près pas de greffiers bilingues en Saskatchewan et dans les trois territoires, et leur nombre est fort limité en Alberta et dans les provinces de l’Atlantique (autres que le Nouveau-Brunswick).
- Dans la même veine, on note une absence ou un niveau particulièrement bas de bilinguisme chez les agents de probation dans à peu près toutes les juridictions sauf le Québec et le Nouveau-Brunswick.
Intervenants | Connaissance des langues officielles | ||||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
NL/PE/NS | NB | QC | ON | MB | SK | AB | BC | Terr. | |
Juges | 30 | 75 | 630 | 235 | 30 | 20 | 75 | 80 | 0 |
19 % | 100 % | 89 % | 31 % | 16 % | 18 % | 35 % | 21 % | 0 % | |
Juges de paix | 15 | 40 | 595 | 370 | 20 | 0 | 30 | 60 | 10 |
6 % | 53 % | 55 % | 18 % | 13 % | 0 % | 12 % | 14 % | 13 % | |
Avocats | 510 | 570 | 15 215 | 8 945 | 310 | 190 | 1 280 | 1 830 | 65 |
19 % | 48 % | 82 % | 29 % | 16 % | 13 % | 17 % | 18 % | 26 % | |
Commis (greffiers) | 15 | 10 | 350 | 230 | 15 | 0 | 40 | 45 | 0 |
13 % | 67 % | 55 % | 17 % | 12 % | 0 % | 7 % | 11 % | 0 % | |
Huissiers (shérifs) | 0 | 30 | 440 | 60 | 0 | 0 | 30 | 35 | 0 |
0 % | 50 % | 63 % | 13 % | 0 % | 0 % | 9 % | 5 % | 0 % | |
Techniciens (assistants) | 125 | 105 | 2 980 | 2 370 | 95 | 0 | 440 | 420 | 10 |
8 % | 29 % | 66 % | 14 % | 9 % | 0 % | 8 % | 9 % | 11 % | |
Agents de probation | 25 | 95 | 505 | 370 | 25 | 10 | 30 | 105 | 0 |
10 % | 49 % | 59 % | 17 % | 9 % | 2 % | 6 % | 12 % | 0 % |
Notes:
e Pourcentage du nombre total d’individus pratiquant la profession.
Source : Recensement de Statistique Canada (2006).
Distinctions par groupes d’âge
Le niveau de bilinguisme des intervenants du domaine de la justice est appelé à croître. Ainsi, une analyse des données de recensement par groupes d’âge indique qu’une plus forte proportion de jeunes avocats se dit bilingue, par rapport aux avocats plus âgés. À titre illustratif, la Figure 2 présente les données applicables aux avocats œuvrant en Ontario. Alors que 40 % de ceux âgés entre 25 et 34 ans se disent bilingues, ce taux est systématiquement plus faible chez les avocats plus âgés, où il atteint 16 % chez les avocats de 65 ans et plus. Cette même tendance se retrouve, de façon systématique, chez tous les groupes d’intervenants.
Figure 2 : Pourcentage d’avocats en Ontario pouvant soutenir une conversation dans les 2 LO, par groupe d’âge
(Source : Recensement de Statistique Canada 2006)
4.3 Maîtrise du vocabulaire juridique
La maîtrise par les intervenants du vocabulaire juridique propre à chaque langue officielle est essentielle pour qu’un tribunal soit, dans les faits, institutionnellement bilingue. Il ne s’agit évidemment pas du seul facteur, puisque l’infrastructure administrative des tribunaux doit, elle aussi, permettre de planifier et de gérer efficacement les services offerts dans l’une et l’autre langue officielle.
