Harcèlement criminel : Guide à l'intention des policiers et des procureurs de la Couronne

Partie 3 : Les règles de droit

3.1 Interdiction concernant le harcèlement criminel

Comme il est mentionné à la partie 1.2, « Historique des mesures législatives sur le harcèlement criminel », les dispositions sur le harcèlement criminel ne sont en vigueur que depuis 1993. Un facteur important dans l'adoption rapide de l'article 264 était la préoccupation croissante du personnel de la justice pénale du fait que les dispositions du Code criminel ne pouvaient saisir adéquatement l'acte de « harcèlement criminel », que l'on reconnaissait de plus en plus souvent comme une forme sérieuse de violence contre les femmes.

La nécessité pour le droit pénal d'évoluer et de faire face aux nouvelles formes de comportement criminel, notamment le harcèlement criminel, a été reconnu expressément par la juge L'Heureux Dubé dans Hinchey, [1996] 3 RCS 1128 :

La notion de criminalité n'est donc pas statique, mais évolue considérablement avec le temps. Au fur et à mesure qu'une société évolue, les catégories de comportements qui peuvent être considérés comme criminels changent aussi. Il existe une myriade d'activités différentes qui, à une certaine époque, étaient considérées comme licites et qui sont maintenant considérées comme criminelles. L'infraction de harcèlement criminel en est un exemple patent. Pendant de nombreuses années, on ne considérait pas que le fait de suivre constamment une personne et de lui faire craindre pour sa sécurité constituait un acte criminel tant et aussi longtemps qu'il n'y avait aucun contact. Un changement important est survenu depuis l'ajout de l'art. 264 du Code, qui prévoit qu'un tel comportement constitue un acte criminel.

3.2 Dispositions du Code criminel

Harcèlement criminel

Actes interdits
Peine
Circonstance aggravante
Motifs

Meurtre durant la commission d'une infraction

Harcèlement criminel

3.3 Contestations fondées sur la Charte

Dans le cadre de contestations fondées sur la Charte, on a soutenu sans succès que l'article 264 était imprécis et de portée trop large, donc nul selon l'alinéa 2b) (liberté d'expression) et l'article 7 (droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne). Voir Hau, [1994] BCJ No 677 (CP) (QL) (voir également Hau, [1996] BCJ No 1047 (CS) (QL), qui a confirmé la constitutionnalité de la disposition, mais accueilli l'appel et ordonné un nouveau procès). Dans Sillipp, 1997 ABCA 346 (CA Alb), autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [1998] CSCR no 3 (QL), le juge Berger a conclu que l'alinéa 2b) de la Charte n'était pas lié par les alinéas 264(2)a) ou c) du Code et a rejeté un argument fondé sur l'article 7 suivant lequel l'article 264 permettait qu'une personne moralement innocente soit punie. Au procès, le juge Murray avait conclu que le type d'expression pouvant découler d'un comportement visé par l'article 264 n'était pas protégé par la Charte. Autrement dit, lorsqu'une personne adopte, sciemment ou sans se soucier des conséquences, un comportement précisé au paragraphe 264(2), créant une appréhension raisonnable de crainte, il est impossible de la disculper en assimilant ce comportement en tant qu'exercice légitime des libertés garanties par l'article 2 de la Charte. Dans l'éventualité où il aurait commis une erreur dans son analyse, le juge Murray a ensuite justifié toute atteinte à l'alinéa 2b) en vertu de l'article premier en assimilant cette forme d'« expression » à [TRADUCTION] « une tentative faite par une personne en vue de transmettre à une autre personne un message de violence physique latente et de violence psychologique directe » (Sillipp (1995), 99 CCC (3d) 394, à la p. 413 (CBR Alb), conf. par (1997) ABCA 346, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [1998] SCCA, No 3 (QL)). Dans Doody, [2000] QJ no 934 (CA) (QL), le juge Michaud a rejeté une demande d'autorisation d'appel, notamment parce que la contestation constitutionnelle de l'alinéa 264(2)c) n'était pas fondée.

Dans Davis (1999), 143 Man R (2d) 105 (CBR), conf. par (2000) MBCA 42, la Cour a suivi Sillipp au sujet de la contestation fondée sur l'article 7 qui s'appuyait sur l'imprécision de l'élément intentionnel de l'infraction et elle a conclu que les dispositions n'étaient pas contraires aux droits d'association protégés par l'alinéa 2d) de la Charte. Tout en acceptant la concession faite par la Couronne, suivant laquelle l'élément de la disposition relatif à la communication portait atteinte à l'alinéa 2b), la Cour a statué que [TRADUCTION] « l'objectif louable visé par les dispositions sur le harcèlement criminel l'emportait largement sur leurs effets négatifs à l'égard de la liberté d'expression ». Dans Krushel (2000), 142 CCC (3d) 1 (CA Ont), autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2002] CSCR no 293 (QL), la Cour d'appel de l'Ontario a également suivi l'arrêt Sillipp de la Cour d'appel de l'Alberta en ce qui a trait à la contestation fondée sur l'article 7 concernant l'imprécision et la mens rea requise, et la décision Sillipp de la Cour du Banc de la Reine sur la question de la liberté d'expression. Voir également Cloutier, [1995] no du greffe de Montréal : 500 01 005957 (Qc crim).

La constitutionnalité du paragraphe 231(6) du Code criminel en ce qui concerne le meurtre commis pendant le harcèlement criminel a été contestée à plusieurs occasions. Dans Linteau, [2005] JQ no 16722 (CS) (QL) autorisation de pourvoi refusée, 2006 QCCA 1106, l'accusé a fait valoir que la peine minimale d'emprisonnement à perpétuité constitue une peine cruelle et inusitée contrairement à l'article 12 de la Charte. Lorsqu'il a rejeté la demande, le juge Beaulieu de la Cour supérieure a souligné la gravité du crime que constitue le harcèlement criminel et a mentionné que le paragraphe 231(6) a pour objet de protéger la vie, la liberté et la sécurité des femmes et des autres victimes d'une telle conduite.

Le paragraphe 231(6) a également été contesté dans Ratelle Marchand, 2008 QCCS 1172 (QL), où le défendeur a soutenu que cette disposition contrevenait aux principes de justice fondamentale puisqu'elle le privait de sa liberté qui lui était garantie à l'article 7 de la Charte et qu'elle portait atteinte à son droit d'être présumé innocent contrairement à l'alinéa 11d). La juge Charbonneau de la Cour supérieure a conclu que, tout comme le paragraphe 231(5), le paragraphe 231(6) est une disposition de classification pour la détermination de la peine. Avant d'appliquer le paragraphe 231(6), la Cour doit être convaincue qu'un meurtre a été perpétré; cette disposition ne peut donc en aucune façon réduire le fardeau qui incombe à la Couronne de présenter une preuve hors de tout doute raisonnable d'une prévision subjective de la mortNote de bas de la page 133. La juge Charbonneau a en outre examiné la question de la proportionnalité de la peine au regard du paragraphe 231(5)Note de bas de la page 134 :

La décision du Parlement de traiter plus sévèrement les meurtres commis pendant que leur auteur exploitait une situation de puissance par la domination illégale de la victime est conforme au principe qu'il doit y avoir proportionnalité entre une peine et la culpabilité morale du délinquant, ainsi qu'à d'autres considérations comme la dissuasion et la réprobation sociale des actes du délinquant.

Selon elle, l'article 231 établit un régime de classification des peines pour un groupe particulier de meurtriers, soit ceux ayant commis un meurtre pendant la perpétration de certaines infractions comportant la domination illégale de leur victime. La Cour a conclu que, conformément à ce régime, il existait un lien rationnel entre l'infraction de harcèlement criminel et le meurtre.

Pour répondre à une contestation fondée sur la Charte, le procureur de la Couronne pourrait aussi vouloir passer en revue l'historique des dispositions législatives sur le harcèlement criminel. Cet historique est résumé à l'annexe B : Historique législatif de l'article 264 du Code criminel.

3.4 Principaux éléments

Comme en fait état le sommaire des éléments de l'infraction établi par la Cour d'appel de l'Alberta dans Sillipp, 1997 ABCA 346, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [1998] CSCR no 3 (QL), les principaux éléments suivants de l'infraction de harcèlement criminel doivent être établis :

  1. le délinquant a commis l'un des actes énumérés au paragraphe 264(2);
  2. le plaignant s'est senti harcelé;
  3. le délinquant savait que le plaignant se sentait harcelé, ne se souciait pas de ce qu'il se sente harcelé ou l'ignorait volontairement;
  4. le plaignant craignait pour sa sécurité ou celle d'une de ses connaissances;
  5. la crainte du plaignant était raisonnable dans les circonstances.

3.4.1 Le délinquant a commis l'un des actes énumérés au paragraphe 264(2)

Il faut prouver que l'accusé a commis l'un des actes interdits par le paragraphe 264(2).

L'accusé a commis un acte interdit par l'entremise d'un mandataire ou d'un tiers : Dans Ladbon, [1995] BCJ No 3056 (CP) (QL), l'accusé, qui était visé par une ordonnance de non communication, avait embauché un détective privé pour suivre sa femme dont il était séparé — la victime. La Cour a jugé que l'accusé avait commis l'acte interdit par l'entremise de son mandataire, le détective privé. Voir également Detich, [1999] JQ no 25 (CA) (QL), dans lequel les tentatives répétées de l'accusé de communiquer avec la victime englobaient une tentative par l'entremise d'un détective privé.

