1. Discours d’ouverture
Projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi sur les juges
Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles
Ministre de la Justice et procureur général du Canada
Mars 2023
Mesdames et Messieurs les membres du Sénat,
C’est pour moi un plaisir et un véritable honneur d’être ici aujourd’hui pour vous parler du projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi sur les juges. Comme vous le savez, ce projet de loi vise à réformer le processus servant à traiter les plaintes contre des juges de nomination fédérale.
La magistrature canadienne jouit d’une réputation d’excellence et d’intégrité qui est sans pareille et bien méritée. Les allégations d’inconduite visant des juges sont rares, et celles assez graves pour justifier une éventuelle révocation le sont encore plus. Il n’en demeure pas moins que notre système de justice a besoin d’un processus efficace pour l’examen de ces allégations, même si elles sont peu nombreuses. L’efficacité à cet égard contribue à préserver un des piliers de la primauté du droit : la confiance du public dans l’intégrité de la justice.
En 1971, lorsque le Parlement a édicté la Loi sur les juges, la responsabilité de traiter les plaintes contre des juges a été confiée au Conseil canadien de la magistrature, ou « CCM ». Indiscutablement, le CCM s’acquitte de cette responsabilité de façon exemplaire depuis plus de 50 ans. On peut dire sans exagérer que, sans son engagement indéfectible à cet égard, notre situation ne serait pas aussi enviable qu’elle est aujourd’hui, en ce sens que nous bénéficions d’une excellente magistrature en laquelle le public a confiance.
En revanche, le CCM est particulièrement bien placé pour confirmer que le cadre législatif établissant le processus a fini par manifester d’importantes lacunes. Ces lacunes ont pris de l’ampleur au cours des dernières années, et elles risquent maintenant de miner la confiance non seulement à l’égard du processus, mais aussi à l’égard de la magistrature elle-même. Il est donc nécessaire d’y remédier.
La solution à ces lacunes se trouve dans le projet de loi à l’étude aujourd’hui. Le projet de loi C-9 propose un ensemble de réformes qui ont pour objet de remédier globalement aux lacunes du processus actuel. J’ai bon espoir que ce projet de loi viendra instaurer un processus disciplinaire de la magistrature qui servira exceptionnellement bien les intérêts de la population canadienne pendant des décennies.
Avant de passer en revue quelques-uns de ses aspects clés, je tiens à souligner que le projet de loi C-9 est le fruit d’un rigoureux processus d’élaboration stratégique qui a fait suite à des consultations tout aussi rigoureuses, menées notamment auprès du Conseil canadien de la magistrature, de l’Association canadienne des juges des cours supérieures, de l’Association du Barreau canadien, de la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada ainsi que des provinces et des territoires. Les membres du grand public ont aussi été invités à y prendre part au moyen d’un document de consultation en ligne sollicitant des observations au sujet d’un document de travail détaillé.
Il est fondamental de préciser que ce projet de loi bénéficie de leur appui unanime. Si je dis que c’est « fondamental », c’est parce que, d’une part, l’Association canadienne des juges des cours supérieures se fait le porte-voix des préoccupations quotidiennes des juges de nomination fédérale de tout le pays. Et d’autre part, le CCM est non seulement l’organisme qui gère l’actuel processus disciplinaire de la magistrature depuis plus d’un demi-siècle, mais c’est aussi celui qui gérera le processus proposé dans ce projet de loi.
Ce projet de loi a aussi été appuyé par tous les partis à la Chambre des communes. Le Comité de la justice a étudié le projet de loi et n’y a apporté que deux modifications mineures, créant des exigences de motifs écrits lorsqu’une plainte est rejetée aux deux premières étapes du processus. Je noterais qu’il s’agit déjà d’une pratique courante pour le CCM, donc simple à mettre en œuvre.
J’ai évoqué les lacunes du processus actuel. Maintenant, permettez-moi de décrire à grands traits les quatre principales préoccupations en la matière, et comment le projet de loi C-9 propose de les résoudre.
Premièrement, l’efficacité : le processus actuel prend trop de temps et coûte trop cher. La Constitution exige à juste titre de traiter les plaintes contre des juges de façon rigoureuse et équitable. Par contre, lorsque la résolution des plaintes s’étend sur des années et comporte de longues contestations judiciaires qui entraînent de grands frais pour les contribuables, la population est en droit de se demander s’il y aurait une meilleure façon de procéder. Nous avons, dans un passé récent, vu cette situation plus d’une fois.
