« Créer un cadre de sagesse communautaire » : examen des services aux victimes dans les territoires du Nunavut, du Nord-Ouest et du Yukon
2.0 Nunavut
2.0 Nunavut
2.1 Considérations sur la prestation de services aux victimes au Nunavut
2.1.1 Introduction
Territoire du Nunavut
Le territoire du Nunavut a été créé le 1er avril 1999 par suite de la proclamation de la Loi sur le Nunavut de 1993 [8]. Il s'agit d'un vaste territoire dont le nombre d'habitants s'élève à 26 745 [9], qui vivent dans 26 collectivités disséminées sur quelque deux millions de kilomètres carrés. Le caractère nouveau du territoire et l'isolement de bon nombre des collectivités les unes par rapport aux autres sont exacerbés par l'histoire de la colonisation euro-canadienne des Inuits autochtones. Ces facteurs géographiques et historiques ont créé, ensemble, des problèmes économiques, sociaux et de santé chez la population du Nunavut, qui doit relever l'immense défi de concevoir et de mettre en œuvre les infrastructures efficaces nécessaires pour offrir des services adéquats dans ce nouveau territoire.
Les principales statistiques sur la santé des habitants du Nunavut comparativement à celle de l'ensemble des Canadiens, révèlent comment ces difficultés entrent en ligne de compte dans le cycle de vie d'un peuple [10]. Alors que l'espérance de vie des Canadiens est de 78 ans, l'espérance de vie des habitants du Nunavut s'établit à 70 ans. Le taux de mortalité de l'ensemble des Canadiens attribuable aux maladies respiratoires s'élève à 6 pour 10 000 personnes comparativement à 21 pour 10 000 dans le cas des habitants du Nunavut. Les statistiques sur le taux de mortalité attribuable à tous les cancers sont semblables. Le taux de mortalité attribuable à tous les cancers pour 10 000 habitants au Canada se chiffre à 19 tandis qu'au Nunavut, il est de 33. Les écarts entre les taux de mortalité infantile sont semblables. Alors que le taux de mortalité infantile pour l'ensemble du Canada s'établit à 6 pour 1 000 naissances vivantes, le chiffre correspondant dans le cas du Nunavut est de 18 pour 1 000 naissances vivantes.
Sur le plan économique, en 1999, le taux de chômage du Nunavut s'établissait à 20,7 % contre 8,5 % pour l'ensemble du Canada. Cette disparité est encore plus importante chez les Inuits du Nunavut. Le taux de chômage des Inuits du Nunavut s'élevait à 28,0 % comparativement à 2,7 % pour les non-Inuits [11]. Ces taux indiquent, du moins en partie, que nombre de non-Inuits déménagent au Nunavut expressément pour accepter une offre d'emploi. Le gouvernement du Nunavut examine actuellement cette situation en vue de renforcer les capacités locales.
Les taux élevés de crimes de violence au Nunavut font ressortir la nécessité de services aux victimes. En 2002, le taux d'agression sexuelle pour l'ensemble du Canada s'établissait à 7,8 pour 10 000 personnes tandis qu'au Nunavut, ce taux s'élevait à 96,1 pour 10 000 personnes. L'écart est semblable dans le cas du taux de crime de violence. Pour le Canada, le taux de crime de violence en 2002 était de 96,5 pour 10 000 personnes tandis qu'au Nunavut, ce taux s'établissait à 709 pour 10 000 personnes[12]. De plus, le taux de suicide est élevé, en particulier chez les jeunes. Dans l'ensemble, il s'agit là du contexte dans lequel les services aux victimes sont offerts au Nunavut.