Suivre de façon répétée — alinéa 264(2)(a)

Signification de « de façon répétée » : Cette expression, employée aux alinéas 264(2)a) et 264(2)b), signifie plus d'une fois, mais pas nécessairement plus de deux. Dans Ohenhen (2005), 200 CCC (3d) 309 (ONCA), autorisation de pourvoi refusée, [2006] CSCR no 119 (QL), la Cour d'appel de l'Ontario a modifié la définition de l'expression, qui signifiait habituellement plus d'une ou deux fois. Voir aussi Saloio, 2010 ONCJ 164, et Vanin, 2006 SKPC 86. Le contexte doit être pris en compte pour déterminer si un acte est « répété » (Ryback (1996), 105 CCC (3d) 240 (CA C B), autorisation de pourvoi refusée, [1996] CSCR no 135 (QL)).

Délai entre les actes répétés : Dans Belcher (1998), 50 OTC 189 (Div gén), la Cour a déterminé qu'il n'est pas exigé que l'acte répété soit commis à un certain nombre d'occasions séparés dans le temps — l'expression « de façon répétée » a le sens de « de façon persistante ». Voir aussi Thélémaque, 2008 QCCQ 2308, où la Cour a conclu que le harcèlement criminel peut survenir quand la victime est un inconnu et que le délinquant la suit et communique avec elle de façon répétée une seule fois pendant une période d'une demi heure. L'accusé a été déclaré coupable d'avoir harcelé criminellement une inconnue dans le métro; il s'était assis à côté d'elle, lui avait pris la main et lui avait demandé si elle avait un souteneur. Il l'avait suivie à l'extérieur du métro, puis de la station, même s'il s'était aperçu qu'elle était agitée et qu'elle avait peur de lui.

Lorsque la victime est suivie dans un endroit public : Il semble qu'il soit plus difficile de prouver que l'accusé suit le plaignant lorsque les deux se trouvent dans le même endroit public. Par exemple, dans Weinstein, [2007] OJ No 3012 (CS) (QL), l'accusé a été acquitté d'une accusation de harcèlement criminel déposée en vertu de l'alinéa 264(2)a). Même s'il était raisonnable de penser que l'accusé avait suivi la plaignante à une occasion, toutes les autres communications s'étaient déroulées dans des endroits publics et ceux-ci n'incluaient pas des endroits où l'accusé aurait dû s'attendre à trouver la plaignante, par exemple près de chez elle ou de son lieu de travail. Voir aussi Potvin, [2005] OJ No 4339 (CJ) (QL), où le fait que l'accusé ait semblé arriver au restaurant en même temps que la victime n'était pas suffisant pour conclure qu'il avait suivi celle-ci de façon répétée.

Communiquer de façon répétée — alinéa 264(2)(b)

Signification de « de façon répétée » : Cette expression, employée aux alinéas 264(2)a) et 264(2)b), signifie plus d'une fois, mais pas nécessairement plus de deux. Dans Ohenhen (2005), 200 CCC (3d) 309 ONCA), autorisation de pourvoi refusée, [2006] CSCR no 119 (QL), la Cour d'appel de l'Ontario a modifié la définition de l'expression, qui signifiait habituellement plus d'une ou deux fois. Voir aussi Saloio, 2010 ONCJ 164, et Vanin, 2006 SKPC 86. Dans Di Pucchio, 2007 ONCJ 643, la Cour a jugé que deux appels téléphoniques faits après que la plaignante a raccroché le téléphone constituaient trois communications distinctes et non une seule tentative interrompue.

Communiquer avec des connaissances de la victime : Les tribunaux s'efforceront de déterminer qui est la véritable cible des communications de l'accusé, lesquelles peuvent s'avérer être dirigées vers une autre personne qui ne s'est pas sentie harcelée par la communication. Dans MRW, [1999] BCJ No 2149 (CS) (QL), l'accusé a été déclaré coupable de harcèlement criminel parce qu'il avait communiqué de façon répétée avec des connaissances de la victime; il avait été condamné, environ 16 ans auparavant, pour tentative de meurtre à l'égard de la victime, et il semble qu'il tentait de rétablir la communication avec leurs deux enfants. Dans Di Pucchio, 2007 ONCJ 643, la Cour a statué que, même si l'accusé pouvait avoir eu l'intention de parler à sa fille lorsqu'il avait téléphoné chez son ex femme, la communication était dirigée vers son ex femme, à l'égard de laquelle il avait été violent et qu'il avait menacée dans le passé. Lorsqu'elle a répondu au téléphone, l'accusé s'est mis à lui parler, même si elle lui avait demandé précédemment de ne pas communiquer avec elle et que son numéro de téléphone était confidentiel. Il a téléphoné une autre fois après qu'elle lui a dit de ne plus appeler chez elle et a demandé à un policier de téléphoner en son nom également.

Importance du contexte dans lequel la communication se déroule : Le juge du procès doit tenir compte à la fois de [TRADUCTION] « la teneur et [de] la nature répétitive » de la communication et du contexte dans lequel elle est faite (Scuby, 2004 BCCA 28). Tout le contexte de la communication doit être pris en compte, car [TRADUCTION] « la nature même de l'infraction de harcèlement criminel est l'accumulation de ce qui peut sembler être des communications inoffensives lorsqu'on les considère isolément » (Bell, 2009 ONCJ 312). Dans Di Pucchio, la Cour a estimé que la crainte de la plaignante était raisonnable [TRADUCTION] « compte tenu des menaces, de l'acrimonie et de la violence qui avaient caractérisé la relation dans le passé », de la nature répétée des communications et du fait que son numéro de téléphone était confidentiel et n'avait pas été donné à l'accusé.

Importance des demandes visant à faire cesser les communications : Le fait que l'accusé a continué à communiquer avec la victime après avoir été prié d'arrêter est un facteur favorable à sa condamnation (Sihota (2008),79 WCB 2b 702 (CSJ Ont)). Voir aussi Bell, 2009 ONCJ 312, où la Cour a considéré que seules les communications faites après que la plaignante a dit à l'accusé d'arrêter de communiquer avec elle constituaient du harcèlement.

Teneur des communications : La preuve de menaces, de comportement violent ou de contact en personne au nom de l'accusé n'est pas nécessaire pour que ce dernier soit déclaré coupable de l'infraction prévue à l'alinéa 264(2)b) (Liang, 2004 NBCA 80, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2004] CSCR no 520). Dans Bielicz, [2008] OJ No 3633 (CS) (QL), la Cour a estimé que des appels téléphoniques répétés, émotifs et agressifs montraient clairement l'intention de harceler. Voir aussi Sihota (2008), 79 WCB 2d 702 (CSJ Ont), où la Cour a conclu que des messages contenant des expressions bizarres et effrayantes (comme [TRADUCTION] « Quand vas tu arrêter de boire mon sang? ») qui sont transmis par télécopieur ou par téléphone à un employé d'une compagnie par un client n'étaient pas des communications commerciales normales ni une blague inoffensive.

Cerner ou surveiller — alinéa 264(2)(c)

Comme l'alinéa 264(2)c) vise le fait de cerner ou de surveiller, et non le fait de cerner et de surveiller, chacun des deux actes doit être conforme à la disposition (Pastore, 2005 ONCJ 332).

Signification de « surveiller » : « Surveiller » a le sens que lui donnent les dictionnaires, c'est-à-dire « [o]bserver attentivement pour contrôler »Note de bas de la page 135 (Gagné, [2004] JQ no 11994 (CQ crim & pén) (QL)).

Signification de « cerner » : « Cerner » signifie [TRADUCTION] « agir de manière à ce qu'une autre personne se sente oppressée ou encerclée ou qu'elle ait le sentiment d'être attaquée de tous les côtés » (Smysniuk, 2007 SKQB 453). L'accusé qui passe en voiture devant la maison de la plaignante de façon répétée est réputé « cerner » la maison de celle-ci, compte tenu des rapports compliqués entre les parties. « Cerner » s'entend notamment de [TRADUCTION] « déranger », de [TRADUCTION] « harceler », d'[TRADUCTION] « assaillir » et d'[TRADUCTION] « encercler » (Fujimori, 2005 BCPC 110, citant Vrabie, [1995] MJ No 247 (CP) (QL), où la Cour a attribué le sens ordinaire du dictionnaire au mot « cerner » et a conclu que celui ci signifie notamment [TRADUCTION] « harceler »; en d'autres termes, l'acte doit être tellement évident ou vexatoire qu'il équivaut au geste de cerner). Dans Vrabie, la Cour a pris connaissance d'office du fait que les incidents s'étaient produits dans un endroit extrêmement public dans une petite ville. Par exemple, l'un des incidents serait survenu dans la boulangerie située face au seul bureau de poste de la ville de Flin Flon.

Le plaignant sait qu'il est cerné : Dans Zorogole, 2004 NSPC 16, la Cour provinciale de la Nouvelle Écosse a statué que, pour être visé à l'alinéa 264(2)c), [TRADUCTION] « l'acte répété, qui n'a pas à être violent, doit amener l'autre personne à craindre pour sa sécurité et aussi à susciter chez elle une crainte raisonnable de violence ». Voir aussi Diakow, [1998] MJ no 234 (CP), où la Cour a conclu que « cerner » exigeait au moins que la victime sache ou soit consciente qu'elle faisait l'objet de cet acte.

