Contexte législatif : Projet de loi C-7 : Réponse législative du gouvernement du Canada à la décision Truchon de la Cour supérieure du Québec

Partie III – Mesures de sauvegarde pour l’AMM

Mesures de sauvegarde actuelles

En vertu des dispositions actuelles du Code criminel, avant qu’un médecin ou un infirmier praticien puisse fournir l’AMM à une personne, il doit s’assurer que les mesures de sauvegarde ci-après ont été respectées (paragraphe 241.2(3) du Code criminel) :

Les modifications proposées au Code criminel créeraient deux séries de mesures de sauvegarde, chacune s’appliquant selon que la mort de la personne est raisonnablement prévisible ou non. Plus précisément, le projet de loi propose d’utiliser le critère de « mort naturelle raisonnablement prévisible » (MNRP) afin de déterminer quelle série de mesures de sauvegarde s’appliquerait à une personne qui demande l’AMM. Ce critère servirait aussi à établir si une personne ayant été jugée admissible à l’AMM peut consentir à l’avance à recevoir l’AMM dans le cas où elle aurait perdu sa capacité décisionnelle avant la date de la procédure (« entente de consentement préalable » - voir la Partie IV ci-après). Le critère de la MNRP ne s’appliquerait plus comme critère d’admissibilité à l’AMM, lequel pourrait avoir pour effet d’empêcher une personne d’avoir accès à l’AMM.

L’interprétation de l’expression « MNRP »

L’évaluation de la MNRP doit être effectuée au cas par cas, par rapport à la personne spécifique qui demande l’AMM, et doit considérer l’ensemble de la situation médicale individuelle et unique de la personne. La MNRP n’est pas limitée à ceux qui ont une maladie mortelle, mais peut découler de la combinaison de plusieurs facteurs pertinents à la situation médicale globale d’une personne.

L’expression MNRP vise à exiger un lien temporel, mais flexible, entre l’ensemble de la situation médicale de la personne et son décès anticipé. Le déclin d’une personne vers la mort peut se faire selon des trajectoires plus ou moins prévisibles. Ainsi, l’expression MNRP n’est pas définie par un pronostic maximum ou minimum, mais nécessite un lien temporel avec la mort dans le sens où la personne approche de la fin de sa vie à court terme.

Il est difficile de prévoir l’espérance de vie d’une personne, et son estimation clinique devient encore plus difficile plus l’on s’attend à ce que le décès soit éloigné. De nombreuses personnes ayant reçu l’AMM selon les critères d’admissibilité actuels qui exigent la MNRP avaient une espérance de vie de quelques semaines ou quelques mois. Le décès d’une personne peut également être prévisible, au sens temporel, sur de plus longues périodes, selon les circonstances particulières considérées. Cependant, le fait d’être atteint d’une maladie qui entraînera la mort dans plusieurs années ne permettrait pas normalement de satisfaire à la condition de la MNRP.

La MNRP laisse place au jugement clinique tout en maintenant un lien temporel avec la fin de vie d’une personne. Il s’agit d’un terme utile et significatif dans le contexte de l’AMM.

Modifications proposées aux mesures de sauvegarde – Deux séries de mesures de sauvegarde

La première série de mesures de sauvegarde continuerait d’être adaptée aux personnes dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible, auquel cas les risques sont moindres et les sources de souffrances sont fort probablement liées au processus de mort lui-même. La deuxième série de mesures de sauvegarde serait adaptée aux personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible, auquel cas les erreurs ont des conséquences plus graves (par ex., la prestation de l’AMM à une personne qui aurait pu devenir plus à l’aise avec sa condition médicale ou découvrir un traitement qui soulage ses souffrances). Le projet de loi propose des mesures de sauvegarde additionnelles pour contrer les risques élevés associés aux diverses sources de souffrances et de vulnérabilité susceptibles d’amener une personne dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible à demander l’accès à l’AMM, notamment la solitude ou l’isolement, le manque de soutien adéquat et le désespoir. De telles sources de souffrances et de vulnérabilité peuvent être atténuées dans une certaine mesure.

