Armes à feu, décès accidentels, suicides et crimes violents : recherche bibliographique concernant surtout le Canada
- 10.1 La possession d’armes à feu au Canada
- 10.2 Aperçu des décès et blessures par balle
- 10.3 Le suicide au moyen d’une arme à feu
10. Conclusion
Comme le lecteur pourra le constater, une somme considérable de recherches ont été effectuées au cours de la période sur laquelle porte le présent examen. Ces recherches ont permis de marquer des progrès, en clarifiant certaines questions et en se penchant sur des sujets jusqu’alors mal connus; il n’en subsiste pas moins plusieurs lacunes dans notre connaissance du rôle que jouent les armes à feu dans les décès accidentels et les suicides ainsi que dans les crimes de violence. En ce qui a trait à notre compréhension de ces phénomènes dans le contexte canadien, d’aucuns soutiennent que, puisque les recherches disponibles ont dans une large partété effectuées aux États-Unis, leurs conclusions ne sauraient être directement valables dans le contexte canadien. Ces recherches ont néanmoins permis des constatations utiles d’ordre général, que nous résumons d’ailleurs brièvement ci-après. Nous avons en outre tenté de faire ressortir les aspects qu’il serait justifié d’explorer dans l’avenir et dont l’examen pourrait contribuer à faire avancer la recherche sur les armes à feu.
10.1 La possession d’armes à feu au Canada
Au Canada, on compte actuellement au moins sept millions d’armes à feu, dont quelque 1,2 million d’armes de poing, pour un taux global d’à peu près 241 armes à feu par 1 000 habitants. Des évaluations d’ensemble, fondées sur un certain nombre d’études, établissent à environ 26 p. 100 la proportion de foyers canadiens qui possèdent des armes à feu. La réalisation de sondages, tant au Canada qu’à l’étranger, s’est révélée la meilleure façond’évaluer la présence des armes à feu et les caractéristiques entourant leur utilisation. Étant donné que les recherches par sondage visent normalement à produire des évaluations approximatives et que les services de statistique officielle ne recueillent pas toujours tous les renseignements voulus, le nombre total d’armes à feu au Canada est difficile à établir avec précision. Si on a souvent tendance à présumer que la situation sur le plan de la répartition des armes à feu est assez stable et qu’elle n’a pas tellement changé au cours de la dernière décennie dans notre pays, la collecte régulière de données pourrait nous aider à établir ce qu'il en est vraiment. Avec les années, le système universel d’enregistrement des armes à feu nous permettra peut-être de nous faire une meilleure idée du stock d’armes à feu appartenant à des Canadiens en toute légalité.
Des études menées récemment à l’échelle internationale nous ont permis d’établir des comparaisons avec d’autres pays concernant la possession d’armes à feu. Le pourcentage de ménages possédant des armes à feu varie considérablement d’un pays à l’autre. Une comparaison entre divers pays occidentaux a permis de constater que 48 p. 100 des foyers américains possédaient au moins une arme à feu, alors que le taux canadien se situait dans la moyenne, à 22 p. 100.
Au Canada, la chasse demeure le principal motif qui incite les gens à se procurer une arme à feu, alors que ceux qui disent posséder une arme à feu avant tout pour se protéger sont encore très peu nombreux. Nous savons que la façon dont les armes à feu se répartissent dans notre pays varie selon les régions, et que les propriétaires d’armes à feu légales sont le plus souvent de sexe masculin et résident dans les petites localités. Il faudrait pousser la recherche pour mieux connaître comment les propriétaires d’arme à feu utilisent leur arme. D’autres recherches pourraient également nous renseigner sur la provenance des armes à feu légales, ainsi que sur le nombre, le type et l’origine des armes à feu disponibles sur les marchés illégaux.
