« Créer un cadre de sagesse communautaire » : examen des services aux victimes dans les territoires du Nunavut, du Nord-Ouest et du Yukon

3.0 Territoires du Nord-Ouest (suite)

3.0 Territoires du Nord-Ouest (suite)

3.2 Services offerts dans les collectivités des Territoires du Nord-Ouest (suite)

3.2.2 Constatations du recensement

Des renseignements détaillés sur chaque service interrogé pour la présente étude figurent dans Victim Services in the Territories: A Compilation of Contacts and Resources. Les points de vue des personnes interrogées concernant les succès et les obstacles à la prestation de services figurent dans les sections suivantes du présent chapitre. Leurs recommandations en matière de prestation de services aux victimes de violence figurent à la fin du présent chapitre. De plus, nombre de répondants ont fait part de leur connaissance des façons officieuses et traditionnelles de traiter les victimes.

Services traditionnels et services officieux pour les victimes des Territoires du Nord-Ouest

L'objectif de la collecte de données sur les méthodes traditionnelles qu'utilisent les Premières nations, les Métis et les Inuits pour traiter la victimisation consiste à examiner des approches qui ont pu fonctionner par le passé et qui pourraient par conséquent être intégrées à la conception de nouveaux services axés sur les victimes. Le but de la collecte de renseignements sur les façons officieuses actuelles de traiter les victimes est de comprendre comment les lacunes des services officiels contemporains sont comblées. Étant donné l'ampleur des besoins et la demande de ressources limitées, il importe de tirer parti des soutiens officieux qui ont fonctionné par le passé et de continuer de s'en inspirer aujourd'hui.

Les renseignements de la présente section sont fondés sur des entrevues tenues avec des Premières nations, des Métis et des Inuits des T.N.-O., dont la plupart sont actuellement des fournisseurs de services clés des T.N.-O. Leurs noms figurent à l'annexe A. Les autres répondants comprennent des femmes qui ont été, ou qui sont, victimes de violence interpersonnelle. Le groupe le plus important de répondants est formé de fournisseurs de services communautaires contactés pendant le recensement des fournisseurs de services des T.N.-O. (voir l'annexe B)[82].

Approches traditionnelles du traitement des victimes dans les Territoires du Nord-Ouest[83]

Il y a diverses opinions concernant la mesure dans laquelle les victimes de violence du Nord du Canada étaient appuyées et aidées jadis avant l'avènement du colonialisme au milieu des années 1800. Certains répondants ont dit, en faisant état des coutumes des Inuvialuits et des Dénés, que les femmes avaient toujours été traitées avec respect et que la violence à leur endroit était désapprouvée par leur famille et les Aînés. D'autres ont dit que la violence à l'endroit de l'épouse, les agressions sexuelles et la violence envers les enfants n'étaient pas reconnues par l'ensemble du groupe et que les victimes devaient se débrouiller seules.

Il est généralement entendu que les diverses tribus dénées de la région de la vallée du Mackenzie, connues traditionnellement sous le nom de Denendeh, avaient leur propre système juridique et de règlement des différends, qui consistait à honorer ses parents et à les protéger contre tout préjudice. De plus, on sait que les Aînés, les chefs spirituels et les guérisseurs ont joué un important rôle en matière de médiation, de soutien et d'orientation dans chaque groupe tribal. Quelques répondants ont dit que le rôle des Aînés, des pères et des frères plus âgés consistait à s'occuper de la question de la violence envers les femmes dans leur famille.

Toutefois, certains répondants croient qu'en dépit de ces règles généralement reconnues d'interaction sociale, il n'y avait généralement pas de sympathie ou d'aide à l'endroit des femmes ou des enfants dénés ou d'autres personnes impuissantes, qui ont été maltraités par d'autres. La plupart des répondants croient qu'ils ont souffert en silence et qu'ils ont évité le commérage et l'intimidation qui auraient pu résulter de tout signe de violence ou de bouleversement dans l'unité familiale. Il semblerait que cette attitude n'ait pas changé beaucoup même après l'arrivée de la GRC dans les Territoires du Nord-Ouest au début des années 1900. À cette époque, selon les répondants, les voies de fait envers la conjointe étaient considérées comme une question familiale et la police n'intervenait pas. Cependant, lorsque des professionnels de la santé ont été affectés dans le Nord par l'administration fédérale au milieu des années 1900, un certain soutien a été accordé aux femmes et aux enfants maltraités.

