4. Document d’information sur la Charte

Document d’information sur la Charte : Règlement et décret d’application de la Loi sur les mesures d’urgence en février 2022

Le Comité mixte spécial sur la déclaration de situation de crise examine l’exercice des attributions découlant d’une déclaration de situation de crise en vigueur du lundi 14 février 2022 au mercredi 23 février 2022. Les membres du Comité mixte spécial ont posé des questions sur la façon dont les mesures prises par le gouvernement en application de la Loi sur les mesures d’urgence étaient conformes à la Charte canadienne des droits et libertés (Charte). Plus précisément, ces questions portent le Règlement sur les mesures d’urgences (RMU) et le Décret sur les mesures économiques d’urgence (DMEU).

Le RMU et le DMEU ont été examinés afin de vérifier s’ils étaient compatibles avec la Charte, conformément à l’article 3 de la Loi sur les textes réglementaires.

Compte tenu de l’importance de l’étude menée par le Comité mixte spécial et des questions que les membres ont posées, le ministre de la Justice a préparé le document d’information suivant sur la Charte. Le document d’information indique les effets potentiels du RMU et du DMEU sur les droits et libertés garantis par la Charte. Il explique également les considérations qui appuient la constitutionnalité des mesures.

Le présent document d’information a pour objet de fournir de l’information juridique au public et aux membres du Parlement. Il ne s’agit pas d’un exposé détaillé de toutes les considérations possibles relatives à la Charte. Le document d’information n’est pas un avis juridique.

Aperçu

Un exposé écrit des motifs de la déclaration d’état d’urgence du 14 février 2022 a été déposé aux deux chambres du Parlement en application du paragraphe 58(1) de la Loi sur les mesures d’urgenceNote de bas de page 1. Ce document fournit le contexte factuel des considérations énoncées dans le présent document d’information.

1. Interdiction de participer à certaines assemblées publiques et mesures connexes (RMU)

Le paragraphe 2(1) du RMU stipule qu’il est interdit de participer à une assemblée publique dont il est raisonnable de penser qu’elle aurait pour effet de troubler la paix en entravant gravement le commerce ou la circulation des personnes ou des biens, en entravant le fonctionnement des infrastructures essentielles ou en favorisant l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens.

Dans la mesure où les activités définies constituent de la violence, des menaces de violence ou des assemblées qui ne sont pas pacifiques, elles ne sont pas protégées par la Charte. L’alinéa 2b) de la Charte protège la liberté d’expression, qui, selon les tribunaux, ne s’étend pas à la violence ou aux menaces de violence. L’alinéa 2c) de la Charte protège la liberté de réunion pacifique qui, par définition, ne protège pas les assemblées qui ne sont pas pacifiques.

Dans la mesure où la disposition restreint l’expression non violente ou la réunion pacifique, elle limite les libertés garanties par les alinéas 2b) et c) de la Charte. L’article 1 de la Charte autorise ces limites si elles sont prescrites par une règle de droit et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Les considérations suivantes appuient la justification.

Le paragraphe 2(1) du RMU avait pour objet de dissuader la participation et de mettre fin aux blocages existants et d’empêcher la formation de nouveaux blocages illégaux. La disposition visait clairement les assemblées publiques qui étaient susceptibles d’entraîner trois préjudices précis, notamment a) l’entrave grave au commerce ou à la circulation des personnes ou des biens, b) l’entrave au fonctionnement des infrastructures essentielles ou c) la promotion de l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens. Cette disposition n’interdit pas d’autres assemblées publiques ou autres moyens d’exprimer le même message ou un autre message. L’interdiction était limitée dans le temps et ne s’appliquait que pendant que le RMU était en vigueur, soit lorsque les blocages étaient en cours ou lorsque le risque de nouveaux blocages était élevé.

Les dispositions à l’appui du RMU comprenaient l’interdiction de faire participer une personne âgée de moins de dix-huit ans à une assemblée interdite ou de déplacer une personne âgée de moins de dix-huit ans, à destination ou à moins de 500 mètres de la zone où se tient une assemblée interdite (paragraphes 2(2) et 4(2)), l’interdiction aux étrangers d’entrer au Canada avec l’intention de participer à une assemblée interdite ou de faciliter une telle assemblée (paragraphe 3(1)), l’interdiction de se déplacer à destination ou à l’intérieur d’une zone où se tient une assemblée interdite (paragraphe 4(1)), et l’interdiction d’utiliser, de réunir, de rendre disponibles ou de fournir des biens – ou d’inviter une autre personne à le faire – pour participer à toute assemblée interdite ou faciliter une telle assemblée ou pour en faire bénéficier une personne qui participe à une telle assemblée ou la facilite (article 5).

