Armes à feu, décès accidentels, suicides et crimes violents : recherche bibliographique concernant surtout le Canada

10. Conclusion (suite)

10. Conclusion (suite)

10.4 Les armes à feu et les crimes violents

L’efficacité des efforts de prévention des crimes de violence peut dépendre de notre capacité à nous rendre compte que ces crimes se commettent dans diverses situations qui appellent différentes stratégies d’intervention. Nous avons établi que la disponibilité des armes à feu était l’un des facteurs associés à la perpétration d’actes de violence. Le rôle de divers facteurs, y compris des déterminants situationnels, comme l’accès à des armes à feu, n’est pas nécessairement le même d’un type d’incident violent à un autre. Par exemple, même à l’intérieur de la catégorie des homicides, on observe toute une variété d’incidents dans lesquels la disponibilité des armes à feu revêt une signification différente. Nous pouvons élaborer des stratégies préventives pour cibler ces facteurs.

Même s’il est manifeste que les armes à feu jouent un rôle dans de nombreux types de crimes de violence, ce n’est que récemment que la recherche a marqué des progrès dans la documentation et l’explication de la nature des liens qui existent entre la disponibilité des armes à feu et la perpétration de crimes de violence.

Depuis 1975, on a observé au Canada une baisse à peu près constante tant des taux d’homicide que des taux d’homicide au moyen d’une arme à feu. Il n’existe toutefois pas d’explication simple de cette diminution. L’utilisation ou non d’armes à feu dans les différents types d’incidents d’homicide repose apparemment sur un certain nombre de facteurs outre celui de la disponibilité ou non des armes à feu. En fait, on peut présumer que la disponibilité d’armes à feu joue un rôle plus important dans certains types de situations où il y a risque d’homicide que dans d’autres. Diverses sous-catégories d’homicides sont attribuables à des processus causaux relativement distincts, et il importe de se demander si les caractéristiques de l’utilisation d’une arme à feu varient selon le sous-type d’homicide en fonction de sa définition sur les plans social et situationnel et, le cas échéant, de quelle manière. Pour mieux comprendre la nature de ces processus causaux complexes et pour mieux cerner le rôle de déterminants situationnels comme l’accessibilité à une arme à feu, il faudrait qu’on effectue des études plus poussées sur les divers sous-types d’homicides et de tentatives d’homicide.

Des stratégies d’intervention différentes sont nécessaires pour prévenir les homicides commis au foyer par opposition aux homicides commis dans la rue. Environ le tiers de tous les homicides se commettent au moyen d’une arme à feu. Ces dernières années, on a porté davantage attention à la recherche sur les homicides familiaux, notamment sur les homicides commis sur la personne d’un conjoint. Les conflits familiaux constituent la catégorie d’affrontements interpersonnels dont l’issue semble être le plus généralement déterminée par la présence d’armes à feu. Les écrits de plus en plus abondants sur le sujet montrent clairement que l’homicide sur la personne d’un conjoint est rarement un événement isolé et spontané et est plus généralement l’aboutissement d’un cycle de manifestations de violence qui se produisent au foyer. Une meilleure compréhension de la façon dont l’escalade de la violence est perçue pourrait mener àl’élaboration de stratégies de prévention plus efficaces. À ce jour, les ordonnances d’interdiction et, dans une moindre mesure, les dispositions visant à assurer le remisage sécuritaire des armes à feu gardées à la maison sont souvent considérées comme des mesures préventives efficaces. Leur contribution réelle à la prévention des homicides familiaux reste toutefois à évaluer.

Le vol qualifié représente un autre type de crime de violence qui est fréquemment commis à l’aide d’une arme à feu. En 1996, des 31 242 vols qui ont été signalés aux autorités au Canada, 21,3 p. 100 avaient été commis au moyen d’une arme à feu. Le terme vol qualifié désigne également toute une variété d’incidents où la force ou la menace de force est utilisée. On aurait manifestement du mal à tenter d’expliquer le rôle des armes à feu dans de tels incidents sans établir une distinction entre les divers types de vol qualifié. Au cours des 20 dernières années, la fréquence des vols qualifiés a généralement augmenté au Canada, mais le pourcentage de ceux commis à l’aide d’une arme à feu a diminué. On observe des écarts considérables d’une région à l’autre dans les taux de vol qualifié, de même que dans les pourcentages de ceux commis à la pointe d’une arme à feu. Il faut dire aussi que la grande majorité des vols qualifiés se commettent dans les importantes agglomérations urbaines, et ce, même si la possession des armes à feu est concentrée à l’extérieur de ces régions.