Modifications proposées aux mesures de sauvegarde – Mort naturelle raisonnablement prévisible

Dans le cas des personnes dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible, il est proposé d’assouplir certaines des mesures de sauvegarde. Les modifications proposées exigeraient que les demandes d’AMM soient faites devant un témoin indépendant plutôt que deux, et permettraient aux personnes qui sont rémunérées pour fournir des services de soins de santé ou des soins personnels à la personne qui demande l’AMM, en tant que profession ou occupation, d’agir en qualité de témoins indépendants. Il est également proposé d’abroger la période obligatoire de réflexion de dix jours.

Exigence relative aux témoins

Les deux modifications proposées à l’exigence relative aux témoins visent à répondre aux préoccupations exprimées par les professionnels de la santé et d’autres intervenants lors des tables rondes, selon lesquelles il est difficile pour de nombreuses personnes de trouver deux témoins indépendants, ce qui constitue un obstacle à l’accès à l’AMM. Le premier changement faciliterait l’accès à l’AMM en n’exigeant qu’un seul témoin indépendant au lieu de deux. La présence d’un seul témoin indépendant constitue une mesure de sauvegarde adéquate puisque le témoin n’atteste que de la signature et de la date de la demande d’AMM et qu’il ne joue aucun rôle dans l’évaluation de l’admissibilité ou l’application d’autres mesures de sauvegarde.

Le deuxième changement permettrait aux personnes qui sont rémunérés pour fournir des services de soin de santé ou des soins personnels, comme profession ou occupation, d’agir en qualité de témoins indépendants, ce qui n’est actuellement pas permis. Ces personnes font probablement partie du nombre limité de contacts personnels qu’une personne résidant dans un établissement de soins peut avoir. On peut raisonnablement s’attendre à ce que les personnes qui sont rémunérées pour fournir des services de soins de santé ou des soins personnels et qui ont choisi la prestation de soins comme profession ou occupation puissent agir à titre de témoin en toute intégrité et objectivité, et soient guidées par les intérêts de la personne qui fait la demande d’AMM, plutôt que par des motifs personnels, affectifs ou d’autres fins intéressées.

Il serait encore interdit à ces personnes d’agir en qualité de témoins si elles sont bénéficiaires de la succession testamentaire de la personne qui fait la demande ou si elles reçoivent un avantage pécuniaire de la mort de cette personne (en vertu de l’alinéa 241.2(5)a)). Il est entendu qu’il serait encore interdit à tout fournisseur de soins médicaux qui participe à l’évaluation de l’admissibilité de la personne à l’AMM ou à la prestation de l’AMM d’agir en qualité de témoin indépendant.

Période de réflexion de dix jours

Dans le cadre des tables rondes tenues en vue d’étayer la réponse du gouvernement à la décision Truchon, les participants ont exprimé un énorme soutien à l’égard de la suppression de la période de réflexion de dix jours. Les fournisseurs de soins de santé et d’autres experts ont indiqué que, selon leur expérience, les patients qui demandent l’AMM le font après mûre réflexion, souvent sur une longue période. À leur avis, la période d’attende de dix jours a souvent entraîné une prolongation des souffrances des patients parce que ceux-ci refusaient de prendre des médicaments afin de conserver leur aptitude à consentir à l’AMM (cette préoccupation est également abordée par le changement proposé visant à permettre la renonciation de l’exigence du consentement final – voir la Partie IV sur le consentement préalable). La suppression proposée de la période de réflexion de dix jours ne viserait que les personnes dont la mort est raisonnablement prévisible.

La série complète des mesures de sauvegarde qui s’appliqueraient à une personne dont la mort est raisonnablement prévisible figure à l’Annexe B.