Il n'est pas nécessaire que le fait de cerner ou de surveiller soit répété : Aux termes de l'article 264, il faut que l'accusé communique et suive la victime de façon répétée pour qu'il y ait harcèlement criminel. Cette exigence ne s'applique toutefois pas dans les cas visés à l'alinéa 264(2)c) ou à l'alinéa 264(2)d) (se comporter d'une manière menaçante). On ne s'entend toujours pas cependant sur la question de savoir si le fait de cerner ou de surveiller doit survenir plus d'une fois pour constituer du harcèlement. Dans Kosikar (1999), 138 CCC (3d) 217 (CA Ont), autorisation de pourvoi à la CSC refusée, (2000), [1999] CSCR no 549 (QL), la Cour d'appel de l'Ontario a établi qu'un accusé peut être déclaré coupable si l'acte de cerner ou de surveiller n'a été commis qu'une fois, selon le contexte global. Le juge Goudge a écrit que, [TRADUCTION] « bien qu'une personne harcelée ait le sentiment d'être constamment tourmentée, un seul incident survenant dans le contexte approprié peut certainement susciter ce sentiment ». Dans AA, 2006 ONCJ 107, la Cour a statué que, même en l'absence d'un contact antérieur, un seul incident qui comportait un risque réel que le plaignant continue d'être tourmenté était suffisant pour déclarer l'accusé coupable. Voir également Ohenhen (2005), 200 CCC 3d 309 (CA Ont), autorisation de pourvoi refusée, [2006] CSCR no 119 (QL).

Le fait de « surveiller » peut être inféré de la teneur des communications : Dans Bielicz, [2008] OJ No 3633 (CS) (QL), le défendeur a indiqué l'adresse actuelle de la plaignante et a donné des détails qui établissaient clairement qu'il avait espionné son nouveau conjoint.

Surveillance de nature non criminelle : La Cour peut rejeter les accusations lorsque, comme dans Wease, [2008] OJ No 1938 (CS) (QL), l'accusé a une raison valable de surveiller la plaignante. Dans cette affaire, le défendeur, qui était séparé de la plaignante, avait passé du temps assis dans sa voiture dans un stationnement à l'extérieur du lieu de travail de la plaignante et avait pris des photos à plusieurs reprises, dans le seul but de rassembler des éléments de preuve qu'il pourrait produire dans le cadre des instances en matière de droit de la famille qui étaient en cours (il essayait de prouver que sa femme travaillait à temps plein). Par contre, dans Alverson, 2008 ONCJ 89, la Cour a statué que s'asseoir à l'extérieur de la maison du plaignant dans sa voiture et fixer cette maison constituait l'acte de cerner et de surveiller. Bien que des instances judiciaires en matière de droit de la famille aient été en cours, le défendeur n'avait pas une raison valable de s'asseoir à l'extérieur de la maison et, en outre, à l'époque de l'incident, il avait suivi et menacé de façon répétée son gendre, lequel avait la garde de sa petite-fille.

Comportement étrange ou suspect : Il faut faire une distinction entre l'acte de cerner ou de surveiller visé à l'alinéa 264(2)c) et un comportement qui est simplement étrange ou suspect. Dans Zorogole, 2004 NSPC 16, l'accusé, que les plaignants ne connaissaient pas, avait été aperçu se tenant devant la maison de ces derniers et regardant les enfants jouer pendant une quinzaine de minutes. Il avait une caméra sur l'épaule. Il avait frappé à la porte et avait dit qu'il essayait de se faire des amis. Il n'avait proféré aucune menace, était parti quand on le lui avait demandé et n'était jamais revenu. Même si son comportement pouvait sembler étrange ou suspect, rien ne permettait raisonnablement de croire qu'il était violent.

Se comporter d'une manière menaçante — alinéa 264(2)(d)

Signification de « d'une manière menaçante » : Se comporter « de manière menaçante » est un « moyen d'intimidation visant à susciter un sentiment de crainte chez son destinataire » (McGraw, [1991] 3 RCS 72; Lamontagne (1998), 129 CCC (3d) 181 (CA Qc); George, 2002 YKCA 2; Burns, 2008 ONCA 6; Kohl, 2009 ONCA 100; MacDuff, 2011 BCSC 534)Note de bas de la page 136.

Norme objective dans le contexte : La question de savoir si le « moyen d'intimidation vis[ait] à susciter un sentiment de crainte chez son destinataire » doit être déterminée du point de vue d'une personne raisonnable, en tenant compte du contexte dans lequel les menaces auraient été proférées. En d'autres termes, la question de savoir si une personne s'est comportée d'une manière menaçante est une question de fait qui doit être tranchée selon le point de vue d'une personne raisonnable placée dans un contexte analogue à celui où le plaignant se trouve (McGraw, [1991] 3 RCS 72; Ryback (1996), 105 CCC (3d) 240 (CA C B), autorisation de pourvoi refusée, [1996] CSCR no 135 (QL); Lamontagne (1998), 129 CCC (3d) 181 (CA Qc); Burns (2008) ONCA 6).

Dans Burns, la Cour d'appel de l'Ontario a énoncé, au paragraphe 2, les trois critères à l'aide desquels le comportement menaçant doit être apprécié :

  1. [TRADUCTION] « objectivement »;
  2. [TRADUCTION] « en tenant compte des circonstances dans lesquelles le comportement a été adopté »;
  3. [TRADUCTION] « en tenant compte des effets du comportement sur le destinataire ».

Contexte dans lequel le comportement a été adopté : Une remarque inquiétante suivie des mots « c'est juste une blague » peut ne pas être considérée comme une blague si la personne visée a déjà fait l'objet de menaces ou a déjà été harcelée d'une autre manière (Noble, 2009 MBQB 98, conf. par 2010 MBCA 60). Dans Burns, 2008, ONCA 6, l'accusé, un policier, portait son uniforme complet lorsqu'il a sifflé la plaignante et a fait à son endroit des remarques vulgaires alors qu'elle marchait dans la rue avec sa fillette de cinq ans. La Cour a statué que la plaignante avait des raisons d'avoir peur et d'être bouleversée, mais le comportement ne pouvait être assimilé à un « moyen d'intimidation visant à susciter un sentiment de crainte » et n'était pas visé à l'alinéa 264(2)d). De même, les différences de taille et de force évidentes entre le défendeur et la plaignante peuvent être prises en compte pour déterminer dans quelle mesure le comportement était menaçant (Kohl, 2009 ONCA 100).

Mens rea — Il n'est pas nécessaire de prouver que l'accusé avait l'intention d'intimider ou de susciter la crainte : Selon Davis (AA) (1999), 44 WCB (2d) 222 (CBR Man), conf. par 2000 MBCA 42, que la Cour d'appel du Manitoba a récemment suivie dans Noble, 2010 MBCA 60, [TRADUCTION] « [l]'élément moral de l'infraction n'exige pas que l'accusé prévoie que son comportement suscitera une crainte chez le plaignant » (en italique dans l'original) (au paragraphe 35). La décision Davis clarifie en outre que la mens rea requise pour cette infraction comporte deux éléments : (1) le défendeur doit avoir eu l'intention de se comporter de la manière interdite et (2) il doit avoir su que, en se comportant ainsi, le plaignant se sentirait harcelé (ou il ne s'est pas soucié de ce que le plaignant se sente harcelé ou il l'a ignoré volontairement). Les remarques incidentes formulées par la Cour au paragraphe 17 de Lukaniuk, 2009 ONCJ 21, pourraient signifier que le défendeur doit avoir l'intention d'intimider ou de susciter la crainte, mais elle a prononcé un verdict d'acquittement parce que, selon elle, le défendeur ne s'était pas comporté de manière à susciter la crainte chez la plaignante. Les remarques de la Cour sur l'intention d'intimider ou de susciter la crainte ont trait à Clemente, [1994], 2 RCS 758, qui repose sur l'infraction relative aux menaces prévue à l'article 264.1, non sur l'article 264. (Voir aussi la partie 3.4.4, « Le plaignant craignait pour sa sécurité ou celle d'une de ses connaissances ».)

Un seul acte menaçant est suffisant : L'alinéa 264(2)d) n'est pas ambigu et doit recevoir son sens ordinaire. Un seul acte menaçant est suffisant et n'a pas à être répété pour être visé par cette disposition. Selon Lamontagne (1998), 129 CCC (3d) 181 (CA Qc) (à la page 187), un seul incident (« Tu vas voir, demain je vais être dehors puis tu vas le regretter en tabarnac ») pourrait être considéré par une personne raisonnable se trouvant dans la situation de la victime comme une menace ou « un moyen d'intimidation visant à susciter un sentiment de crainte chez son destinataire ». Voir aussi Kosikar (1999), 138 CCC (3d) 217 (CA Ont), autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [1999] CSCR no 549 (QL), où l'envoi, par le contrevenant à la victime, d'une lettre qui renfermait des insinuations à caractère sexuel, combiné à la conduite passée du contrevenant envers la victime, a été considéré comme un comportement menaçant; Hawkins, (2006) BCCA 498; George (2002), 162 CCC (3d) 337 (CA Yuk); Bertrand, 2011, QCCA 1412.

