1. Discours d’ouverture

Chambre des communes

Projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi sur les juges

Comité permanent de la justice et des droits de la personne

Discours d’ouverture

Ministre de la Justice et procureur général du Canada

Novembre 2022

C’est pour moi un honneur d’être ici aujourd’hui pour vous parler du projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi sur les juges. Je profite d’ailleurs de l’occasion pour vous remercier de votre soutien unanime à ce projet de loi en deuxième lecture. Comme vous le savez, ce projet de loi réforme le processus servant à traiter les plaintes contre des juges de nomination fédérale. La rigueur et l’efficacité du processus disciplinaire applicable aux juges peuvent avoir une incidence importante sur l’indépendance de la magistrature. Cette législation rendra le processus disciplinaire de la magistrature plus efficace et rentable.

Cette législation est le fruit de plusieurs années d’études et d’analyses minutieuses, qui ont inclus des consultations auprès de la communauté juridique et du grand public, ainsi que de nombreux échanges avec le Conseil canadien de la magistrature et l’Association canadienne des juges des cours supérieures. À mon avis, le processus disciplinaire que le projet de loi C-9 prévoit pour la magistrature serait digne de devenir une référence mondiale, et il servirait exceptionnellement bien les intérêts de la population canadienne pendant de nombreuses années.

Nous avons besoin d’une magistrature rigoureusement indépendante, capable de rendre des jugements sans crainte de représailles. Parallèlement, la population canadienne exige à juste titre que les juges soient assujettis à de hautes exigences de professionnalisme. En 1971, lorsque le Parlement a édicté la Loi sur les juges, la responsabilité de traiter les plaintes contre des juges a été confiée au Conseil canadien de la magistrature, ou « CCM ». La Loi sur les juges détermine les éléments clés d’un processus qui a su servir les intérêts de la population pendant des décennies. Cependant, le cadre législatif a manifesté des lacunes de plus en plus marquées au cours des dernières années, ce qui a amené un nombre grandissant d’intervenants à demander au Parlement d’agir. Le CCM lui-même fait partie de ces intervenants.

Consultation du public et de la magistrature

En élaborant ses réformes, le gouvernement a examiné attentivement la rétroaction du public, obtenue au moyen d’un sondage en ligne, et celle d’un certain nombre d’intervenants clés du milieu juridique, dont l’Association du Barreau canadien et la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada ainsi que les provinces et les territoires. Nous avons fait preuve d’une grande écoute, et nous tenions à élaborer un processus qui inspirerait confiance au public et serait aussi rigoureux qu’équitable, tout en fonctionnant de façon prompte et efficace.

Selon les principes constitutionnels, un juge ne peut pas être révoqué tant que sa conduite n’a pas été examinée dans le cadre d’une audience dirigée par d’autres juges. Comme je l’ai mentionné, le Parlement a confié cette tâche importante au CCM. Pour cette raison, les responsables de mon ministère ont eu des discussions soutenues avec le CCM, pour veiller à ce que la présente proposition législative puisse bénéficier des 50 ans d’expérience du Conseil dans la tenue du processus d’examen en la matière. Des responsables du ministère ont aussi consulté l’Association canadienne des juges des cours supérieures afin de bien comprendre ses préoccupations relativement à la réforme du processus. Je profite d’ailleurs de l’occasion pour remercier à la fois le CCM et l’Association pour les discussions à ce sujet, et pour leur engagement à travailler dans l’intérêt de la population canadienne.

Lacunes

Je souhaite maintenant souligner deux préoccupations particulièrement importantes. L’une est l’efficacité. Tel qu’il existe, le processus prend trop de temps et coûte trop cher. Bien sûr, la Constitution exige de traiter les plaintes contre des juges avec rigueur et sensibilité. Par contre, lorsque la résolution des plaintes s’étend sur des années, à grands frais pour les contribuables, la population est en droit de se demander s’il n’y aurait pas une meilleure façon de procéder.

Parmi les exemples les plus éloquents, on peut mentionner la multiplication des contrôles judiciaires que l’on a pu constater au cours des dernières années relativement à certaines plaintes, ce qui a donné l’impression que les juges visés intentent toutes sortes de recours surtout pour gagner du temps, et pas nécessairement pour défendre des intérêts juridiques légitimes. Le projet de loi C-9 répond directement à cette préoccupation en rendant le processus beaucoup plus efficace.

Une deuxième préoccupation concerne le « tout ou rien » du processus actuel, qui vise à répondre à cette seule question : la plainte justifie-t-elle la révocation du juge? Aucune autre sanction n’est possible, et c’est un fait qui déteint sur chaque étape du processus. Il y a là un risque d’iniquité pour les juges visés par des plaintes, qui peuvent se trouver à subir un vaste procès pour une conduite qui aurait plutôt justifié des sanctions de moindre ampleur. De plus, la confiance du public dans le processus risque d’en souffrir. Les membres du public peuvent être perplexes et insatisfaits à juste titre lorsque des plaintes sont rejetées parce que la conduite reprochée n’atteignait pas un seuil de gravité assez élevé pour justifier la révocation.