Il va sans dire que la maîtrise du vocabulaire juridique dépasse largement la capacité de soutenir une conversation dans les deux langues officielles. On a plutôt affaire ici à une suite logique où la capacité de soutenir une conversation dans les deux langues officielles constitue la première étape. Va suivre la deuxième étape consistant à maîtriser le vocabulaire juridique approprié au domaine de la justice dans lequel l’intervenant œuvre. Une troisième et dernière étape consiste à s’approprier le discours juridique dans les deux langues officielles, c’est-à-dire la capacité d’utiliser de façon appropriée le vocabulaire juridique acquis dans son application pratique. Il s’agit, en d’autres mots, de marier la connaissance d’un vocabulaire spécialisé à la pratique courante d’une profession donnée : l’intervenant connaît non seulement le vocabulaire juridique, mais est aussi en mesure de l’utiliser dans son quotidien et dans ses communications avec les autres intervenants et le public.
La maîtrise du vocabulaire propre aux différents domaines du droit présuppose que ce vocabulaire existe, ce qui n’a pas toujours été le cas au Canada. La common law ayant été d’abord développée en langue anglaise et le droit civil en langue française, le Canada s’est retrouvé dans une situation unique au monde où le bijuridisme allait devoir cohabiter avec un bilinguisme institutionnel. L’objectif est donc de créer un discours juridique couvrant à la fois les deux systèmes de droit et les deux langues officielles. Le droit criminel étant l’objet principal de la présente étude, on constate qu’un vocabulaire relativement constant et normalisé a vu le jour, sur la base du Code criminel. Il s’agit cependant d’un travail continu qui devra se poursuivre au fil des modifications et changements apportés au droit criminel.
La compétence linguistique visée couvre à la fois l’écrit et l’oral. En droit criminel, les communications verbales sont prédominantes, bien que des plaidoyers écrits soient régulièrement déposés devant la cour. En plus des ordonnances rendues, la décision du juge peut soit être communiquée verbalement à l’accusé et inscrite au procès-verbal, soit faire l’objet d’une décision écrite et publiée, dans lequel cas, elle devra être accessible dans la langue de l’accusé. Malgré la place prépondérante de la communication verbale, on doit donc reconnaître que la capacité de rédiger les documents juridiques dans les deux langues officielles demeure essentielle à la notion de tribunal institutionnellement bilingue.
La nécessité de maîtriser le vocabulaire juridique s’applique tout aussi bien aux intervenants issus des communautés de langue officielle vivant en situation minoritaire que de ceux provenant des groupes majoritaires. Un facteur important est plutôt la langue dans laquelle cet intervenant a été formé sur le plan professionnel. Ainsi, un avocat francophone du Manitoba ayant été formé à la faculté de droit de l’Université du Manitoba pourrait avoir plus de réticence à procéder en français qu’un anglophone issu d’un programme d’immersion qui a fait ses études de droit à la faculté de common law français de l’Université d’Ottawa ou de Moncton. Même un francophone formé en français mais ne pratiquant que rarement en français aura besoin de perfectionnement pour maintenir sa capacité à procéder en français. Les besoins de formation ne sont donc pas limités à un groupe linguistique plutôt qu’un autre.
En définitive, un intervenant dans le domaine de la justice va acquérir sa capacité d’opérer dans les deux langues officielles lors de sa formation de base ou en cours d’emploi. Les prochaines sous-sections vont donc aborder ces deux domaines de façon distincte et couvrir, au surplus, la question des outils et ouvrages de référence mis à la disposition des intervenants.
4.4 Formation de base
La formation de base offerte dans les différents domaines de la justice ne contribue que bien partiellement au renforcement de la capacité des tribunaux d’opérer de façon institutionnellement bilingue. Les prochaines lignes brossent un tableau de la formation offerte pour chacun des principaux groupes visés par cette étude.
NL | PE | NS | NB | QC | ON | MB | SK | AB | BC | YK | NT | NU |
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x | x | x |
On retrouve évidemment une formation de base en droit dans toutes les régions du pays. Notons que cette formation est la même, que les diplômés se dirigent par la suite vers la pratique privée, le rôle de procureur de la Couronne ou d’avocat œuvrant à l’aide juridique et, parmi eux, ceux qui deviendront juges. Du bijuridisme canadien découle en outre le fait que l’on retrouve des programmes de common law (principalement à l’extérieur du Québec) et de droit civil (principalement au Québec).