Le comportement menaçant peut être entièrement non verbal : Dans Kohl, 2009 ONCA 100, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2009] CSCR no 130 (QL), l'accusé, que la victime ne connaissait pas, avait surgi des buissons, avait bloqué un sentier pour joggeurs et avait poursuivi la victime. La Cour a statué que, même si l'accusé n'avait pas touché la victime et ne lui avait pas parlé, [TRADUCTION] « sa conduite seule, sans qu'un mot n'ait été prononcé, était plus que suffisante pour établir un comportement menaçant au sens de l'alinéa 264(2)d) ». Même s'il s'agissait d'un incident isolé ayant duré relativement peu de temps, le comportement était réputé être [TRADUCTION] « extrêmement menaçant et persistant ».

Le comportement menaçant peut aussi toucher indirectement la personne visée : Dans Sauvé, [2007] OJ No 4928 (CA), autorisation de pourvoi refusée, [2008] CSCR no 149 (QL), des documents contenant des menaces avaient été déposés devant la Cour alors que l'on savait que la plaignante et son avocat les verraient. La Cour a considéré qu'il s'agissait d'un acte interdit visant la plaignante. Voir aussi Coppola, [2007] OJ No 1624 (CJ) (QL), où la Cour a conclu que la communication de fausses allégations de conduite criminelle à l'employeur de la plaignante était une tentative de donner suite aux menaces proférées précédemment par l'accusé de faire en sorte qu'elle perde son emploi et constituait donc un comportement menaçant.

3.4.2 Le plaignant s'est senti harcelé

Signification de « harcelé » : Être harcelé suppose [TRADUCTION] « le fait d'être tourmenté, d'être troublé, d'être continuellement ou sans cesse inquiet, d'être tracassé, confus et importuné »Note de bas de la page 137. Voir Sillipp (1995), 99 CCC (3d) 394 (CBR Alb), conf. par 1997 ABCA 346, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [1998] CSCR no 3 (QL); suivie dans Ryback (1996), 105 CCC (3d) 241, à la page 248 (CA C B), autorisation de pourvoi refusée, [1996] CSCR no 135 (QL); Lamontagne (1998), 129 CCC (3d) 181 (CA Qc); de nombreuses autres décisions. Les termes ne sont pas cumulatifs. Ils ne remplacent pas le mot « harcelé » dans le Code criminel, mais en sont des synonymes (Kordrostami (2000), 143 CCC (3d) 488 (CA Ont)). Pour qu'un acte constitue du « harcèlement », il ne suffit pas que le plaignant ait été [TRADUCTION] « contrarié, inquiété ou agacé »Note de bas de la page 138 (Sillipp, 1997 ABCA 346). Voir aussi Yannonie, 2009 ABQB, où la Cour a conclu au paragraphe 33 que [TRADUCTION] « la plaignante était bouleversée et contrariée par tout le cinéma fait de manière maladroite par l'accusé » (visites indésirables fréquentes au kiosque du centre commercial où elle travaillait, au cours desquelles il faisait des remarques inappropriées), qui [TRADUCTION] « n'établissait pas que la plaignante était harcelée ».

Le fait que le plaignant s'est senti harcelé est établi par l'effet de l'acte sur lui : Dans Thélémaque, 2008 QCCQ 2308, l'accusé s'était assis à côté de la plaignante dans le métro, lui avait tenu la main et avait commencé à lui parler comme s'il la connaissait. Il l'avait suivie quand elle était sortie du métro et qu'elle avait voulu s'éloigner de lui alors qu'elle semblait avoir peur. Selon la Cour, le comportement de la plaignante montrait clairement qu'elle se sentait harcelée. Les policiers qui ont répondu à l'appel logé au 911 ont déclaré dans leurs témoignages qu'elle pleurait, qu'elle avait les yeux rouges et que sa voix tremblait lorsqu'ils étaient arrivés. L'accusé a reconnu dans son témoignage qu'il pouvait dire qu'elle avait peur de lui.

Un comportement abusif au cours d'une relation peut constituer du harcèlement : Dans Chugh, 2004 ONCJ 21, l'accusé exerçait un très grand contrôle sur son épouse et était très violent à son endroit. La Cour a conclu que son comportement était menaçant et que, même si son épouse ne craignait pas pour sa vie, elle craignait raisonnablement qu'un [TRADUCTION] « préjudice » survienne si elle ne quittait pas son mari. La Cour [TRADUCTION] « était convaincue que Mme Chugh était "tourmentée, troublée, continuellement ou sans cesse inquiète, tracassée, confuse et importunée" » et a dit que l'accusé s'aveuglait volontairement s'il ne connaissait pas l'effet que ses demandes, menaces, insultes et agressions mineures avaient sur son épouse. Voir aussi Rosato, [2007] OJ No 5481 (CS) (QL).

3.4.3 L'accusé savait que le plaignant se sentait harcelé, ne se souciait pas de ce qu'il se sente harcelé ou l'ignorait volontairement

mens rea — Savait que le plaignant se sentait harcelé, ne se souciait pas de ce qu'il se sente harcelé ou l'ignorait volontairement : La Couronne doit démontrer que l'accusé avait l'intention de commettre l'acte interdit, sachant que le plaignant se sentait harcelé ou ne se souciant pas de ce qu'il se sente harcelé ou qu'il l'ignorait volontairement (Sillipp, 1997 ABCA 346).

Signification de « sans se soucier » : Dans Frohlich, [2010] ABQB 260, la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta s'est appuyée sur la définition d'insouciance contenue dans Briscoe, 2010 CSC 13, un arrêt récent où la Cour suprême cite Sansregret, [1985] 1 RCS 570 : [TRADUCTION] « L'insouciance comporte la connaissance d'un danger ou d'un risque et la persistance dans une conduite qui engendre un résultat interdit par le droit pénal, c'est-à-dire que la personne est consciente du risque et qu'elle agit malgré celui ci. »

Signification de l'ignorance volontaire : L'arrêt Briscoe, 2010 CSC 13, fait également une distinction entre l'insouciance et l'ignorance volontaire :

L'ignorance volontaire ne définit pas la mens rea requise d'infractions particulières. Au contraire, elle peut remplacer la connaissance réelle chaque fois que la connaissance est un élément de la mens rea. La doctrine de l'ignorance volontaire impute une connaissance à l'accusé qui a des doutes au point de vouloir se renseigner davantage, mais qui choisit délibérément de ne pas le faireNote de bas de la page 139.

La Cour a souligné que l'« ignorance volontaire » équivaut à la « connaissance » et a cité les commentaires suivants de Glanville Williams : [TRADUCTION] « Une cour peut valablement conclure à l'ignorance volontaire seulement lorsqu'on peut presque dire que le défendeur connaissait réellement le fait. Il le soupçonnait; il se rendait compte de sa probabilité; mais il s'est abstenu d'en obtenir confirmation définitive parce qu'il voulait, le cas échéant, être capable de nier qu'il savait. […] Il faut en effet qu'il y ait conclusion que le défendeur a voulu tromper l'administration de la justiceNote de bas de la page 140. » La Cour renforce davantage cette notion en citant le professeur Don Stuart, selon lequel l'expression [TRADUCTION] « ignorance délibérée » est plus juste que l'expression « aveuglement volontaire ».

Une preuve directe de l'état d'esprit de l'accusé n'est pas nécessaire : La question de savoir si l'accusé a la mens rea requise est une question de fait qui doit être tranchée à l'aide de la preuve présentée. Le juge du procès peut déduire légitimement, en se fondant sur les faits établis, que l'accusé ne se souciait pas de savoir si le plaignant se sentait harcelé (Holmes, 2008 ONCA 604).

Intention par opposition à mobile : Dans Cromwell, 2008 NSCA 60, l'accusé avait affirmé qu'il écrivait des lettres à son ex femme — la plaignante — alors qu'il était en prison, contrairement à des ordonnances judiciaires, parce qu'il croyait que celle ci était disposée à se réconcilier avec lui. La Cour a indiqué : [TRADUCTION] « La mens rea exigée pour une accusation de harcèlement criminel fondée sur l'article 264 du Code criminel consiste à déterminer si l'accusé savait que la plaignante se sentait harcelée, s'il ne se souciait pas de ce qu'elle se sente harcelée ou s'il l'ignorait volontairement. L'élément moral est l'intention de commettre l'acte interdit sachant que la victime se sentira harcelée, sans se soucier de ce qu'elle se sente harcelée ou en l'ignorant volontairement. » La Cour dit ensuite que le mobile de l'accusé n'est pas pertinent au regard de la mens rea exigée pour cette infraction. Ainsi, même si la Cour croyait que les actes de l'accusé étaient fondés sur une croyance sincère mais erronée que la plaignante était disposée à se réconcilier, la mens rea de l'infraction existe si l'accusé avait l'intention de commettre l'acte interdit et savait que la plaignante se sentait harcelée, ne se souciait pas de ce qu'elle se sente harcelée ou l'ignorait volontairement. Voir aussi Krushel (2000), 142 CCC (3d) 1 (CA Ont).

