La prostitution chez les jeunes – incidence de la violence familiale : analyse documentaire

4. Ouvrages en sciences sociales : Aperçu des conclusions et des débats

4. Ouvrages en sciences sociales : Aperçu des conclusions et des débats

L’analyse des ouvrages en sciences sociales révèle plusieurs questions et thèmes au sujet des conséquences de la prostitution chez les jeunes. Le présent chapitre examine ces thèmes et fait ressortir les principaux débats et constatations des chercheurs.

4.1 Antécédents des jeunes prostitués : violence familiale et implication subséquente dans le commerce du sexe

Afin de comprendre pourquoi certains jeunes se livrent à la prostitution, les chercheurs ont examiné les antécédents familiaux et l’histoire des jeunes prostitués, y compris leur situation socioéconomique, leurs études, leur expérience de travail et les facteurs psychologiques. Dans ces ouvrages, un sujet de recherche important est le rapport qui existe entre la dysfonction familiale (cest-à-dire la toxicomanie au sein de la famille, la violence sexuelle, physique et psychologique) et le fait de se prostituer par la suite. À la fin des années 1970 et au début des années 1980, plusieurs études réalisées aux États-Unis ont porté sur les expériences sexuelles vécues par les jeunes prostitués pendant leur enfance. La comparaison faite par James et Meyerding (1977; voir également Vitaliano, James et Boyer, 1981) entre les prostitués et les non-prostitués a montré que bien des prostitués ont été victimes de violence sexuelle lorsqu’ils étaient enfants, ce qui a engendré une identité sexuelle fondée sur la violence et amené certains jeunes à pratiquer le commerce du sexe.

Silbert et Pines (1981, 1982 et 1983) ont rédigé plusieurs articles dans lesquels elles ont établi un lien positif entre la violence sexuelle subie pendant la petite enfance et la décision ultérieure de se prostituer. Elles ont demandé à 200 prostituées et ex-prostituées de la région de la Baie de San Francisco de remplir un questionnaire sur les agressions sexuelles qu’elles avaient subies. Selon les données, 60 % des répondantes avaient été victimes d’exploitation sexuelle pendant leur enfance et toutes les répondantes avaient subi des agressions physiques et psychologiques. Bon nombre (2/3) des répondantes avaient été agressées sexuellement par une figure paternelle, et la plupart ont déclaré que l’exploitation sexuelle vécue lorsqu’elles étaient enfants avait influé sur leur décision de se prostituer.

Dans ses travaux de recherche sur la prostitution des adolescents, garçons et filles, Weisberg (1985) a constaté que bon nombre de prostitués avaient été victimes de violence physique et sexuelle dans leur famille pendant leur enfance. En outre, bien des jeunes hommes et des jeunes filles avaient fait une fugue pour quitter un milieu familial violent. Une fois dans la rue, ces jeunes ont été exposés à diverses conditions qui les ont décidés à se prostituer.

4.2 Travaux de recherche canadiens sur les antécédents des jeunes prostitués

Au Canada, les travaux du Comité Badgley (1984) ont soulevé les premiers des interrogations au sujet des rapports entre la violence sexuelle et le fait de se prostituer. Le Rapport Bagley a lancé un important débat sur la présence et la nature du lien entre la violence sexuelle pendant l’enfance et la prostitution (voir la section 3.0 pour les détails).

Contrairement au Comité Badgley, les auteurs de plusieurs études canadiennes ont signalé des niveaux élevés de violence sexuelle pendant l’enfance chez les prostitués de la rue (voir, par exemple, Gemme et coll., 1984; Lowman, 1984; Bagley et Young, 1987; Earls et David, 1990). Bagley et Young (1987) ont tenté de reproduire les recherches de Silbert et Pines sur le rapport entre la violence sexuelle subie pendant l’enfance et le fait de se prostituer par la suite. Ils ont donc comparé les entrevues réalisées avec 45 ex-prostitués et les résultats d’un groupe de non-prostitués qui ont participé à une étude sur la santé mentale (y compris un deuxième groupe de référence de 40 femmes tiré de l’étude sur la santé mentale qui ont déclaré avoir été victimes de violence sexuelle pendant leur enfance). Bagley et Young ont conclu que les ex-prostitués étaient plus susceptibles d’être issus d’un milieu familial où il y avait des problèmes d’alcool, de la violence physique et psychologique ainsi que de l’exploitation sexuelle. Les ex-prostitués étaient plus portés aussi à avoir tenté de se suicider et à présenter une mauvaise santé mentale et une piètre estime de soi.