Certaines des recherches les plus prometteuses effectuées à ce jour ont largement consisté en des efforts pour chercher à comprendre les nombreux facteurs qui amènent le délinquant à décider de perpétrer un vol qualifié et, s’il passe à l’acte, de le faire avec une arme à feu ou non. La possibilité d’avoir accès à une arme à feu n’est pour le délinquant qu’un des facteurs sur lesquels reposera sa décision. Les études systématiques des processus de prise de décision par les délinquants, en corrélation avec les divers types de vol et d’agression commis, n’en sont encore qu’à un stade très préliminaire au Canada.

Les recherches montrent clairement que l’expérience canadienne en matière de violence juvénile en général et, tout particulièrement, de violence juvénile au moyen d’armes à feu a étépassablement différente de celle des États-Unis et a constitué un problème d’une ampleurbeaucoup moins grande que dans ce pays. À première vue, la différence de facilité d’accès aux armes à feu, notamment aux armes de poing, dans les deux pays semble constituer le principal facteur qui explique l’écart observé entre les niveaux de violence chez les jeunes dans les deux pays. La réalisation de recherches comparatives plus complètes sur cette question pourrait aboutir à des conclusions importantes.

10.5 Accidents causés par des armes à feu

En 1995, 49 personnes sont décédées à la suite de blessures accidentelles d’arme à feu dans notre pays, ce qui représente environ 4 p. 100 des 1 125 décès par balle signalés aux autorités cette année-là. Ces dernières décennies, le taux de blessure mortelle causée accidentellement par une arme à feu a diminué constamment au Canada et dans la plupart des pays industrialisés. Différentes sources de données nationales, les bureaux de coroner et les ministères provinciaux nous aident à mieux cerner le phénomène des accidents causés par des armes à feu. On connaît toutefois relativement peu de choses sur les caractéristiques et les circonstances de ce genre d’incident. C’est un domaine où des efforts additionnels de recherche pourraient être déployés.

La facilité d’accès à des armes à feu chargées a manifestement joué un rôle dans de nombreux décès et blessures accidentels d’arme à feu. Les preuves empiriques actuellement disponibles semblent également confirmer que l’importance du rapport entre le nombre d’armes à feu en circulation et les accidents mortels causés par des armes à feu est atténuée par un certain nombre d’autres facteurs. Parmi ces facteurs, on compte la qualité des services d’urgence médicale auxquels la population a accès, les divers types d’armes en circulation et les dispositifs de sécurité dont elles sont munies, les motifs qui sous-tendent la possession d’une arme à feu, la mesure dans laquelle les enfants et les personnes souffrant de troubles mentaux y ont accès, et le niveau de formation en matière de sécurité exigé des propriétaires d’arme à feu.

Suivant certaines évaluations, il pourrait y avoir de 10 à 13 fois plus d’accidents d’arme à feu non mortels que mortels. Il semble exister des écarts considérables concernant la fréquence des accidents mortels d’arme à feu selon les provinces et les territoires. Il serait utile d’examiner plus avant dans quelle mesure ces écarts sont attribuables à des différences en ce qui concerne les pratiques de signalement des incidents et la disponibilité relative des services médicaux d’urgence, ou à certains autres facteurs.

À partir des données disponibles au Canada, on sait que les armes d’épaule sont plus fréquemment en cause dans les blessures accidentelles par balle que les armes de poing, et que les victimes sont plus souvent des enfants et des adolescents que des adultes. Pour ce qui est des incidents dont les enfants sont victimes, il semblerait que la majorité d’entre eux surviennent au moment où les enfants sont en train de s’amuser. Il serait utile d’effectuer des recherches plus poussées pour faire la lumière sur les circonstances entourant les accidents mortels d’arme à feu impliquant des enfants et des adolescents, et de vérifier comment ils ont pu avoir accès à une arme à feu.