Certaines universités canadiennes offrent des programmes de droit dans la deuxième langue officielle :
- L’Université d’Ottawa offre le programme de common law en français (et en anglais);
- L’Université de Moncton offre le programme de common law en français;
- L’Université McGill offre le programme de common law et de droit civil, en anglais avec la possibilité de suivre certains cours en français.
Notons que l’Université Laurentienne, à Sudbury, offre un programme en français au niveau du baccalauréat de droit et justice. Il s’agit d’études générales qui peuvent préparer à des programmes offerts par les facultés de droit.
Les facultés de droit en milieu majoritaire pourraient jouer un plus grand rôle dans la formation linguistique de leurs étudiants. Les facultés de droit autres que celles mentionnées ci-dessus n’offrent essentiellement aucune occasion à leurs étudiants d’acquérir le vocabulaire juridique requis dans leur deuxième langue officielle et d’en maîtriser l’usage. Cette situation, souvent déplorée durant les consultations tenues dans le cadre de cette étude, reflète d’ailleurs mal le profil linguistique des étudiants qui fréquentent ces facultés. Comme l’indique la Figure 3, une proportion importante des jeunes avocats anglophones œuvrant dans l’ensemble des régions du pays (à l’extérieur du Québec) se disent en mesure de soutenir une conversation dans les deux langues officielles du Canada. Cette capacité aura manifestement été acquise avant d’entrer dans une faculté de droit ou en marge de ces études. Pourtant, seuls les étudiants ayant fréquenté les facultés de droit de Moncton, McGill et Ottawa (programme français) auront eu l’occasion de parfaire leur maîtrise du vocabulaire juridique dans les deux langues officielles. Une option soulevée durant les consultations serait d’offrir des cours abordant spécifiquement la question du vocabulaire juridique dans les deux langues officielles (plutôt que d’offrir une série de cours dans la deuxième langue). Une autre option serait d’offrir des cours de common law à distance, en collaboration avec les facultés de droit offrant déjà ce type de cours.
Figure 3 : Pourcentage d’avocats anglophones de 25 et 34 ans pouvant soutenir une conversation dans les 2 LO, pour certaines provinces
(Source : Recensement de Statistique Canada 2006)
NL | PE | NS | NB | QC | ON | MB | SK | AB | BC | YK | NT | NU |
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La fonction de juge de paix ne requiert pas une formation de droit formelle, offerte par les facultés de droit. De fait, on ne retrouve aucune formation de base pour devenir juge de paix, dans l’une ou l’autre langue officielle. Le profil des juges de paix sur le plan de l’éducation et de l’expérience professionnelle varie donc beaucoup. La capacité des juges de paix d’œuvrer dans les deux langues officielles sera ainsi acquise par une multitude de moyens. Comme l’illustre le Tableau 7, on retrouve une certaine capacité chez les juges de paix au pays de communiquer dans les deux langues officielles, mais cette capacité est systématiquement et substantiellement moins élevée que celle des juges. Considérant le rôle important que jouent les juges de paix en droit criminel, particulièrement sur le plan de la première comparution, ce profil linguistique pourrait soulever certaines difficultés.
On ne s’attend pas à ce qu’un programme de base pour juge de paix soit instauré. Durant les consultations menées dans le cadre de la présente étude, aucune demande en ce sens n’a été formulée. La formation des juges de paix, particulièrement en ce qui a trait à leur formation linguistique, devra donc être effectuée par le biais de formation continue.
NL | PE | NS | NB | QC | ON | MB | SK | AB | BC | YK | NT | NU |
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Tout comme le poste de juge de paix, celui de greffier ne requiert normalement pas de formation spécifique, reliée au droit. Seule exception à la règle : le Nouveau-Brunswick, qui exige de ses greffiers qu’ils soient avocats. En outre, le Durham College en Ontario offre une formation visant spécifiquement les greffiers (Legal Administration/Law Clerk Program)[22], qui n’est offerte qu’en anglais et qui n’inclut aucune formation concernant le vocabulaire juridique dans les deux langues officielles.