Le projet de loi C-9 répond à cette préoccupation en permettant, pour la première fois, l’imposition de sanction pour des fautes qui ne justifient pas la révocation, mais qui exigent néanmoins une forme de réparation et des comptes à rendre. Par exemple, il pourrait s’agir d’imposer des séances de formation.

Le temps alloué pour cette allocution ne me donne pas le temps d’y aborder toutes les améliorations proposées par ce projet de loi. Pour le moment, permettez-moi de souligner trois améliorations clés.

Premièrement, l’accroissement de la transparence par la participation de membres non-juristes. Le processus actuel confère un rôle limité aux membres non-juristes, c’est-à-dire les personnes qui ne sont ni des juges ni des avocats. Il y a actuellement une personne non-juriste parmi les cinq membres des comités d’examen.

Le projet de loi C-9 change cela. Les comités d’examen continueraient d’inclure un membre non-juriste, mais ils seraient plus efficaces : ils ne compteraient que trois membres et seraient habilités à imposer des sanctions pour les fautes dont la gravité ne suffirait pas à justifier la révocation. En outre, il y aurait désormais aussi un membre non-juriste au sein des comités d’audience, formés pour tenir les audiences publiques visant à déterminer si le juge visé devrait être révoqué. Ces améliorations répondent directement aux lacunes actuelles du système, augmentent l’efficacité et permettent une responsabilisation plus appropriée et ciblée.

Le deuxième point à souligner concerne le fait que le projet de loi C-9 simplifie le processus d’appel. Dans le cadre du processus actuel, le juge visé par une plainte a trop d’occasions de demander le contrôle judiciaire des décisions du Conseil, à différentes étapes. Le tout peut donc devenir très coûteux, entraîner des délais excessifs et miner la confiance du public. Qui plus est, une fois que le comité d’enquête a formulé sa recommandation à savoir si le juge devrait être révoqué, le processus actuel exige que la décision soit examinée par un organe que l’on appelle le « conseil plénier », auquel doivent participer au moins 17 membres du CCM pour que le quorum soit atteint. Les pouvoirs de cet organe ne sont pas clairement établis, et on a constaté avec le temps que la prise d’une décision juridique par un organe de cette taille pouvait s’avérer difficile.

Pour y remédier, le projet de loi C-9 prévoit l’instauration d’un mécanisme d’appel au sein même du processus disciplinaire de la magistrature. Le comité d’appel, qui compterait jusqu’à trois membres du CCM et deux juges puînés, aurait de vastes pouvoirs qui lui permettraient de pallier les lacunes du processus, et le juge visé qui voudrait contester la décision de ce comité aurait un seul recours possible, à savoir présenter directement une demande d’autorisation d’appel auprès la Cour suprême du Canada. Le fait de confier le rôle de supervision à la Cour suprême renforcera la confiance du public, en plus d’éviter une longue succession de contrôles judiciaires devant des tribunaux de différents niveaux. Le nouveau processus amènera des économies de temps et d’argent, tout en demeurant très équitable pour les juges visés par des plaintes.

Le troisième et dernier point à souligner porte sur les coûts liés au processus. Les coûts liés à la gestion des plaintes au quotidien sont assez constants et prévisibles, et ce serait encore le cas dans le cadre du nouveau processus. Cependant, les coûts associés aux comités d’enquête sont très variables et imprévisibles, étant donné la variabilité du nombre d’enquêtes publiques d’une année à l’autre. Par conséquent, les administrateurs doivent s’appuyer sur des mécanismes complexes pour obtenir le financement nécessaire selon le cas. C’est un problème de longue date que le projet de loi C-9 viendrait résoudre en instaurant un crédit législatif comme mécanisme de financement stable pour la tenue d’audiences publiques, qui constituent une portion très variable des coûts du processus.

Non seulement il s’agirait d’une solution pratique, mais ce serait aussi justifié par le fait que ces audiences publiques sont constitutionnellement requises. Dans le but d’assurer la gestion responsable des fonds en question, le projet de loi prévoit plusieurs mesures, dont la tenue d’un examen indépendant tous les cinq ans pour vérifier le bien-fondé de tous les frais que le crédit législatif aura servi à payer. Les conclusions et les recommandations de cet examen seraient rendues publiques.

Conclusion

Je vous remercie du temps et de l’attention que vous m’avez accordés aujourd’hui. Je recommande ce projet de loi sans hésiter, sachant qu’il améliorera profondément le processus disciplinaire de la magistrature au bénéfice de la population canadienne. Je me ferai un devoir de répondre à vos questions.

Merci.