Tout comportement indigne antérieur est admissible pour déterminer si l'accusé avait la mens rea requise : Dans Ryback (1996), 105 CCC (3d) 240 (CA C B), autorisation de pourvoi refusée, [1996] CSCR no 135 (QL), la Cour a conclu que la preuve de la conduite antérieure de l'accusé pouvait être pertinente à l'égard de deux éléments de l'accusation de harcèlement criminel, à savoir si la victime craignait raisonnablement pour sa sécurité et si le défendeur savait que la victime se sentait harcelée ou ne s'en souciait pas. Dans Kosikar (1999), 138 CCC (3d) 217 (CA Ont), autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [1999] CSCR no 549 (QL), la Cour a rejeté l'appel d'une condamnation prononcée en vertu de l'alinéa 264(2)d) pour une lettre envoyée à la victime comportant des insinuations de nature sexuelle. Le juge de première instance a tenu compte, à bon droit, de la conduite passée du contrevenant envers la victime (incluant une condamnation antérieure pour harcèlement criminel) parce qu'elle était pertinente au regard de l'intention du contrevenant et de sa connaissance ou de son insouciance à l'égard du harcèlement. Voir Di Pucchio, 2007 ONCJ 643, où, même si l'accusé n'avait rien dit de menaçant lors des trois appels téléphoniques qu'il avait faits à son ex épouse et qu'il n'avait pas nécessairement l'intention de la harceler, la Cour a conclu qu'[TRADUCTION] « il connaissait le risque qu'elle se sente harcelée » à cause de la relation marquée par la violence des deux parties et du fait qu'il avait persisté de manière insouciante à tenter de communiquer avec elle en utilisant un numéro confidentiel que celle ci ne lui avait pas donné, en dépit du fait qu'elle lui avait dit qu'elle appellerait la police s'il continuait. (Voir aussi la section intitulée « Tout comportement indigne antérieur est admissible pour établir le caractère raisonnable de la crainte », dans la partie 3.4.5 : « La crainte du plaignant était raisonnable dans les circonstances ».)

La preuve que l'accusé a été prié de mettre fin aux communications ou à la conduite démontre la connaissance : : Il n'est pas nécessaire que la victime soit ferme en repoussant les attentions du défendeur (Ryback (1996), 105 CCC (3d) 240, au paragraphe 41 (CA C B), autorisation de pourvoi refusée, [1996] CSCR no 135 (QL)). Voir aussi Rehak (1998), 125 Man R (2d) 181 (CBR), où la victime avait signalé par ses actes et par ses gestes qu'elle n'appréciait pas l'attention que lui portait le défendeur. En examinant la question de savoir si le défendeur savait que la plaignante se sentait harcelée par sa conduite ou ne se souciait pas de ce qu'elle se sente harcelée ainsi, la Cour a indiqué qu'[TRADUCTION] « il n'est pas nécessaire de mettre en garde une personne contre le fait que ses actes sont de nature criminelle avant que ceux-ci ne deviennent des actes de nature criminelle ». Si la conduite de l'accusé persiste après un avertissement de la police, on ne peut pas dire que l'accusé ne savait pas que la plaignante se sentait harcelée. L'avertissement peut être considéré comme un [TRADUCTION] « indicateur objectif » de la crainte de la plaignante (Pennell (2007), 73 WCB 2d) 737 (CSJ Ont)). Voir aussi McLeod, [2006] AJ No 644 (CP) (QL), où la Cour a statué que l'accusé aurait dû savoir que sa conduite effrayait son ex fiancée après que celle ci eut appelé la sécurité; il a ensuite été interdit à l'accusé d'entrer dans le centre commercial.

La façon dont le plaignant montre qu'il se sent harcelé peut varier selon ses caractéristiques personnelles, notamment son âge : Dans Ratelle Marchand, 2007 QCCA 1854, la Cour d'appel du Québec a indiqué, au paragraphe 34, que le juge des faits pouvait conclure que la personne accusée de meurtre au premier degré en vertu du paragraphe 231(6) du CodeNote de bas de la page 141 avait sciemment ou avec insouciance harcelé la fille âgée de deux ans et demi de sa conjointe, qui avait exprimé d'une manière propre à son âge qu'elle se sentait harcelée, qu'elle craignait pour sa sécurité et qu'elle avait peur de l'accusé.

mens rea d'un accusé atteint d'une maladie mentale : Dans Rosato, [2007] OJ No 5481 (CS) (QL), après avoir été jugé apte à subir son procès, l'accusé a été déclaré coupable, en vertu de l'alinéa 264(2)d), d'avoir harcelé criminellement son épouse parce qu'il exerçait un contrôle sur tous les aspects de la vie de celle ci à cause de ses délires paranoïdes. Il insistait pour ne pas qu'elle ait de contact avec ses amis et les membres de sa famille, il pratiquait fréquemment des rites bizarres et disait souvent des choses étranges et effrayantes. La Cour a décidé que, [TRADUCTION] « même s'il ne saisissait pas toutes les nuances de sa conduite […] il savait que la plaignante protestait [contre sa conduite] et qu'elle se sentait harcelée. Il savait également qu'il existait un risque qu'elle se sente harcelée. Cela ne l'a pas empêché d'agir comme il l'a fait, sans se soucier de ce que la plaignante se sente harcelée »Note de bas de la page 142.

mens rea dans les relations de contrôle et de violence : Dans Chugh, 2004 ONCJ 21, la Cour a déclaré : [TRADUCTION] « Si M. Chugh n'a pas constaté sincèrement l'effet de ses demandes, menaces, agressions mineures, disputes et insultes constantes sur son épouse et son mariage, alors il a ignoré volontairement la situationNote de bas de la page 143. »

mens rea dans les cas de harcèlement visant la réconciliation : Dans Denkers (1994), 23 WCB (2d) 149, la Cour d'appel de l'Ontario a formulé les observations suivantes, qui sont souvent citées depuis par les tribunaux canadiens : [TRADUCTION] « La victime en l'espèce et les autres personnes comme elle ont le droit de mettre fin à une relation romantique. Lorsqu'elles le font, elles ont le droit de vivre normalement et en toute sécurité. Elles ont le droit de vivre sans être harcelées par leur ancien amoureux et sans avoir peur de luiNote de bas de la page 144. » Dans Larivière, 2009 QCCQ 3584, la plaignante avait mis fin abruptement à sa brève relation avec l'accusé, ce que ce dernier n'a pas accepté. Il s'est mis à lui téléphoner et à lui envoyer des courriels et il s'est rendu chez elle. La Cour a dit au sujet de la mens rea : « L'accusé prétend qu'il ne voulait que du bien à la plaignante, la reconquérir et la délivrer du joug de son ex-conjoint. La Cour estime plutôt que l'accusé savait que la plaignante se sentait harcelée par son comportement et qu'il ne s'en souciait aucunementNote de bas de la page 145. » Voir aussi Hyra, 2007 MBCA 69; Scuby, 2004 BCCA 28; Cromwell, 2008 NSCA 60.

Protestations agressives : Dans Bertrand, 2007 QCCQ 6509, les accusés, des défenseurs des droits des animaux, ont été déclarés coupables de harcèlement criminel pour avoir agi de façon menaçante en manifestant agressivement aux bureaux d'une société de recherche qui effectuait des tests sur des animaux de laboratoire. Les accusés se sont déguisés, ont lancé des obscénités, ont cogné dans des fenêtres et dans des portes et ont utilisé un haut parleur et un mégaphone pour amplifier le bruit. La Cour a estimé qu'ils avaient agi par aveuglement volontaire en ne se souciant pas que les employés se sentent harcelés par leur conduite. Les méthodes plus pacifiques de protestation qu'ils avaient utilisées s'étant révélées inefficaces, les accusés ont « utilis[é] des méthodes plus agressives afin de s'assurer que leur message soit bien perçu et cela, peu importe que les gens se sentent harcelés ou non »Note de bas de la page 146. La Cour a indiqué en outre que, selon elle, les accusés avaient porté des masques pour éviter d'être reconnus coupables d'une infraction criminelle.

3.4.4 Le plaignant craignait pour sa sécurité ou celle d'une de ses connaissances

Les personnes faisant l'objet de harcèlement doivent réellement craindre pour leur sécurité ou celle d'une de leurs connaissances : Voir Sillipp, 1997 ABCA 346; Josile, (1998) WCB (2d) 249; Hyra, 2007 MBCA 69. Dans Fujimori, 2005 BCPC 110, par exemple, la Cour a conclu que le fait que la plaignante avait obtenu un engagement de ne pas troubler l'ordre public à l'encontre de l'accusé, avait changé ses habitudes de vie et était rentrée immédiatement dans son appartement lorsqu'elle avait aperçu l'accusé dans son immeuble permettait de conclure qu'elle avait peur. Voir Hassan, [2009] OJ No 1378 (CS) (QL), où l'accusé a été acquitté de toutes les accusations de harcèlement criminel liées à des menaces de diffusion et à la diffusion de photographies intimes de son ancienne petite amie, qu'il avait envoyées à plusieurs connaissances de celle ci. La Cour a qualifié les actes de l'accusé d'[TRADUCTION] « inappropriés et ignobles », mais il n'avait pas été établi que la plaignante [TRADUCTION] « craignait pour sa sécurité (psychologique et physique) ou pour celle d'une de ses connaissances »Note de bas de la page 147.