Les dispositions à l’appui contribuaient à réaliser l’objet du paragraphe 2(1) du RMU de décourager les personnes de participer aux blocages existants, de mettre fin à ces blocages et d’empêcher la formation de nouveaux blocages illégaux. En particulier, les paragraphes 2(2), 3(1), 4(1) et 4(2) avaient pour but d’empêcher la participation de personnes supplémentaires aux assemblées interdites ou le rassemblement d’un plus grand nombre de personnes à proximité de celles-ci et comprenaient des exceptions, le cas échéant, pour permettre des déplacements qui n’augmentaient pas la participation aux assemblées interdites. L’article 5 avait pour but de perturber la fourniture de biens aux assemblées interdites, ainsi que le financement de celles-ci, en vue de mettre fin aux blocages existants et d’empêcher la formation de nouveaux blocages. En limitant les actes qui permettent d’offrir un soutien matériel à une activité expressive, l’article 5 pouvait limiter la liberté d’expression. Une telle limite était justifiée par son objectif d’appuyer le paragraphe 2(1) et son champ d’application étroit, soit la participation à une assemblée interdite ou la facilitation d’une telle assemblée.

2. Infractions pour non-respect des interdictions (RMU)

Une contravention au RMU était une infraction passible d’emprisonnement. Ainsi, le RMU met potentiellement en jeu le droit à la liberté garanti par l’article 7 de la Charte qui protège contre l’atteinte à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, sauf si l’atteinte est faite en conformité aux principes de justice fondamentale. Les dispositions pertinentes sont conformes aux principes de justice fondamentale, notamment les principes contre le caractère arbitraire, la portée excessive et la disproportion totale. Une mesure législative est arbitraire lorsqu’elle a des répercussions sur les droits garantis par l’article 7 d’une façon qui n’a aucun lien rationnel avec l’objet de la mesure. Une loi d’une portée excessive touche les droits garantis à l’article 7 en ce sens que, bien que généralement rationnelle, elle va trop loin en interdisant certains actes qui n’ont aucun lien avec la réalisation de l’objectif législatif. Une mesure législative est totalement disproportionnée lorsque ses effets sur les droits garantis à l’article 7 sont si sévères qu’ils sont « sans rapport aucun » avec l’objet de la loi.

Comme il est décrit ci-dessus, les interdictions et l’infraction correspondante ont été créées dans le but de mettre fin aux blocages et d’empêcher la formation de nouveaux blocages illégaux. L’interdiction visée à l’article 5 du RMU d’utiliser ou de rendre disponibles des biens pour participer à une assemblée interdite ou pour faciliter une telle assemblée avait également pour but de perturber l’appui et le financement dont disposaient les assemblées interdites en vue d’y mettre fin et d’empêcher la formation de nouvelles assemblées. Sur déclaration de culpabilité, un juge aura le pouvoir discrétionnaire d’imposer une peine adaptée et appropriée.

3. Obligation de cesser les opérations et mesures connexes (articles 2 et 3 du DMEU)

Le DMEU a établi les mesures financières d’urgence temporaires associées à la déclaration d’état d’urgence en application de la Loi sur les mesures d’urgence. L’article 2 du DMEU exigeait que les fournisseurs de services financiers canadiens cessent de traiter les opérations portant sur les biens appartenant aux personnes qui participaient aux activités interdites au titre des articles 2 à 5 du RMU (« personnes désignées » ) et cessent de fournir des services à ces personnes. Au titre de l’article 3 du DMEU, il incombait aux fournisseurs de services financiers canadiens de vérifier de façon continue si des biens qui étaient en leur possession ou sous leur contrôle appartenaient à des personnes désignées. Une fois qu’une personne cessait de participer à une activité interdite par le RMU, elle n’était plus une personne désignée et l’obligation de cesser les opérations à son égard ne s’appliquait plus.

L’article 8 de la Charte protège contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives. L’objectif de l’article 8 est de protéger les gens contre une intrusion abusive de l’État lorsqu’il y a une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée. La fouille, la perquisition ou la saisie sera raisonnable si elle est autorisée par la loi, si la loi elle-même est raisonnable (en ce qu’elle établit un juste équilibre entre les droits à la vie privée et l’intérêt de l’État), et si elle est effectuée de façon raisonnable.

Les dispositions du DMEU ne constituaient pas une saisie au sens de l’article 8 de la Charte. L’article 8 n’a pas été interprété comme protégeant, en soi, les droits de propriété. La confiscation ou le blocage de biens par le gouvernement sera une « saisie » au sens de l’article 8 seulement lorsque cette confiscation porte atteinte aux droits à la vie privée d’une personne, comme, par exemple, lorsque le gouvernement confisque ou bloque des biens dans le cadre d’une enquête administrative ou criminelle. Les dispositions du DMEU n’étaient pas de cette nature. L’obligation de cesser les opérations au titre de l’article 2 était imposée dans le but d’encourager les personnes à cesser de participer aux activités illégales, et non dans le but de favoriser la réalisation d’une enquête administrative ou pénale ou d’une poursuite. L’obligation de cesser les opérations ne s’appliquait que tant que les personnes participent aux activités interdites.