2.1.2 Différences culturelles : la culture inuite et la culture canadienne dominante
La présente section vise à permettre d'acquérir une connaissance pratique des principaux facteurs contributifs à prendre en considération pour concevoir des services aux victimes et d'autres genres de services et de programmes sociaux au Nunavut. Les fournisseurs de services, les fournisseurs de soins communautaires, les victimes de crime et les décideurs et responsables des politiques des administrations fédérale, territoriale et municipales interrogés pendant la présente étude ont demandé que les nouveaux services ou les services en place modifiés tiennent compte des différences culturelles actuelles entre la culture inuite et la culture canadienne dominante. Ils ont également demandé de brosser, pour les responsables des politiques et les décideurs à tous les paliers de gouvernement, un tableau clair des nombreux obstacles et difficultés qui existent sur le plan de l'élaboration et de l'exécution de programmes de services aux victimes dans les collectivités du Nunavut.
Quatre-vingt-cinq pour cent de la population du Nunavut est inuite, et l'inuktitut est la langue prédominante. Une proportion importante des Nunavois ne parlent que l'inuktitut. Toutefois, la majorité des jeunes sont bilingues; ils parlent l'anglais et leur langue maternelle. Quatre-vingt-onze pour cent des habitants du Nunavut qui se déclarent Inuits ont une connaissance de leur langue maternelle, et 85 % parlent leur langue maternelle à la maison [13].
Par conséquent, le présent chapitre porte sur deux sujets, un aperçu général des différences entre la culture inuite et la culture canadienne dominante et un aperçu général des difficultés et obstacles inhérents à l'élaboration et à l'exécution de programmes de services aux victimes dans les collectivités du Nunavut.
La présente section, qui porte sur les différences culturelles, ne vise pas à donner une description définitive des différences entre la culture « occidentale » dominante et la culture inuite autochtone au Canada. Elle ne présente qu'un aperçu général, aux fins de la planification des programmes, des principales différences entre la culture euro-canadienne et la culture inuite dans les domaines qui ont une incidence sur la planification des programmes. Ces aperçus sont fondés sur des entrevues tenues avec des fournisseurs de services, des fournisseurs de soins, des victimes de crime et des fonctionnaires du Nunavut, et ces répondants sont cités tout au long de l'étude.
Croyances culturelles au sujet de la vie
« Il est très difficile de faire comprendre aux Blancs que la vie est comme l'océan … elle vient et elle part à sa propre façon … la vie monte et descend … telle est la réalité … les Blancs ressemblent aux enfants à certains égards … ils font une crise de colère lorsqu'ils ne peuvent pas modifier le cours des choses selon leur volonté … mais ils ne comprennent pas que les choses arrivent d'elles-mêmes. »
« Par le passé, les gens n'aimaient peut-être pas le comportement de certaines personnes, mais ils acceptaient le fait qu'il y a toujours eu des pommes pourries et ils ont appris à accepter que les choses ne sont pas toujours parfaites. »
« Leur vie (avant le colonialisme) était très dure … tous connaissaient leur rôle et ils devaient travailler d'arrache-pied pour arriver à peine à survivre. »
« Nous savions ce qu'il allait devenir en raison de ce qui est arrivé un printemps à ses arrière-grands-parents pendant qu'ils chassaient. »
« On ne s'attire pas toujours des ennuis pour ses fautes; parfois ce sont vos enfants ou leurs enfants qui paient pour vos fautes. »
« Nous devons faire attention à notre façon de parler des animaux, car ils pourraient partir et il n'y aura plus rien à manger. »
Dans la culture inuite, et peut-être dans toutes les cultures autochtones rattachées au territoire, tous les aspects de la vie sont considérés comme interreliés dans une série de relations infinies. Aucune partie de la vie n'est séparée des autres parties. Il existe un lien entre toutes les espèces animales, toutes les espèces végétales et toute la vie minérale, d'une part, et la Terre, d'autre part. Rien ni personne ne peut se trouver à l'extérieur de sa place dans cette grande toile de relations. Il est impossible de comprendre une personne ou un événement, en soi, sans replacer cette personne ou cet événement dans son contexte historique, biologique et spirituel. En fait, la survie physique et psychologique dépend totalement d'une appréciation et d'un respect complets de cette toile de relations.