Craindre pour sa sécurité mentale, psychologique ou émotionnelle : La crainte de la victime pour sa sécurité ou celle d'une de ses connaissances ne se limite pas à la crainte de lésions corporelles, mais comprend également la crainte pour sa sécurité mentale, psychologique ou émotionnelle. Voir Sillipp, 1997 ABCA 346, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [1998] CSCR no 3 (QL); Ryback (1996), 105 CCC (3d) 240 (CA C B), autorisation de pourvoi refusée, [1996] CSCR no 135; Finnessey (2000), 47 WCB (2d) 326 (CA Ont). Selon les remarques incidentes formulées par la Cour dans Gowing, [1994] OJ No 2743, autorisation à la Cour d'appel de l'Ontario refusée [1998] OJ No 90, qui sont largement acceptées, [TRADUCTION] « […] le législateur voulait que la crainte d'une victime pour sa sécurité inclue la sécurité psychologique et la sécurité émotionnelle. En retreignant la notion au seul risque de lésions corporelles, on ne tiendrait pas compte de la possibilité bien réelle que le bien être psychologique et émotionnel d'une victime soit détruit par une campagne de harcèlement délibéré ». Par contre, craindre pour sa santé financière n'est pas suffisant. Dans Lincoln, 2008 ONCJ 14, le juge du procès a estimé que, même si la plaignante se sentait menacée par les nombreuses menaces proférées par son ancien fiancé, selon lesquelles il ferait n'importe quoi pour ravoir la bague de fiançailles, l'infraction de harcèlement criminel n'avait pas été démontrée puisque la plaignante n'avait pas précisé qu'elle avait le sentiment que sa sécurité, et non sa santé financière, était menacée. Voir aussi Lukaniuk, 2009 ONCJ 21.

Il n'est pas nécessaire que l'accusé ait connaissance de la crainte : Il n'est pas nécessaire que la Couronne fasse la preuve que l'accusé savait que la victime craignait pour sa sécurité. Elle doit démontrer seulement que l'accusé avait la mens rea requise, c'est-à-dire que le plaignant se sentait harcelé. Voir Ryback (1996), 105 CCC (3d) 240 (CA C B), autorisation de pourvoi refusée, [1996] CSCR no 135 (QL); Pierce (1997), 34 WCB (2d) 437 (CA N É).

Il n'est pas nécessaire que le plaignant emploie les mots « crainte pour ma sécurité » : Le fait que la victime ne témoigne pas au sujet de sa crainte ou n'emploie pas le mot « crainte » n'empêche pas le tribunal de tirer une conclusion sur la foi de l'ensemble de la preuve. Dans Szostak, 2012 ONCA 503, le juge Rosenberg a indiqué que la crainte peut souvent indiquer un état d'incertitude concernant ce qu'une personne est capable ou a l'intention de faire. La Cour d'appel a confirmé le raisonnement qu'a tenu le juge Fairgrieve lors du procès, selon lequel dans le contexte de l'article 264, [TRADUCTION] « la crainte pour sa propre sécurité » comprend [TRADUCTION] « un état d'anxiété ou d'appréhension à l'égard du risque de préjudice psychologique ou de détresse émotionnelle profond, en plus du risque de préjudice physique ».

D'autres actes d'un plaignant qui, selon les tribunaux, n'empêchent pas de conclure à l'existence d'une crainte :

Par contre, dans JW, 2010 ONCJ 194, la Cour a conclu que les rapports soutenus avec l'accusé de 18 ans qui étaient encouragés — et parfois initiés — par la plaignante de 15 ans jetaient des doutes sur la question de savoir si elle se sentait harcelée ou si elle craignait pour sa sécurité.

L'infraction peut être établie lorsque la victime craint pour la sécurité de son enfant : Dans Colquhoun, 2007 ONCJ 499, l'accusé a été déclaré coupable de harcèlement criminel lorsque la Cour a accepté le fait que la plaignante craignait raisonnablement pour sa propre sécurité ou pour celle de sa fille après avoir entendu l'accusé utiliser avec colère un terme désobligeant à l'égard de l'enfant. L'accusé harcelait de façon répétée la plaignante après que celle ci eut mis fin à leur relation. Voir aussi Pennell, (2007) 73 WCB 737 (CSJ Ont), où la Cour a conclu que la plaignante craignait raisonnablement pour la sécurité de sa fille. L'accusé avait essayé de rétablir des liens avec leur fille, avec laquelle il n'avait eu aucun rapport pendant dix ans, après avoir été déclaré coupable de l'avoir agressée sexuellement alors qu'elle avait quatre ans.

Crainte pour la sécurité d'une personne qui n'est pas un membre de la famille : Le terme « connaissances » n'inclut pas seulement les membres de la famille immédiate du plaignant ou les personnes avec qui celui ci a eu une relation intime. Dans Cowan (2004), 61 WCB (2d) 646 (CSJ Ont), même si la plaignante disait qu'elle ne craignait pas pour sa sécurité ou celle de sa fille, la Cour a conclu que ses inquiétudes concernant ses collègues de travail (et, implicitement, les résidents de la maison de soins infirmiers où elle travaillait) pouvaient démontrer qu'elle craignait pour la sécurité « d'une de ses connaissances » au sens de l'article 264 du Code.

Il n'est pas nécessaire que la personne harcelée désigne la personne pour la sécurité de laquelle elle craint : Lorsqu'une menace ne vise pas une personne en particulier, les communications menaçantes pourraient être considérées comme si elles visaient un groupe de personnes en général (Hawkins, 2006, BCCA 498). Dans cette affaire, l'accusé avait menacé plusieurs fonctionnaires au téléphone par suite de la suspension de son permis de conduire, en disant qu'il y avait 85 % de risques qu'il tue des fonctionnaires au cours de l'annéeNote de bas de la page 148. Il prétendait que les employés qui n'étaient pas directement concernés par son dossier ne pouvaient pas s'être sentis personnellement menacés. La Cour d'appel de la Colombie Britannique a rejeté cette prétention. Selon elle, [TRADUCTION] « [i]l ne serait pas raisonnable d'exiger du destinataire qu'il identifie une personne en particulier faisant l'objet d'une menace formulée en termes généraux »Note de bas de la page 149.

3.4.5 La crainte du plaignant était raisonnable dans les circonstances

La Couronne doit établir que la crainte de la victime était raisonnable dans les circonstances : Voir Lamontagne (1998), 129 CCC (3d) 181 (CA Qc); Krushel (2000), 142 CCC (3d) 1 (CA Ont). Dans Hyra, 2007 MBCA 69, la principale question sur laquelle devait se prononcer la Cour d'appel du Manitoba consistait à savoir si la crainte de la plaignante était objectivement raisonnable. L'accusé, qui avait pris un café avec la plaignante à une occasion, avait communiqué avec elle de façon incessante et inopportune pendant trois ans. En concluant que la crainte était raisonnable, la Cour a décrit dans les termes suivants la conduite de l'accusé : [TRADUCTION] « imprévisibilité et répugnance ou incapacité à faire preuve de retenue ou de maîtrise de soi, comme le montre son mépris pour les mises en garde de la police et l'accusation ». Dans Chaves, [2007] OJ No 1551 (CJ) (QL), le comportement menaçant et le caractère raisonnable de la crainte du plaignant pour sa sécurité et celle de sa famille pouvaient être déduits du contexte de la relation entre la personne visée et l'accusé. Le plaignant était un policier qui avait fait enquête sur les accusations déposées contre l'accusé qu'il savait être un membre d'un gang de motards. Bien que les propos de l'accusé puissent sembler inoffensifs en soi, la Cour a statué qu'elle [TRADUCTION] « ne peut ignorer le contexte dans lequel ces propos sont formulés et la question de savoir s'ils doivent être considérés comme étant discutables, intimidants ou menaçants lorsqu'il est manifeste que, en les utilisant à l'égard de sa résidence, c'est la raison pour laquelle M. Chaves les a prononcés […]Note de bas de la page 150 ».

Tout comportement indigne antérieur est admissible pour établir le caractère raisonnable de la crainte : Voir Ryback (1996), 105 CCC (3d) 240 (CA C B), autorisation de pourvoi refusée, [1996] CSCR no 135 (QL); Hau, [1996] BCJ No 1047 (CS); Krushel (2000), 142 CCC (3d) 1 (CA Ont). Dans DD (2005), 203 CCC (3d) 6 (CA Ont), la Cour d'appel de l'Ontario a passé en revue les décisions de principe sur cette question et a expliqué à quelles fins probatives le comportement indigne antérieur au harcèlement criminel est le plus souvent admis, à savoir établir le contexte au regard :

La Cour a confirmé que le juge du procès doit apprécier la valeur probante de la preuve compte tenu de son effet préjudiciable. Elle a fait siennes les remarques incidentes formulées dans Ryback selon lesquelles, bien que cette preuve ne puisse [TRADUCTION] « être utilisée pour établir l'actus reus requise par l'infraction, elle est admissible pour établir les éléments moraux exigés de l'accusé et du plaignant »Note de bas de la page 151. Ainsi, cette preuve peut servir à établir le contexte dans lequel l'état d'esprit des parties et le caractère raisonnable de la crainte du plaignant doivent être déterminés, mais non pour démontrer la propension de l'accusé à commettre les actes allégués. Il s'agit d'un cas différent de celui de la preuve de faits similaires. Dans Hau, la Cour cite également SB, [1996] OJ No 1187 (QL) (CJ (Div gén)), une décision qui est souvent citée parce que la Cour y a statué que, dans les cas de violence familiale, la preuve du comportement antérieur à l'inculpation est souvent jugée recevable en vue de fournir un contexte narratif aux accusations dont le tribunal est saisi. En outre, un incident mineur de harcèlement dont a été victime une connaissance de la plaignante il y a longtemps peut être considérée comme un facteur pertinent (DD (2005), 203 CCC (3d) 6 (CA Ont)). Voir également la section intitulée « Tout comportement indigne antérieur est admissible pour déterminer si l'accusé avait la mens rea requise », dans la partie 3.4.3, « L'accusé savait que le plaignant se sentait harcelé, ne se souciait pas de ce qu'il se sente harcelé ou l'ignorait volontairement ».