On présume souvent que les blessures accidentelles sont les plus faciles à prévenir. Plusieurs stratégies de prévention ont été élaborées ces dernières décennies et nombre d’entre elles ont été intégrées au cadre réglementaire canadien. Parmi ces mesures, on compte la sensibilisation du public, la promotion des pratiques sécuritaires de remisage des armes à feu, la formation donnée aux propriétaires et utilisateurs d’armes à feu sur le maniement sécuritaire des armes à feu, l’amélioration des armes à feu elles-mêmes pour les rendre plus sécuritaires, et des règlements précis concernant la chasse. En gros, aucune recherche n’a été effectuée sur la qualité et l’efficacité de ces diverses mesures.

10.6 Effets préventifs de la possession et de l’utilisation d’armes à feu

La plupart des recherches existantes sur les effets préventifs de la possession et del’utilisation d’armes à feu ont été effectuées aux États-Unis. Étant donné qu’il existe plusieursdifférences fondamentales entre le Canada et les États-Unis en ce qui concerne l’autodéfense armée chez les citoyens, la plupart des conclusions des recherches existantes ne peuvent tout simplement pas être présumées valoir pour le Canada. Les recherches établissent presque invariablement un lien entre le fait de posséder une arme à feu pour se protéger, là où la loi le permet ou le tolère, et la vulnérabilité réelle ou appréhendée à la victimisation. Les conclusions voulant que la possession d’une arme à feu exerce un effet dissuasif sur la perpétration des crimes sont controversées et non vérifiées. Les recherches effectuées jusqu’à maintenant ont toutefois généralement indiqué que les victimes qui résistent à leur agresseur à l’aide d’une arme à feu ou d’un autre type d’arme sont moins susceptibles que les autres victimes d’être dépossédées de leurs biens lors d’un vol ou d’un cambriolage. Elles sont en outre moins susceptibles de subir des blessures que celles qui ne résistent pas du tout ou qui résistent sans arme.

Très peu de recherches ont été effectuées pour déterminer dans quelle mesure les Canadiens utilisent des armes à feu pour se protéger. Les résultats de sondages indiquent généralement que la proportion de Canadiens qui déclarent que l’autodéfense ou l’autoprotection constitue leur principal motif de posséder une arme à feu est très faible. Cette situation contrastenettement avec celle qu’on observe aux États-Unis, où l’autoprotection est l’une des principales raisons de posséder une arme à feu, notamment une arme de poing. Sur le plan international, la plupart des pays permettent à leurs citoyens de posséder une arme à feu pour se protéger, mais sous réserve de certaines conditions.

Pour autant que de nombreux chercheurs ont eu tendance à ne pas tenir compte des frontières entre les aspects descriptifs et normatifs de la question, la valeur de l’argument de « l’avantage net » devient presque impossible à vérifier. Par ailleurs, les recherches concernant le droit de port d’arme dissimulée sont rares et difficiles à évaluer. La conclusion à laquelle en est arrivé l’auteur de la dernière recherche bibliographique demeure valable : les recherches existantes n’ont pas permis d’en arriver à des conclusions fermes sur la question de savoir jusqu’à quel point l’utilisation efficace d’une arme à feu pour se défendre et l’effet dissuasif découlant de la possession d’une arme à feu pour se protéger contrebalancent les inconvénients de la possession d’une arme à feu à ces fins.

10.7 Impact de la réglementation des armes à feu

Au cours des 20 dernières années, il y a eu au Canada trois cycles de modifications législatives, en 1977, 1991 et 1995, qui ont façonné le cadre réglementaire canadien en matière d’armes à feu. Jusqu’à maintenant, les recherches effectuées aux fins d’évaluer la législation ont mis l’accent presque exclusivement sur l’incidence des modifications législatives adoptées en 1977. On a agi de la sorte malgré le fait qu’il était conceptuellement et empiriquement très difficile de dissocier l’impact de ces modifications de celles du régime antérieur et des changements législatifs subséquents.