Il est également entendu dans ces cultures que cette « toile de vie » a sa propre dynamique de flux et de reflux sans début, ni fin. Les Inuits, comme les autres peuples autochtones, ne croient pas qu'ils aient un pouvoir sur l'évolution de cette dynamique. Ils savent qu'ils ont leur place sur la Terre, mais ils ne cherchent pas à imposer leur propre programme aux autres participants dans cette dynamique.
Cela signifie que dans ces cultures autochtones, les décisions sont prises en grande partie d'un point de vue holistique. Un plan d'action proposé ne peut être jugé qu'en fonction de son incidence la plus importante possible sur la toile des relations qui entourent ce plan d'action. Le plan d'action proposé fera-t-il fuir les animaux? Rendra-t-il la prochaine génération plus forte? Tout plan d'action qui pourrait bouleverser d'une façon ou d'une autre le mode actuel de création de la vie et l'équilibre de la vie est sujet à caution.
D'autre part, selon la culture européenne dominante au Canada, les êtres humains sont, jusqu'à un certain point, responsables de ce qui arrive autour d'eux. L'évolution des modèles mécanistes, industriels et scientifiques de cette culture au cours des derniers siècles a mené à une vue du monde qui place les êtres humains au-dessus du monde naturel qu'ils prennent en charge. On met moins l'accent sur le maintien de la fragile toile de relations qui nous entoure. L'idée de rester en harmonie avec les modèles et les gens du monde naturel est un concept obscur pour l'esprit occidental. Selon le point de vue occidental du monde, une personne est admirée lorsqu'elle « prend les choses en charge » et « fait arriver les choses ». Ce point de vue a mené à une conception de la vie - ou il en résulte peut-être - selon laquelle la survie est fondée sur la capacité de classer les idées, les événements, les plans et les personnes d'après leurs diverses composantes afin de réparer ou de modifier la composante considérée comme gênant le « progrès » technique qui, selon l'esprit occidental, équivaut à la survie.
Croyances culturelles au sujet du temps
« Même la reine doit porter une montre. »
« Le temps est circulaire, et non linéaire. »
« Tout à son propre temps. . . Le temps n'est pas fixe, il s'étire et se rétrécit. »
« Il ne faut jamais s'attendre à ce que les gens de cette ville arrivent à temps à leurs rendez-vous. »
« Il n'est tout simplement pas prêt à grandir maintenant. »
Dans la culture canadienne dominante, les horloges et les calendriers mesurent le temps. On accorde une très grande valeur culturelle à la réalisation d'objectifs dans un délai précis mesuré par des horloges et des calendriers. Être « à temps » est considéré comme une exigence fondamentale dans tous les genres d'emploi et au sein de la plupart des relations. Ceux qui sont « en retard » ou qui ne respectent pas les « délais » sont considérés comme incompétents ou paresseux. Cette conception du temps est rarement remise en question dans la culture dominante, et elle est considérée comme un reflet exact de la réalité et une nécessité lorsqu'il s'agit d' « accomplir des choses » et de « faire des progrès ». Presque tous les aspects de la vie sont assujettis à des « échéanciers ». Très peu de personnes dans le monde moderne échappent à l'asservissement imposé par cette conception du temps. Comme l'a indiqué un répondant, « même la reine porte une montre ». Le temps est le maître ultime de tous dans la culture dominante.
Dans les cultures autochtones rattachées au territoire, le temps n'est pas mesuré par des horloges et des calendriers. En fait, dans ces cultures, le « temps » n'existe pas au sens où la culture dominante le conçoit, c. -à-d. Comme déterminant extérieur des événements. Dans ces cultures, le « temps » ne se mesure pas, mais il s'agit plutôt d'une qualité qui existe à l'intérieur d'un événement, d'un animal, d'une personne et de la Terre. La Terre et toutes les espèces vivantes ont leur propre temps interne qui régit les rythmes naturels de leur naissance, de leur décès et de leur renaissance.