Une preuve démontrant que des accusations ont été déposées contre l'accusé dans le passé, que des ordonnances de non communication ont déjà été rendues contre lui ou qu'il a déjà été condamné pour des infractions commises à l'égard du même plaignant indique que l'accusé savait que son comportement était inopportun et que le plaignant craignait probablement davantage qu'il n'ait pas mis fin à son comportement après avoir été traduit en justice : Voir Hau, [1996] BCJ No 1047 (CS); Kosikar (1999), 138 CCC (3d) 217 (CA Ont). Voir également Palermo, [2006] OJ No 3191 (CS) (QL), où, après avoir été acquitté de sept accusations concernant la même plaignante, y compris de harcèlement criminel survenu après leur rupture, l'accusé avait téléphoné à la plaignante et lui avait dit [TRADUCTION] « Tu ne peux pas avoir le meilleur contre moi », avant de rire et de raccrocher. Même si cette remarque ne semble peut être pas menaçante à première vue, la Cour a conclu que le comportement de l'accusé était menaçant. Comme l'accusé avait été acquitté, il était innocent. Il était cependant toujours permis au juge du procès d'admettre la preuve de l'acquittement au motif qu'elle était pertinente au regard des accusations dont il était saisi étant donné que [TRADUCTION] « le verdict n'a pas enlevé toute pertinence à la croyance de la plaignante selon laquelle elle était harcelée [avant la période visée par les nouvelles accusations] » et que l'accusé lui avait téléphoné après son acquittement et l'avait narguée, laissant entendre qu'elle ne pouvait rien faire pour l'arrêter. Ce facteur était pertinent pour déterminer si sa conduite était menaçante et si la crainte de la plaignante à l'égard de la conduite actuellement examinée par le tribunal était raisonnable. Voir également Cromwell, 2008 NSCA 60, où la crainte de la plaignante, suscitée par une série de lettres écrites par son conjoint de fait pendant qu'il était en prison et assujetti à une ordonnance de non communication, a été jugée raisonnable compte tenu du fait que l'accusé avait déjà été déclaré coupable de voies de fait, de harcèlement criminel et de manquements à des ordonnances de non communication rendues relativement à la même plaignante, ainsi que du fait que l'accusé faisait continuellement référence à son désir de reprendre la vie commune et de la voir lui être fidèle.

Crainte de ce que l'accusé pourrait faire : Dans Szostak, 2012 ONCA 503, même si la plaignante était préoccupée par le bien être de l'accusé, son ancien conjoint de fait, et n'était pas indifférente à sa situation malheureuse, la crainte qu'il lui inspirait était raisonnable étant donné qu'il l'avait agressée dans le passé, qu'il avait un comportement imprévisible et qu'il avait continué à la harceler en l'insultant à maintes reprises et en laissant parfois des messages menaçants dans sa boîte vocale. Dans Birsely, 2009 ONCJ 458, l'accusé a été reconnu coupable de harcèlement criminel même s'il n'avait jamais menacé la plaignante, une personne célèbre. L'effet cumulatif de ses actes visant à avoir des contacts répétés avec la personnalité de la télévision, qu'il n'avait jamais rencontrée, de même qu'avec les amis et les membres de la famille de celle ci, et l'expression de son amour et de son désir de l'épouser, malgré le fait qu'on lui avait demandé à de nombreuses reprises d'arrêter, a amené la victime à craindre pour sa sécurité. Par ailleurs, dans Wolfe, 2008 BCPC 119, la Cour a estimé déraisonnable la crainte que la plaignante disait ressentir à l'égard de son ex mari à cause des appels téléphoniques insultants et agressifs répétés de celui ci, l'accusé n'ayant pas menacé de faire quelque chose, si ce n'est avoir recours aux tribunaux.

La norme de la « personne raisonnable » doit tenir compte de l'ensemble de la situation de la victime afin que les membres les plus vulnérables de la société soient bien protégés : Voir Gauthier, [2005] JQ no 5751 (CS) (QL). Dans cette affaire, les plaignants étaient des enfants et l'accusé ne pouvait pas faire valoir qu'un adulte n'aurait pas eu peur de son comportement. La Cour a cependant conclu que, même si la crainte des enfants était raisonnable, l'accusé n'avait pas commis un acte interdit. Lorsqu'elle détermine si la crainte des victimes est raisonnable, la Cour doit tenir compte des circonstances. Selon le juge Greco dans Lafreniere (1994), 22 WCB (2d) 519 (CJ Ont (Div prov)) (QL), paragraphe 23, appliquée dans Hertz, [1995] 27 WCB (2d) 321 (CP Alb), ce contexte peut inclure :

[TRADUCTION] le sexe de la victime ainsi que l'historique et les circonstances relatives à la relation qui existait ou qui avait existé, le cas échéant, entre l'accusé et la victime. Selon Lavallee, il est légitime de tenir compte du sexe en raison des différences de taille, de force et de socialisation qui sont reconnues entre les hommes et les femmes.

Voir aussi Kordrostami, 143 CCC (3d) 488 (CA), où la Cour d'appel de l'Ontario, en confirmant la décision du tribunal de première instance selon laquelle la crainte de la plaignante était raisonnable, a tenu compte des caractéristiques personnelles de la plaignante, notamment son jeune âge.

3.4.6 Sans autorisation légitime

La Couronne doit établir que l'accusé a harcelé la victime sans autorisation légitime : Dans Vandoodewaard (2009), 86 WCB (2d) 90 (CS Ont), le juge Durno a confirmé la conclusion du juge de première instance selon laquelle [TRADUCTION] « l'autorisation légitime ne devrait pas être limitée à des types plus officiels d'autorisations, comme une autorisation donnée par la police ou un gouvernement. La common law pourrait aussi fournir une autorisation suffisante »Note de bas de la page 152. Il a fait référence aux Ontario Specimen Jury Instructions, qui prévoient qu'[TRADUCTION] « avoir l'autorisation légitime de faire quelque chose signifie que le droit autorise spécifiquement une personne à faire ce que l'accusé a fait dans les circonstances où il l'a fait ».

Un droit reconnu par la loi de voir son enfant ne constitue pas en soi une autorisation légitime au sens de l'article 264 : Dans BD, 2006 ONCJ 249, la Cour a jugé que le contact n'était pas légal. L'accusé, qui avait de lourds antécédents de violence — notamment psychologique — à l'égard de la plaignante, avait communiqué avec elle de façon répétée, contrairement à une ordonnance judiciaire, afin de la convaincre d'emmener leur fille le voir en prison. Il avait à sa disposition d'autres moyens légaux d'exercer son droit d'avoir des contacts avec sa fille, et la Cour a inféré qu'il [TRADUCTION] « avait l'intention, comme il l'avait souvent eue dans le passé, d'étouffer le refus [de la plaignante] de se soumettre à ses demandes ». Dans Wolfe, 2008 BCPC 119, l'accusé a été acquitté d'avoir harcelé criminellement sa femme, dont il était séparé, en faisant des appels téléphoniques odieux et insultants répétés, contenant parfois des références sexuelles explicites. Les appels avaient dérangé et bouleversé la plaignante, mais la Cour a estimé qu'ils n'étaient pas menaçants et que l'accusé communiquait avec sa femme dans le but légitime de se conformer à l'accord de séparation en ce qui concernait leurs enfants.

Des communications faites à une fin légitime peuvent être harcelantes à certains égards : Dans Vandoodewaard (2009), 86 WCB (2d) 90 (CS Ont), la Cour a statué que, malgré le fait que l'appelant avait un intérêt légitime à ce que la plaignante lui remette ses biens, elle devait tenir compte de la [TRADUCTION] « répétition constante des remarques venimeuses et généralement menaçantes qu'il formulait lorsqu'il communiquait avec la plaignante ». Voir aussi Lincoln, 2008 ONCJ 14, où la Cour a indiqué que l'accusé avait peut être le droit de demander à récupérer la bague de fiançailles, même s'[TRADUCTION] « il n'avait pas une autorisation légitime de laisser de façon répétée des messages insultants et menaçants à [son ancienne petite amie] ». Voir également Milani, 2007 ONCJ 394, où la Cour a souligné que, même si les communications ont une fin légitime, par exemple discuter de questions matrimoniales intéressants d'ex époux qui ont des enfants, il peut être nécessaire d'examiner le contenu des communications pour s'assurer de leur véritable objet. Dans cette affaire, la Cour a conclu que le véritable objet des appels téléphoniques menaçants de l'accusé était d'exercer des pressions sur la plaignante afin qu'elle [TRADUCTION] « voie les choses comme lui ». Dans Moyse, 2010 MBPC 21, par contre, la Cour a décidé que les communications répétées de l'accusé visaient légitimement à persuader la plaignante de lui remettre ses biens. La Cour a considéré que le défaut de la plaignante de le faire était incompatible avec sa prétendue crainte de l'accusé.