On note que le niveau d’éducation des greffiers est en croissance. Comme l’indique la Figure 4, 40% des greffiers âgés entre 24 à 34 ans ont un certificat ou un diplôme de niveau universitaire, une proportion qui est près de deux fois plus élevée que chez les greffiers âgés de 55 à 64 ans.[23] Dans la plupart des régions au pays, c’est l’expérience acquise par une personne qui lui permettra d’accéder à un poste de greffier. La capacité des greffiers d’œuvrer ou non dans les deux langues officielles découlera donc d’une multitude de scénarios possibles liés à leur éducation et à leur expérience professionnelle.
Figure 4 : Pourcentage des greffiers oeuvrant dans les administrations provinciales et territoriales possédant un certificat ou diplôme, par niveau d'éducation et groupes d'âge
(Source : Recensement de Statistique Canada 2006)
NL | PE | NS | NB | QC | ON | MB | SK | AB | BC | YK | NT | NU |
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Les postes de sténographes et de commis aux greffes n’exigent pas de formation de base spécifique. Encore ici, notons que le Durham College en Ontario offre toutefois une formation de base visant spécifiquement les sténographes et commis aux greffes (Court Support Services Program), offerte en anglais. C’est plutôt l’expérience professionnelle d’une personne qui lui permettra d’accéder à ces postes. Souvent, les commis aux greffes ou les sténographes ont d’abord œuvré comme adjoint juridique dans un cabinet d’avocats.
Notons que les postes de sténographes affectés à un tribunal ne requièrent plus la maîtrise de la sténographie puisque les débats en salles d’audience sont maintenant enregistrés et numérisés. Bien des juridictions font d’ailleurs appel à des entreprises du secteur privé pour retranscrire les bandes sonores lorsque cette procédure est nécessaire.
NL | PE | NS | NB | QC | ON | MB | SK | AB | BC | YK | NT | NU |
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x | x | x |
Le poste d’huissier n’exige pas une formation de base spécifique. Comme l’illustre la Figure 5,un peu plus de la moitié des huissiers oeuvrant dans une administration provinciale ou territoriale possède un certificat ou diplôme d’études au niveau secondaire ou d’une école de métiers. On note que 45 % d’huissiers possèdent un certificat ou un diplôme d’études postsecondaires.
Figure 5 : Pourcentage des huissiers oeuvrant dans les administrations provinciales et territoriales possédant un certificat ou diplôme, par niveau d'éducation
(Source : Recensement de Statistique Canada 2006)
Il existe certains programmes liés aux techniques correctionnelles qui peuvent offrir une formation pertinente aux fonctions d’huissier. Sur le plan des programmes offerts dans la langue de la minorité, le Collège communautaire du Nouveau-Brunswick (Dieppe), la Cité collégiale (Ottawa), le Collège Boréal offrent des programmes de techniques correctionnelles en français et, au Québec, le John-Abbott College l’offre en anglais.
NL | PE | NS | NB | QC | ON | MB | SK | AB | BC | YK | NT | NU |
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On retrouve au Canada un certain nombre de programmes visant à former des interprètes et traducteurs, dont certains abordent spécifiquement le travail dans un contexte judiciaire :
- L’Université de Moncton offre un programme général en traduction, au niveau du baccalauréat.
- L’Université d’Ottawa offre un programme général de traduction aux niveaux du baccalauréat et de la maîtrise. Plus spécifiquement, l’université offre un programme de maîtrise en traduction juridique. Elle offre en outre un programme au doctorat en traductologie.
- Toujours en Ontario, le Campus Glendon de l’Université York offre un programme général de traduction au niveau du baccalauréat.
- Au Manitoba, le Collège universitaire de Saint-Boniface offre un programme général de traduction aux niveaux du certificat et du baccalauréat.
En ce qui a trait aux interprètes, une formation générale est offerte au niveau collégial, en plus des formations plus spécialisées offertes par les regroupements d’interprètes et traducteurs canadiens. Notons qu’une certification en traduction juridique est offerte par le Conseil des traducteurs, terminologues et interprètes du Canada.[24]
L’accès à des interprètes pouvant œuvrer avec aisance dans un contexte judiciaire pose problème dans plusieurs régions du pays. Bien des intervenants consultés dans le cadre de la présente étude ont indiqué que le manque de connaissance technique de certains de leurs interprètes soulevait des difficultés appréciables, pouvant avoir un impact négatif sur le bon déroulement d’une audience. Le manque d’interprètes qualifiés force d’ailleurs certaines juridictions à faire venir des interprètes d’autres régions du pays, ce qui entraîne des coûts supplémentaires.