Earls et David (1990) ont mené des entrevues auprès de prostitués, hommes et femmes, ainsi que de non-prostitués pour comparer leurs premières expériences familiales et sexuelles. Selon leurs résultats, il y a un rapport entre l’« interaction sexuelle avec un membre de la famille » et le fait de se prostituer. « D’après nos résultats, il semblerait donc qu’il existe peut-être un lien étroit entre la probabilité de commencer à se prostituer et le fait de quitter le milieu familial à un âge précoce, d’avoir été victime de violence sexuelle et, dans le cas des hommes, d’avoir des préférences homosexuelles » (Earls et David, 1990, p. 10).

Certains chercheurs ont remis en question la nature et la présence du lien entre les actes de violence sexuelle subis pendant l’enfance et le fait de se prostituer. Van Brunschot et Brannigan (1992 — document inédit) ont réalisé des entrevues approfondies auprès des 18 prostituées adultes et ont administré un questionnaire à un groupe témoin de 95 nouveaux étudiants de collèges préuniversitaires et d’universités. Les auteurs n’ont pas constaté d’écarts importants entre les deux groupes sur le plan de la violence sexuelle vécue pendant l’enfance. Les coefficients les plus élevés concernaient le casier judiciaire, les fugues, le fait d’avoir des enfants, la violence physique et les arrangements familiaux non traditionnels.

Brannigan et Fleischman (1989) ont contesté le point de vue thérapeutique selon lequel les jeunes prostitués ont été victimes de violence sexuelle pendant leur enfance. Après avoir passé en revue les données nationales sur les poursuites, ils ont soutenu que les jeunes ne représentent qu’une minorité des personnes qui se livrent à la prostitution. Ils estimaient aussi que les recherches sur le rapport entre la violence sexuelle, physique et psychologique et le fait de se prostituer sont entachés d’incohérences méthodologiques et idéologiques. Pour étayer leur argument, ils ont examiné deux études sur les fugueurs au Canada (Fisher, 1989; Ufeldt et Nimmo, 1987) qui minimisent le lien entre la violence subie pendant l’enfance et le fait de quitter le milieu familial à un âge précoce et de se livrer à la prostitution. Lowman (1989) a contesté la thèse de Brannigan et Fleischmann en soulignant qu’une majorité de prostitués avaient commencé à se livrer au commerce du sexe avant d’avoir 18 ans. Une interprétation différente des données permettrait de conclure que les prostitués avaient vécu davantage de violence physique et sexuelle au sein de leur famille durant l’enfance que les autres.

Brannigan et Van Brunschot (1997) ont convenu que certains jeunes prostitués avaient fait une fugue à cause de la violence physique et sexuelle qui régnait dans leur milieu familial. Cependant, ils ont fait valoir que les données sont incohérentes et contradictoires en ce qui concerne la présence et la nature du lien entre la violence sexuelle subie pendant l’enfance et le fait de se prostituer. Ils ont fait remarquer qu’il est plus important d’aborder la situation de délinquance que vit un jeune après avoir fait une fugue que de chercher des traumatismes et des perturbations psychiatriques non observables. Par ailleurs, Nandon, Koverola et Schluderman (1998) ont interviewé (à l’aide du questionnaire sur les agressions sexuelles de Silbert) 45 adolescentes prostituées et 37 adolescentes non prostituées. Leurs résultats ont confirmé ceux d’études antérieures qui faisaient état de violence physique et sexuelle subie pendant l’enfance, de violence dans la famille, de problèmes de toxicomanie et de piètre estime de soi chez les prostituées. Cependant ces facteurs ne permettaient pas d’établir une distinction entre les prostituées et les non-prostituées. Les auteurs ont également constaté que les prostituées avaient fait une fugue plus souvent que les non-prostituées (il s’agissait donc d’un processus pouvant mener à la prostitution, et non d’un lien de cause à effet).