3.5 Meurtre commis en cours de harcèlement

Selon le paragraphe 231(6) du Code criminel entré en vigueur en 1997Note de bas de la page 153, indépendamment de toute préméditation, le meurtre qui est perpétré par une personne qui commet des actes de harcèlement criminel est un meurtre au premier degré. (Voir la partie 3.2, « Dispositions du Code criminel », pour le texte complet de ce paragraphe.) La décision Bradley, 2003 PESCTD 30, demande d'appel rejetée, 2007 PESCAD 23, est la première décision publiée ayant fait droit à une poursuite intentée sous le régime du paragraphe 231(6), quoique le juge de première instance ait aussi conclu que le meurtre était un meurtre au premier degré parce qu'il avait été commis avec préméditation et de propos délibéré.

Éléments du meurtre causé par le harcèlement criminel : La Couronne doit démontrer que l'accusé a causé la mort de la victime en la harcelant criminellement ou en tentant de la harceler criminellement selon l'article 264 du Code criminel. En plus de prouver les éléments de l'infraction de harcèlement criminel (voir la partie 3.4, « Principaux éléments ») et de démontrer que le meurtre était un meurtre au premier degré selon le paragraphe 231(6), la Couronne doit établir que l'accusé avait l'intention subjective de faire craindre à la personne assassinée pour sa sécurité ou celle d'une de ses connaissances (Bradley, 2003 PESCTD 30; Morehouse, 2008 ABCA 225; Desjardins, 2010 QCCA 2).

Il n'est pas exigé que les infractions de meurtre et de harcèlement criminel surviennent simultanément, mais les deux doivent constituer une séquence continue d'incidents qui font partie d'une seule opération : Voir Tran, 2005 ABQB 852. Voir aussi Alaoui, 2009 QCCA 149, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2009] CSCR no 126 (QL), où le harceleur, qui avait déjà harcelé son épouse dont il était séparé, n'avait eu aucun rapport avec elle pendant quatre mois avant le meurtre. Selon la Cour, le comportement qui constituait du harcèlement criminel et le meurtre étaient suffisamment éloignés dans le temps pour que le paragraphe 231(6) ne s'applique pas.

Différence entre les paragraphes 231(5) et (6) : La première décision publiée dans laquelle il est fait mention du paragraphe 231(6) est Russell, 2001 RCS 53, où la Cour a fait la distinction entre les paragraphes 231(5) et (6). Pour que le paragraphe 231(6) s'applique, il faut que la victime du meurtre soit la personne qui était la cible du harcèlement criminel. (Voir aussi Tran, 2005 ABQB 852.) Par contre, les dispositions sur le meurtre imputé qu'on retrouve au paragraphe 231(5) ne renferment pas de limite semblable et s'appliquaient dans l'affaire Russell, où la victime du meurtre n'était pas la personne qui avait été séquestrée. Dans Penney, [2004] OJ No 5914 (CS) (QL), la Cour a cité Harbottle, [1993] 3 RCS 306, afin de clarifier une autre différence entre les paragraphes 231(5) et (6). La différence repose sur deux facteurs : i) l'infraction sous jacente et ii) l'élément moral additionnel exigé par le paragraphe 231(6), lequel prévoit que, lorsqu'il s'est livré au harcèlement criminel, l'accusé avait l'intention de faire craindre à la victime pour sa sécurité ou celle d'une autre personne.

La constitutionnalité du paragraphe 231(6) a été contestée et reconnue dans Linteau, [2005] JQ no 16722 (CS), et Ratelle Marchand, [2008] JQ no 3949 (CS) (QL). (Voir la partie 3.3, « Contestations fondées sur la Charte », pour plus de détails.)

3.6 La jurisprudence relative au cyberharcèlement

L'utilisation de la technologie à des fins de harcèlement est un problème de plus en plus préoccupant au Canada depuis quelques années. Non seulement ce problème présente t il des défis particuliers aux policiers et aux poursuivants en matière d'enquête et de preuve, mais il entraîne de nouveaux préjudices pour les victimes. Au Canada, il n'a pas été nécessaire de mettre à jour l'article 264 du Code criminel pour qu'il s'applique aux nouvelles technologies puisque son application n'est pas limitée à un moyen de communication en particulier. Dans la mesure où l'utilisateur d'une technologie sait qu'une autre personne se sent harcelée à cause de son comportement, et que cette personne craint raisonnablement pour sa sécurité, les éléments de l'infraction de harcèlement criminel seront probablement présents.

Les décisions publiées ne semblent pas indiquer que, lorsqu'ils ont commencé à être saisis d'affaires de harcèlement criminel au moyen de nouvelles technologies, les tribunaux ont hésité à appliquer la jurisprudence existante ou qu'ils avaient de la difficulté à le faire. En d'autres termes, les éléments de l'infraction demeurent les mêmes et aucun nouveau critère juridique n'a fait son apparition. Ces affaires semblent cependant être différentes en ce qui concerne le type de preuve présentée au tribunal (voir, par exemple, Labrentz, 2010 ABPC 11) et la reconnaissance des répercussions particulières de ce type de harcèlement sur les victimes. Ces répercussions sur les victimes ont été mises en évidence à la fois au regard du caractère raisonnable de la crainte des victimes et lors de la détermination de la peine.

Les tribunaux ont reconnu que les victimes de cyberharcèlement peuvent être plus vulnérables que les autres car elles sont moins en mesure d'échapper au délinquant ou de se cacher de lui. Dans Wenc, 2009 ABPC 126, conf. par 2009 ABCA 328, par exemple, deux hommes avaient entamé une relation intime après avoir fait connaissance en ligne. Peu de temps après que le plaignant eut mis fin à la relation, l'accusé avait commencé à le harceler par des appels téléphoniques répétés, de multiples messages laissés dans sa boîte vocale, ainsi que par de nombreux courriels et messages transmis par télécopieur. Comme l'accusé avait utilisé de fausses identités et les ordinateurs de tiers, il était difficile de retracer la source du harcèlement et le travail a été long. De plus, l'accusé avait répandu de fausses rumeurs en ligne selon lesquelles le plaignant transmettait le VIH, avait envoyé des photos de lui nu à leurs amis et s'était fait passer pour le plaignant dans des clavardoirs à la suite de quoi des inconnus s'étaient présentés chez la victime dans le but d'avoir des rapports sexuels. Le tribunal de première instance a déclaré : [TRADUCTION] « Les tribunaux ont mentionné que l'intimidation causée par le harcèlement est une forme réelle de préjudice et la victime est moins en mesure d'échapper à son harceleur ou de se cacher de lui que dans le cas des autres types plus conventionnels de harcèlementNote de bas de la page 154. » Voir aussi Fader, 2009 BCPC 61, où l'accusé a été reconnu coupable de harcèlement criminel pour avoir notamment envoyé des photos et des vidéos sexuellement explicites de la plaignante à son nouveau petit ami, menacé d'envoyer des photos d'elle nue à un grand nombre de personnes qui la connaissaient et affiché des photos d'elle et ses coordonnées sur un site Web de rencontres pour adultes, de sorte que des personnes ont communiqué avec elle.

Dans Barnes, [2006] AJ No 965 (CP) (QL), conf. par 2006 ABCA 295, l'accusé avait mis à profit sa connaissance des ordinateurs pour obtenir des détails de la vie personnelle de la plaignante, pour lui voler son identité et pour diffuser sur Internet des photos d'elle. Il a continué à le faire malgré une ordonnance de non communication, même pendant qu'il vivait à l'étranger après avoir fui le pays à cause des mandats d'arrestation lancés contre lui. La plaignante a décrit le harcèlement incessant de l'accusé comme une tentative systématique de détruire sa vie. Le juge Cioni a affirmé que [TRADUCTION] « le cyberharcèlement peut causer un préjudice à une personne quant à des aspects essentiels de sa vie [et] est une sorte de vol d'identité »Note de bas de la page 155.

Dans Cholin, 2010 BCPC 417, l'accusé était devenu obsédé par la plaignante en 2004, alors qu'il était âgé de 33 ans et qu'elle était une jeune actrice de 12 ans. Deux ans plus tard, la plaignante jouait régulièrement dans une série à la télé et fréquentait un site de réseautage social dont les mesures de sécurité étaient encore en voie d'élaboration. L'accusé a indiqué dans son profil publié sur ce site que bon nombre des amis de la plaignante étaient aussi les siens et il a essayé d'entrer en contact avec elle. Au début, la plaignante a répondu, puis elle a bloqué son site afin qu'il ne puisse plus y avoir accès lorsque les messages sont devenus étranges et inquiétants. L'accusé a continué d'essayer de communiquer avec elle par divers moyens, notamment en lui envoyant des messages ouvertement menaçants à caractère sexuel par l'entremise de ses amis. La Cour a conclu que le comportement de l'accusé avait eu un effet important et marquant sur la victime et sa famille et que l'accusé ne s'en rendait pas vraiment compte. Elle a condamné l'accusé à un emprisonnement de 18 mois, qui s'ajoutait aux cinq mois passés en détention avant le procès, et elle lui a imposé une période de probation de trois ans pendant laquelle il lui était interdit notamment de se servir d'Internet et d'avoir en sa possession un appareil électronique permettant l'accès à Internet.