Le projet de loi C-9 résout directement cette préoccupation en rendant le processus beaucoup plus efficace. Le fonctionnement actuel, où le contrôle judiciaire des décisions du CCM passe par des tribunaux de plusieurs niveaux, sera remplacé par un processus d’appel simplifié, qui se conclura par un droit de présenter une demande de pourvoi à la Cour suprême du Canada. Il est tout à fait approprié de confier la supervision à la Cour suprême, étant donné que ce sont des juges qui siégeront aux comités d’audience et aux comités d’appel du CCM, et que, en pratique, le fonctionnement de ces instances sera comparable à celui des tribunaux de première et de deuxième instance dans le système judiciaire habituel. Ces réformes amèneront un juste équilibre entre l’objectif principal de simplifier le processus et la nécessité d’un fonctionnement équitable pour les juges.
Deuxièmement, une des lacunes du processus actuel découle du fait qu’il est conçu pour répondre à cette seule question : la plainte justifie-t-elle la révocation du juge? Pour les cas d’inconduite moins graves, aucune sanction ne peut être imposée directement; une sanction n’est possible que si le juge concerné accepte de s’y soumettre.
Le projet de loi C-9 répond à cette préoccupation en donnant le pouvoir d’imposer des sanctions qui exigent néanmoins une forme de réparation et des comptes à rendre. Les sanctions possibles comprennent par exemple les réprimandes officielles et l’obligation de suivre une thérapie ou de participer à de la formation continue.
Troisièmement, le projet de loi C-9 vise à favoriser la confiance du public à l’égard du processus en augmentant la participation de non-juristes. Le processus actuel n’accorde qu’un rôle très limité aux non-juristes : il prévoit la participation d’un seul membre non juriste, et à une seule étape du processus – qui consiste à déterminer s’il faut tenir des audiences publiques concernant la conduite du juge visé.
La rétroaction obtenue dans le cadre des consultations publiques a permis de constater que la participation accrue des non-juristes fait l’objet d’un fort appui. Les non-juristes participeront à deux étapes du processus. Ils seront membres des comités d’examen, qui seront responsables d’imposer les sanctions pour les cas d’inconduite de moindre gravité. Ils seront aussi membres des comités d’audience pléniers, qui tiendront des audiences publiques pour les cas les plus graves et feront leurs recommandations au ministre de la Justice quant à savoir si le juge en cause devrait être révoqué.
Enfin, le financement du processus actuel est très difficile à prévoir dans le cadre du cycle budgétaire ordinaire. C’est dû au fait que les coûts des audiences publiques à tenir pour déterminer si un juge doit être révoqué peuvent être beaucoup plus important que les coûts modestes liés à la gestion du processus au quotidien.
Le projet de loi C-9 propose de résoudre ce problème en prévoyant que les coûts étroitement liés à ces audiences publiques soient prélevés directement sur le Trésor. Pour assurer la surveillance de ces coûts et l’application de contrôles financiers appropriés, un examen indépendant de tous ces coûts et des contrôles en question sera effectué tous les cinq ans, et les résultats seront rendus publics. C’est une solution qui établit un équilibre judicieux entre la nécessité de superviser la façon dont les fonds publics sont utilisés et celle d’assurer un financement stable de ce processus essentiel.
Ce ne sont que les améliorations les plus notables que le projet de loi C-9 propose d’apporter au processus disciplinaire de la magistrature. Il y en a bien d’autres, mais je n’irai pas plus loin pour le moment, car il faut garder du temps pour les questions et la discussion. Permettez-moi simplement de conclure par cette remarque : je suis convaincu que le Canada a le système de justice le plus robuste du monde, et c’est en bonne partie parce que nous avons la magistrature la plus exceptionnelle et la plus engagée qui soit. Cela découle de notre engagement soutenu et de nos efforts continus visant à préserver l’intégrité de nos institutions, et à maintenir l’indépendance et la robustesse de notre pouvoir judiciaire. Le projet de loi C-9 fait partie de ces efforts continus, et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions à cet égard.
Merci.
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