Les Inuvialuits avaient des normes sociales semblables à celles des autres peuples inuits habitant en bordure de l'océan Arctique, de la baie d'Hudson et de l'Atlantique Nord[84]. Ces normes n'étaient pas différentes de celles des Dénés et d'autres cultures autochtones rattachées au territoire dans le monde entier. Les rôles assignés à chacun des sexes étaient très clairs, et les mariages étaient, selon la plupart des répondants, arrangés entre les familles, souvent à la naissance. Certains comportements violents et déplacés peuvent avoir été tolérés lorsque la personne en question revêtait une certaine valeur pour le groupe à cause de ses talents en matière de chasse ou de ses aptitudes particulières, comme la capacité de repérer le gibier ou de guérir les maladies. Tout comme dans le cas des Dénés, les Aînés et les chefs spirituels inavialuits ont pris la plupart des décisions importantes et ils ont assuré l'orientation de leur propre petit groupe de familles. Les répondants ont indiqué qu'il n'était pas rare que les Aînés interviennent en cas d'actes de violence, mais on ne sait pas exactement s'ils intervenaient dans les cas de voies de fait contre une conjointe, de la violence à l'endroit des enfants ou des agressions sexuelles. (Certains répondants ont dit que ces genres de problèmes n'existaient pas chez les Inuvialuits pendant la période précoloniale. D'autres ont dit qu'ils étaient courants.)

Une chose est claire, tant dans la culture des Inuvialuits que celle des Dénés : tous comprenaient implicitement l'importance de conjuguer leurs efforts pour pouvoir survivre dans les conditions difficiles du Nord canadien. À cette fin, on s'attendait à ce que chaque personne fasse passer ses propres besoins et problèmes après ceux du groupe. Il serait donc réaliste de supposer que la violence ou les situations malheureuses n'étaient pas traitées, sauf si elles menaçaient cette cohésion.

Méthodes officieuses de traitement des victimes dans les Territoires du Nord-Ouest

Au cours des 20 dernières années, depuis 1980, les fournisseurs de services des T.N.-O., mais pas nécessairement le public, ont pris de plus en plus conscience de la grande variété de questions relatives aux victimes dans le territoire. Selon les répondants, ces questions sont les suivantes :

Cette prise de conscience a donné lieu à une variété croissante de services. Toutefois, la plupart des fournisseurs de services conviennent que la plupart des victimes de violence dans les T.N.-O. n'ont pas accès à ces services, ne les connaissent pas ou craignent d'y avoir recours. Ils ont indiqué que dans la plupart des cas, les familles et les collectivités n'appuient pas les victimes et vont même jusqu'à éviter, à blâmer et à couvrir de honte la victime. Il s'agirait de la réalité dans la majorité des petites collectivités et, dans une moindre mesure, dans les grandes collectivités également.

Cependant, les répondants croient que dans les grands centres (Yellowknife, Hay River, Inuvik, Fort Smith et Fort Simpson), on assiste à une évolution constante de cette attitude. Ils ont indiqué que même si les familles hésitent encore à aider leurs membres qui s'élèvent contre la violence, il y a maintenant beaucoup plus de femmes et d'hommes qui défendent la victime, préconisent des services à leur intention et contribuent à leur fournir des logements, de l'argent, des services de garde d'enfants, du transport et d'autres nécessités de la vie. Certains accompagnent même la victime devant le tribunal. Il s'agit d'une entreprise risquée, car la famille de l'accusé et d'autres membres de la collectivité cherchent souvent à intimider les victimes et leurs défenseurs pendant le processus judiciaire[85].

Dans les petites collectivités, toutefois, où la victime et sa famille font l'objet de pressions pour qu'elles laissent tomber les accusations ou d'autres menaces, le soutien de la victime peut consister à déménager la victime, qu'il s'agisse d'un enfant, d'un adolescent ou d'un adulte, en permanence dans une ville plus populeuse de la région. Elle évite ainsi le harcèlement de la collectivité et de la famille du délinquant et peut avoir davantage accès à des services comme le counseling, le logement, l'emploi et l'éducation.

En ce qui concerne ce phénomène, certains répondants ont dit que le soutien et l'aide accordés aux victimes dépendent de leur rang dans la hiérarchie du pouvoir dans la collectivité. C'est-à-dire que les victimes de violence appartenant aux familles les moins puissantes sont blâmées, évitées et intimidées davantage que les victimes appartenant aux familles plus puissantes. Toutefois, tous les répondants ne souscrivent pas à cette perception, car ils estiment que toutes les victimes de violence dans les petites collectivités, quel que soit le statut de leur famille, sont négligées ou réduites au silence et à l'obéissance par des menaces.