10.2 Aperçu des décès et blessures par balle
En 1995, on a enregistré 1 125 cas de blessures mortelles causées par des armes à feu, ce qui représente un taux de 3,8 par 100 000 habitants. Quatre-vingts pour cent de ces décès ont été classés comme suicides, 12,4 p. 100 comme homicides, et 4,3 p. 100 comme accidents. Le taux de blessures mortelles d’arme à feu a constamment décliné depuis 1978, et il a atteint en 1995 son plus bas niveau depuis au moins 25 ans.
Des recherches récentes sur le nombre total de décès par balle dans 29 pays ont permisd’établir certaines comparaisons sommaires à l’échelle internationale. Les États-Unis avaient un des taux les plus élevés d’utilisation d’armes à feu à mauvais escient, alors que le Canada faisait partie d’un important groupe de pays se situant dans la moyenne. Le Japon avait affiché des taux considérablement inférieurs à la moyenne en ce qui a trait aux décès causés par des armes à feu.
On ne dispose actuellement d’aucune donnée nationale fiable sur le nombre de blessures d’arme à feu non mortelles. Cette lacune peut avoir une incidence sur notre capacité de tirer des conclusions valables, puisque les recherches sont fondées sur les seules données relatives aux blessures mortelles. Même si la majorité des blessures causées par des armes à feu ne sont pas mortelles, on doit reconnaître que la possibilité qu’une blessure devienne mortelle ou non dépend parfois de facteurs autres que l’incident lui-même. La poursuite des recherches et la cueillette de nouvelles données nous permettraient sans doute de mieux comprendre le rôle que jouent les armes à feu dans les incidents occasionnant des blessures.
Les comptes rendus de recherche font abondamment état des blessures mortelles d’arme à feu, du lien présumé entre la présence d’armes à feu et leur potentiel meurtrier, ainsi que de la présence générale des armes à feu dans la société. Il s’agit là d’une question complexe, puisqu’il se pourrait qu’on ne puisse comprendre l’existence d’un tel lien qu’en examinant différents types d’incidents séparément. Les données disponibles demeurent cependant limitées et ne permettent de tirer que des conclusions provisoires.
La présente recherche bibliographique de même que la recherche antérieure ont tous deux cerné les questions relatives aux blessures d’arme à feu; à ce jour, les chercheurs n’ont abordé ces questions que de manière insatisfaisante. La plupart du temps, le succès des efforts de recherche a été entravé par le manque de données disponibles et par l’absence de mécanismes appropriés de suivi des incidents.
Il y aurait plusieurs façons de remédier à ce manque fondamental de données, bien que la plupart d’entre elles soient potentiellement onéreuses et puissent exiger un effort important et concerté de la part des secteurs de la santé et de la justice pénale. D’après les recherches qui ont été effectuées jusqu’à maintenant et en nous fondant sur l’expérience d’autres pays, nous sommes d’avis qu’il faudrait que nous nous dotions d’un système national complet de suivi des incidents liés aux armes à feu pour pouvoir être en mesure de fournir une réponse crédible et qui fait autorité à la plupart des questions concernant la prévention des accidents d’arme à feu.
10.3 Le suicide au moyen d’une arme à feu
À 80 p. 100, le suicide est la principale cause de décès occasionné par l’utilisation d’une arme à feu au Canada. Le pourcentage de suicides par balle semble avoir diminué au cours des deux dernières décennies. En 1995, moins du quart des quelque 4 000 suicides commis au Canada l’avaient été au moyen d’une arme à feu. L’arme à feu utilisée pour s’enlever la vie était généralement un fusil de chasse plutôt qu’une arme de poing. Le suicide est plus fréquent dans les régions urbaines, mais le pourcentage de suicide par balle est généralement plus faible dans les régions urbaines que dans les régions rurales. Les hommes sont plus susceptibles de se suicider que les femmes, et ils se suicident avec une arme à feu dans une proportion bien plus forte que les femmes. Le pourcentage de suicides par balle, tant chez les hommes que chez les femmes, varie considérablement d’une région à l’autre et est associé, entre autres choses, à la disponibilité des armes à feu. La facilité relative d’accès aux moyens culturellement acceptables de se suicider n’est qu’un des nombreux facteurs qui influent sur les choix que fait celui qui envisage le suicide, y compris fort possiblement sur sa décision de passer à l’acte ou non.