4.3 La prostitution masculine chez les jeunes

Certaines études soulignent l’existence d’une dynamique importante chez les jeunes hommes qui se prostituent. À l’instar des études sur la prostitution féminine, les ouvrages sur la prostitution masculine chez les jeunes donnent à penser que ceux-ci ont fait une fugue parce qu’ils fuyaient la violence physique et sexuelle de leur milieu familial (Janus, Burgess et McCormack, 1987; Tremble, 1993; Earls et David, 1989 et 1990). Les travaux de recherche de Tremble sur les jeunes homosexuels de la rue ont révélé que la majorité des répondants provenaient de milieux familiaux violents ou de familles d’accueil. Earls et David (1989 et 1990) ont constaté que, par rapport aux groupes témoins, les prostitués avaient subi plus de violence physique et sexuelle pendant leur enfance et qu’ils avaient été témoins de plus de violence entre leurs parents, de plus d’abus de l’alcool et d’autres drogues chez les membres de leur famille et qu’ils étaient plus portés à dire qu’ils avaient vécu leur première expérience sexuelle avec un partenaire masculin. Janus, Burgess et McCormack (1987) ont constaté que les fugueurs masculins avaient été plus souvent victimes de violence sexuelle et physique que les populations masculines d’un échantillon aléatoire.

Les ouvrages révèlent également plusieurs caractéristiques propres au commerce du sexe masculin. Weisberg (1985) a fait remarquer que beaucoup d’adolescents prostitués avaient des préférences homosexuelles (voir également Earls et David, 1989; Price, Scanlon et Janus, 1984). Selon plusieurs ouvrages, nombre de jeunes prostitués ont fait une fugue en raison des sentiments antihomosexuels ou homophobes de la société (par exemple, famille, amis, école) (voir Kruks, 1991 et Visano, 1987) – ils étaient essentiellement ridiculisés et ostracisés à cause de leurs préférences homosexuelles (Comité Badgley, 1984). À cet égard, les attitudes discriminatoires des membres de la « bonne société » [en dehors de la prostitution] ont incité certains jeunes hommes à se réfugier dans la rue, où des facteurs conjoncturels ont contribué à leur décision de se prostituer.

4.4 Questions psychologiques

Certains chercheurs mettent laccent sur le développement psychologique des jeunes prostitués et l’impact psychologique de la pratique du commerce du sexe. Coleman (1989) a constaté que l’interruption du développement psychosexuel et psychologique des adolescents de sexe masculin peut contribuer à leur participation à des activités de prostitution destructrices et contraires à l’épanouissement du moi. Selon Dorais (1996), certaines victimes masculines de violence sexuelle subie pendant leur enfance pourraient se livrer à une prostitution agressive pour détourner leur revanche contre le véritable agresseur. Bartek, Krebs et Taylor (1993) ont mené des entrevues auprès de 20 jeunes contrevenants prostitués, de 20 jeunes contrevenants non prostitués et de 20 sujets témoins. On leur a posé des questions inspirées de l’Entrevue sur le jugement moral (EJM) ainsi que du test d’adaptation et de défense de Joffe et Naditch. Les contrevenants qui affichaient un faible taux d’adaptation avaient un jugement moral moins développé au sujet du dilemme de la prostitution qu’au sujet des dilemmes moins pertinents sur le plan personnel de l’EJM, ce qui dénote la présence d’un lien entre le raisonnement moral et le jugement moral.