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Si plusieurs avenues académiques peuvent mener à la profession d’agents de probation, les études en criminologie demeurent l’une des plus importantes. Plusieurs universités et collèges offrent des programmes d’études en criminologie. En milieu minoritaire, on retrouve les programmes suivants :
- L’Université d’Ottawa offre un programme de criminologie en français aux niveaux du baccalauréat, de la maîtrise (criminologie appliquée) et du doctorat.
- Au Québec, l’Université Bishop offre un programme de baccalauréat ès arts en anglais avec une mineure en criminologie.
- Certains programmes collégiaux au Québec, tels que Major Law and Society au Vanier College, Law Society and Justice au Dawson College et Criminology Profile au Champlain Regional College, pourraient préparer à la carrière d’agent de probation.
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À l’heure actuelle, les secrétaires et techniciens juridiques (laquelle catégorie inclut, sans toutefois s’y limiter, les parajuristes) œuvrent essentiellement dans le secteur privé, normalement à l’intérieur de cabinet d’avocats et de notaires. De fait, 90 % des secrétaires juridiques et 85 % des techniciens juridiques œuvrent dans le secteur privé.[25]
La fonction de parajuriste évolue considérablement. Depuis 2004, en Ontario, le Barreau du Haut-Canada règlemente la profession de parajuriste, qui est donc formellement reconnue et homologuée. Sept collèges en Ontario offrent une formation de parajuristes qui est agréée par le Barreau du Haut-Canada. [26] Aucun de ces programmes n’est toutefois offert en français. Au moment de rédiger le présent rapport, aucun autre province ou territoire ne règlementait la profession de parajuriste.
Une formation de base en français est offerte pour le poste d’adjoint juridique. La Cité collégiale et le Collège Boréal en Ontario offrent un programme d’adjoint juridique où le vocabulaire juridique est enseigné dans les deux langues officielles.
4.5 Formation en cours d’emploi
Le nombre limité de programmes de base offrant une formation dans les deux langues officielles donne à la formation en cours d’emploi une importance considérable. Pour plusieurs intervenants, la formation en cours d’emploi, qu’elle soit offerte de façon formelle ou informelle, constitue le seul moyen dont ils disposent pour pouvoir maîtriser suffisamment le discours juridique propre à leur profession dans les deux langues officielles.
Du côté de la formation formelle en cours d’emploi, on en retrouve un certain nombre de modèles. Aux fins de la présente étude, nous les avons classés selon qu’elles sont offertes par des regroupements professionnels, des instances gouvernementales ou par les centres de jurilinguistique.
Formation offerte par les regroupements professionnels
Par la nature même de leur mandat, les regroupements professionnels offrent systématiquement de la formation professionnelle à leurs membres. Dans le domaine de la justice, on retrouve un vaste éventail de regroupements professionnels couvrant la plupart des professions visées. La question principale, pour la présente étude, est donc celle de savoir lesquels de ces regroupements offrent systématiquement de la formation concernant la maîtrise du vocabulaire juridique dans les deux langues officielles. L’information recueillie a permis de recenser les initiatives suivantes :
- Commissaire à la magistrature fédérale :
- Parmi les activités entreprises par le Bureau du Commissaire à la magistrature fédérale se trouve la formation linguistique visant la maîtrise des deux langues officielles. D’abord, le Bureau offre un programme de perfectionnement du français pour les juges francophones qui œuvrent à l’extérieur du Québec. En outre, le Bureau offre des sessions d’immersion en français à l’intention des juges anglophones (niveaux de base, intermédiaire et avancé). Ces initiatives sont offertes en priorité aux juges fédéraux, mais sont aussi accessibles par les juges provinciaux et territoriaux.