Mesures de sauvegarde nouvelles et clarifiées : Mort naturelle non raisonnablement prévisible

Dans le cas des personnes dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible, les mesures de sauvegarde seraient fondées sur les mesures existantes, avec certains changements, ajouts et clarifications. L’exigence voulant que la demande écrite d’AMM soit faite devant des témoins indépendants serait assouplie (décrite ci-dessus), et les mesures de sauvegarde nouvelles et clarifiées (présentées ci-après), conçues pour appuyer une prise de décision pleinement éclairée par les personnes demandant l’AMM dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible, s’appliqueraient.

Période obligatoire d’évaluation de 90 jours (nouvelle mesure)

La première nouvelle mesure de sauvegarde pour les personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible exigerait qu’une période d’au moins quatre-vingt-dix jours soit consacrée aux évaluations de son admissibilité à l’AMM. Cette période pourrait être plus courte si les praticiens procédant à l’évaluation jugent que la perte de capacité de la personne est imminente, mais seulement s’ils sont en mesure de terminer les évaluations dans une période plus courte.

Cette mesure de sauvegarde proposée viserait à répondre aux défis et préoccupations additionnels susceptibles de se présenter dans le contexte des évaluations de l’admissibilité à l’AMM pour les personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible, notamment la question de savoir si les souffrances sont causées par des facteurs autres que la condition médicale, et celle de savoir s’il existe des moyens d’apaiser la souffrance à part l’AMM. L’exigence d’une période d’au moins quatre-vingt-dix jours aux fins de telles évaluations viserait à garantir qu’une période suffisamment longue soit consacrée à l’examen de tous les aspects pertinents de la situation de la personne, notamment la question de savoir s’il existe des traitements ou des services susceptibles de contribuer à atténuer les souffrances de la personne, tels que des services de consultation psychologique, des services de soutien en santé mentale et aux personnes handicapées, des services communautaires et des soins palliatifs.

Deuxième évaluation par un médecin possédant une expertise (nouvelle mesure)

La deuxième nouvelle mesure de sauvegarde exigerait que l’une des deux évaluations obligatoires de l’admissibilité soit effectuée par un médecin possédant une expertise en ce qui concerne la condition à l’origine des souffrances de la personne. La participation d’un praticien possédant une expertise en ce qui concerne la condition médicale à l’origine des souffrances de la personne permettrait de s’assurer que toutes les options de traitements ont été cernées et examinées, tout en évitant la nécessité de la participation d’un spécialiste, ce qui pourrait constituer un obstacle dans les régions éloignées et rurales où il peut y avoir peu de spécialistes.

Renseignements sur les services de soutien disponibles (clarification du consentement éclairé)

Un troisième changement viserait à clarifier le consentement éclairé, en vue d’exiger expressément que la personne soit informée des services de consultation psychologique, des services de soutien en santé mentale, des services de soutien aux personnes handicapées, des services communautaires et des soins palliatifs et qu’il lui ait été offert de consulter les professionnels compétents. En tant que bonne pratique médicale, la plupart des médecins examinent déjà les services de soutien appropriés et les traitements disponibles dans le cadre des discussions qu’ils ont avec leurs patients; cette mesure de sauvegarde proposée permettrait de renforcer l’importance de ces discussions. Ce changement appuierait également la dernière nouvelle exigence (décrite ci-dessous).

Des moyens raisonnables de soulager les souffrances ont été sérieusement envisagés (clarification du consentement éclairé)

Le dernier changement aux mesures de sauvegarde serait une clarification du consentement éclairé qui exigerait que la personne et le médecin s’accordent sur le fait que des moyens raisonnables pour soulager les souffrances de la personne ont été discutés et sérieusement envisagés avant que l’AMM ne puisse être fournie. Aux termes de cette mesure de sauvegarde, le médecin serait tenu d’examiner avec le patient les options raisonnables de traitements et être convaincu que la personne a pleinement exploré et évalué les risques et les avantages des options de traitements disponibles. Parallèlement, le patient ne serait pas tenu de subir un traitement qu’il jugerait inacceptable.

La série complète des mesures de sauvegarde qui s’appliqueraient aux personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible figure à l’Annexe B.