Par conséquent, dans les cultures autochtones, l'idée de forcer les événements et les personnes à s'insérer dans un cadre arbitraire prédéterminé est absurde. Pourquoi faire cela lorsque tout et tous ont un rythme interne naturel, qu'ils doivent suivre pour être vraiment ce qu'ils sont?
Dans la culture inuite, le déterminant ultime des événements n'est pas l'horloge, mais la Terre. La Terre elle-même, ses créatures et son climat indiquent quand il faut dormir, chasser, manger, se reposer, travailler, jouer et prier. Dans ces cultures, un être humain s'efforce de s'adapter le plus possible à ces rythmes et modèles.
Normes culturelles dans la vie communautaire
« À la télé, je ne peux pas comprendre pourquoi les Blancs sont si mesquins les uns envers les autres … pourquoi ne s'aiment-ils pas? Ils ne font que se battre. »
« Il ne faut pas parler de tout. »
« Nous devons suivre notre propre rythme; il ne faut pas oublier que ce mode de vie est nouveau pour nous. »
« Nous devons trouver des façons de garder les familles unies. »
« Jadis, les gens savaient ce qu'ils avaient à faire . . . Personne ne le leur disait. »
« Je ne sais pas comment mes ancêtres ont survécu …cela semble incroyable. »
« Nous savons que c'est vrai sans avoir à le demander ou à en parler.
Dans la culture occidentale dominante au Canada, les gens vivent dans des collectivités fondées en grande partie sur la disponibilité du travail, du logement et des choix de modes de vie. Afin d'obtenir ces avantages, les Canadiens d'origine européenne s'établissent dans des endroits très éloignés de leur famille et de leur lieu de naissance. Les relations avec les gens des collectivités et des régions où ils déménagent sont basées en grande partie sur le partage du travail, le logement, les loisirs et les préoccupations sociale et politiques. Étant donné le caractère technique de cette culture, bon nombre de ces relations communautaires visent la réalisation de tâches techniques convenues par entente mutuelle, dont le calendrier est déterminé au préalable. Afin de remplir ces tâches, les Canadiens d'origine européenne s'organisent en créant des comités, en tenant des réunions, en utilisant des appareils de communication et des technologies de l'information, en rédigeant des listes et en respectant les délais.
Dans cette culture, les règles, les normes, les lois, les idées, les priorités, les intentions et les objectifs ne deviennent vraiment réels et généralement acceptés que lorsqu'ils sont mis par écrit et signés par les personnes que la majorité des résidents ou des membres ont élues. Il y a de nombreuses étapes à franchir avant que ce stade final soit atteint.
Dans la culture inuite autochtone au Canada, la vie communautaire, sous sa forme actuelle, est relativement récente. Ce n'est que depuis 40 ans que les Inuits vivent dans des établissements qui comptent plus de membres que leur propre famille élargie, et peut-être leur groupe de parents. Bien que les nouveaux établissements inuits puissent sembler petits selon les normes euro-canadiennes, ils sont beaucoup plus vastes que ce à quoi les familles inuites sont habituées. Vivre avec de grands groupes de personnes qu'on ne connaît pas intimement est une expérience relativement nouvelle. En outre, les familles inuites et les petits groupes de parents suivent au gré des saisons les animaux dans un environnement qui compte parmi les plus hostiles du monde.
La vie communautaire était donc tributaire de l'obligation de travailler ensemble, sous peine de mort, pour obtenir des aliments, se loger, se vêtir et se chauffer. Il fallait souvent prendre les décisions rapidement et sans préavis. Il fallait économiser l'énergie pour remplir les tâches essentielles à la survie. Les personnes qui possédaient l'expertise, les connaissances et les aptitudes appropriées assumaient la direction de ces tâches. Il n'était pas nécessaire de discuter de ces questions en long et en large ou de tenir des réunions à ce sujet. En fait, cela aurait été une perte d'énergie et de temps précieux. Tous connaissaient intimement l'expertise, les connaissances et les capacités de chacun. Et tous avaient la capacité de comprendre les intentions des autres sans qu'on ait à les leur dire.