Il est possible que la réglementation et les restrictions en vigueur au Canada concernant les armes à feu aient contribué à prévenir certains suicides par balle. On ne peut toutefois établir avec certitude dans quelle mesure cette contribution a été effective. D’après ce qu’on peut observer actuellement, l’expérience canadienne semble fournir certaines preuves que la réglementation des armes à feu peut avoir un effet significatif sur les taux de suicide par balle sans nécessairement se traduire par une réduction du niveau de possession d’armes à feu.
Les caractéristiques des suicides par balle diffèrent de celles de toutes les autres formes de suicide et nécessitent une attention plus pointue de la part des chercheurs. Par exemple, certaines recherches ont démontré que le rôle joué par l’alcool et les drogues n’est pas le même dans le cas des suicides commis avec une arme à feu que dans d’autres types de suicide. La nature des troubles mentaux en cause peut également avoir une incidence sur le choix du mode de suicide.
L’utilisation d’une arme à feu pour tenter de se suicider est une option particulièrement efficace et mortelle. Les recherches confirment en effet que le taux de létalité des armes à feucomme moyen de se suicider est plus élevé que celui de tout autre moyen de suicide. Étant donné qu’il est impossible de restreindre l’accès à plusieurs des moyens possibles de se suicider, certains auteurs font ressortir l’importance de conjuguer diverses mesures préventives. Les recherches démontrent à l’évidence que certains suicides par balle pourraient être prévenus, mais il faudrait effectuer des recherches additionnelles pour établir quels genres d’incidents peuvent être effectivement prévenus et pour préciser par quels moyens au juste on pourrait y parvenir.
Dans l’ensemble, les observations découlant des divers travaux de recherche indiquent que plusieurs facteurs interviennent dans le choix d’un mode de suicide. Le lien entre l’accessibilité des armes à feu et leur utilisation effective comme moyen de se suicider est complexe. Pour bien comprendre le rôle que jouent les différents déterminants situationnels par rapport aux autres facteurs dans la décision de se suicider, il importe en outre d’examiner aussi bien les tentatives de suicide réussies que celles qui ont avorté. Malheureusement, peu d’études ont jusqu’à ce jour pris soin de se pencher sur cet aspect. Certaines conclusions de recherche indiquent que les tentatives réussies de suicide sont souvent précédées de tentatives non réussies, notamment chez les adolescents. Par conséquent, les efforts de recherche pourraient également être axés sur les cas où il y a eu tentatives répétées de suicide et sur le rôle des déterminants situationnels dans de tels cas.
On n’est pas encore parvenu à bien cerner les facteurs personnels et situationnels susceptibles d’influencer la décision du sujet en ce qui touche le choix du mode de suicide. En restreignant l’accessibilité à certains moyens de commettre un suicide, on pourrait influer sur certaines formes de comportements et peut-être même prévenir certains suicides. Il importe toutefois de poursuivre les recherches pour pouvoir préciser comment, dans quelles circonstances et pour quelles catégories de tentatives de suicide cela pourrait s’avérer. Jusqu’à maintenant, les études ne se sont penchées que par ricochet sur la question des autres modes de suicide, en considérant presque exclusivement les tentatives réussies de suicide, ce qui n’a permis d’observer qu’un aspect du tableau. Néanmoins, la question du choix ou de la substitution d’un mode de suicide dans le contexte des efforts visant à réduire l’accessibilité à certains moyens, comme les armes à feu, est manifestement une question qui nécessiterait une attention plus poussée. Il faudra vraisemblablement examiner de plus près les liens entre l’accessibilité aux divers moyens et le choix d’un moyen en particulier dans le cas des tentatives de suicide tant réussies que non réussies, y compris comment ce choix évolue d’une tentative à l’autre.
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