Les ouvrages de psychologie présentent des renseignements importants sur l’incidence à court et à long terme de la prostitution chez les jeunes. Toutefois, ils ne tiennent pas compte des variables structurelles non négligeables qui poussent un jeune vers le commerce du sexe. Afin de combler cette lacune, certains chercheurs ont fait appel à des variables psychologiques et sociologiques : Edney (1988 et 1990) a soutenu que les jeunes prostitués qui avaient été victimes de violence sexuelle pendant leur enfance avaient subi une perte grave d’estime de soi et affichaient un piètre état physique et mental; elle décrit le processus menant à la prostitution en s’attardant à l’influence de la structure sociale (c’est-à-dire les facteurs culturels, les stéréotypes sexuels, les écoles familiales, les structures d’emploi, etc.) sur la vie, le comportement et les choix du jeune. Selon Edney (1990), [Traduction]« la violence sexuelle et les réactions des victimes à la violence sexuelle ont amené les jeunes filles à se prostituer. »

4.5 Les jeunes itinérants ou fugueurs qui se livrent à la prostitution

Les facteurs liés à la violence physique et sexuelle subie pendant l’enfance, les questions psychologiques et l’orientation sexuelle ne peuvent pas expliquer entièrement comment certains jeunes en viennent à se prostituer. Les ouvrages sur les jeunes itinérants et les fugueurs nous aident également à comprendre pourquoi les jeunes s’adonnent au commerce du sexe. Plusieurs variables conjoncturelles liées à la fugue et à l’itinérance incitent certains à se prostituer.

Nombre de jeunes qui font une fugue (comme il est mentionné plus haut, souvent pour quitter un milieu familial où règne la violence physique et sexuelle) peuvent se réfugier dans la rue à cause de l’attrait qu’elle exerce et du désir d’obtenir de l’argent et leur indépendance (Michaud, 1988). Cependant, une fois dans la rue, certains de ces jeunes peuvent se livrer à la prostitution pour subsister. Weisberg (1985) a constaté que bien des adolescents n’avaient ni l’instruction ni les compétences professionnelles nécessaires pour gagner leur vie, ce qui les a décidés à se prostituer. Sullivan (1986) en est arrivé à la même conclusion et a fait remarquer qu’en raison des difficultés rencontrées dans la rue, la prostitution devenait une option valable pour certains jeunes, c’est-à-dire qu’ils devaient se prostituer pour obtenir de l’argent, un logement et de la drogue. Michaud (1988) a souligné que les problèmes liés à l’itinérance (comme le chômage) incitaient certains jeunes à se prostituer pour toucher un revenu.

Webber (1991) a mené des entrevues approfondies auprès de personnes et d’ex-personnes de la rue dans diverses villes canadiennes. Ses recherches ont révélé que bien des jeunes avaient fait une fugue pour quitter un milieu familial violent et s’étaient réfugiés dans la rue avant de se livrer à la prostitution pour survivre. L’auteure a accusé le système de justice pénale de ne pas tenir compte des conditions dexistence des jeunes sans abri alors que des organismes sous-financés se débattent pour offrir des services essentiels à ces jeunes – à une époque où la pauvreté s’aggrave et où le filet de sécurité sociale s’amenuise.

John Hagan et Bill McCarthy sont les coauteurs de plusieurs études sur les liens entre la vie dans la rue et la participation à des activités criminelles (voir Hagan et McCarthy, 1992 et 1997; McCarthy et Hagan, 1991, 1992 et 1995; McCarthy, 1990 et 1995). Ils conviennent que les expériences négatives vécues dans le milieu familial incitent un jeune à faire une fugue; cependant, ils soulignent que les difficultés et les conditions liées à la vie dans la rue constituent une variable importante qui fait tomber un jeune dans la criminalité. Trois thèmes principaux ressortent des études de Hagan et McCarthy : 1) une situation familiale perturbatrice pousse certains jeunes à faire une fugue; 2) une fois dans la rue, en raison des conditions associées à l’itinérance, les jeunes sont incités à commettre des crimes, c’est-à-dire que la faim les force à voler de la nourriture et que la prostitution découle des problèmes de chômage et du manque de logement; 3) la culture de la rue produit des réseaux criminels – les jeunes de la rue établissent une relation d’élève à maître avec des mentors, ce qui accroît leur participation au crime et à la délinquance.