Par conséquent, dans cette culture, comme dans les autres cultures autochtones rattachées au territoire, les gens ont développé ce qui semble être, aux yeux des personnes des cultures européennes plus mécanistes, un sens intuitif de ce qui se passait autour d'eux. Pour les occidentaux, il semble que les Inuits puissent voir et ressentir ce qui arrive à un niveau matériel, cognitif/émotif et spirituel sans qu'il soit nécessaire de le leur dire de vive voix. La plus grande partie des paroles, de l'organisation, de la planification et des réunions nécessaires dans les cultures occidentales est donc superflue dans les cultures rattachées au territoire comme la culture inuite.
En outre, et peut-être à cause de la nécessité traditionnelle de travailler avec les autres et de leur faire confiance pour assurer sa survie physique, il fallait s'engager sans réserve à garder les familles et les collectivités ensemble à tout prix. La survie et l'harmonie collectives constituaient la priorité, car la participation à part entière de chaque individu était la seule façon dont les gens pouvaient, jusqu'à tout récemment, survivre.
Répercussions sur la prestation des services
Il faut tenir compte de ces diverses approches de l'existence humaine, de la vie communautaire et de la conception du temps au moment de la prestation de services aux victimes de crime et d'autres services communautaires. La culture européenne dominante exige pour son fonctionnement communautaire un genre d'infrastructure qui est relativement nouveau pour les Inuits et les autres Autochtones. Les comités consultatifs, la rédaction de propositions, les réunions et les autres outils de la culture dominante peuvent être peu familiers ou dénués de sens pour certaines collectivités inuites. L'ironie veut qu'ils puissent être en fait redondants.
Lorsque l'objectif de la collectivité consiste à établir des relations personnelles harmonieuses et entièrement interactives, bon nombre des outils de l'infrastructure nécessaires dans la culture dominante pour parvenir à un consensus pratique deviennent inutiles. Rendre obligatoire l'utilisation de ces outils dans une culture, qui repose sur un genre d'infrastructure complètement différent, cause de la frustration dans les deux groupes culturels.
Dans les circonstances actuelles, afin d'avoir accès aux fonds et d'établir les programmes, les lois et d'autres initiatives nécessaires pour faire face à la situation sociale actuelle, il faut recourir dans une certaine mesure à l'infrastructure de la culture dominante au niveau de la collectivité. Ironie du sort, ces exigences répondent aux besoins résultant des changements imposés aux Inuits par les Euro-Canadiens lorsqu'ils ont développé le Nord à leurs propres fins[14].
La réponse peut consister à adopter une approche de la prestation de services qui repose à la fois sur les deux genres de vie communautaire et d'infrastructure. Les collectivités inuites trouveront probablement utile d'employer certains outils de l'infrastructure de la culture dominante lorsqu'il est nécessaire d'interagir avec cette culture ou d'exécuter un programme fondé sur une méthode de la culture dominante, comme un centre de traitement. Les pouvoirs publics et les autres institutions de la culture dominante, qui cherchent à travailler avec les collectivités inuites pour trouver des solutions aux problèmes sociaux, pourraient juger utiles d'en savoir davantage sur l'approche inuite de l'infrastructure et d'y recourir.
Pour les collectivités inuites, cela signifie en apprendre davantage sur les outils techniques à utiliser pour élaborer les programmes sociaux qui permettront de résoudre certains problèmes. Dans les institutions de la culture dominante, cela signifie « passer d'un canal à l'autre » lorsqu'il s'agit de traiter avec les collectivités inuites et adopter une approche qui met l'accent sur l'établissement de relations interpersonnelles solides et un point de vue holistique au lieu de remplir des tâches techniques dans un délai prédéterminé. Les gens de la culture dominante peuvent être surpris de voir à quel point les tâches sont remplies rapidement et efficacement après que ces relations ont été établies. De plus, les Inuits peuvent juger que les exigences techniques de la culture dominante peuvent être adaptées à leur situation communautaire particulière.