- Barreaux des provinces et territoires :
- L’information recueillie dans le cadre de la présente étude indique que les Barreaux n’offrent essentiellement aucune formation linguistique de façon systématique. Occasionnellement, certaines formations pourront être offertes en français et en anglais, mais elles ne visent pas spécifiquement la maîtrise du vocabulaire juridique dans les deux langues officielles.
- Association des juristes d’expression française :
- Les associations de juristes d’expression française offrent certaines activités de perfectionnement linguistique. On retrouve sept associations de juristes d’expression française au Canada, toutes situées dans des provinces de common law. Si les activités de formation linguistique offertes par ces associations varient passablement d’une région à l’autre du pays, elles prennent souvent la forme de sessions de formation d’une journée ou deux sur des domaines précis.
Formation offerte par les instances gouvernementales
Au niveau des instances gouvernementales, l’initiative la plus importante en formation linguistique dans les deux langues officielles est, sans contredit, l’Institut de développement professionnel en langue française, situé en Ontario. Le ministère du Procureur général de l’Ontario pilote cet Institut dont la mise sur pied remonte à 2005.
La clientèle principale de l’Institut est constituée des professionnels du domaine de la justice en Ontario, incluant les procureurs de la Couronne, les policiers et le personnel des tribunaux (greffiers, commis, etc.). L’Institut réserve normalement un minimum de cinq places par session de formation d’une semaine pour des procureurs de la Couronne provenant d’autres régions du pays. Certains procureurs de la Couronne fédéraux ont aussi participé aux activités de l’Institut.
La participation aux activités de l’Institut est conditionnelle à une évaluation linguistique du participant. Ainsi, seules les personnes ayant atteint le niveau « intermédiaire+ » au test de compétence en français oral peuvent participer aux activités de l’Institut. Ce niveau de maîtrise du français est jugé nécessaire pour pouvoir bénéficier des activités de formation offertes.
La formation de l’Institut s’étale sur une période de cinq jours consécutifs. Le format des activités inclut des exposés (sur la législation et la jurisprudence par exemple), des ateliers pratiques (sur l’utilisation du logiciel Antidote par exemple) et la tenue de procès fictifs (audience de mise en liberté, d’enquête préliminaire ou de plaidoyer de culpabilité).
Formation offerte par les Centres de jurilinguistique
On retrouve quatre centres de jurilinguistique au Canada :
- Le Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec, situé à l’Université McGill, au Québec.
- Le Centre de traduction et de documentation juridiques, situé à l’Université d’Ottawa, en Ontario
- Le Centre de traduction et de terminologie juridiques, situé à l’Université de Moncton, au Nouveau-Brunswick
- L’Institut Joseph-Dubuc, situé au Collège universitaire Saint-Boniface, au Manitoba.
Ces centres offrent des ateliers de formation spécialisés sur la maîtrise du vocabulaire juridique dans les deux langues officielles. Le centre le plus actif à cet égard est l’Institut Joseph-Dubuc. Les ateliers de l’Institut sont offerts sur demande, sont adaptés à la clientèle visée et prennent normalement la forme d’activités d’une ou deux journées. La clientèle visée initialement par l’Institut était les avocats, bien que des participants occupant d’autres fonctions au sein du système de justice aient aussi pris part aux activités offertes. Au moment de rédiger le présent rapport, l’Institut en était au développement d’activités de formation visant spécifiquement les fonctions d’appui du système judiciaire, dont les greffiers.
Une offre qui ne satisfait pas la demande
La qualité de la formation offerte en cours d’emploi est largement établie. Durant les consultations menées dans le cadre de la présente étude, les intervenants consultés ont unanimement souligné la qualité de ces activités de formation. Nul doute que les intervenants sont en mesure d’acquérir de nouvelles compétences dans leur langue seconde.