L’obligation de cesser les opérations ne mettait pas en jeu le droit à la sécurité de la personne garanti à l’article 7 de la Charte, qui ne protège généralement pas les droits économiques ni les droits de propriété. L’obligation de cesser les opérations était temporaire et ne s’appliquait que tant que la personne participait aux activités interdites. Les mesures en application du DMEU ne donnaient pas lieu à la privation complète et efficace d’un moyen de subsistance. Conformément à l’objectif de mettre fin aux assemblées interdites et d’empêcher la formation de nouvelles assemblées, les personnes ont pu retrouver l’accès à leurs biens une fois qu’elles ont cessé de participer aux activités interdites.

4. Obligation de communication (articles 4 à 6 du DMEU)

Les articles 4 à 6 du DMEU définissent les pouvoirs de collecte et de communication de renseignements à l’appui des mesures financières d’urgence temporaires. L’article 4 du DMEU étendait certaines exigences de déclaration en vertu de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (LRPCFAT) aux plateformes de financement participatif et aux fournisseurs de services de paiement connexes si des biens qui étaient en leur possession ou sous leur contrôle appartenaient à des personnes désignées. Plus précisément, l’article exigeait que ces entités s’inscrivent après du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) et qu’elles déclarent les opérations douteuses et les opérations de grande valeur au CANAFE lorsque les critères juridiques applicables établis dans le DMEU, la LRPCFAT et son règlement ont été satisfaits. Au titre de la LRPCFAT, le CANAFE doit communiquer les renseignements désignés qu’il reçoit aux organismes énumérés dans cette loi, y compris les organismes chargés de l’application de la loi, selon le critère du soupçon raisonnable. Cette communication est limitée aux renseignements désignés dans la LRPCFAT.

L’article 5 a créé l’obligation pour les fournisseurs de services financiers canadiens de communiquer certains renseignements au commissaire de la Gendarmerie royale du Canada ou au directeur du Service canadien du renseignement de sécurité. En particulier, ils devaient communiquer l’existence des biens qui étaient en leur possession ou sous leur contrôle appartenant à une personne qui participait aux blocages, ou toute transaction mettant en cause de tels biens.

L’article 6 autorisait la communication de renseignements par une institution fédérale, provinciale ou territoriale aux fournisseurs de services financiers canadiens. L’institution divulgatrice devait être convaincue que la communication aiderait à l’application du DMEU. Ainsi, les organismes chargés de l’application de la loi avaient le droit de communiquer des renseignements qui pourraient aider les fournisseurs de services financiers à identifier des personnes désignées potentielles, afin de les aider à s’acquitter de leurs obligations au titre de l’article 2. Le DMEU ne modifiait pas les obligations actuelles des fournisseurs de services financiers canadiens prévues par la loi en ce qui a trait à la protection des renseignements personnels.

La collecte et la communication de renseignements sur les personnes qui participent aux assemblées interdites, y compris leurs opérations financières et leurs biens, peuvent mettre en jeu l’article 8 de la Charte parce qu’il s’agit de renseignements que les personnes puissent s’attendre à ce qu’ils demeurent confidentiels.

Les dispositions qui permettent la collecte et communication de renseignements sont conformes à l’article 8. Les pouvoirs de collecte et de communication de renseignements contenus dans le DMEU étaient des mesures limitées dans le temps et proportionnées adoptées en réponse aux circonstances extraordinaires qui ont donné lieu à la déclaration d’état d’urgence en application de la Loi sur les mesures d’urgence. Les exigences en matière d’inscription et de déclaration prévues à l’article 4 s’appliquaient aux entités qui pourraient être vulnérables aux activités de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme. Ces obligations étaient conformes aux normes et aux critères établis par la LRPCFAT. L’article 5 du DMEU, qui prévoyait l’obligation de communiquer des renseignements sur des biens ou des opérations, limitait les entités auxquelles l’obligation s’appliquait, et l’obligation n’était applicable que lorsque l’entité avait lieu de croire que les biens qui étaient en sa possession ou sous son contrôle appartenaient à des personnes désignées. Le pouvoir de communiquer des renseignements aux fournisseurs de services financiers au titre de l’article 6 du DMEU ne pouvait être utilisé que dans les cas où l’institution divulgatrice était convaincue que la communication aiderait à l’application du DMEU. Le pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 6 devait être exercé en conformité avec la Charte.