Les facteurs liés à l’itinérance et à la pauvreté chez les jeunes nous permettent de mieux comprendre encore comment certains en arrivent à se prostituer. Toutefois, les ouvrages sur l’itinérance et les fugues ne devraient pas faire fi de l’importance des variables structurelles sociales qui sont responsables en partie du commerce du sexe chez les jeunes. De fait, la prostitution des jeunes résulte d’une structure de pouvoir de base sur le sexe qui alimente la demande de services sexuels par les hommes et contribue à la pauvreté des jeunes prostitués (Lowman, 1992). Par conséquent, il faut transformer la prostitution en supprimant les conditions sociales qui font de la prostitution un choix acceptable pour certains jeunes (Brock, 1998; Sullivan, 1992).

4.6 Diverses questions internationales

Les études internationales mettent en lumière plusieurs questions relatives à la prostitution chez les jeunes. Des travaux ont porté sur les précurseurs de la prostitution chez les jeunes dans divers pays et cultures (par exemple, voir Adedoyin et Adegoke, 1995; Damgaard, 1995; Hwang, 1995; Udegbe et Fajimolu, 1992). D’autres explorent les conditions de vie des jeunes prostitués dans les grands centres urbains. Firme, Grinder et Barreto (1991) décrivent le lien entre la prostitution chez les adolescents au Brésil et la dépression économique. Inciardi (1989 et 1991) a examiné le phénomène de l’échange de services sexuels contre du crack dans les villes américaines. Certains chercheurs jettent un regard critique sur les réponses à la prostitution chez les jeunes : Pawar (1991) souligne par exemple comment les dispositions législatives destinées à prévenir l’exploitation sexuelle des enfants et des femmes en Inde n’ont pas arrêté la prolifération du commerce du sexe.

4.7 Études concernant les clients

Il existe relativement peu d’études sur les clients. Le petit nombre de recherches effectuées à ce sujet a été attribué aux données inadéquates qui existent sur la demande dans le commerce du sexe (la police a toujours mis l’accent sur les activités des prostitués, et ses dossiers reflètent cet état de fait) et à la perception générale selon laquelle les clients ne veulent pas accorder d’entrevues et sont peu portés à répondre à des sondages (Lowman, Atchison et Fraser, 1996, p. 4).

Les travaux de recherche limités portant sur les clients révèlent que les hommes qui achètent les services sexuels des prostitués désirent une rencontre sexuelle brève et non compliquée (Gemme et coll., 1984, cités dans Lowman, Atchison et Fraser, 1996; voir également McLeod, 1982) ou ils recherchent des actes sexuels spéciaux et veulent garder secrète la nature transactionnelle de l’interaction (McKeganey et Barnard, 1996). D’après des études canadiennes récentes réalisées par Lowman, Atchison et Fraser (1996), l’âge moyen des clients de l’échantillon était de 34 ans, la majorité étaient des citoyens canadiens de race blanche et la plupart occupaient des emplois manuels. En règle générale, les données sur la demande (masculine) dans le commerce du sexe demeurent une lacune frappante dans les ouvrages en sciences sociales.

4.8 Questions relatives au VIH

Le rapport entre les activités liées à la prostitution et le VIH (virus de limmunodéficience humaine) continue de susciter l’intérêt des chercheurs. Selon plusieurs études internationales, les jeunes de la rue des quartiers défavorisés s’adonnent à des activités qui risquent fortement de les exposer au VIH (relations sexuelles non protégées, partenaires sexuels multiples, utilisation de drogues injectables), de sorte qu’on y favorise le recours à des programmes d’éducation et de prévention pour réduire les taux d’infection (Inciardi, Pottieger, Forney, Chitwood et McBride, 1991; Pennbridge, Freese et MacKenzie, 1992; Pleak et Meyer-Bahlburg, 1990; Raffaelli, Campos, Merrit, Siquera, Antunes, Parker, Greco et Halsey, 1993; Sullivan, 1996). Jackson et Highcrest (1996) et Jackson, Highcrest et Coats (1992) ont constaté que l’infection au VIH chez les prostitués qui ne consomment pas de drogues était absente ou faible. Il importe quand même d’offrir aux prostitués des programmes d’intervention et de prévention en matière de VIH qui distinguent les besoins des prostitués de la rue et ceux des autres prostitués. Brock (1989) juge inacceptable que les prostitués deviennent des boucs-émissaires parce qu’on les accuse de propager le VIH : en effet, peu de prostitués sont séropositifs et la plupart (sauf les jeunes femmes et les jeunes hommes qui viennent de commencer à se prostituer) ont adopté des pratiques sexuelles sans risque.