Toutefois, le volume d’activités de formation offertes ne satisfait manifestement pas à la demande. Il est évident qu’on ne retrouve actuellement qu’une fraction des intervenants du domaine de la justice qui ont accès aux activités de formation offertes. Et ceux qui ont accès à cette formation n’ont généralement droit qu’à un accès limité, dans la mesure où ils ne pourront participer qu’à un nombre limité d’activités, réparties souvent sur plusieurs mois, voire plusieurs années. Cette situation pose problème. Non seulement plusieurs intervenants sont laissés pour compte, mais même ceux qui bénéficient des activités offertes risquent de perdre les compétences acquises, faute d’occasion de suivi et de renforcement.
4.6 L’accès à des outils et ouvrages de référence
Les outils et ouvrages de référence pour la pratique du droit dans les deux langues officielles existent, mais leur nombre est limité et les besoins des intervenants demeurent considérables à cet égard.
On retrouve certains ouvrages de référence qui ont été développés par trois des centres de jurilinguistique au pays, dont les suivants :
- Les bases de données (lexiques, jurisprudence, etc.) du site Internet du Centre de documentation et de traduction juridiques (Université d’Ottawa)
- Les bases de données (Juriterm, Juridictionnaire) du Centre de traduction et de terminologie juridiques (Université de Moncton)
- Le Dictionnaire de droit privé de la famille et lexiques bilingues et le Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues – Les obligations, du Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec de l’Université McGill
S’il s’agit d’outils importants pour l’ensemble des intervenants du domaine de la justice, ce sont d’abord les traducteurs et rédacteurs juridiques qui en font l’usage le plus intensif. Les autres intervenants, qu’il s’agisse des membres de la magistrature, des avocats ou des greffiers, peuvent y faire référence au besoin, mais ne vont pas les utiliser sur une base continue.
Les besoins les plus pressants pour plusieurs des intervenants se situent d’abord sur le plan des modèles d’actes juridiques. Dans le cours normal d’un procès en droit criminel, on retrouve une série de documents traitant de sujets précis tels que la libération sous caution, le procès-verbal du procès, les ordonnances de la Cour et les décisions du juge. Comme il s’agit du droit criminel – applicable donc à la grandeur du pays – le contenu de ces textes est relativement consistant. Pourtant, durant les consultations menées dans le cadre de cette évaluation, plusieurs intervenants ont souligné l’absence de modèles d’actes juridiques facilement accessibles.
Les intervenants qui ne font qu’un usage occasionnel de leur deuxième langue officielle ont aussi besoin d’outils qui leur permettent de maintenir leurs acquis, ou d’approfondir la connaissance de leur deuxième langue officielle. Manifestement, l’accès à des outils en ligne, par exemple, ne saurait à lui seul constituer une solution au défi auquel ces intervenants font face. Mais ce type d’outils peut être utilisé à la suite d’une formation offerte de façon plus intensive afin de poursuivre l’apprentissage sur une base individuelle ou de maintenir les acquis.
Il paraît raisonnable de conclure que le développement d’outils applicables au domaine du droit criminel dans les deux langues officielles demeure au stade préliminaire. Les consultations menées dans le cadre de la présente étude laissent clairement entendre qu’à bien des égards, tout reste à faire dans ce domaine.
- [19] Commissariat aux services en français. (2008). Rapport annuel 2007-2008 : Ouvrir la voie. Toronto, p. 15.
- [20] Cette classification est basée sur la Classification nationale des professions pour des fins statistiques (CNP-S).
- [21] Cette classification est basée sur le Système de classification des industries de l’Amérique du Nord (SCIAN).
- [22] Ce programme est approuvé par le Institute of Law Clerks of Ontario (http://www.ilco.on.ca).
- [23] Notons que les greffiers se retrouvent dans la catégorie des « commis des services judiciaires » pour les fins des données de Recensement. Se référer à la section 4.3 pour plus de détails.
- [24] La certification en interprétation judiciaire comporte un certain nombre de modules, incluant l’évaluation des compétences linguistiques, la terminologie et la procédure judiciaires, l’interprétation consécutive et le procès simulé. Voir :http://www.cttic.org/certification.asp.
- [25] Sources : Données du recensement de 2006 de Statistique Canada.
- [26] La liste de ces programmes est disponible sur le site Web du Barreau du Haut-Canada.
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