De plus, les victimes sont défavorisées par le manque chronique de logements dans toutes les collectivités, grandes ou petites. Même s'il était jugé acceptable de mettre fin à une relation de violence, les victimes ne peuvent aller ailleurs. En outre, ce ne sont pas toutes les collectivités qui ont des refuges ou des programmes de lutte contre la violence familiale. (Il y a cinq refuges pour les femmes et les enfants dans les T.N.-O. et quatre programmes de services aux victimes, tous dans les grands centres.) Ces refuges et ces programmes sont souvent accusés de « désintégrer les familles », et les membres puissants de la collectivité s'opposent souvent avec vigueur aux tentatives visant à établir de nouveaux refuges ou programmes.

Pour compliquer la situation, plusieurs répondants se demandaient si tous les programmes de soutien communautaires offraient réellement un service. Ils ont indiqué que les victimes de violence leur ont dit que lorsqu'elles ont fait appel à certains organismes pour obtenir des services, elles ont été laissées pour compte. Au lieu de recevoir l'aide autorisée ou même d'être dirigées ailleurs, elles sont renvoyées chez elles. Un répondant a fait remarquer que l'hôpital local avait même refusé plusieurs femmes gravement battues qui avaient besoin d'être hospitalisées.

Toutefois, un certain nombre d'événements communautaires et régionaux raniment l'espoir chez des répondants. Par exemple, les victimes d'agressions dans les pensionnats sont encouragées et appuyées par plusieurs cercles de guérison communautaires qui ont été financés par la Fondation autochtone de guérison nationale. Des établissements correctionnels et nombre de programmes de traitement des toxicomanes et de santé mentale font de plus en plus appel à la spiritualité autochtone et à une approche autochtone holistique de la guérison. Des refuges pour femmes battues et d'autres fournisseurs de services aux victimes, ont uni leurs efforts pour sensibiliser davantage le public à l'échelon local et ils ont créé des groupes de soutien pour les femmes battues. Dans certaines villes, des personnes se portent volontaires pour collaborer à des programmes qui aident les victimes de violence. Il y a plus de conférences et d'ateliers sur les questions relatives aux victimes, et le gouvernement territorial a tenu récemment une grande conférence sur les conditions sociales dans les T.N.-O[86].

Les répondants qui travaillent directement avec les victimes de violence ont également indiqué que la réaction de plus en plus fréquente à la violence familiale, aux agressions sexuelles et à la violence à l'endroit des enfants est le déménagement des familles à Yellowknife, et dans une moindre mesure, dans les grandes villes de chaque région. Ces familles sont constituées en grande partie de femmes et d'enfants ayant déjà été victimes de violence, mais certains hommes déménagent aussi. Selon l'estimation actuelle, de trois à quatre familles emménagent chaque semaine à Yellowknife[87].

Ces familles peuvent retourner dans leur petite collectivité, mais elles finissent par revenir à Yellowknife et s'y installer en permanence. Presque toutes ces familles migrantes sont constituées de Dénés ou d'Inuits. Quels que soient l'origine et le groupe ethnique de ces personnes, ce phénomène migratoire crée, selon les répondants, sa propre sous-dynamique. Le fait que plusieurs familles demeurent dans un petit logement subventionné entraîne souvent des expulsions et fait ressortir la pénurie flagrante de logements. La plupart des familles migrantes ont une foule de besoins : sur le plan financier, médical, de l'emploi, de l'éducation et du transport. Et bon nombre n'ont pas les connaissances de base, l'expérience et l'information nécessaires pour vivre à l'extérieur d'une petite collectivité.

La meilleure façon de résumer la situation en ce qui concerne l'aide officieuse aux victimes de crime consisterait peut-être à dire qu'une modification de l'attitude du public au sujet de la victimisation et, par conséquent, un changement de comportement à leur endroit en sont encore aux premiers stades. La plupart des programmes officiels, outre la police, les centres de santé, les écoles et certains refuges pour femmes battues, en sont encore à leurs premiers balbutiements. Par conséquent, il est impossible de mesurer les effets de leurs programmes et de leur présence. Dans la même veine, la reconnaissance officielle par le public et les gouvernements des Premières nations des conditions sociales graves qui existent dans les T.N.-O. sont un phénomène relativement nouveau. Pour mettre les choses en perspective, il semble que les systèmes officieux de soutien des victimes et, en fait, les systèmes de soutien officiels semblent plus développés qu'au Nunavut et moins développés qu'au Yukon.