Les évaluations des mesures législatives de 1977 ont enrichi la littérature dans ce domaine de la recherche. Leurs conclusions demeurent toutefois quelque peu controversées et non probantes. Ces études avaient principalement pour objet de tenter de cerner l’incidence générale de ces mesures législatives sur les divers types de vol qualifié et de blessure mortelle d’arme à feu. Le fait que l’attention se soit concentrée de la sorte peut s’expliquer, en partie, par la complexité des programmes de contrôle des armes à feu, dont l’évaluation par les chercheurs pose des problèmes d’ordre conceptuel et méthodologique, ainsi que par le fait que la qualité et la disponibilité des données requises font défaut.

Ces problèmes ne devraient pas décourager la poursuite d’évaluations futures à partir de l’expérience actuelle. Il est d’importance capitale pour la recherche et l’évaluation qu’on puisse examiner de plus près l’incidence de certaines dispositions précises de la loi de 1977 et de celles qui ont été adoptées par la suite, en 1991 et en 1995, sur les divers types d’incidents impliquant des armes à feu.

En outre, l’application de cette législation et de ses différentes composantes doit être pleinement évaluée pour établir si et comment l’administration et l’application uniformes de la loi ont une incidence sur les divers incidents d’arme à feu mortels et non mortels qui surviennent dans notre pays. Le mérite de chacun des éléments de la législation devrait également être comparé à celui d’autres types de programmes de prévention du suicide et des crimes de violence au Canada.

10.8 Commerce illégal des armes à feu

Les mesures visant à contrôler et à réglementer le marché légal des armes à feu doivent s’accompagner de mesures non moins vigoureuses propres à endiguer le marché illicite des armes à feu et à y faire échec. Au Canada, très peu de recherches ont été effectuées pour connaître les types d’armes à feu dont se servent les délinquants pour commettre des crimes, la provenance de ces armes, ainsi que les méthodes et moyens utilisés pour les acquérir. Nous ne disposons d’à peu près pas d’information sur la nature et l’importance des diverses activités illégales touchant le commerce des armes à feu, notamment en ce qui concerne la contrebande, le trafic et la fabrication illégale d’armes à feu. D’après certaines sources policières de renseignements, on assisterait actuellement à une augmentation de la contrebande d’armes à feu vers le Canada. La contrebande d’armes à feu serait passablement lucrative, et on disposerait de nouveaux éléments de preuve indiquant que le transfert transnational illicite des armes à feu est en pleine croissance. Pour pouvoir déployer efficacement des efforts en vue de nous attaquer à ce problème, nous aurions besoin de renseignements plus précis concernant sa nature et son ampleur. Nous avons la certitude qu’il existe des liens entre les diverses formes de trafic, qu’il s’agisse du trafic des armes, de l’entrée d’immigrants illégaux ou du trafic de la drogue. Au delà de cette constatation, nous ne disposons toutefois que de peu de données de recherches qui puissent nous renseigner sur la nature exacte de ces liens et sur la façon dont ces secteurs d’activité sont en corrélation.

Il semblerait s’imposer qu’on nous fournisse plus régulièrement de l’information sur la façon dont les criminels, notamment les jeunes, se procurent et utilisent des armes à feu. Les auteurs de plusieurs études américaines ont développé une méthodologie de recherche adéquate leur permettant de recueillir des renseignements sur la relative facilité avec laquelle les criminels et les jeunes délinquants peuvent se procurer des armes à feu dans ce pays, ainsi que sur les façons dont ces criminels obtiennent ces armes à feu et dont ils finissent par les utiliser. De telles études pourraient être reprises au Canada. En outre, de nouvelles études pourraient être menées sur la fréquence des vols d’armes à feu, sur les circonstances dans lesquelles ils sont perpétrés, sur les types d’armes en cause, sur la façon dont ces armes atteignent le marché illicite, et sur le rôle des armes volées dans les activités criminelles.