Tous les répondants qui ont participé à la présente étude ont convenu qu'il serait préférable que les futurs programmes de services aux victimes soient fondés sur une approche faisant appel au « développement communautaire » en matière de prestation des services. Dans la culture dominante, cela pourrait signifier la création immédiate de comités et la tenue de réunions, suivies de l'établissement de propositions de financement et de la formation du personnel. Dans les cultures inuites et les autres cultures autochtones, cela pourrait équivaloir à mettre l'accent sur la consultation d'Aînés, de dirigeants, de fournisseurs de soins et d'autres membres de la collectivité pour leur demander des conseils, leur approbation et leur engagement pendant de nombreux mois avant de faire quoi que ce soit d'autre. Cela pourrait vouloir dire adapter les programmes éventuels afin qu'ils s'harmonisent avec les rythmes et modèles communautaires existants. Comme les gens ne sont pas considérés comme distincts du travail qu'ils effectuent, le personnel devra également convaincre les membres de la collectivité de leur bonne volonté, de leurs compétences, de leur professionnalisme et de leurs intentions altruistes. De plus, il s'agira de participer entièrement à la vie communautaire, compte tenu de tous les hauts et les bas qui l'accompagnent.
Dans les cultures rattachées au territoire, le programme en question doit être davantage qu'une bonne idée qui pourrait fonctionner selon le calendrier, les plans de travail et les stratégies générales de la culture dominante. La collectivité doit comprendre les motivations des personnes qui proposent le programme et s'y fier. Rien n'est distinct dans ces cultures. La bonne volonté et la maturité des promoteurs du programme sont plus importantes que la conception de celui-ci. Après que cette confiance et ces relations sont établies, il y a plus de chances que les parties techniques du programme se mettent en place, selon les exigences de la culture dominante.
Dans ce cas, la courbe d'apprentissage peut relever davantage des institutions de la culture dominante qui souhaitent interagir avec les collectivités et les organismes inuits. Il est difficile de faire correspondre l'idée selon laquelle tout et tous ont leur propre temps interne contraignant et non mesurable à une approche de la prestation des services axée sur un « calendrier » et des tâches. Par conséquent, aux yeux de la collectivité, le succès de la prestation des services ne se mesurera pas nécessairement à l'aune de ce qui arrive dans un calendrier prédéterminé. Cela est particulièrement le cas si l'on tient compte de la conception du temps dans les cultures autochtones, selon laquelle bien des choses ne peuvent pas être jugées comme un succès avant que plusieurs générations aient passé et que l'incidence de l'action se soit fait sentir pendant des décennies, et non des années ou des mois. Cela ne signifie pas qu'il est impossible de réduire la violence ou d'y mettre fin en quelques années ou mois. Cela signifie simplement que l'incidence générale à long terme de toute initiative de développement social sera évaluée par les membres de la collectivité en fonction d'un calendrier différent et d'une « jauge » différente de ceux utilisés par les institutions de la culture dominante.
En outre, le fait que les motivations d'une personne, exprimées et observées, ne soient pas séparées de l'idée que se fait la collectivité du programme proposé a également des répercussions sur la prestation des services. Comme les motivations ne peuvent être réellement connues qu'avec le temps et par une observation permanente, cela peut signifier que les nouveaux services ne seront pas acceptés et utilisés pleinement par les membres de la collectivité avant qu'ils aient eu plusieurs années pour les évaluer ou qu'ils soient promus et appuyés par des personnes qui se sont déjà mérité la confiance et le respect de la collectivité.
Enfin, les programmes devront être fondés sur une approche holistique de chaque individu et de chaque situation. Cela ne signifie pas qu'un programme devrait répondre à tous les besoins de tous, mais qu'une certaine compréhension de toutes les conditions d'un client éventuel dans sa famille et la collectivité doit servir de base à toute relation d'aide.
Ces facteurs culturels servent de base à nombre des descriptions et recommandations présentées dans le présent chapitre par les fournisseurs de services du Nunavut, et d'autres personnes consultées au cours de l'étude.
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