4.9 Discours et concepts

À la section 1.1 du présent rapport, nous avons décrit les débats qui entourent la définition et le sens de la prostitution chez les jeunes. Cependant, plusieurs articles transcendent ces débats pour examiner les questions liées aux discours et aux concepts qui influent sur la manière dont nous interprétons la participation des jeunes au commerce du sexe.

Sullivan (1992) s’est attardé à la question suivante : « Qui bénéficie des réformes du droit axées sur la violence sexuelle (dont la prostitution) à lendroit des adolescents? » Il fait valoir que notre réponse à la violence sexuelle faite aux enfants est conceptualisée en fonction d’un État providence professionnel et libéral. Le discours du Rapport Badgley, confirmé par la réforme législative, a tracé la voie à la réglementation du comportement sexuel des adolescents et des familles dans le contexte de la professionnalisation des relations sociales et familiales et a ouvert la porte à la reproduction sociale des familles afin qu’elles consomment les services produits par des professionnels d’aide dans l’économie postindustrielle.

Brock (1998) procède à une analyse critique de l’interprétation qui fait de la prostitution chez les jeunes un problème social; les travaux du Comité Badgley ont aidé à redéfinir la prostitution chez les jeunes comme étant de la violence sexuelle à l’endroit des enfants. Le Comité Badgley a mis de lavant la nécessité d’étendre le « droit pénal et les services sociaux » même si l’on peut mettre en doute le bien-fondé de ces mesures pour répondre aux besoins des jeunes prostitués. Brock fait une mise en garde : légiférer davantage pour contrôler la prostitution ne sert qu’à punir ceux qui se livrent au commerce du sexe. Il y a lieu plutôt améliorer les conditions sociales qui font de la prostitution un choix acceptable pour certaines femmes et certains jeunes. Bittle (1999) abonde dans le même sens que Brock en faisant valoir que la prostitution chez les jeunes a été redéfinie comme étant de la violence sexuelle à l’endroit des enfants. L’auteur a procédé à 32 entrevues qualitatives auprès de divers employés du système de justice pénale, de professionnels des services sociaux et de représentants du gouvernement de la Colombie-Britannique pour examiner la véracité des énoncés associés au paragraphe 212(4) du Code criminel (qui interdit d’acheter ou de tenter d’acheter les services sexuels d’un jeune). Il a conclu que les efforts déployés pour appliquer le paragraphe 212(4) ont été accélérés par la notion voulant que la prostitution chez les jeunes constitue de la violence et de l’exploitation d’ordre sexuel. Ce cadre discursif renforce l’appropriation, par l’État et les services sociaux, de la question de la prostitution chez les jeunes.

Pheterson (1996) soutient que les stratégies sociales et juridiques utilisées pour intervenir dans la vie des jeunes de la rue ont fait en sorte qu’on persiste à considérer cette population comme des « non-citoyens hors-la-loi » qui sont « jetables, indignes et inférieurs ». Elle fait valoir que les discours protectionnistes sont des euphémismes pour remplacer le mot « contrôle » : le contrôle se dissimule sous des termes comme « protection », « prévention », « réadaptation » et « réinsertion sociale » des « victimes », mais le message se résume toujours à l’interdiction de l’autodétermination. Comme le soutient Biesenthal (1993), notre capacité de comprendre la prostitution chez les adolescentes est limitée par une théorie biaisée à l’égard des jeunes qui pratiquent le commerce du sexe et par notre incapacité de donner la possibilité aux jeunes femmes de faire connaître leur expérience en tant que personnes et non en tant que sujets d’étude.